Disclaimer : Les personnages de Teen Wolf sont la propriété de Jeff Davis.

Cette fiction a été écrit pour l'Évent Saint-Patrick de la page FB Défis pairing.
Contraintes : présence de la couleur verte et d'une créature surnaturelle, 10'000 mots maximum, 3 chapitres en tout !

Un spécial "Encore : MERCI" à ma merveilleuse bêta-lectrice, MlleHeathcliff !


Et hop, 35 dollars noyés par la pompe à essence ! Appuyé nonchalamment contre une carrosserie cabossée, un jeune individu de sexe masculin soupira, déconcerté à l'encontre de ces liasses de billets qui lui glissaient peu à peu entre les doigts chaque semaine. Il aurait appelé cela du vol s'il ne chérissait pas autant sa Roscoe et n'était pas touché par l'impact écologique que causerait une baisse du prix du baril, sans quoi tout le monde se précipiterait pour redémarrer sa voiture à la peinture poussiéreuse. Mais bon, il n'était pas trop au courant de ces choses-là et peut-être qu'il ne déduisait qu'à tort et à travers des ouï-dire fallacieux. Qui, à notre époque, prétendait savoir ce que la Terre cachait réellement en guise de ressources, après tout, elle s'était enquiquinée de thérianthropes sur son territoire pour tuer son propre ennui.

Reniflant sans raison, la lassitude se fit plus lourd sur ses épaules et il rabattit sa capuche marron pour s'en servir de visière. L'air était sec et froid, contrairement à l'intensité du soleil, trop bas en cette saison pour être pourchassé par la grisaille matinale. Moqueur, il aveuglait tout le monde, surtout lorsqu'on avait le malheur de lui faire face sur la route. Les pupilles rétrécies, le garçon tapi dans son sweat-shirt s'était déjà fait avoir pas plus tard qu'hier à un tournant, asservi par surprise comme un insecte dans les fils éclatants de rosée d'une toile d'araignée, plus justement paralysé comme une biche dans le rayon des phares. Il était bien là tous les animaux du monde ; de l'asticot gesticulant à la truite frétillante, du phasme efflanqué à la girafe encombrante, du campagnol angoissé à la chèvre démente, il était un zoo de caprices divins à lui tout seul. Il s'y accrochait, ou elles s'accrochaient à lui, étiquettes vulgaires parmi d'autres. Il ne faisait plus la différence, il revêtait ces costumes avec l'aisance d'un acteur, tant que ceux-ci n'avaient pas d'attributs surnaturels pour en redorer la puissance. Ça, Stiles ne le sera jamais ; puissant.

Ses divagations mises de côté un bref instant, il ne pouvait pas mentir en disant que ce début d'année l'horripilait progressivement de par son inactivité perpétuelle. Il en avait des douleurs musculaires à ne rien faire, quand il ne vaquait pas à une énième sieste pour noyer sa torpeur. Un Stilinski endormi était un Stilinski intoxiqué par l'accalmie, cela rimait, mais n'avait rien de plaisant. Cette étendue d'eau plate, monotone, s'ancrait dans les pores de sa peau et refusait de broncher, plus résistante que sa hyperactivité. Il s'était battu, il le faisait encore, hélas Beacon Hills était devenue une Némésis farouche. La ville était similaire à l'usage d'un terrain vague en hiver, c'est-à-dire pas loin de la vivacité que manifestait un rat mort ou toute autre métaphore possible et inimaginable... Il en gardait toujours une ribambelle dans son tiroir lorsqu'il avait envie de se plaindre auprès de Scott, elles étaient ses gardes-fous. Sa préférée ; trouver une affaire croustillante s'avérait plus compliqué que de ressusciter Peter Hale.

Arraché brusquement de ses propres pensées, il se crispa au sourire mental que lui renvoyait l'oncle psychopathe au milieu de sa maison calcinée. Un frisson déplaisant se prolongea d'un bout à l'autre de sa colonne vertébrale. Ouais, en fait, non... Juste, non. Mieux valait qu'il ne s'égarât pas sur ce terrain-là ou il ferait tout aussi bien de crier directement au loup.

