Chapitre 01
Agitations
Lenalee courait aussi vite qu'elle pouvait dans les couloirs de la Congrégation. Elle gravit les marches et progressa jusqu'au bureau du Grand Intendant, ne faisant pas attention aux scientifiques qui se poussèrent sur son passage, surpris. Elle ouvrit brusquement la porte, à bout de souffle. Komui qui se tenait à son bureau, sa tasse de café à la main, sursauta au bruit.
- Lenalee ? Qu'est-ce qu'il se passe ? s'enquit-il, inquiet, en posant son breuvage chaud sur son bureau et en se levant pour rejoindre sa petite sœur.
- Grand-frère… fit-elle encore haletante. Ca ne peut plus durer… Combien de temps Leverrier va-t-il retenir Allen ?
Le Grand-Intendant serra les dents et posa ses mains sur les épaules de sa sœur. Elle leva vers lui un regard à la fois triste et furieux.
- Ca fait plusieurs jours que Leverrier l'interroge… On a même pas le droit de le voir ! J'ai entendu dire tellement de choses… On dit qu'il ne mange pas, qu'on le garde enfermé dans le noir, qu'on lui fait du mal… Grand-frère, je t'en prie ! Ce ne sont peut-être que des rumeurs, mais si elles étaient vraies ? Tout ça parce qu'il veut en savoir plus sur le Quatorzième ? Mais Allen est innocent ! S'il-te-plaît… Sors-le de là…
- Lenalee… C'est compliqué. Je ne peux pas agir comme je le voudrais. Je suis sûr qu'Allen va s'en tirer. Il n'a rien à se reprocher. Tu verras, il sera bientôt libre.
La jeune fille fondit en sanglot et serra son frère dans ses bras. Komui répondit à son étreinte aussi fortement que possible. Il était sincèrement inquiet pour le jeune exorciste. Mais il était pieds et mains liés. S'il faisait un mouvement suspect, tout le monde pourrait être en pâtir. Leverrier était suffisamment tordu pour ça… Il caressa d'une main les cheveux de sa cadette. En vérité, il ne savait pas si Allen pouvait s'en tirer, mais il gardait espoir. Et ça le rendait fou de ne pouvoir rien faire pour arrêter cette folie !
Allen ouvrit doucement les yeux. Il était toujours dans cette prison obscure et humide. Il tenta de bouger mais son corps endoloris ne le lui permit pas vraiment. Il grimaça. Il était attaché par des chaînes bien trop pesantes et les entraves qu'on lui avait apposées sur son bras gauche pesaient lourds. A vrai dire, il ne sentait plus son corps… Le jeune exorciste s'attendait un peu à ce qu'on l'interroge sur l'Arche, sur le musicien… Mais pas que tout aille aussi loin… Il se rappelait ce qu'il avait dit aux autres, qu'il serait bientôt de retour. Cela faisait combien de temps qu'il était là déjà ?
- Tim… ? Appela-t-il faiblement.
Aucune réponse… Aucun mouvement… Allen eut envie de rire à ce moment-là. Il avait complètement oublié qu'il lui avait demandé de ne pas le suivre et de rester avec leurs amis. Il était vraiment seul sur ce coup…
La porte s'ouvrit sur Link. Le jeune exorciste n'avait pas la force de tourner la tête vers lui.
- Tu as repris tes esprits, observa le jeune homme en s'approchant. Tu avais perdu connaissance.
Il remarqua le manque de réactivité de l'exorciste.
- Tu sais, tout serait fini si tu coopérais… Tu n'aurais plus à subir tout ça.
Allen fronça les sourcils. Il en était hors de question. De toute façon, quoiqu'il puisse répondre, Leverrier ne sera pas satisfait. L'exorciste savait ce que ce vautour voulait entendre : qu'il était dangereux, qu'il avait prêté allégeance au Comte, qu'il avait trompé tout le monde… Allen ne lui fera pas ce plaisir. Dès le départ, en voyant que ses explications ne menaient à rien, il s'était mué dans le silence. Si Leverrier était borné, lui aussi. Il avait hâte de voir qui craquerait le premier ! Bien qu'il ait mal partout et qu'il avait faim, il ne s'avouerait pas vaincu sans avoir lutté de toutes ses forces.
