Bonsoir à tous !
Voici la troisième et dernière partie des (més)aventures de Jon entre Port-Réal et Accalmie. A l'occasion du deuxième mariage de Robert Baratheon, Stannis et sa petite équipe s'attaquent à un morceau autrement plus coriace que les jumeaux Lannister, à savoir Petyr Baelish. Reste à voir s'ils vont réussir à le mordre ou pas...
Ceci est la traduction de A Dull Affair, d'Emynithilien, que vous pouvez retrouver en VO sur AO3.
Bonne lecture.
Chapitre 1: Mariages
"Un mariage dothraki sans au moins trois morts est considéré comme une affaire ennuyeuse."
Illyrio Mopatis, le Trône de Fer, Daenerys I
Jon fit tournoyer Shireen encore et encore, se concentrant sur son sourire tandis que ses cheveux noirs commençaient à s'échapper de sa natte. Il aurait dû faire plus attention à Ser Cortnay Penrose, qui était alors en train de battre la mesure d'une danse dans l'un des grands halls d'Accalmie.
- C'est trois tours, Ser Jon, pas quatre, et ne faites pas tourner la dame si vite !
Jon haussa les épaules tandis que Shireen souriait encore plus largement, replaçant sa main droite sur sa taille et la menant de la gauche dans une série de pas simples. Shireen avait exprimée un grand désir de danser au prochain mariage du roi Robert à Dame Margaery, mais ne connaissant pas les dernières danses de cours, elle avait requis des leçons convenables. Son père n'était pas opposé à l'idée, bien que Lord Stannis Baratheon d'Accalmie sermonnât Shireen pour avoir présenté sa requête après que le chanteur résident eût été viré. Son défunt oncle Renly avait payé l'homme quantité d'or durant sa tenure en tant que Seigneur d'Accalmie, une dépense que Stannis trouvait totalement superflue.
Ser Cortnay était assez familier des danses de cour les plus populaires, ayant passé un certain temps à la Forteresse Rouge au service de son suzerain. Son épouse l'assistait dans ses démonstrations. Les danses les plus faciles étaient celles où tous les participants se prenaient le bras et se déplaçaient en cercles, et les plus difficiles impliquaient plusieurs changements de partenaire. En même temps que Jon, Shireen avait insisté pour que son cousin Edric Storm et le fils de Ser Davos, Devan, se joignent à ses leçons de danse. Elle était vite devenue amie avec Edric et Devan, qui avaient tous deux à peu près son âge et vivaient pour l'heure à Accalmie. Cela réjouissait Jon de voir que la fillette timide qu'il avait rencontrée sur Peyredragon apprenait à prendre plus confiance en elle-même et prendre la parole, et il espérait qu'elle ne serait plus jamais isolée.
Jon se rappela les leçons de danse qu'il avait suivies avec Robb à Winterfell et à quel point il les avait trouvées barbantes. Il avait marché sur trop de pieds et ne pouvait jamais voir l'intérêt qu'il y avait à danser, surtout quand il avait dû le faire avec Alys Karstark à l'âge de six ans quand Lord Karstark avait visité le château. A présent, cependant, Jon trouvait qu'apprendre le jeu de pas d'une danse n'était pas différent d'apprendre celui d'un combat à l'épée. Dans la cour d'entraînement, un homme apprenait à déplacer ses pieds rapidement dans toutes les directions comme par instinct, et des manœuvres compliquées comme pivoter, tournoyer et sauter étaient bien plus faciles à faire avec une seule partenaire sur une piste de danse que contre un opposant en armure complète sur le champ de bataille.
La tête de Shireen atteignait à présent l'épaule de Jon, bien qu'il doutât qu'elle eût fini de grandir, si ses parents étaient une indication. Lord Stannis et Dame Selyse étaient tous deux fort grands et bien qu'il fût déjà évident que Shireen avait hérité des grandes oreilles de sa mère et de la coloration paternelle, son visage ne montrait pas encore le moindre signe des expressions sévères que ses parents arboraient souvent.
Avec une dernière pirouette, la danse prit fin et Shireen frappa dans ses mains.
- Je devrais laisser Edric avoir une autre chance de danser avec moi, Jon.
- Bien sûr, ma dame, dit Jon avec une révérence formelle, non que Shireen se souciât beaucoup de bonnes manières comme sa mère, mais simplement parce que cela la rendait heureuse.
Jon s'appuya contre le mur de pierre de la salle et regarda Edric et Shireen exécuter une danse qui curieusement n'impliquait aucun contact. Puis Devan prit la place d'Edric et ce dernier vint se planter à côté de Jon.
- Tu danses très bien, commenta Jon.
A douze ans, Edric était presque aussi grand que Jon à seize, ce qui le dépitait quelque peu.
Je suppose que ce n'est pas une surprise, avec un roi pour père, un roi guerrier à qui toutes les filles tombaient dessus de leur propre chef quand il était au mieux de sa forme.
Du moins c'était ce que prétendait Stannis, en tout cas.
Edric émit un son évasif.
- Comme si ça importait. Je ne m'approcherai même pas du mariage, vu que la présence d'un des bâtards du roi Robert serait une grave insulte aux Tyrell. Parce que je compte voler le trône un jour, bien sûr !
Dieux, j'espère que je n'ai jamais parlé comme ça.
- Je sais ce que c'est, répondit Jon.
La visite du roi Robert à Winterfell avec toute sa cour et ses suivants avait eu lieu presque deux ans plus tôt, mais ces années semblaient un âge entier pour Jon. Il avait alors été un petit bleu furieux d'être relégué à une table éloignée de sa famille simplement parce que son nom de bâtard aurait pu être un affront pour la famille royale. Il n'y avait pas eu grand-chose à faire pour Jon au festin d'accueil du roi sauf de noyer tous ses supposés chagrins dans le vin d'été, ce qui avait amené Oncle Benjen à le regarder avec pitié et Tyrion Lannister à lui faire un sermon comme quoi les nains étaient les seuls vrais bâtards.
Bon, peut-être que si.
Edric le considéra et croisa les bras.