Pour en revenir à des problèmes moins problématiques, selon une opinion très subjective qui ne tenait qu'à lui (évidemment), l'avenir de la planète en général était un sujet qui avait de quoi être approfondi. Quelques recherches pourraient lui être par conséquent productives, voire un minimum salutaire. D'ailleurs, il n'avait rien à faire aujourd'hui — sans rire — et avait donc l'occasion inespérée de s'y mettre aussitôt rentré. Sa décision était prise, quitte à crever d'inertie, il le ferait en compagnie d'un écran d'ordinateur. Il ne pouvait ainsi qu'adresser un énième grand merci ironique à celui qui avait instauré des jours fériés pour les étudiants durant lesquels ses neurones s'abrutissaient intensément ! Encore :

MERCI

D'un roulement de pupilles ostentatoire, il desserra la poignée du carburateur et se détourna de la Jeep pour replacer le levier dans son réservoir initial. Alors qu'il essuyait distraitement ses mains sur son jean, une tache verdâtre attira son regard au niveau des portes automatiques. Il fronça les sourcils à l'émergence d'un petit bonhomme à la barbe bien fournie, tirant sur le roux, qui sortait du magasin en pestant des noms d'oiseaux. Il n'était pas plus élevé que les hanches du lycéen et s'était accoutré de la tête aux pieds d'un costume kitsch et sûrement démodé depuis des siècles. L'épais tissu et les épaulettes ornées de fioritures encombraient ses mouvements, sans oublier l'incommodante ceinture en peau d'ours (ou de crapaud, de pigeon, de coléoptère... pour le peu qu'il en avait à cirer) qui compressait le tonneau à bière qu'engrossait son ventre. Stiles mettrait sa main au bûcher qu'il avait des origines irlandaises ; cet a priori lui venait avec la force d'une secousse tectonique. Le vieil archétype était ma foi comique avec son front bourru surmonté d'un chapeau et ses bras chargés de ce qui correspondait évasivement à du chocolat pour enfants — celui qui imitait la fausse monnaie.

Il avait vu des énergumènes improbables en ville, la plupart avaient même attenté à sa vie... Mais croiser un Leprechaun à une station essence ? Quelqu'un devait lui préparer une mauvaise blague, c'était impossible autrement. En plus des mythes grecs et japonais, on n'allait pas non plus lui faire avaler l'existence de toute la palette nordique ! Puis, quoi encore, demain, il découvrirait une fée, une sirène et un ogre sur son pallier pour fêter Pâques ? C'était du grand n'importe quoi ! Il allait se transformer en chèvre à force, ou en dindon de la farce — il n'avait pas encore décidé.

Face à ce spectacle, il ne put réprimer un rire imperceptible, jusqu'à ce que les yeux assassins, enfoncés dans leur orbite, dudit nain le stoppassent net dans un hoquet. C'était comme si ce regard l'avait percé à jour et lui en voulait personnellement, prêt à se jeter sur lui pour l'étouffer avec les emballages dorés et badigeonnés de cacao. Il en eut un frisson et, voulant passer ses doigts dans ses mèches brunes d'un geste aussi rapide que distrait pour se redonner contenance, il en retroussa sa garde-vue de fortune. Exposé au ciel, il fut seul juge de son anxiété.

Pourtant, à décompte que le suspect s'éloignait vers l'allée principale, le bout des doigts de l'humain le taquinait d'agir. Les joues rougies par l'alcool et les vêtements autant criards que champêtres insinuaient le doute dans son esprit exacerbé. Un pressentiment. Et si c'était vrai ? S'il venait bien de rencontrer une créature folklorique, avec le pouvoir de réaliser ses vœux les plus chers ? Ce serait le jackpot, à lui le bonheur et la richesse au pied de l'arc-en-ciel ! D'accord, cela sonnait complètement ridicule à voix haute, mais il était de son obligation civique de faire la lumière entre la légende et la réalité, non ?

Subitement, la créature s'absenta de la scène et cette disparition le fit paniquer plus que de raison. Son ticket de sortie au carrousel de la monotonie se faisait la malle ! Il devait le suivre. Il le fallait. Pour la science. Oui, c'était ça, il l'observerait pour le bien commun de la connaissance universelle ou quoique ce fut avec un nom stylé et un dessein fondamental.

Dans une impulsion folle, il retira sa carte de crédit de la borne et s'empressa de remonter dans sa voiture préférée. Enflammé par le besoin d'aventure, il enclencha le moteur à plein jus et... elle ronronna paresseusement en écho à son enthousiasme, pas le moins du monde pressée de quitter le parking provisoire.

