PROLOGUE
« - Ne reste pas près de la fenêtre mon chéri, toute cette neige va finir par nous porter malheur. »
L'enfant s'exécuta sans un bruit et vint s'assoir à quelques pas de sa mère, sans cesser un instant de fixer les petits flocons qui dégringolaient lentement du ciel. Tout était calme, aucune ombre ne venait troubler le paysage. Seulement la neige. Blanche, brillante, irrégulière et envoutante. Il avait déjà entendu les grands en parler avec les termes « fléau » ou encore « mauvaise augure », mais il ne comprenait pas ces mots. Pour ses jeunes yeux, la neige était simplement belle. Et amusante. Il ne l'avouerait jamais à sa mère, mais il rêvait secrètement de toucher à ce sable blanc et froid.
« - Dis maman, est-ce qu'on peut construire des châteaux de neige ? Demanda-t-il, curieux.
La mère étouffa un rire bref et crispé.
- Voyons, il y a déjà bien assez de plages pour construire des châteaux. Si tu touches à la neige, de vilains bonhommes apparaitront et viendront te capturer pendant ton sommeil !
L'enfant ouvrit grand les yeux de stupeur.
- Ils sont très méchants les bonhommes ? Où est-ce qu'ils veulent m'emmener ?
- Oui, ils sont très méchants, sans pitié. Ils t'attraperont par les oreilles et t'emmèneront loin, très loin de moi, dans un pays où il n'y a pas de soleil et où les enfants comme toi qui ont touché à la neige sont retenus prisonniers pour servir de repas aux titans.
Le petit commença à blêmir, son intrépidité soudainement disparue.
- C'est quoi un titan ?
- Un monstre. Une créature humanoïde immense et mangeuse de chair humaine. Les enfants comme toi sont leur proie favorite... »
La mère prêtait de plus en plus d'attention à cette discussion. Elle joignait à ses explications des gestes de mains crochues et de dents acérées pour imager ses propos. Elle sentait que son fils, comme tous les enfants, était naturellement attiré par le phénomène météorologique qui se déroulait par-delà les murs protecteurs de leur maisonnette. Or, protéger ce à quoi elle tenait par-dessus tout était sa priorité, et il était de notoriété publique que la neige était synonyme d'évènements terribles. C'était une tempête de neige qui avait déclenché l'explosion de la locomotive, quatre ans plus tôt, qui avait emportée avec elle la vie de feu son mari, le père du petit. Mais voir tomber la neige plus d'une dizaine de fois dans une vie, était chose rare au pays de Temarre. Les conditions climatiques n'y étaient absolument pas favorables, et selon l'opinion commune, c'était une bonne chose.
Que voulez-vous, les Temarriens sont superstitieux.
A quelques kilomètres de là, la danse paisible de la neige s'était transformée en une tempête violente et dévastatrice. Le grondement tonitruant du vent dans les toitures et les bouches d'aération, aurait presque pu masquer les hurlements étranglés qui s'échappaient de l'imposant manoir du bout de la rue.
Trois heures, trente-sept minutes et vingt-et-une secondes. Les cris à fendre l'âme résonnaient entre les briques de toutes les maisonnées environnantes depuis trois heures, trente-sept minutes et vint-e…. vingt-deux secondes. On aurait pu penser de ces plaintes qu'elles achevaient une vie. On aurait eu raison. Mais il s'agissait également d'un nouveau départ. En effet, à l'intérieur de ses murs, le manoir abritait la souffrance libératrice de Carla Jaëger, qui donnait naissance à son premier enfant. En peu de temps, les hurlements se changèrent en cris, les cris en gémissements, et les gémissements s'éteignirent pour laisser place aux pleurs d'un nouveau-né, dont on avait retiré la mère trop tôt. Seul un murmure demeura, comme une prière, porté par le vent.
« - Eren... »
Pour la première fois, le manoir pourtant toujours si calme, laissa l'air mordant s'engouffrer entre ses pierres, et gémit doucement, comme s'il pleurait la mort de sa maitresse.