- Au moins ton père se souciait assez de toi pour faire des plans pour ton avenir. Le mien, juste assez pour envoyer des cadeaux coûteux pour mes anniversaires.
Oui, Père m'a conseillé de ne pas rejoindre la Garde de Nuit et au lieu de cela m'a envoyé comme écuyer auprès de Lord Stannis sur Peyredragon.
Comment Père avait exactement réussi cela, Jon n'en avait aucune idée, puisque son père n'avait guère été prolixe et Stannis avait refusé de lui répondre quand la question avait été posée directement. Cependant, tout avait fonctionné remarquablement bien. Jon avait beaucoup appris de Stannis sur les divers devoirs d'un grand seigneur et membre du Conseil Restreint du roi, et il aimait penser que lui et son seigneur s'entendaient bien grâce à leur tempéraments similaires. Stannis avait fait Jon chevalier après que ce dernier l'eût sauvé de la noyade dans la baie des Naufrages. En retour, Jon avait décidé de continuer à servir Stannis en dépit d'une offre généreuse du roi Robert de rejoindre la Garde Royale pour son rôle dans la bataille et le procès de la reine Cersei et de Ser Jaime pour leurs trahisons.
- Lord Renly n'a-t-il pas veillé à ton éducation ? demanda finalement Jon.
- Oncle Renly a chargé Ser Cortnay de mon éducation, et dans les rares occasions où il venait à Accalmie, il faisait à peine plus que de me tapoter la tête comme si j'étais une curiosité.
- Et Lord Stannis ?
- Il ne peut pas me supporter.
Jon fronça les sourcils, jugeant le ton amer d'Edric peu mérité. D'après son expérience, Stannis agissait toujours justement et jugeait tous les hommes de la même façon, qu'ils fussent un criminel, un bâtard ou le fils d'un haut seigneur.
- Il n'agit pas comme ça d'ordinaire...
Edric lui coupa la parole.
- Je suis le bâtard conçu pendant sa nuit de noces parce que mon père était ivre, et il ne l'oubliera jamais. Il t'apprécie, cependant. Je donnerais presque n'importe quoi pour qu'il me regarde avec approbation comme il le fait pour toi.
Jon ouvrit des yeux ronds, peu certain de savoir comment répondre à cela. Edric soupira, regardant Ser Cortnay corriger la posture de Devan et la façon dont il tenait la main de Shireen.
- Même si j'admets qu'Oncle Stannis a fait plus pour mes perspectives d'avenir que quiconque. Si je souhaite devenir apprenti pour un métier quelconque, il trouvera un bon maître et paiera ma taxe d'apprentissage. Si je veux devenir maistre, je recevrai des appartements et des fonds convenables pendant mon temps à la Citadelle. Si je veux rejoindre la Foi, je serai présenté au Grand Septon lui-même.
Cela ressemblait plus à Stannis.
- Que lui as-tu dit ?
- J'ai dit à mon oncle que je voulais devenir chevalier. Il a fait la grimace mais a promis qu'il trouverait un seigneur ou chevalier convenable pour lui servir d'écuyer. Il a écrit à mon parent Lord Florent, qui a refusé d'avoir quoi que ce soit à voir avec moi, parce que cela pourrait énerver les Tyrell.
Edric leva les yeux au plafond.
- Ser Andrew Estermont est d'accord pour me prendre, ce qui peut ne pas être si mal, et Ser Cortnay dit que l'un de ses jeunes frères à Parchemins serait honoré de m'avoir pour écuyer. Oncle Stannis…
En parlant du cerf... Stannis entra dans le hall, bien que sa voix sévère le précédât :
- Il vaudrait mieux que vous sachiez ce que vous faites, Ser Davos !
- Si vous n'approuvez pas, vous avez tous les droits de me bannir du château et de m'ôter mon navire et mon manoir du Castelpluie, vint la réponse.
Davos Mervault et son fils aîné Dale suivirent leur seigneur dans la pièce, également accompagnés de deux hommes que Jon reconnut comme des marins du Spectre. Dale tenait un chalumeau de fer blanc et ses compagnons avaient respectivement un violon et une paire de petits tambours.
- Ma dame, salua Davos, s'inclinant devant Shireen. J'ai pensé que vous pourriez souhaiter approfondir votre éducation en termes de danse. Je n'ai jamais dansé à la Cour moi-même, bien que j'aie eu l'occasion d'y écouter de nombreux musiciens.
Shireen regarda Davos en attendant la suite.
- Cependant j'ai trouvé la musique de cour trop sèche et solennelle à mon goût, reconnut Davos. Et trop de leurs danses sont lentes. J'ai pensé que vous aimeriez écouter quelque chose de plus rythmé. J'ai de très bons souvenirs d'avoir dansé toute la nuit de mon mariage.
- Où vous êtes-vous marié, Ser Davos? Voulut savoir Shireen.
- Probablement dans quelque arrière... marmonna Stannis.
- Une arrière-salle de taverne est une bonne description, bien qu'il y eût un septon présent pour joindre mes mains et celles de Marya et bénir notre union. Dale et ses collègues sont de bons musiciens, vu que la musique est simplement quelque chose qui fait passer le temps quand la mer est calme.
Davos se tourna vers son fils.
- Comme j'ai dit à notre dame, jouez quelque chose d'animé !
Hochant la tête en direction de ses compagnons, Dale amena son chalumeau à ses lèvres tandis que le joueur de tambours entamait un rythme rapide. Le son qui émergea était énergique et Jon restait stupéfait de la vitesse à laquelle les doigts de Dale couraient sur l'instrument. Davos se mit à frapper dans ses mans et taper du pied, encourant les autres à le rejoindre. Le violoniste commença à pincer son instrument comme une lyre avant de prendre son archet et l'harmonie résultante était assez plaisante. Davos tendit une main à Shireen, qui la prit vivement et suivit son rythme. Leurs pas étaient assez rapides et suivaient la cadence de la chanson. Quand elle fut finie, Dale reposa son chalumeau et se mit à chanter un air. Davos rendit Shireen à Jon avant de se mettre à chanter également :
Le Capitaine arriva du château de Soleil-Vaillant
Pour attraper cette chèvre au bâton et filet
La chèvre mit au Capitaine un grand coup par le fondement
Et ses cornes démolirent son beau gilet !