— Bouge tes fesses, ma belle ! trépigna-t-il en appuyant sur l'accélérateur comme un chevronné.

L'encouragement feignit son effet et dans un dérapage périlleux, il s'engagea sur les pas du haut-de-forme en inspirant fortement. Il jetait des coups d'œil partout, dans l'espoir de revoir l'apparition verte, en vain. Les battements de son cœur ne cessaient de redoubler et plus il appuyait sur la pédale, plus la peur prenait le dessus sur sa prudence. Freinant à un feu rouge à un demi-mètre de la ligne blanche, il était déjà à l'extrémité de la rue que le Leprechaun n'avait pas encore donné signe de vie. Stiles dut se faire à l'idée prématurément, il avait manqué sa chance. Celle-ci avait disparu en l'espace d'un claquement de doigts et il n'avait rien pu faire pour l'en empêcher. Néanmoins, une pensée plus obscure s'insinua en lui et l'agaça plus qu'il ne le laissait prétendre ; s'il avait été un loup-garou herculéen, cela ne serait jamais arrivé.

— Bordel...

Il tapa une paume contre le volant, accablé par sa propre bêtise. L'excitation se changea en rage avant qu'il ne le réalisât. Il recommença à plusieurs reprises, heurtant le cuir toujours plus fort. Son échec était laborieux et il n'était même pas capable de dire pourquoi cela le frustrait autant. Il refusait de l'encaisser. Ce n'était plus un tempérament lunatique qu'il endossait, mais une véritable névrose. Qu'est-ce qu'il s'était imaginé, hein ? Le surnaturel ne tombait pas des arbres et ne faisait pas la tournée des supermarchés en quête de sucrerie ! Il se tapissait dans l'ombre et attendait son heure pour l'égorger. Il était vicieux, manipulateur et était doué pour le paralyser, le frapper, le kidnapper et le parasiter jusque dans ses rêves.

Il savait tout cela, il le savait. Mais il courait toujours au-devant du danger. Il en avait fait sa drogue, au point qu'il était dorénavant pris d'hallucinations lilliputiennes. Et c'était ce constat qui était le plus insupportable ; il aimait le frisson face à l'inconnu et depuis qu'il y avait goûté, la banalité lui donnait de l'urticaire.

Soudain, un sifflement de klaxon le fit sursauter. Un automobiliste chauve en 4L se dessina avec diligence dans le rétroviseur. Piteux, le fils exemplaire (en songe) leva une main en signe d'excuse et se gratta la nuque de l'autre. Après une copieuse expiration, il se décida enfin à passer le carrefour à régime d'escargot. Enclenchant la première, le silence stupéfait qui habita immédiatement le moteur de la Roscoe fut assourdissant. Sur l'échelle de la folie, il était à un beau vingt sur six.

Maintenant, quoi ? Il rentrait en fermant les yeux sur cette course-poursuite affreusement gênante et absurde ?

— Hey, la chauve-souris, presse le champignon ! beugla en réponse une voix grasse à sa droite.

Le véhicule fit une embardée dans un concert de crissement de pneus et de toussotement, et se stoppa en double file. Ébahi, le conducteur dévisagea la silhouette vautrée mollement à la place du mort et qui soulevait un sourcil torve, dévoilant un œil vitreux. Il n'était plus question de mirage grotesque, mais d'un passager clandestin on ne peut plus palpable, constitué de chair et d'os. Ses traits creusés et ses rides faisaient ressortir son expression blasée, presque grognonne, et accentuaient ses pommettes saillantes. Alors qu'il croisait les bras de mécontentement, un rot rustique et parfaitement calculé retentit entre eux. Il avait sans équivoque un coup dans le nez. Stiles avait envie de s'éclater lui-même le front contre le compteur de kilomètres tellement cette situation était le comble de l'ineptie, mais il se fit violence et se mordit la langue.

Installée dans un siège de deux fois sa taille, l'effigie des contes médiévaux semblait encore plus petite, mais étonnamment costaude, que lorsqu'elle marchait sur la chaussée. Cela s'équivalait à avoir un condensé de toutes les humeurs mal léchées des Hale à travers les âges dans un unique corps ivre de quatre-vingt-quinze centimètres. À nouveau, ce n'était pas un chapitre sur lequel il aimerait se hasarder...

