Auteur : kitsu34
Origine : Saint Seiya
Couple : Aiolos x Saga
Disclaimer : rien à moi dans l'univers de Saint Seiya et le titre est celui d'un recueil de nouvelles de Dinos Christianopoulos traduit par « Destins brisés ». Je préfère pour ma part la traduction par « Descente sans fin » qui convient mieux à ce que je veux faire et qui rend l'expression grecque signifiant littéralement « la boucle vers le bas ».
Les quatre strophes en ouverture et fermeture du prologue sont les strophes d'ouverture et de fermeture du magnifique poème de Victor Hugo Les Djinns extrait des Orientales.
Note : immenses remerciements emprunts de gratitude à Niacy pour ses encouragements et son aide précieuse à y voir plus clair, même lorsqu'on ne donne pas signe de vie pendant longtemps…
Cette fic est plus ou moins liée à ma fic précédente sur Saint Seiya, du moins elle découle du dernier chapitre et du dernier couple qui y fait une brève et mystérieuse – douloureuse - apparition.
J'avais envie d'écrire ce chapitre-là de mon histoire imaginaire, Niacy m'a encouragé : je tente l'aventure. On verra.
C'est parti.
I Kato Volta / La descente sans fin
Prologue : Recommencement
Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.
Au commencement de tout, il n' y a rien. L'apaisement règne en maître et s'étend, se dilate paresseusement. Tout est silence ouaté. Tout est ténèbres profondes et protectrices. Rien ne s'entend et rien ne bouge. Rien ne respire. C'est le sommeil sans fin.
Dans la plaine
Naît un bruit
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit.
Et puis un frisson, à peine perceptible, vient rider la surface du vide. Comme un murmure presque inaudible. Quelque chose, on ne sait quoi, s'est mis en marche. Le rien est habité, parcouru par le frémissement d'une existence ténue qui s'agite, qui vient, qui repart, comme le flux et le reflux. Et soudain l'obscurité se pare de lueurs nouvelles : des myriades d'étincelles papillonnent à tout va, cabriolent et se heurtent avant de s'unir pour dessiner une forme lumineuse plus importante. Le noir se déchire et ressemble tout à coup à un étrange sous-bois estival parsemé de lucioles. La masse de lumière semble gagner en consistance et prendre une vague apparence humaine. Elle se tord brusquement, tremble, se déconstruit puis se reconstitue difficilement. Elle semble souffrir. Si elle pouvait parler ou même pousser un cri, quel son triste et souffrant ne produirait-elle pas…
La myriade d'étincelles se débat à nouveau, comme sous le coup d'une grande souffrance. Elle s'affole, tremble, lutte comme si elle refusait quelque chose. La douleur la vrille de toutes parts et elle combat de toutes ses forces. Mais la lutte est démesurée, déjà perdue. Alors elle se laisse pénétrer par la souffrance, comme si un milliard d'aiguilles acérées la transperçait sans relâche. Et le cri fuse dans l'espace vide et noir. Un cri longtemps répercuté par le néant, comme l'écho lointain et affaibli de quelque chose de vivant, qui a existé il y a longtemps, dans une autre vie, et dont on se souvient…
Exténuée, à bout de forces, la myriade d'étincelles s'effondre sur elle-même, toujours parcourue par la douleur qui ne la lâche pas. Et cette immense souffrance qui la plie par intervalle et la parcourt, lui rappelle des sensations qu'elle a oubliées depuis bien longtemps, anéanties par le néant et le sommeil. Le battement assourdissant et si douloureux du sang sous la peau de la boite crânienne, qui laboure régulièrement le cerveau. L'estomac qui se soulève et se noue, rejetant tout se qui s'y trouve, même lorsqu'il n'y a rien, surtout lorsqu'il n'y a rien, et vous laisse épuisé. Les membres qui tremblent et soudain se dérobent, comme s'ils n'étaient plus faits de muscles et d'os mais d'une matière aérienne, comme du coton. Et la douleur qui parcourt la moindre petite fibre, la moindre petite parcelle de vous et vous fait comprendre que vous êtes vivant, car il n'y a que dans la vie que l'on peut souffrir autant…
Brusquement la forme lumineuse prend conscience qu'elle vit ! Elle vient d'être arrachée au néant doux et sombre dans lequel elle était plongée depuis si longtemps. Elle prend douloureusement conscience d'être à nouveau emprisonnée dans un corps. Elle se concentre, comme on lui a appris, il y a bien longtemps, dans une autre vie, à le faire. Elle se répand dans cette nouvelle enveloppe et se l'approprie. Un bras puis un autre, une jambe puis une autre, une tête, un cœur dont les pulsations reprennent doucement sous son impulsion, un cerveau dans lequel elle se loge. Bien installée, elle se replie sur elle-même, concentre toute sa force, s'apprête à irradier l'énergie vitale nécessaire à la mise en vie de ce nouveau corps quand, l'espace d'un instant, elle suspend son action.