Jon se mit à rire en entendant les paroles, jetant un regard rapide à Stannis pour s'assurer qu'il n'en était pas offensé. Stannis ne souriait pas, bien sûr, mais l'absence d'un de ses froncements de sourcils caractéristiques était certainement un bon signe.
Cette fois Jon ne s'inquiéta pas de la vitesse à laquelle il faisait tournoyer Shireen, ses rires ravis en valant largement la peine. Quand le tempo changea, il glissa un bras sous le sien et la fit pratiquement courir en cercle. Quand la musique prit fin, Jon tendit la main et ébouriffa les cheveux de Shireen. Ils étaient déjà un peu en désordre suite à la danse, aussi ne ressentit-il pas de culpabilité – c'était comme avec Arya. Jon était très impatient de revoir sa petite sœur préférée, et il espérait vraiment qu'Arya et Shireen s'entendraient. Le mariage en vaudrait la peine juste pour cela.
Stannis avait observé la majorité de la leçon de danse de Shireen, bien qu'il le fît évidemment avec la même intensité qu'un commandant militaire observant ses hommes à l'entraînement. Il était prudent pour Shireen de bien connaître un tel domaine, étant donnée sa position en tant qu'héritière et membre de la famille royale. Stannis n'avait jamais offert une seule fois de danser avec sa fille, en dépit du fait qu'il sût parfaitement danser. Il n'avait simplement aucun intérêt pour cela, et personne d'autre dans la pièce n'était assez idiot pour suggérer qu'il le fît. Son épouse n'était nulle part en vue, et il n'était pas difficile de deviner pourquoi. Bien que Stannis pût voir sa fille danser avec un chevalier, un cousin et le fils d'un conseiller de confiance, Dame Selyse ne verrait que deux bâtards et le fils d'un contrebandier.
Ser Davos vint se placer à côté de lui, regardant avec le sourire Dale montrer à Devan quelques positions de doigts basiques sur son chalumeau. Quand Davos avait présenté la requête de jouer un peu de musique pour Shireen, Stannis l'avait simplement fixé, surpris. Ils n'avaient jamais discuté de choses aussi inconséquentes que la musique. Stannis avait laissé Davos mettre son plan au point, bien qu'il eût prévenu son loyal chevalier qu'il ferait mieux de ne pas avoir en tête la moindre chanson de taverne bien paillarde.
- Pourquoi ne m'avez-vous jamais dit que vous pouviez chanter et danser ?
- C'est quelque chose que tout le monde peut faire, mon seigneur. Ça fait partie de la vie.
- Vous n'avez pas répondu à la question.
Davos tourna la tête vers Stannis.
- Vous ne me l'avez jamais demandé, et l'occasion ne s'est jamais présentée. Il y avait peu de chant et de danse sur Peyredragon.
- C'est une dépense frivole que de garder des chanteurs à temps plein, répondit automatiquement Stannis.
C'était une facette de Davos que Stannis n'avait pas vue durant les presque vingt ans qu'il l'avait connu, bien qu'il n'eût rien à objecter à cela.
- Comme je le disais, pas besoin d'être un chanteur pour faire de la musique. Je suis sûr que vous pourriez vous débrouiller à chanter, si vous vouliez essayer.
Chanter ? Participer à ce genre de chose semblait aussi détestable que danser, et il n'avait aucune envie de se donner en spectacle. Davos pouvait ne voir aucun mal à chanter avec son fils, mais il y avait moins de risque à le voir ridiculisé vu qu'il n'était pas un grand seigneur.
- Vous usez ma patience, Ser Davos. Ne suggérez jamais plus une chose pareille.
- Vous avez ma parole, mon seigneur. Votre fille s'amuse bien.
Stannis opina sèchement.
Elle semble enfin avoir une enfance heureuse, quelque chose qui s'est arrêté pour moi quand la Ventfière a coulé dans la Baie des Naufrages. Espérons que cela dure.
- Mon seigneur ?
- Oui ?
La voix de Davos était hésitante.
- Avec votre permission, j'aimerais avoir un congé pour passer du temps avec mon épouse et mon plus jeune fils dans mon manoir de Cap Colère. La garnison d'Accalmie est en bon ordre et Ser Cortnay fera un bon travail en tant que châtelain pendant que vous serez à Port-Réal.
- Vous ne souhaitez pas m'accompagner au mariage royal?
Stannis arqua un sourcil.
- Je vous suivrais partout, mon seigneur, dit sérieusement Davos. Mais assister à votre propre mariage fut bien assez pour moi. De plus je ne manquerai à personne et on ne se rendra pas compte que je ne suis pas là.
Stannis fronça les sourcils. Bien qu'il eût semblé exagérément sentimental de dire que Davos lui manquerait, il pouvait toujours avoir besoin d'hommes raisonnables autour de lui. Cependant, Davos l'avait admirablement servi récemment durant une brève période en tant que châtelain de Peyredragon, et un bon seigneur devait toujours récompenser ceux qui lui étaient loyaux.
- Transmettez mes salutations à votre épouse. Elle doit être une femme extrordinaire pour que vous continuiez à vouloir retourner auprès d'elle.
En dépit des nombreux miles séparant Accalmie de Winterfell, Jon se sentait plus chez lui dans le premier qu'il ne l'avait cru possible. Bien qu'il regrettât le Bois aux Loups et le hurlement des meutes la nuit, le fracas constant des vagues sur le rivage en contrebas et le Bois des Pluies de l'autre côté de la Baie des Naufrages les valaient largement. Le château était toujours un nœud de grande activité, particulièrement à présent que la première de nombreuses (on l'espérait) récoltes d'automne avait été cueillie.