- Tiens, c'est de la part de Jerry, fit Link en levant les yeux au ciel et en tendant les mains. Vu les conditions, je devais être discret. Désolé si ce n'est pas suffisant.
Allen tourna les yeux vers le plat qu'on lui tendait. Il n'avait pas fait attention que Link s'était assis près de lui. Le met qu'il lui présentait n'était qu'un bol de riz tout à fait ordinaire, mais une douce chaleur se propagea dans son corps. Un léger sourire apparu.
- Je n'ai pas les clés par contre… Je crois que je ne vais pas avoir le choix que de te nourrir…
- Merci Link… souffla l'exorciste, touché alors que l'autre s'assis en face de lui.
- Et ne va pas penser que je suis de ton côté ! Je suis juste responsable de ta surveillance !
Il plongea la cuillère dans le bol et l'apporta à la bouche du prisonnier. Allen le regarda avec un petit sourire :
- Ca ne m'a même pas effleuré l'esprit…
Alors que le jeune exorciste se jetait la nourriture, il fut pris d'une quinte de toux après la première bouchée.
- Mâche au moins… râla le membre du Corbeau en plongeant à nouveau la cuillère dans le riz. J'aurai l'air malin si tu t'étouffais.
Allen parvint à déglutir non sans difficulté et se mit à rire :
- Et Leverrier sera au courant que tu m'aides. Comme on dit : pas vu, pas pris…
- Oh, ça va. Tiens, mange.
Ce coup-ci, il veilla à ce que l'exorciste mâchât. Il soupira.
Et le pire, c'est que ce petit olibrius avait raison ! Il risquait gros en lui venant en aide. Son supérieur avait mis un point d'honneur à ce que personne n'entre en contact avec lui tant qu'il n'avait pas tiré toute cette affaire au clair. Bien entendu, les seuls autorisés à lui parler (et c'était un bien grand mot) ou à entrer dans sa cellule étaient les membres du Corbeau. Toutefois, Leverrier ne lui avait pas retiré la surveillance du jeune garçon.
Il observa Allen qui avait fini de manger. Le jeune exorciste avait le regard dans le vague. C'était à peine s'il se rendait compte qu'il était encore en face de lui. Ses paupières se fermaient toutes seules, mais il résistait, sans vraiment en avoir conscience, à l'appel du sommeil. L'attention de Link se porta sur les cicatrices visibles du plus jeune. Il n'avait jamais remis en cause les méthodes de son supérieur, toujours certain que c'était la voie la plus juste. Mais là… Peut-être était-ce trop… Allen n'avait que seize ans ! Et avec tout ce qu'il subissait…
Il y a environ quinze jours, Leverrier avait commencé doucement sa séance d'interrogatoire, en posant de simples questions, proposant gâteaux et cafés, qui attendaient de simples réponses. Réponses que le jeune exorciste avait données. Mais apparemment, ce n'était pas ce à quoi s'attendait son supérieur. Lui-même, alors qu'il était responsable de sa surveillance, n'avait pas été autorisé à y assister.
Depuis, les choses s'étaient brusquement intensifiées. Et Allen avait cessé de répondre à quoique se soit. Puis, les violences se sont succédées. D'abord corporelles. On l'avait battu. Leverrier était certain que cela suffirait. Mais lui, Link, savait à quel point le jeune garçon était têtu. Son supérieur l'avait également vite remarqué étant donné qu'Allen répétait inlassablement les mêmes choses et qu'il s'était tu par la suite. Alors, il avait prévu de lui faire une pression psychologique en plus, en commençant à réduire la nourriture qu'on lui donnait, déjà qu'on ne lui donnait pas grand-chose. Mais rien ne changeait. Et rapidement, il avait fini par ordonner qu'on ne lui apporte à manger qu'une fois tout les deux jours, les portions étant toujours petites.