— Quoi ? T'es trop stupide pour saisir le sens du mot « champignon » ? maugréa au quart de tour le fameux personnage. Quelle bande de pigeons vous faites !

Yep, exactement le même caractère que celui de leur alter ego lupin ; un lien de parenté serait à augurer... Troublé, Stiles secoua la tête pour se remettre les idées en place. Sainte-Mère de Dieu, il fallait vraiment qu'il arrêtât de produire ce genre de comparaison inutile.

Il reporta son champ visuel sur le barbu (au moins l'un d'eux l'était...), mais ce n'était littéralement pas le moyen idéal pour aider ses réflexions à se recentrer, plutôt le contraire en fait.

Vous faites ? interrogea-t-il, dérouté, faute de n'avoir rien de mieux sur le moment.

O.K., ce n'était peut-être pas la requête la plus intelligente à formuler dans un contexte de ce type. Elle brillait d'incrédulité et n'avait pas le moindre intérêt. Mais, hé, il était quelque peu pris de court. Soyez un brin compréhensif.

— Les humains, Monsieur Stilinski, expliqua l'inconnu manifestement pas catégorisé « humain » en changeant diamétralement de ton.

Cependant, aucun hochement positif du minois prépubère ne vint. À une longueur d'accoudoir, le cerveau de Stiles était en train de jeter l'éponge sans plus de cérémonie. Peut-être parce qu'il était en face d'un nabot narcissique qui négligeait les siens ? Ou peut-être parce qu'il était terrassé par une immense onde de fatigue et un ras-le-bol existentiel ? Ces éventualités ou aucune, il n'allait quand même pas digérer que des races supérieures de bipèdes (sacré bousculade dans le tableau de la chaîne alimentaire) peuplassent en secret les contrées sauvages des Diesel et autres barbares 95 et 98 sans-plomb.

En un bruit concis, l'entité fantasque joignit ses mains, pareil à un businessman qui avait la condescendance de traiter un cas pénible, voire casse-couille. Preuve de son humilité, il se pencha en avant et se mit à articuler lentement chaque syllabe avec un accent prononcé :

— Deux bras, deux guibolles, pas d'ailes ; un humain, quoi. Je ne vais pas te faire un dessin, s'impatienta-t-il à l'improviste en abattant son dos contre le dossier. Je ne fais pas la charité, même aux déficients.

Son aptitude inhabituelle à sauter du vouvoiement au tutoiement attira l'attention de son interlocuteur suffisamment de temps pour semer le désordre dans sa matière grise. Il était pire que lui, à battre le chaud et le froid quand il s'exprimait, l'expression sans cesse déformée par une contrariété insondable. S'il y avait eu un bébé entre les Hale et les Stilinski, pour sûr qu'il aurait fait partie de la fami— Le futur géniteur s'étrangla alors dans le vide, pulvérisant en morceaux son délire. Sa jambe s'agita sous le tableau de bord. Ha, ha, ha, il l'avait encore fait, il y avait encore pensé... Cela se pervertissait en pathologie. L'adolescence, les hormones, quel superbe prétexte !

Heureusement, une série d'inspirations lui permit de reprendre son souffle, alors que ses phalanges blanchissaient de part et d'autre du volant. Le regard porté par-delà le pare-brise, une lumière parut s'éclairer en lui pour chasser une image effrontément dérangeante.

— Je ne suis pas déficient ! se révolta-t-il en retroussant le bout de son nez.

— Soit, soupira d'agacement l'Irlandais (L'était-il ?), comme s'il s'adressait à une cause perdue.

Il leva les yeux au paradis avec tant d'exagération que, méfiant, la vision de Stiles à côté de lui se réduisit en deux fentes.

— Comment connais-tu mon nom, d'abord ? argua-t-il sous le couvert de l'aigreur.

— Je sais lire, railla la créature farceuse en brandissant le portefeuille devant le nez de son propriétaire.

Celui-ci s'empressa de vérifier son pantalon, mais le fait ne tarda pas à choir, un malotru lui avait dépouillé les poches sans qu'il ne le remarquât. Il fut pris d'un lourd sentiment d'embarras et se racla la gorge.

— Hm, puis-je ? s'excusa-t-il en pointant du doigt l'objet du délit pour pouvoir le récupérer.