Un flux d'images la traverse mêlé d'émotions éparses contradictoires. Elle revoit beaucoup de visages de compagnons d'armes, d'un maître aimé et respecté et d'un jeune frère adoré. Quelques sourires vibrants également lui apparaissent ainsi que de nombreux éclats de rire, baignés de la lumière dorée du soleil méditerranéen, en arrière-plan. Mais elle voit aussi beaucoup de larmes. Des larmes liées à un visage bien particulier, toujours le même : son visage à lui, aux yeux de mer sans fond parcourue de courants. Et des larmes qui naissent de ses mots déchirant l'âme et anéantissant l'espoir… A la pensée que tout va recommencer, la lumière vacille, se fait soudain moins vive. Les ténèbres séductrices et le néant tentateur l'attirent sournoisement, à nouveau. Se reposer enfin, loin de cette descente sans fin vers le désespoir…
Mais cette hésitation ne dure pas. La lumière perçoit d'autres vibrations, plus fortes que celles des ténèbres et du néant. Seize musiques lointaines qui l'appellent. Des chants d'espoir, lumineux et forts, qui lui rappellent quelque chose de sa vie d'antan. L'une d'entre elles surtout lui paraît familière, comme une mélodie longtemps fredonnée. Ce sont des chants qui font vibrer ce qui reste d'espérance en elle. Elle laisse cette vibration si particulière, qu'elle connaît si bien l'envelopper et finalement, elle accepte le recommencement. Elle se concentre, pulse, irradie et se sent envahir puissamment le corps qui est désormais le sien. Elle habite chaque fibre de celui-ci et bientôt ne fera plus qu'un avec lui. Elle sait que sa conscience et sa connaissance des ténèbres, de tout ce qu'elle a vu du néant va disparaître avec cette union : c'est le prix à payer pour revivre. Elle gagne en puissance et se sent s'éteindre à mesure qu'elle se fond dans le corps qu'elle habite. La fusion est presque accomplie. Elle s'étiole, va s'éteindre. Avant de disparaître, elle aurait voulu être sûre d'avoir fait le bon choix de ne pas être revenue à la souffrance pour rien. Il ne lui reste que peu de temps, déjà le corps qu'elle a accepté d'animer remue. Avant de se fondre en lui, elle réussit à entrouvrir un œil encore vague.
Sa vision s'ajuste mal, encore floue, comme au sortir de l'eau. L'air entrant brusquement dans ses poumons neufs lui déchire la gorge et se précipite dans sa bouche comme un flot étouffant. Pourtant, elle doit savoir avant de disparaître. L'énergie se concentre une ultime fois et réussit à se mouvoir dans ce corps qui ne lui obéit déjà plus. Le corps se redresse, lève la tête et contemple ce qui se dresse face à lui. L'œil ajuste la vision et l'énergie rayonne de toute sa puissance, enflammant ses huit sens au paroxysme.
L'endroit où elle se trouve est noir, d'une obscurité opaque et sourde. Aucun son ne transperce les ténèbres, comme si la noirceur avalait le bruit. C'est une nuit de début ou de fin du monde. Pourtant une faible lueur lui parvient, qui lui permet, au bout d'un instant, de distinguer à grand-peine les contours des choses. D'où provient cette pauvre lumière égarée au royaume de l'obscurité ? L'énergie regarde autour d'elle pour en identifier la source, quand elle se sent abattue par la masse gigantesque que lui révèle la faible luminosité de l'endroit.