La place de Jon à Accalmie était aussi semblable – voire meilleure – qu'elle n'avait été à Winterfell. Il en venait à découvrir qu'un homme personnellement adoubé par son seigneur tenait un rand légèrement plus élevé dans un château que le fils bâtard d'un autre seigneur. Avoir un loup géant de taille adulte à ses ordres ne faisait pas de mal à sa réputation non plus, par ailleurs. A Winterfell, Jon prenait toujours ses repas avec son père et sa fratrie, à quelques notables exceptions. Dame Stark aurait arrangé les choses autrement, sans nul doute, mais elle n'osait pas remettre en question la volonté de son époux. Ou bien elle l'avait remise en question et perdu cette bataille longtemps auparavant. Lord Stannis insistait aussi pou que Jon prît ses repas avec la famille quand il ne dînait pas seul dans son bureau. Pour lui, la place de Jon dans la maisonnée avait autant de valeur que celles de Maistre Cressen et Ser Davos. Dame Selyse désapprouvait clairement la présence de Jon, mais il ne lui revenait pas d'objecter une fois que son seigneur avait parlé.
Shireen se chargeait toujours du gros de la conversation durant les repas, puisque ses parents se parlaient à peine. Même alors, leurs paroles étaient abruptes et ne concernaient que des choses aussi peu personnelles que la gestion du château. Stannis avait pris pour habitude d'inviter les hommes d'Accalmie à dîner avec lui, sous le prétexte de mieux connaître ses gens et de jauger leur loyauté. En vérité, cette action était quelque chose que Jon avait vu faire par son père de temps en temps, mais il doutait que Stannis considérât la comparaison favorablement.
Ce soir-là, Shireen racontait à son père ce qu'elle et sa mère avaient découvert en parcourant les réserves non périssables d'Accalmie. Stannis avait déjà estimé l'état des réserves de nourriture, et cela lui avait pris plusieurs longs jours remplis de noms d'oiseaux pour organiser le bureau de Renly. En surface tout avait paru propre et bien rangé, mais des registres importants, des actes et des choses de ce genre avaient été fourrés au hasard dans des coffres et empilés sur des étagères dans le désordre. Étrangement, la bibliothèque ne montrait pas un tel chaos. Stannis attribuait cela au fait que Renly avait suivi l'exemple de Robert et n'avait jamais lu de livres – excepté un rapide feuilletage d'enluminures colorées quand l'envie l'en prenait.
- Vous ne croirez jamais la quantité de rouleaux de tissu qu'Oncle Renly a achetée ! s'exclama Shireen. Il y a assez de lés de drap d'or, de velours, de soie, de taffetas, de lin et de laine pour habiller toute la Cour à Port-Réal, sans parler des fourrures !
- Renly savait comment s'habiller, au moins, marmonna Stannis, prenant une gorgée de son eau citronnée.
Shireen poursuivit, et Jon se demanda si elle avait remarqué la dérision mal dissimulée dans la voix de son père.
- Mère dit que je devrais avoir une nouvelle robe pour le mariage. Oncle Renly semblait beaucoup apprécier le velours noir et le drap d'or, probablement parce que ce sont les couleurs de notre Maison, aussi nous pourrions utiliser cela. Puisque nous avons déjà tous les tissus nécessaire, le coût d'un tailleur pour les couper et les coudre en une robe sera minimal.
Stannis opina en direction de son épouse, approuvant sans doute le côté pratique de sa fille.
- Très bien, ma dame. Si ce que dit Shireen est vrai, vous avez ma permission pour commander des habits appropriés pour le mariage de mon frère.
Cela fit plaisir à Shireen.
- Ferez-vous réaliser de nouveaux habits pour Jon ? Il est très élégant en noir, et j'ai vu de la soie blanche qui pourrait être taillée en un loup -
Les sourcils de Jon bondirent à ce commentaire, et il était inévitable, vraiment, que Dame Selyse réprimandât sèchement sa fille.
- Shireen, c'est un sujet de conversation inapproprié pour une dame de ton statut.
- Mais...
Shireen paraissait confuse.
Selyse regardait directement son époux. Stannis déposa soigneusement son couteau sur son assiette, prenant son temps pour vider son gobelet et se verser un autre verre d'eau citronnée. Comme Selyse gardait les yeux fixés sur lui, les poils de sa moustache frémissant, Stannis répondit finalement d'une voix qui ne tolérait aucun argument :
- Nous parlerons dans mon bureau quand nous aurons fini de manger, Shireen.
Stannis observa Shireen s'asseoir diligemment sur une chaise devant son bureau, croisant les chevilles et tordant ses mains dans les plis de sa jupe. Il alla rapidement au but.
- Sais-tu pourquoi je t'ai fait venir ici pour parler, Shireen ?
- Parce que Mère pense que j'ai dit quelque chose de malséant, marmonna Shireen en réponse.
- Penses-tu qu'elle ait tort ?
- Je ne faisais que dire la vérité ! Vous m'avez répété encore et encore à quel point il était important d'être honnête, et comment sans la vérité la justice ne pouvait être servie.
- La vérité est extrêmement importante, mais la vérité et la justice ne sont pas les mêmes choses, peu importe combien elles peuvent être liées. Une leçon que tu dois apprendre est que toute vérité ne doit pas être criée sur les toits. Par exemple, quand j'ai découvert que la reine Cersei était infidèle au roi Robert, j'ai gardé cette information pour moi jusqu'à ce que j'estime qu'il était sûr de la révéler à ceux en qui j'avais confiance.
- Vous dites que la vérité peut nous tuer ?
- Oui. Certaines vérités peuvent être dangereuses.
Shireen y réfléchit pendant un bon moment.
- Ce n'est pas comme si j'avais dit que le forgeron est aussi beau que Florian dans les chansons et que je voulais fuir avec lui! Mais j'aurais aussi bien pu le dire à Mère, puisqu'elle regarde de haut tous ceux dont le nom ne correspond pas à ses attentes. C'est une autre leçon que vous m'avez apprise.
- Oh ? fit Stannis.
- Le nom d'une personne ne donne aucune garantie de l'intégrité de son caractère. Les actions et les faits sont bien plus importants. Ser Davos ne portait pas de nom célèbre quand vous l'avez rencontré pour la première fois, pourtant il a sauvé la garnison d'Accalmie tout de même et vous a été loyal depuis lors.