Le Leprechaun le confisqua d'un « Ah, ah... » réjoui et moqueur.

— J'ai besoin d'un chauffeur, argumenta-t-il en considérant le coffre de la Jeep par-dessus son épaule.

Fébrile, la tête de l'ignorant se désarticula d'emblée dans la direction indiquée. À son insu et désarroi profond, cette dernière avait été farcie comme le cul d'une poule et une montagne, une orgie de pièces en chocolat en débordait jusqu'à s'affaler sur la boîte à vitesses et menacer d'encombrer les manœuvres. Certains écus dévalèrent à flanc, sorte de « bonjour » métallique, pour légitimer leur arrivée tandis que le reste obstruait la vitre arrière. Quelqu'un avait foutu la pagaille à l'intérieur de sa Jeep. Il allait empailler le coupable à même le sol et se venger par un choc glycémique sur la marchandise.

Malgré ce gage, quand il revint vers l'envahisseur pour lui soutirer des explications, il s'étonna de voir une mine revêche en travers de sa denture jaunasse. Ils étaient visiblement aussi désapprobateurs l'un que l'autre de cette collaboration hasardeuse, alors, pourquoi ? Pourquoi avoir pris le risque de saper le plancher de sa bagnole ?

— Mais comment as-tu—

— Boucle-la et démarre.

Bizarrement apeuré par son timbre autoritaire, il s'exécuta. La route défila alors durant d'interminables minutes, sans qu'il n'osât ouvrir la bouche. En fait, c'était plus fort que lui, quelque chose le bloquait inconsciemment et dès que le nain lui faisait une remarque, rare moment où l'atmosphère silencieuse était proscrite, il s'y rangeait plus vite que son ombre. En l'occurrence, il s'agissait surtout de forcer le pied de Stiles à vrombir au-dessus de la limitation. La voix caverneuse s'insinuait en lui et le persuadait d'opérer de telle ou telle façon. Elle influençait l'esprit critique de l'adolescent, le faisait acquiescer docilement au moindre son prononcé. Elle avait le talent improbable de lui fermer le clapet, un exploit que même les membres de la meute n'avaient jamais su se vanter. Il n'était pas de ceux dont on freinait le débit de paroles, sinon, autant ne pas être présent du tout.

Saloperie de Leprechaun... Il aurait préféré que la créature se contentât de confection et de raboter des chaussures en bois, de commettre des farces bénignes envers le premier venu et de compter les pièces d'or de son chaudron de pacotille ; pas de le contraindre à faire ses quatre volontés en y mêlant sa Roscoe d'amour !

Pauvre Roscoe, elle parut, en effet, désapprouver le chemin de terre qu'ils arpentaient désormais. L'époque où ils avaient eu le génie de rouler dans la zone forestière, elle s'était fait tirer la croupe par une dépanneuse à cause d'une boue diluvienne. Il lui en subsistait encore quelques traces terreuses entre les jantes pour attester de ce délicat épisode.

— Ta voiture est un tout-terrain, arrête de jouer les mijaurées ! déchanta l'amateur de Villageoise.

Quoique épaté qu'il lise en lui plus facilement qu'un livre ouvert, Stiles exposa néanmoins une grimace offusquée. Ne me cherche pas sur ce terrain-là, rétorqua-t-il du tact au tact en son subconscient, inspiré quant à un humour éternellement sarcastique.

Au final, le Leprechaun avait vraisemblablement gaspillé son ultime parcelle de moqueries, puisqu'il se mit à bâiller, son entrain à moitié épanché par la bouteille. Ils s'ignorèrent de manière théâtrale ; l'un, ses facultés rivées sur l'étroitesse du sentier, l'autre à admirer le paysage sylvestre, foncièrement désabusé d'être escorté de force via un débile des bas quartiers. Sincèrement, qu'est-ce qu'Il pouvait bien trouver chez ce gosse ?

— Gare-toi, le piaf ! s'époumona-t-il d'un coup et l'ordre intempestif alarma Stiles plus que de nécessaire.

Sitôt, la pédale de frein pila pour la deuxième fois et les roues sous le capot se rebellèrent sauvagement dans la bouillasse de feuilles qui parsemait les alentours. La Jeep miraculeusement immobilisée, son conducteur ferma les yeux pour inspirer. Ce barbare gaélique allait l'envoyer au cimetière, ou l'enterrer de mal en pis dans cette forêt. Puis, dans quelle espèce de trafic était-il en train de s'embarquer pour avoir en commande deux tonnes de chocolat ?