Devant elle se dresse un mur immense, majestueux et écrasant, sculpté de deux têtes qui se contemplent et de deux ailes réunies par un cercle de métal comme un ultime aboutissement. Devant ce mur impressionnant, elle distingue à grand-peine neuf silhouettes minuscules. Cinq d'entre elles sont revêtues d'armures brillantes qui captent les regards. Ce sont elles qui émettent la seule lumière de l'endroit ! Ce sont les armures d'or des chevaliers d'Athéna. Elle les reconnaît car elle les a déjà vues dans sa vie d'autrefois. La musique qui lui parle l'enveloppe et l'enflamme et soudain elle sent qu'elle disparaît, aspirée par la vitalité de ce nouveau corps réveillé qui la mange. Avant de s'éteindre, fondue dans la conscience neuve qui s'éveille, elle entend une voix qui s'exclame :
« - Les douze chevaliers d'or sont revenus à la vie ! Nous pouvons lutter contre Hadès et sauver Athéna ! »
Apaisée, la lumière se laisse absorber par l'énergie vitale de son nouveau corps, revêtu à présent lui aussi de son armure. Elle a fait le bon choix. Tout recommence : la souffrance, la peine, mais peut-être aussi l'espoir, et la possibilité de changer ce qui, la première fois, n'a pas marché…
Un instant fermés, les yeux se rouvrent sur la noirceur de l'atmosphère oppressante et la verticalité étourdissante du mur immense. Leur regard est assuré à présent. Le corps se déplie lentement comme s'il avait du mal à se mouvoir après une longue immobilité. L'homme contemple ses pieds. Il ne se rappelle pas qu'ils étaient si loin de lui. Il se passe la main dans les cheveux et rencontre le casque de métal froid. Une armure. Son armure. Il est immédiatement conscient des énergies autour de lui il les reconnaît toutes. Chacune lui parle à sa façon, mais certaines plus que d'autres. Il se rappelle les avoir toutes rencontrées, dans sa vie passée ou bien dans son demi-sommeil de mort. Néanmoins, il se rend compte que bien du temps doit avoir passé depuis cette autre vie, qu'il lui semble avoir quittée hier seulement, car les images accompagnant les énergies de son passé sont bien différentes de celles qu'il avait conservées…
L'une d'elles s'élance soudain vers lui. Avec émotion, il la reconnaît avant qu'elle ne parle. Cette cosmo-énergie connue réveille l'image bien-aimée d'un visage d'enfant souriant, aux courtes boucles blondes et aux grands yeux verts levés avec admiration vers son grand frère…Mais l'image présente qui s'élance vers lui n'a plus rien à voir avec celle qu'il a gardée en mémoire. La détresse poignante du temps passé que rien ne rattrape l'étreint. Déesse Athéna, combien d'années ont passé pour qu'il ait tant changé…
Le nouveau venu se rapproche, bras ouverts, puis s'arrête, hésitant. Tant de temps a passé qu'il ne sait plus comment se comporter. Les deux hommes restent face à face, sans bouger, sans oser aller vers l'autre, rendu malhabiles par le fossé que le temps a creusé entre eux. Soudain les mains se tendent après quelques hésitations et les doigts s'entremêlent, timidement d'abord, puis avec force, comme pour rattraper le temps perdu, pour éviter qu'ils ne se dénouent à nouveau.
« -Aiolos, mon frère !
-Aiolia, petit frère, toutes ces années, tu as combattu aux côtés d'Athéna. Comme je suis fier de toi !
-Mon frère… »
Les mots véritables s'étranglent dans les gorges, les vrais mots, ceux qui exprimeraient tout ce qu'ils ont à se dire après tout ce temps. Les mots imagés, puissants, qui sauraient peindre leur bonheur présent et leur tristesse passée, la solitude qu'ils ont vécue, la trahison qui les a touchés. Mais ce n'est pas le moment. Et puis ces mots-là sont difficiles à dire. Alors seuls les yeux se parlent, pour l'instant.
A côté d'eux ont lieu d'autres retrouvailles. Chacun des chevaliers de bronze ou d'or présents a un ami ou un proche à saluer. Les mains se tendent, les bras se referment sur les corps et les visages comme les âmes sourient. C'est un instant d'allégresse au milieu du dur combat qui les oppose à leur adversaire millénaire. Un moment de répit durant lequel la souffrance et les peines n'ont pas leur place mais cèdent devant le bonheur et la joie. Tous se dépêchent d'en profiter car ils savent bien que ces quelques minutes dérobées ne dureront pas. Ces instants de grâce, où le cours irréversible des choses se suspend, sont volatiles. Ils ne durent pas plus qu'un battement de cœur. Alors Shiryu se précipite vers son ami Shura, et Shun salue son ancien adversaire, Aphrodite, tandis que Seiya et Aldébaran s'étreignent en riant. Hyoga salue son maître dont le regard brun va silencieusement rencontrer les yeux bleus d'un compagnon d'arme particulièrement cher, sans doute. Oui, tous se hâtent de jouir de ce frêle moment de paix et de bonheur.
Et pourtant.
Il en est un qui reste à l'écart. Un chevalier vers qui personne ne s'élance et qui sent douloureusement son armure l'étreindre. A l'énergie qu'elle déverse dans son corps se mêle une autre, malheureusement bien connue, qui l'emplit de force autant que de peine et de larmes. Il est le seul qui ne retrouve pas un être aimé. Le seul qui, au contraire, vient de perdre sa moitié. Le seul qui doit lutter pour porter la tête haute sous le casque doré et si froid de son armure.