- C'est exact, Shireen. Malheureusement, ta mère doit encore apprendre cette perle de sagesse en particulier. Je n'ai jamais pu la convaincre que Ser Davos est plus qu'un contrebandier parvenu.
- Je vais essayer de la faire changer d'avis alors, dit Shireen avec détermination. Jon est toujours un Stark, même si son nom est Snow…
- Je ne tenterais pas une telle chose, avertit Stannis. Tu dois accepter qu'il y a des éléments que tu ne peux changer.
Shireen tenta de rationaliser ses actions.
- Jon a vraiment l'air élégant en noir, tout comme vous. Et il est mon ami, tout comme Edric et Devan. J'ai juste pensé, puisqu'il est un chevalier à votre service et que vous lui avez déjà donné une épée et une amure, qu'il serait aimable de...
Sa voix s'éteignit.
- Tous mes chevaliers assistant au mariage du roi seront vêtus comme il convient, car cela donnerait une mauvaise image de moi s'ils avaient l'air de paysans. Bien que je ne dépense pas des sacs d'or en vêtements pour suivre des modes de cour ridicules, je ne suis pas assez bête pour ignorer l'importance des apparences. J'aurais donné mon accord pour que tu aies une nouvelle robe quoi qu'il en soit, car tu es la nièce du roi et mon héritière.
Comme une arrière-pensée, Stannis ajouta :
- Tu seras la plus jolie fille à ce mariage.
Le visage de Shireen s'affaissa, et elle regarda le plancher avec une expression désolée. Stannis se demanda ce qu'il avait bien pu dire, puisqu'il n'avait jamais dans son intention de rendre sa fille malheureuse. Il n'avait aucun scrupule à être sévère avec elle si l'occasion le réclamait, mais elle n'avait rien fait de mal ce soir, de son point de vue.
Je me moque honnêtement qu'elle considère que Jon est bien mis ou non, puisqu'il s'est montré un bon ami pour elle. Tout juste comme je ne me souciais pas qu'elle brode des faveurs pour Jon, moi-même et probablement Ser Davos avant la récente guerre avec les Lannister. C'est dans sa nature de se montrer gentille quand la gentillesse est méritée.
- Je ne serai pas la plus jolie fille au mariage. Je ne suis pas belle et je ne le serai jamais.
- Qui t'a dit cela ?
- Mère, et...
Shireen se mordit la lèvre.
- Tout le monde le pense, même s'ils ne me le disent pas en face. La simple vue des cicatrices de la grisécaille fait que les étrangers me regardent avec pitié avant de se détourner avec horreur.
Stannis resta momentanément sans voix. Les peines des femmes le mettaient toujours mal à l'aise et sa réaction normale était de passer de tels problèmes à son épouse ou à la dame du château. Mais qu'allait-il dire à Shireen, qui lui avait avoué quelque chose alors que sa mère n'était d'aucune aide ?
Elle est en effet une enfant sans grâce et même sans la grisécaille pour marquer ses traits, sa mâchoire carrée et ses grandes oreilles seraient retenues contre elles.
Stannis ne s'était jamais particulièrement soucié de sa propre apparence, bien qu'il fût bien conscient que les pucelles ne lui tombaient jamais dessus comme pour Robert – ou même Renly, qui ne remarquait jamais ces attentions. Ses traits ne changeaient pas le fait qu'il était un Baratheon, ou d'être à présent le Seigneur d'Accalmie, de droit. Et la mort de Renly et la grâce du roi. Stannis savait, cependant, que la beauté comptait plus pour les femmes, et que souvent c'était tout ce que les hommes considéraient chez elles. Il étudia attentivement Shireen.
- Je pense que tu es belle, dit enfin Stannis d'un ton clair et définitif.
- Vous dites cela uniquement parce que vous êtes mon père.
Les yeux de Shireen fixaient toujours le plancher.
- Regarde-moi, Shireen, ordonna Stannis. Tu es la fille d'un grand seigneur, pas une servante qui vient de faire tomber un plateau de nourriture.
Elle le regarda, ses yeux d'un bleu profond croisant les siens avec réticence.
- Que t'ai-je dit à l'instant à propos de la vérité ?
- Qu'elle est importante et que nous devrions faire attention au moment auquel nous la disons.
- Exactement. Cependant, il n'y a aucun danger apparent dans mon bureau. Je n'ai aucune raison de mentir ni de te cacher quelque chose lors d'une conversation privée comme celle-ci.
Shireen ne le croyait pas, à l'évidence, mais elle resta sagement assise et attendit la suite.
- Tu as raison concernant le fait que tu n'est pas physiquement jolie. Les restes de ton combat contre la grisécaille défigurent malheureusement ton visage. Cependant, la beauté physique peut être une tromperie, et peut masquer un caractère répugnant. Prends l'ancienne reine Cersei, par exemple. Je n'ai jamais posé les yeux sur quelqu'un qui fût plus magnifique, physiquement, mais elle était une femme cruelle, vaniteuse et rancunière Elle a commis une trahison en couchant avec un autre homme que son époux le roi, et elle a fait assassiner deux bébés innocents parce que sa fierté avait souffert.
Shireen ouvrit des yeux ronds alors que Stannis continuait.
- Tu fais preuve d'une grande gentillesse, Shireen, et c'est un trait que je n'attribuerais pas à beaucoup de gens, moi-même y compris. Tu as beaucoup de patience et d'après ce que m'a dit Maistre Cressen, tu montres une sagesse au-delà de ton âge. Avec l'entraînement approprié tu feras une excellente Dame d'Accalmie, et ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère. Je ne t'aimerais pas plus si tu ressemblais à la Pucelle revenue sur terre, et en fait, j'aurais moins d'appréciation pour toi si tu tentais d'imiter les qualités les plus évidentes de la reine Cersei.
- Si je n'avais pas eu la grisécaille, Mère dirait-elle autre chose ?