Par réflexe, il ramassa une des pièces qui s'étaient faufilées sous son siège et s'étonna du poids de la chose ; c'était beaucoup trop lourd et trop froid pour du cacao et du lait. Il aurait dû s'en méfier plus tôt, un Leprechaun transportait de l'or, pas à manger. Toutefois, au lieu de s'en insurger, il se contenta de la glisser furtivement dans la doublure ventrale de son sweat-shirt. Son véritable possesseur n'avait qu'à pas être occupé à sauter à l'extérieur du fourgon illicite, portière béante, à la seconde fortuite... Le shérif n'appellerait pas ça du vol s'il le démasquait, mais un juste retour des « comptes ».

Il détachait sa ceinture lorsqu'un déverrouillage de serrures sévit dans son dos.

— Descendez, Monsieur Stilinski, les poubelles ne sont pas acceptées, appuya alors le mi-homme, le pif immergé dans le coffre en conquistador aguerri.

— Pardon ? s'offensa le vouvoyé et il redoubla de rapidité pour sortir.

Comment ce blanc-bec osait-il poser ses sales pattes sur sa bagnole ? Comment avait-il le culot de traiter son bijou de « poubelle » alors que ce n'était pas la sienne ? Avait-il ne serait-ce qu'une voi— La mâchoire de Stiles se décrocha avec la véhémence d'un boulet de canon.

— Où est le choco... L'argent ?

Il avait de la peine à en croire ses yeux, mais l'amas astronomique qui s'était accumulé dans sa Jeep s'était volatilisé. Le Leprechaun émit un esclaffement mystérieux à son interrogation et leva sa main gauche le plus proche possible du visage du cadet sans un mot. Alors, il sut, le quidam au costume clownesque n'eut qu'à claquer deux doigts. Clap !

Estomaqué. Il n'avait que cet adjectif à la bouche et celui-ci roulait, roulait, identique à une bille que l'on pousserait aux arrondis d'un bol à l'aide d'un jet d'eau. Un total étranger le confrontait à un ailleurs sans s'annoncer et sa rétine en frémissait d'émotion. Il avait envie de tout toucher, tout sentir, tout voir, tout goûter. Projeté sur un plan astral méconnu, le pays des Leprechauns n'avait rien à voir avec les bosquets défraîchis de Beacon Hills ; les nouveaux venus étaient actuellement entourés d'une aura de calme, de paix, de lumière et de somptuosités ; ciel infini, nuées de papillons, abondance de plaines, ruisseau à l'eau turquoise, arbres fruitiers luxuriants, fleurs grandioses, herbe plus saturée que les habits de son hôte.

— Hé, le pélican ! Tu vas finir par gober les mouches à rester la bouche ouverte comme ça, badina arrogamment le susnommé avant qu'un raffut de paroles confondues interrompît la beauté du lieu.

Effrayé d'altérer la perfection devant lui, Stiles n'avait pas bougé d'un pouce depuis quelques minutes et s'équilibrait maladroitement sur ses hanches. Sous la tiédeur du jour, une brise espiègle le décoiffait agréablement. À ses pieds se déversait l'amoncellement d'écus qu'ils avaient importé de la douane du claquement de doigts — il était fier d'être l'auteur de ce titre. Cependant, il scruta l'horizon pour repérer la provenance du bruit. Il s'épanouissait de partout à la fois en une multitude de spores et fécondait la biosphère avec virulence. Le Leprechaun bondit à sa hauteur, le distrayant de sa visée.

— Si tu marches aussi vite que ta voiture roule, je te noie dans une fontaine d'or.

Galvanisé par cette possibilité, l'averti et sa mâchoire décrochée revinrent à la surface.

— Il y a des fontaines d'or ? apostropha-t-il, emballé, en emboîtant le pas au chanceux de naissance.

Sa question fondit à l'apparition foudroyante de centaines de points polychromes et pimpants au versant d'une butte, accompagnée de discordes houleuses. Des Leprechauns, répliqués à perte de vue, déferlaient dans une prairie de coquelicots. Non loin, une minorité en était à un cri d'en finir aux mains. Pourtant, cette congrégation conflictuelle était avivée par un fil conducteur qui les rapprochait vers une destination commune ; le lycéen. Ils fonçaient tout droit sur lui et, quoique ses semelles raclassent la terre meuble, il était contraint de s'y conformer. Acculé par une force psychique, le reste de ses membres ne lui consentait pas d'autre choix que de continuer.