Parfois, on l'empêchait de dormir en lui apposant un horrible instrument : « fourchette de l'hérétique » comme il aimait à l'appeler. Ceci ressemblait à une espèce de pique à deux sens qu'on installait entre le bas de la mâchoire et la poitrine, de telle façon que le supplicié garde la tête levé et ne puisse pas vraiment parler, sous peine de gravement se blesser. Et on le laissait comme ça quelques minutes, ou quelque heures… Parfois seul ou sous le regard inquisiteur de Leverrier, qui attendait qu'il flanche.
Il y avait de cela quelques heures, Allen s'était effondré dans le couloir, aussitôt sorti de sa cellule. Son supérieur, fort contrarié, avait ordonné à ce qu'on le ramène dans sa prison car il ne servait à rien d'interroger un prisonnier évanoui. Et pourtant ! Ils avaient essayé de le réveiller à grand coup d'eau froide et même de claques.
Link secoua la tête. On ne lui demandait pas de réfléchir, mais d'obéir aux ordres. Il constata que le garçon s'était finalement endormi.
- Je ne sais pas qui de toi ou de Leverrier cèdera le premier, dit-il en se relevant et en s'approchant de la porte de la cellule. Mais il faudra bien que l'un de vous deux cède pour que tout s'arrête.
Il avait prononcé ces mots en l'ouvrant et en se tournant vers Allen. Link disparut derrière la porte. Laissant le silence glacé de la prison seul compagnie du sommeil de l'exorciste.
Les exorcistes étaient réunis dans la grande salle qui servait de réfectoire. La nuit était tombée et une bonne partie de la Congrégation était probablement partie se coucher et d'autres improvisaient une partie de cartes ou d'échecs. Krory était assis avec Lavi, Bookman, Miranda et Johnny. Depuis l'enfermement d'Allen, ils étaient tous assez déprimés, voire stressés.
Le vampire regarda par la fenêtre. La pluie commençait à tomber. Si même le temps s'y mettait pour les rendre maussades… Il décida de reporter son attention sur ses compagnons. Le jeune Bookman était avachi sur la table, la tête dans ses bras. Seule l'agitation nerveuse de sa jambe droite trahissait sa tension. Son grand-père à côté de lui restait de marbre mais il semblait fixer un point invisible sur la table. En tournant les yeux, il aperçut Miranda qui jouait avec ses doigts. Ses mains tremblaient et elle se mordait la lèvre inférieure. Quand au scientifique, il avait les yeux rivés sur l'horloge. Il n'avait pas décroché son regard de là de toute la soirée.
Au moment où Krory soupira, Lavi frappa un grand coup de poing sur la table et fit sursauter Johnny :
- Quand est-ce qu'ils vont le laisser partir ? s'écria-t-il en se levant d'un bond. Y en a marre ! Je vais le chercher !
- Lavi ! l'interpella Bookman. Reste où tu es et connais ta place ! Tu ne ferais que t'attirer des ennuis !
- Vieux Panda ! Allen est très certainement en danger de mort, et tu me dis de pas bouger ? Il est notre ami, non ?
- Lavi ! l'interpella le vieil homme sur le même ton.
Il se rapprocha de son petit-fils et tira sur sa veste afin de l'attirer vers lui :
- N'oublie pas ta place ! Tu es un Bookman ! Nous nous contentons de retranscrire l'Histoire. Nous nous devons de rester neutres. Tu comprends ce que cela signifie ?
- Allons, ne nous fâchons pas… tenta Miranda sur un ton mal assuré. Nous sommes tous à fleur de peau. Et si nous respirions un bon coup ?
- Allen… murmura Johnny, puis il se leva d'un bond. Lavi ! Je viens avec toi ! Je ne sais pas me battre et je suis plutôt lâche, mais je ne veux pas perdre un autre ami !
- Tu vois papi ! Je suis pas tout seul. Kro, t'es avec nous ?