Bien qu'il soit à l'écart de la joie des autres, tous sont conscients de sa présence. Tous le perçoivent. Son énergie n'est pas de celles que l'on peut oublier, malheureusement. Sous la joie, la tension monte. Chacun se demande secrètement comment vont réagir les deux anciens ennemis qui ne se sont pas revus depuis cette époque-là, si lointaine, où l'un a trahi l'autre. Ils étaient pourtant si proches en ce temps-là, inséparables, comme des frères... Des moitiés d'âme disait-on…
Ce genre de blessure peut-il guérir un jour ? Et si le temps, qui abolit les rancunes et adoucit les haines, a passé pour l'un qui a vécu, il s'est arrêté brutalement pour l'autre, fauché en pleine jeunesse… Que va-t-il se passer ? Le temps peut-il vraiment tout guérir ? L'âme humaine est-elle si généreuse, si grande ? La rédemption et le pardon sont-ils finalement possibles ?
Les yeux continuent de rire, les sourires s'affichent toujours, mais en secret tous se questionnent.
Néanmoins, ils ont une mission et ils ne sont revenus à la vie que pour elle seule. Les chevaliers d'or se réunissent et renvoient les bronzes. Dokho leur explique ce qu'ils auront à faire et pourquoi c'est à eux qu'incombe cette tâche. Ils quittent la pièce du mur des Lamentations. Aiolos sait à présent ce qu'il a à faire et sait qu'il n'est revenu à la vie que pour cet instant. Il saisit sa flèche et son arc et bande ce dernier. Chaque chevalier d'or lui envoie son énergie et il les sent l'envahir tour à tour. Lui est le dernier à le faire. Son énergie est très particulière. Très douce, infiniment triste, comme un remords, comme pour demander pardon. Elle est aussi chaleureuse et forte, très puissante, comme elle l'a toujours été. Mais surtout il y a autre chose, bien caché, derrière. Comme une note indéfinissable et tremblante, inavouable… Pudique…
L'espace d'un instant avant de décocher sa flèche, Aiolos frissonne. Son cœur, sans qu'il sache pourquoi, palpite soudain. Les énergies se font plus intenses, atteignent leur paroxysme. L'arc se bande au maximum, la corde chante sous ses doigts comme un cri d'hirondelle. Bientôt il ne pourra plus la retenir. Mais il doit savoir ce qu'est cette note indescriptible qui lui serre le cœur. Il affute son cosmos et envahit l'autre. La méthode est brutale et invasive, mais après tout, l'autre l'a fait tuer quinze ans plus tôt. Il sent le haut-le-cœur mental et le barrage immédiat qu'on tente de lui opposer, mais c'est trop tard. Il est passé. Ils sont liés. Il va enfin savoir ce qui se cache dans cet esprit sans fond.
Les énergies s'accroissent soudainement et son propre cosmos s'enflamme brutalement au maximum de sa puissance. L'arc se tend à cisailler ses doigts.
Non ! Pas maintenant !
L'arc se détend, libérant son énergie monstrueuse. La flèche chargée des cosmos au paroxysme des douze plus puissants chevaliers d'Athéna se précipite vers le mur sans fin qui leur fait face.
Les deux esprits liés se délient.
Mais la brève connexion a suffit.
La déflagration qui suit l'impact de la flèche au moment où elle touche le mur est ineffable. Le blanc envahit l'espace sombre. La lumière avale tout. Les douze cosmos s'éteignent comme des bougies que l'on souffle.
Avant d'être à son tour balayé par l'anéantissement blanc, Aiolos a le temps d'arrêter une pensée. Décidément, il n'est revenu à la vie que pour bien peu de temps… Mais cela en a valu la peine, car à présent il sait.
Il sait.
Que n'a-t-il su plus tôt…
Tout aurait pu être si différent…
Si seulement il avait su…
La lumière se transforme en kaléidoscope de couleur et la moindre fibre de lui-même irradie de douleur. Puis la souffrance se fait moins vive à mesure que son corps comme son esprit s'engourdit. Les couleurs s'assombrissent petit-à-petit et les sons se font plus sourds, comme s'il s'enfonçait sous l'eau. Bientôt il ne voit plus rien, n'entend que quelques sons très assourdis et sent qu'il va s'endormir pour une longue, très longue période. A nouveau.
Il aurait bien voulu plus de temps, maintenant qu'il sait.
Les dieux sont cruels, décidément.
Le néant le happe. Tout disparaît.
Tout est fini…
Ce bruit vague
Qui s'endort
C'est la vague
Sur le bord
C'est la plainte,
Presque éteinte,
D'une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit…
J'écoute : -
Tout fuit,
Tout passe
L'Espace
Efface
Le bruit.