Une protestation impromptue éclata alors dans son dos et il fit volte-face, frôlant l'arrêt cardiaque. Un groupe d'individus irlandais était apparu. Il était cerné, citadelle assiégée par une masse grouillante de fourmis rouges, bleues, jaunes et de quoi remplir vingt spectres lumineux de couleurs distinctes. Son prototype vert lui parut vertigineusement plus sympathique et familier.

Les premiers sur place s'immobilisèrent ainsi, en un agrégat disparate. Ignoré par tout un chacun, Stiles eut un mince soulagement. Le temps que les retardataires s'annoncent, beaucoup étaient allés de leurs commentaires mécontents sur la « récolte » du mois à une dizaine de mètres en arrière. Des paris rapportaient gros, notamment à une figure rabougrie, concordant à si méprendre à un Père Noël miniature. De ce que l'oreille humaine captait entre deux insultes, des lois strictes les retenaient prisonniers ici et ils n'étaient autorisés qu'à sortir au compte-gouttes et qu'en période de jours fériés. Lui ne serait pas mécontent d'avoir une cellule aussi luxueuse, mais apparemment, les mœurs du pays n'avaient appétit qu'à une richesse ; le poids de pépites pures contenu dans leur chaudron.

— S'rais pas icelui escond la binouze de l'a'tre filou ?! accusa quelqu'un, un ton au-dessus de la foule, et une bousculade ébranla les rangs en réaction.

Les chamailleries reprirent bon train, entre bombages de torse et œillades querelleuses. Leurs commerces clos, les moins grippe-sous s'esquivaient à l'abri de la chaleur. On aurait dit une troupe de sept cents farfadets vulgaires au monde des licornes, sept cents grognons que l'on avait passés sous le presse-papiers. Un environnement magnifique, féerique, qui contrastait avec ses odieux habitants. Le mortel qui héritait de toute cette agitation irréelle était en partie émerveillé et en partie dérouté. Personne ne levait les yeux, ne le constatait ; il était un sage, un arbre enraciné dans le décor. Il était dans un état méditatif.

Assis avec zèle en dessous d'une arche fleurie d'orchidées, elle-même abritée sous un monumental platane, deux gouttes d'un bleu perçant l'observaient. Discrets, complices, ils se passionnaient pour l'invité d'honneur. Les perles azurées lui accordèrent un clin d'œil complice lorsqu'il se désintéressa des conversations à proximité. Le garçon se figea en réalisant leur présence, plus perturbé qu'il ne l'avait été en dix-huit ans d'existence. Ces yeux translucides qui le transperçaient, ces traits aquilins, ces muscles saillants... Ce visage était reconnaissable entre mille, couronne royale, ou pas, masquant sa coiffure de mannequin.

Les Leprechauns, les millions, voire milliards de dollars qui gisaient dans la verdure, les licornes, les Télétubbies, il acceptait. Il acceptait tout. Mais... lui ?

Il faillit utiliser ses mains en entonnoir pour amplifier sa voix et s'exclamer, mais se ravisa. Il se doutait des capacités du loup-garou à l'entendre murmurer sur une distance de plusieurs terrains de football, même s'il détestait se le rappeler.

— Qu'est-ce tu fais là ? demanda-t-il, interdit.

La quasi-modestie de son inflexion dissimulait un début de rictus boudeur.

— Il est le Roi, crétin, déclara une demi-portion à sa droite en lui lançant un regard importuné, d'une hantise à tuer l'ennemi, comme si cela coulait de source.

Il dévisagea le trublion en vêtements violets, davantage abasourdi. Parler dissipait clairement son sort d'invisibilité ; allait-il falloir qu'il investisse dans une cape ? Que de questions, que de rebondissements... Oh, la la. C'était le clou du spectacle. Mais oui, qu'il était bête ! Il était tout à fait évident que le renégat et psychopathe de la meute soit roi dans un monde parallèle. Tellement évident qu'il ne l'avait pas un instant soupç— L'étonnement, puis les mimiques enfantines de Stiles se muèrent en affront devant la moue satisfaite du quarantenaire, qui percevait aisément sa tension intérieure et ses battements de cœur. Il soupira d'exaspération et s'empressa de rejoindre l'ombre des feuilles caduques pour enfin amorcer une discussion enrichissante, puisque ces nains de jardin n'étaient irrévocablement doués qu'à envoyer des pics insolents et voler de l'oseille en dehors des heures de travail.