- J'aimerai beaucoup mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Ne risquerions-nous pas de causer encore plus de tort à Allen ? Je crains vraiment ces répercussions. Mis à part ça, je ne sais pas pour vous, mais je ne supporte plus cette atmosphère. Tout le monde soupçonne tout le monde… C'est très pesant. Pour tout dire, je pense que nous sommes les rares à encore espérer qu'Allen aille bien.
- Le pire, c'est que tu as raison, soupira Johnny. Avant, la Congrégation ce n'était pas ça… On était une grande famille, on veillait les uns sur les autres… Tout a changé si vite… Maintenant, j'ai l'impression que c'est du chacun pour soi.
Du coin de l'œil, Lavi vit Chaoji entrer dans la salle aux côtés d'un trouveur répondant au nom d'Andrew. Il plissa brièvement les yeux. Ces deux-là n'avaient jamais apprécié Allen. En ce qui concerne Andrew, il était un solitaire taciturne. Bien que leur ami ait tenté de se rapprocher de lui, il fut assez mal reçu. Ce trouveur avait toujours trouvé que la gentillesse et l'amabilité d'Allen sonnaient faux. C'est pourquoi le courant n'était jamais passé.
Par contre, Chaoji, c'était une autre paire de manche. Il était très heureux lorsqu'il était venu à temps à leur rescousse à Edo. Mais depuis les évènements dans l'Arche, lorsque le jeune exorciste avait souhaité sauver Tyki Mikk, il avait Allen en horreur. Lavi était presque sûr qu'il s'agissait d'un quiproquo. Leur ami avait toujours été original dans sa façon de penser.. Lui, n'en avait pas fait cas, il avait confiance en Allen. Mais pas Chaoji. Depuis lors, ils s'étaient constamment évités. Et maintenant qu'il était enfermé, Chaoji déversait tout son venin à qui voulait l'entendre. C'était à vomir… Heureusement que Lenalee n'avait rien entendu l'autre jour… Si Mari n'avait pas été là, il lui serait rentré dans le lard.
- Oh ! Salut ! fit Chaoji avec un grand sourire. Je ne savais pas que vous étiez encore debout ! Tu t'en vas, Lavi ?
- Ouais… J'ai mieux à faire…
- Ah ? Bon, et bien à demain alors !
- C'est ça…
Le jeune Bookman s'efforçait de rester calme. Il serrait tellement son poing pour se retenir de le frapper qu'il en plantait ses ongles, faisant couler un tout petit peu de sang. Il se dirigea d'un pas rageur vers la porte.
- Attends-moi, Lavi ! s'écria Johnny.
Il accourut derrière lui. Le rouquin se prit à sourire. Apparemment il n'était pas le seul à ne pas vouloir rester près de Chaoji. Il vit le regard implorant de Krory comme pour lui dire « m'abandonne pas » et Miranda afficher un sourire poli tout en essayant de s'éloigner du trouble fête qui continuait d'avancer vers elle tout en lui parlant. Bookman restait à sa place. Lavi ne savait pas ce que son grand-père avait en tête, mais il était sûr d'une chose. Il devait être très intéressé par la venue cet imbécile.
Komui retira ses lunettes qu'il posa sur son bureau et se frotta les yeux. Il se faisait tard et il avait passé le reste de la journée à tenter de trouver une solution pour Allen. Et il n'avait rien trouvé. La venue de Lenalee plus tôt l'avait retourné. Il n'avait jamais apprécié voir sa sœur dans un tel état, et il ne souhaitait pas que ça recommence. Sans compter qu'il devait gérer aussi l'effervescence qui régnait au QG. Maintenant qu'il y pensait, les choses avaient commencé à changer pour le meilleur, comme pour le pire, depuis l'arrivée de l'apprenti de Cross. Même sa petite sœur était un peu différente. Il ne saurait dire pourquoi.
Il s'adossa pleinement contre le dossier et ferma ses yeux qui le brûlaient.
- Grand Intendant, ce n'est pas le moment de dormir ! fit Reever en sortant sa tête de tout un tas de paperasse. Y en a qui bosse !
Le scientifique fut surpris de l'absence de réaction de Komui.