- Il n'est guère utile de penser à ce qui aurait pu être. Il va mieux être marqué et vivant que beau et mort. Les hommes tirent souvent fierté de leurs cicatrices, aussi je ne vois pas pourquoi les femmes ne le devraient pas – si tu ne me crois pas, demande à Ser Rolland Storm comment son visage a été ravagé par la vérole. Il a une petite histoire bien bravache en réserve qu'il sera sans nul doute heureux de te raconter.
Shireen sourit à cela, et son humeur misérable parut s'alléger.
- Merci.
Shireen se dirigea vers la porte et saisait la poignée, mais elle s'arrêta et retourna la tête vers lui.
- Si tu as plus à dire, fais-le.
- Je vous aime aussi, père.
Pour la seconde fois ce soir-là, Stannis resta sans voix. Mais cette fois aucune réponse n'était nécessaire, comme Shireen fermait la porte derrière elle. Stannis se recala sur sa chaise, fermant les yeux et écoutant le son réconfortant des vagues s'écrasant sur les rochers sous Accalmie.
Un coup sec à la porte lui fit rouvrir brusquement les yeux.
- Entrez, appela Stannis, s'attendait à ce que ce fût de nouveau Shireen, ou peut-être Maistre Cressen.
Cela ne le dérangerait pas non plus si Jon était là, car il appréciait toujours les conversations de son chevalier. Cependant, l'expression de Stannis se durcit quand la porte s'ouvrit et qu'il vit qui se trouvait là.
- Mon seigneur, dit Selyse avec une révérence
- Ma dame, répondit Stannis en inclinant la tête. Quel souci vous amène ici ce soir ?
Selyse devait s'inquiéter de ce quelque chose pour lui parler si tard. Elle ne recherchait pas sa compagnie de son propre chef, mais Stannis ne recherchait pas non plus la sienne. Il fronça les sourcils alors que Selyse s'asseyait sur la chaise récemment désertée par Shireen, joignant nettement ses maison sur ses genoux. Il ne voulait vraiment pas parler à son épouse, mais c'était son devoir de l'écouter et de la traiter correctement. Quelque chose que Robert n'avait jamais fait. Stannis se demanda si Robert essaierait de faire de son nouveau mariage une réussite, car il savait certainement où les choses avaient mal tourné avec Cersei. Robert s'était récemment montré capable de changer son attitude par rapport à son implication dans le gouvernement, mais changer son attitude vis-à-vis des femmes pourrait bien être au-delà de ses capacités.
- C'est une belle soirée, commença Selyse.
Stannis attendit. Il n'avait aucune patience pour les paroles inutiles, quelque chose que son épouse savait sûrement.
- Avez-vous fait les remontrances appropriées à Shireen pour ses commentaires malvenus durant le repas de ce soir ?
Cela encore ?
- J'ai dit ce qui devait l'être.
Cela parut satisfaire Selyse.
- Avez-vous commencé à considérer des projets de mariage pour notre fille ?
Des perspectives de mariage ? Stannis dévisagea Selyse, se demanda depuis combien de temps elle réfléchissait à de telles choses. Il avait toujours eu du mal à comprendre son épouse, même après douze ans de mariage. Ils avaient fort peu en commun, à commencer par sa fervente dévotion religieuse aux Sept et lui qui niait l'existence même de ces dieux.
J'ai eu des choses plus importantes à l'esprit récemment, comment d'exposer les bâtards de Cersei pour ce qu'ils étaient et ôter les Lannister du pouvoir avant qu'ils ne ruinent totalement la Maison Baratheon.
- Elle n'est pas encore eu ses fleurs, n'est-ce pas ?
- Non, mon seigneur.
- Alors c'est un sujet pour un autre moment. Même si elle fleurissait demain, il s'écoulera encore bien des années avant qu'elle puisse porter des enfants en toute sûreté.
- J'avais espéré que vous prendriez un plus grand intérêt au futur de votre fille, insista Selyse.
- Vous croyez que je ne le fais pas ?
Stannis serra les dents.
- J'ai vu à ce qu'elle soit bien instruite dans tous les domaines, non pas seulement dans les arts féminins comme les travaux d'aiguille. Maistre Cressen a enseigné à Shireen le Haut Valyrien, elle est douée en calcule et j'ose dire qu'elle a lu plus de livres que mes deux frères réunis. Je l'emmènerai avec moi quand je visiterai mes seigneurs bannerets après le mariage. De plus, au lieu de Peyredragon elle sera la Dame d'Accalmie, le plus splendide château en Westeros…
- A moins que vous n'ayez un fils.
Stannis se figea. A moins que je n'aie un fils.
- Pensez-vous vraiment que cela va arriver ?
Le fracas des vagues dehors emplit de nouveau ses oreilles tandis que Selyse prenait son temps pour répondre. Ils avaient essayé. Alors que les années passaient sans même une fausse couche, les potins de la Cour avaient théorisé que Selyse devait être infertile, sa fille défigurée tout ce que son faible corps pouvait supporter. Stannis les aurait tous envoyés à la potence s'il avait pu, mais les cancans n'étaient pas des libelles et ne pouvaient être dénoncés comme trahisons. Maistre Cressen avait une fois confié à Stannis que Selyse s'était enquise d'herbes et de potions qui auraient pu l'aider à concevoir, bien qu'il pensât personnellement que visiter son lit plus souvent serait un remède tout aussi puissant pour l'infertilité. Stannis avait refusé de parler à Maistre Cressen pendant une semaine après cela.
- Vous êtes toujours le bienvenu dans mon lit, Stannis, dit Selyse uniment.
- Est-ce ce que vous voulez vraiment ?
- Quand ce mariage a-t-il jamais été une question ce que nous voulions ?
Stannis détourna le regard, croisant les bras. Elle a raison, mais l'admettre ne nous mènera nulle part.
- Shireen est aussi l'héritière du Trône de Fer, déclara Selyse quand Stannis ne répondit pas.
- Après moi, mais cela ne sera pas le cas très longtemps.
- Si vous n'essayez pas d'utiliser cette position à votre avantage, d'autres le feront.
Stannis se renfrogna.