Pendant qu'il s'approchait, il eut le loisir d'apprécier en face de lui le haut dirigeant qui l'attendait. Habillé d'un éternel col en V, ce dernier était néanmoins paré de bijoux. Son trône n'était que pierres précieuses et diamantins, d'une vénusté à braver les Dieux. Stiles ne lui avait jamais conçu un sourire aussi mesquin que celui qu'il étalait en ce moment précis du haut de son perchoir. C'était qu'il avait l'air de se réjouir, le bougre ! Il le bouffait défiait presque du regard, d'une telle ferveur que les Leprechauns, qui bullaient paisiblement contre le tronc et les racines de l'arbre de Diane, s'écartèrent pour ne pas avoir à subir cette électricité. Ils exécraient se brancher sur les pensées terrestres, il fallait indubitablement que cela tombât en dessous de la cei—

— Hein ? C'est une blague ? suffoqua ouvertement le non-initié en s'adressant à personne d'autre que... Peter.

Le Peter. Celui qui, allait savoir par quel subterfuge, le hantait au fur et à mesure que l'année prenait de la confiance. Celui qui encombrait ses faits et gestes à moins qu'un shot d'adrénaline ne lui fasse oublier son propre prénom sur le champ de bataille. Oui, celui-là, celui qu'il refusait d'amener sur le tapis. Hé bah, c'était un échec.

Il regretta sa question en voyant le principal concerné louer les diamants à chacun de ses doigts. Il rit à gorge déployée, suivi de près par tous ses sujets, avant de réduire l'assemblée à un silence militaire d'un geste infime. Le fils Stilinski, relégué à l'état de coursier futile et impayé, hallucinait.

D'un dédain spécifique aux Hale, l'oncle accéda finalement à sa requête et répondit avec plus de vantardise que de générosité, la voix rauque d'allégresse :

— Non, j'ai rencontré Patrick il y a quelques semaines, il dit que je ressemble à leur Dieu. Je dirige leur pays maintenant.

Il cibla du majeur les joyaux incrustés au sommet de son crâne qui devaient coûter plus cher qu'un prêt hypothécaire.

— Patrick, répéta le retardataire dans les aigus, incrédule, en voyant son Leprechaun vert le dépasser.

Le détenteur de la couronne (ouais, cela ne pouvait pas sonner plus faux) hocha la tête, une moue amusée en travers du visage, tandis que la crotte qui avait voyagé avec Stiles se contentait de ricaner dans sa barbe en grimpant sur l'accoudoir du trône. Sale vipère !

— Parce que tu les appelles par leur prénom mainte— Mais qu'est-ce que ça peut bien te foutre de les aider ?! s'emporta-t-il soudain, sans aucune explication valable.

Il sentait la rage bouillir dans son sang, elle le grisait. Il était attaqué par une fièvre terrible. Incompréhensible. Un feu de broussailles.

Les épaules du plus âgé — du plus mature aussi, selon les normes — se haussèrent évasivement.

— Eux au moins, leur sarcasme m'amuse.

Trahi, son interlocuteur prit une expression scandalisée. Parole d'un roi, on aurait cru le portrait de la jalousie...

— Je peux aussi être très drôle, si je veux !

Sa défense (pitoyable) tomba à plat plus brutalement qu'un soufflet raté ; le loup-garou ne tressaillit pas d'un cil. Son expression inquisitrice se fit alors indifférente.

— Stiles, retourne chez toi, soupira-t-il. Je me passerai de tes commentaires.

Dix silhouettes multicolores l'entourèrent précipitamment et dans un chœur de claquements de doigts, tout disparut. Il était de retour au milieu de la forêt, seul cette fois, face au coffre vacant de sa Roscoe. Ses paupières clignaient sous l'assaut de la perplexité. Dire que c'étaient les Leprechauns qui étaient réputés pour être des créatures solitaires, la bonne blague... Qui était le crétin qui avait écrit de telles affabulations ?!