- Hé, vous allez bien ? Demanda-t-il.
- Reever, je suis face à la fatalité des choses. Nous n'avons aucun moyen d'aider Allen. Il semble qu'il soit condamné.
- Non, Leverrier va bientôt craquer. Il est plus fort que ça.
- Je ne parle pas que de son emprisonnement. Je parle aussi du Noah qui est en lui. Il n'existe aucun moyen de l'extraire. Nous avons épluché toutes nos archives.
- Vous êtes bien pessimiste. Ca ne vous ressemble pas. En plus, nous n'avons pas fouillé toutes les archives… Il manque celles de la branche Asiatique, de la branche Nord-Américaine…
- Oui, je sais…
-… De la branche Océanique, de la branche Africaine…
- J'ai compris…
- De la branche Sud-Américaine…
- Reever !
Le scientifique prit une pause se demandant s'il devait continuer son énumération. Au vu des yeux que son supérieur lui adressait, il hésita… Un long moment… Puis se lança :
- Sans compter les archives du Vatican…
Komui attrapa un dossier qu'il menaça de lui balancer. Reever se cacha sous le bureau. Après un cours instant, il se rendit compte que le Grand Intendant ne lui avait rien lancé. Il se releva, faisant apparaître le bout de son nez.
- La Vatican… fit-il en reposant les documents et comme s'il eut la révélation du siècle. Mais bien sûr !
La porte du bureau s'ouvrit. Leverrier entra sans autre forme de cérémonie et vint s'assoir face à Komui. Et ce, sans prêter attention à Reever, à moitié sous son bureau.
Le Grand Intendant fronça légèrement les sourcils. Pour qu'il vienne le voir à une heure pareille, cela devait être urgent. Le Chef des Corbeaux affichait un sourire étrange.
- Vous travaillez donc encore si tard ? demanda-t-il sur un ton doucereux.
- Que me vaut votre visite si tard ? éluda Komui. Tu peux partir, Reever.
- Non, j'ai encore du boulot.
En se repenchant sur ses dossiers, le scientifique regarda du coin de l'œil le visiteur. Il était pour lui hors de question de laisser le Grand Intendant seul avec ce rapace.
- Soit, j'ai quelques questions à vous poser, fit Leverrier. Cela concerne le Quatorzième.
- Je ne suis pas vraiment le plus indiqué pour y répondre.
- Oh que si. Vous étiez en ligne avec Walker lorsqu'il a utilisé l'Arche pour la première fois. Dois-je conclure que vous êtes également derrière tout ça ?
- Vous sautez trop rapidement aux conclusions, Leverrier. Allen a utilisé l'Arche car nous étions dans l'urgence.
- L'urgence ? Oh, vous voulez parler de la bataille à Edo ? Il y avait déjà des exorcistes tout à fait qualifiés là-bas. Vous allez devoir trouver mieux.
- Ils étaient mal en point et le Comte ainsi que les Noahs étaient présents. Sans compter l'armée d'Akuma de niveau 3. Avions-nous vraiment le choix ?
- Et c'est là que Walker apparaît comme un héros. A croire que vous aviez tout orchestré à l'avance.
- Comment ? Jamais je ne les aurais envoyés dans cette boucherie ! Le temps pressait, le Comte cherchait le Cœur. Et nous avions nos raisons de penser que l'un des maréchaux pouvait en être le détenteur. Malheureusement, l'équipe chargée de retrouver Cross s'était embourbée dans cette bataille. Ceci aurait pu arriver à n'importe quel groupe. Nous avions subit de lourdes pertes. Nous n'avions pas le choix.
- Vous en conviendrez donc qu'il nous faut plus d'exorcistes.
- Ne soyez pas ridicule. Cela prend du temps de les trouver.
- On peut toujours forcer les choses.
Komui serra les dents. Il savait où Leverrier voulait en venir, et il était hors de question de réitérer ces expériences inhumaines. Lorsqu'il avait pris ses fonctions à la Congrégation, il avait fait cesser toutes ces recherches abominables- Si je peux me permettre, risqua Reever. Allen est toujours un exorciste. Pourquoi ne pas le laisser partir ?