- Je suis sûr que la fille Tyrell sera enceinte en un rien de temps. Engendrer des enfants n'a jamais été un problème pour Robert, bien que se conduire en père soit une tout autre histoire De plus, pensez-vous vraiment que je serais joué jusqu'à donner la main de Shireen à quelque vaurien qui chercherait à utiliser sa position et son héritage pour son propre bénéfice ?
- Non.
- Alors nous avons atteint un accord, suis-je correct ?
Selyse opina raidement, donnant l'impression de vouloir en dire plus, mais elle se ravisa.
- Je prends congé, mon seigneur.
- Bonne nuit, ma dame.
Là dessus, Selyse se leva, s'inclina de nouveau et quitta la pièce. Stannis soupira de soulagement et marcha jusqu'à la fenêtre qui offrait une vue splendide sur le détroit. Il n'y avait pas grand-chose à voir sous le clair de lune, mais cela lui allait. Il était à la maison, et il était déterminé à en tirer le meilleur parti.
Jon marchait le long d'une des plages d'Accalmie, lançant des cailloux dans la Baie des Naufrages quand la douleur explosa dans son nez. Il regarda immédiatement en direction de Fantôme, qui aidait Shireen à ramasser des coquillages. Fantôme avait déterré une belle coquille en spirale aux reflets argentés, mais malheureusement elle était toujours habitée par une créature qui pouvait mordre. Le loup géant se couvrit le museau de ses pattes tandis que la créature détalait. Shireen s'agenouilla près de lui et estima les dégâts, lui caressant le museau pour le consoler.
- Fantôme ira bien, leur lança Jon tandis que la douleur dans son nez diminuait. Estime-toi juste heureux que ce n'ait pas été un crabe !
- Eh bien, s'il y a des crabes, tu les mangeras, n'est-ce pas ? demanda Shireen, tout sucre, à Fantôme, qui remua promptement sa queue touffue.
Jon leva les yeux au ciel, se demandant si Shireen savait à quel point elle gâtait le loup. Il allait le ui faire remarquer quand une voix soudaine derrière lui le fit tourner sur place.
- Ser Jon.
Stannis se tenait devant lui, les bras croisés et habillé simplement en drap de laine et veste de cuir.
- Lord Stannis, répondit Jon en inclinant respectueusement la tête. Je ne m'attendais pas à vous voir ici.
- J'avais l'habitude de jouer sur cette plage, étant enfant. Robert ne me dérangeait jamais ici, ce qui la rendait d'autant plus attirante. Je me souviens d'avoir une fois dévalé le sentier jusqu'à cet endroit avec un autour que j'avais soigné, le pressant de voler, mais…
Ses yeux avaient un regard flou que Jon ne voyait pas d'habitude. Stannis secoua la tête.
- Je suis heureux que Shireen apprécie cet endroit, en tout cas.
Jon sourit jusqu'aux oreilles.
- Elle dit qu'il est bien supérieur aux plages de Peyredragon.
- Bien sûr qu'elle le dit. Tout à Accalmie est supérieur à Peyredragon.
Jon fut tenté de rire, mais Stannis était complètement sérieux sur ce point.
- Après le mariage, nous rendrons visite à mes seigneurs bannerets, qui sont fort heureusement plus riches et plus nombreux que ceux jurés à Peyredragon, dit Stannis sans autre préambule.
Jon attendait cela avec impatience. Il n'avait rien vu des Terres de l'Orage en dehors d'Accalmie, quelque chose que Ser Rolland considérait comme une grande tragédie. Rolland espérait bien que Jon verrait son château d'origine, Chant-de-Nuit, et les Montagnes Rouges qui l'entouraient.
- Ne pourriez-vous parler à vos bannerets au mariage ? Suggéra Jon Nombre d'entre eux vont s'y rendre, et de cette façon vous pourriez éviter des voyages si gourmands en temps dans leurs châteaux.
- Je ne comptais pas procéder ainsi, déclara Stannis.
- Vous ne voulez pas mélanger les affaires avec le plaisir, mon seigneur ?
Stannis plissa les yeux à ce commentaire, mais Jon pouvait dire qu'il n'y avait pas de réelle colère en eux.
- Je veux observer comment mes bannerets se conduisent dans leurs châteaux, rencontrer leures familles et leurs maisonnées, et en général jauger comment leurs terres et autres sources de revenus sont gérées. Lors d'un mariage ces mêmes bannerets sont plus susceptibles d'être des idiots complètement saouls qui ne se soucient que de s'amuser et de bien se faire voir du roi.
- Il y a aussi à impressionner la reine.
- Tant que Margaery Tyrell fait son devoir comme Cersei Lannister ne l'a jamais fait, je ne m'en soucie pas d'un liard.
Stannis secoua la tête, comme s'il tentait de se débarrasser de l'image d'une Tyrell portant la couronne. Jon avait remarqué que les Tyrell étaient toujours un sujet sensible pour lui à cause du siège d'Accalmie, et bien que Stannis eût professé qu'il était capable de pardonner, les années n'avaient fait qu'aiguiser sa détermination à ne jamais oublier.
- Shireen nous accompagnera aussi, en grande partie pour observer et apprendre.
Les yeux de Jon s'illuminèrent et il tourna la tête pour voir que Fantôme avait déterré une conque blanche dotées de longes épines qui était heureusement dépourvue de tout locataire. Shireen récompensa le loup en le grattant derrière les oreilles. Jon remarqua que Stannis observait aussi la scène, bien que son expression fût indéchiffrable. Il se tourna vers Jon.
- Shireen est assez âgée pour commencer sérieusement à apprendre tous les devoirs du Seigneur d'Accalmie, puisqu'elle pourrait fort bien le diriger de droit dans l'avenir.
Parce qu'il y a peu de chances que vous ayez un fils. Stannis ne dit rien de tel tout haut, mais Jon savait néanmoins que cela était vrai. Si Stannis pouvait à peine supporter d'être en compagnie de son épouse pour la durée d'un repas, passer du temps dans son lit devait être des plus déplaisants pour lui. Cependant, son seigneur semblait être satisfait d'avoir Shireen comme héritier, ou bien il s'était depuis longtemps résigné à ce fait.