- Vous n'avez rien entendu, M. Wenhamm ? Il est le Quatorzième. Pourquoi le laisser partir ?
- Même pas sous surveillance ? Ca fonctionnait pourtant bien avec l'inspecteur Link…
- Jusqu'à ce qu'il se manifeste, balaya Leverrier, légèrement agacé par son intervention.
- Mais nous manquons de bras… répliqua Reever.
Voyant le Chef des Corbeaux commencer à bouillir, Komui tenta de changer de sujet :
- Ah ! Reever ! Je suis claqué ! Apporte-moi un café !
- Vous m'avez pris pour Lenalee ou quoi ?
- Oh non ! Bien sûr que non ! Je sais vous différencier ! Elle est bien plus mignonne que toi ! Mais je me sens partir… J'ai besoin de caféine… Tu ne veux pas la mort de ton supérieur sur la conscience… Oh… J'aperçois la lumière…
Il joignit à sa comédie une main tendue vers le plafond, comme s'il voulait saisir quelque chose.
- Ca va, n'en faites pas toute une histoire. Je vais vous le préparer votre café.
- Oh merci, Reever ! Tu auras gagné ma considération éternelle !
En sortant, il se gratta la tête. Le scientifique savait très bien pourquoi Komui lui avait ordonné de quitter la pièce de manière « subtile ». Il s'était risqué sur un terrain glissant et Leverrier aurait pu lui retomber dessus. Il est vrai qu'il avait tendance à parler trop franchement et qu'il devait faire attention. Les libertés qu'il prenait avec Komui, devaient rester avec Komui. Son supérieur lui autorisait cette familiarité car ils travaillaient ensembles depuis de nombreuses années maintenant. Toutefois, si c'était pour Allen… Ca en valait la peine d'exaspérer Leverrier!
- J'espère que les rumeurs sont fausses…
Lenalee ne parvenait pas à dormir. Elle se tournait et se retournait dans son lit. Depuis qu'Allen avait été emmené avec Leverrier, Timpcanpy ne l'avait pas lâchée. Et il était là, sur son lit. Il semblait tracassé et cherchait apparemment le repos aussi…
Elle posa une main sur la tête du golem qui réagit aussitôt. Lenalee lui sourit et se redressa. Elle rapprocha ses genoux qu'elle entoura de ses bras.
- Tim, tu crois qu'Allen va bien ? J'aimerai tellement le voir… M'assurer que ça va… Que ce n'est rien qu'un cauchemar…
Le golem se contenta de virevolter autour d'elle.
- Allen… Je me demande si Link me laisserait te voir. Ne serait-ce qu'une seconde…
Lenalee enfouit son visage dans ses bras. Dans cette position, ainsi recroquevillée, elle avait l'impression d'être redevenu la petite fille qui était entrée à la Congrégation. Elle détestait se voir comme ça. Elle détestait se sentir comme ça… Elle détestait penser comme ça…
- C'est décidé. Demain, j'irai voir Allen. Qu'on le veuille ou non. J'irai le voir. Et je lui apporterai un peu à manger. Je demanderai à Jerry. Si les rumeurs sont vraies, il doit mourir de faim à l'heure qu'il est. Comment est-ce que je pourrais dormir en sachant ça ?
Le golem se posa sur la tête de Lenalee. Elle se redressa à se moment-là.
- On ira le voir, Tim. Il le faut…
La jeune fille attrapa le golem dans ses mains :
- On ira demander à Link, d'accord ?
Timpcanpy fit claquer sa bouche d'enthousiasme.
La jeune exorciste sourit puis se rallongea, en tenant le golem contre elle. Lenalee finit par fermer les yeux, avec la ferme intention d'attraper Link dès que le matin pointera le bout de son nez.