- Cependant, ce n'est pas pour cela que je suis descendu ici. Je veux te dire quelque chose en toute confidentialité, quelque chose que même les murs d'Accalmie ne pourront entendre par-dessus le vent et les vagues.
Le regard de Stannis alla d'un côté et de l'autre, comme pour confirmer que la plage était réellement aussi déserte qu'il y comptait. Shireen et Fantôme ne comptaient pas, mais Jon doutait qu'ils écoutassent. Il croisa les bras, reflétant la posture de son seigneur alors qu'il l'observait avec prudence.
- Pourquoi penses-tu que Jon Arryn est mort ?
Jon eut un souvenir de la dernière fois que Stannis lui avait posé cette question : quand il avait révélé à Jon que les enfants de la reine Cersei n'avaient aucunement pu être engendrés par le roi. Le royaume se débattait toujours avec le bouleversement politique causé par la résolution de ce secret, et Jon se demanda quel genre de retombées les plus récents soupçons de Stannis causeraient.
Ce n'est pas son genre de vouloir démarrer une autre guerre, bien qu'il veuille toujours voir la justice rendue.
- Vous avez déjà éliminé que la mort de Lord Arryn fût de cause naturelle, en dépit du fait que la jeunesse n'était plus de son côté, répondit Jon.
- Alors qui l'a assassiné ? insista Stannis.
- Je présumais que ce problème était déjà résolu ? Répondit Jon, confus. Les Lannister l'ont assassiné parce qu'il était courant des infidélités de la reine.
- Ce n'est pas une mauvaise réponse, car je pensais que cela était le cas, avant de réfléchir longuement à qui bénéficiait le plus la mort de notre défunt Seigneur Main.
- La reine Cersei et Ser Jaime étaient bien connus pour tuer ceux qui se mettaient en travers de leur route, contra Jon.
- Mais ils n'ont pas bénéficié du tout de la mort de Lord Arryn, puisque c'est moi qui lui ai parlé de leur inceste en tout premier lieu. Cersei m'aurait tué pour compléter le travail, comme elle l'avait fait avec nombre des putains et des bâtards de Robert. Le Régicide aimait tout transformer en spectacle sanglant et je crois que sa confession lors du procès n'était pas de ce style.
Stannis marqua une pause.
- Je soupçonne que Petit-Doigt a assassiné Lord Jon Arryn. Les Dames régnantes des Eyriés forcent rarement des propriétaires de bordels de petite naissance à les épouser à moins que quelque chose de malsain ne se déroule en coulisses.
Les sourcils de Jon se haussèrent à cela.
- Avez-vous des preuves ?
- Non, dit sèchement Stannis. C'est pourquoi ce sujet doit être traité avec précaution. Tu m'aideras à investiguer les faits et gestes de Petit-Doigt avant la mort de Lord Arryn.
- C'est tout ? demanda Jon, sceptique.
Stannis se renfrogna.
- Non. Je ne vais pas accuser un homme de meurtre en me fondant sur les on-dit de quelques serviteurs qui racontent des choses comme : 'J'ai vu un homme encapuchonné franchir une porte ! J'ai vu un étranger masqué acheter un poison rare !' J'ai besoin de preuves concrètes pour présenter mon affaire, comme les Lignages et Histoires des Grandes Maisons des Sept Couronnes du Grand Maistre Malleon, qui ont prouvé que Joffrey, Myrcella et Tommen ne pouvaient en aucun cas être des Baratheon légitimes.
- Petit-Doigt semble trop malin pour laisser des preuves d'un meurtre dans un livre.
- Tu serais surpris de ce qu'un Maître de la Monnaie peut écrire dans un registre, particulièrement un dont il pense que personne sauf lui-même et les complices qu'il paie ne lira jamais. De plus, j'ai déduit que Petit-Doigt fait quelque chose de hautement malhonnête et par-dessus tout illégal avec les finances de la Couronne. Cela est un trahison en soi.
L'insistance de Stannis sur le mot trahison surprit Jon.
- Vous haïssez vraiment Petit-Doigt, n'est-ce pas ?
Quand Stannis ne répondit pas, Jon poursuivit :
- Est-ce à cause de ce qu'il a dit à votre sujet au procès de la reine et de Ser Jaime ?
Stannis plissa de nouveau les yeux, se rappelant sans doute les insinuations de Petit-Doigt comme quoi Shireen était la fille du fou Barriol et que Stannis échangeait des adoubements contre des faveurs sexuelles.
- Je ne suis pas le genre d'homme à tirer une épée et tuer quelqu'un pour une insulte. Le fait que le déteste personnellement cet homme n'est pas le problème. Je dois à Lord Arryn de découvrir son assassin aux yeux de tout le royaume. Le mariage de mon frère est la scène parfaite pour cela.
Mais détester un homme vous donne d'autant plus la motivation de le voir coupable.
Non que Jon ressentirait la moindre pitié pour le Maître de la Monnaie, car il se rappelait aussi les injures de Petit-Doigt à l'encontre des Stark – qui incluaient la suggestion que Dame Lady Stark était depuis longtemps infidèle à son époux. Bien que Jon n'eût aucune affection pour l'épouse de son père, il ne pouvait croire qu'elle se fût abaissée à commettre un tel acte.
- Nous partons pour Port-Réal dans une quinzaine, acheva Stannis. Ne parle de cette conversation à personne.
- Pas même à mon père ? Il serait prompt à vous aider, vous savez. Il tenait Lord Arryn en haute estime.
Jon aurait dû prévoir l'effet que ces mots allaient avoir sur Stannis avant qu'ils ne quittent sa bouche. Son visage se durcit et sa posture se raidit visiblement. Qu'est-ce que Stannis avait contre Père…
- Impliquer ou non Lord Eddard Stark est mon affaire, et mon affaire uniquement, Ser Jon.
- Bien sûr, mon seigneur, dit Jon, baissant les yeux.
L'atmosphère fut rattrapée par l'arrivée soudaine de Fantôme, la conque blanche épineuse dans la bouche. Shireen courait juste derrière lui, portant tout un paquet de monnaie des sables entre ses mains.