Une alarme retentit. Lenalee fut tirée de son sommeil, désorientée. Une voix retentit :
« Votre attention, nous avons identifié un groupe d'Akuma aux portes de la Congrégation. Ceci n'est pas un exercice. Les exorcistes sont priés de se rendre dans le hall pour attendre les ordres. Je répète, ceci n'est pas un exercice… »
La jeune fille bondit hors de son lit. Encore une attaque ! Leur rang avait déjà été réduit la dernière fois ! Et à quel prix… Elle ne les laissera pas la priver de sa famille. Jamais. C'était tout ce qu'elle avait !
Elle s'habilla rapidement et sortit en trombe dans le couloir pour rejoindre les autres.
Dans le hall, déjà beaucoup d'exorcistes étaient présents. Lenalee aperçut Chaoji. Elle se précipita vers lui.
- Chaoji !
- Lenalee !
- Dis-moi que c'est un cauchemar !
- J'aimerai bien que c'en soit un aussi. D'après les infos que j'ai, il y en aurait une centaine derrière la porte. Et, on est peu… vraiment peu…
- Impossible…
- Ils sont probablement venu chercher le Noah…
Lenalee le regarda, médusée. Qu'avait-il dit ? Elle avait très bien entendu, mais fut choqué du terme utilisé pour parler d'Allen. La jeune exorciste savait qu'ils ne s'entendaient pas… Mais là, Chaoji le traitait comme… Leur ennemi.
- Ne me regarde pas comme ça. Tout le monde n'en pense pas moins, tu sais. Mais je comprends que ça te fasse un choc.
- Lenalee ! Ah, te voilà ! s'exclama Miranda. Je me demandais où tu étais !
La jeune fille lui répondit par un sourire bref et le jeune homme poursuivi :
- Miranda, est-ce que j'ai raison ? Allen ne peut plus être considéré comme l'un des nôtres.
La jeune femme en eut le souffle coupé.
- C'est vrai, si ça se trouve, c'est lui qui a appelé les Akuma jusqu'ici !
- Arrête… murmura Lenalee.
- Il nous a tout caché dès le départ ! Vous trouvez que c'est normal qu'un exorciste puisse utiliser l'Arche ? Cette chose qui n'est ni plus ni moins que le moyen de transport des Noahs ?
- Ca suffit... souffla-t-elle en fixant le sol.
- Lenalee ? s'enquit Miranda en lui prenant le bras.
- Sans compter qu'il n'y a que lui qui semble aimer les Akuma… Il faut vraiment être dérangé ! A moins que le Comte ne lui ait ordonné de pourrir nos rangs. Dans ce cas, il a plutôt réussi !
- Tais-toi ! cria Lenalee. Tu n'en sais rien ! Tu le connais à peine !
- Le peu que j'ai vu me suffit, rétorqua Chaoji sur un ton incitant à terminer la conversation.
Cependant, alors qu'il crut avoir raison de ses propos, un poing s'abattit sur sa joue. Il en tomba à terre et leva les yeux sur son agresseur en portant sa main à sa joue.
- Arrête de dire n'importe quoi ! C'est toi qui fous le bordel ! fulmina Lavi, il se calma en voyant Lenalee et Miranda. Allez, venez. Restez pas avec ce plouc.
Le jeune Bookman leur fit signe de venir avec lui. La plus jeune passa à côté de Chaoji sans lui accorder un regard, Miranda toujours agrippée à son bras.
Le vieux Bookman, qui n'avait rien manqué de la scène, demanda à Lavi de se baisser. Celui-ci s'exécuta et se fit tirer l'oreille.
- Espèce d'inconscient ! Ce n'est ni l'endroit ni le moment de régler vos affaires personnels !
- Aïe ! Tu me fais mal papi !
Krory se tenait à côté de Bookman et lui fit discrètement un signe approbateur.
- Votre attention, fit d'une voix distincte Leverrier qui venait d'arriver, Komui à ses côtés. J'espère pour vous tous que vous êtes disposés à vous battre. Pour l'heure, la porte et nos murs résistent. Mais il n'y a pas de temps à perdre ! Terrassez-moi ces Akuma, je veux qu'ils soient tous exterminés ! Aucune retraite n'est envisageable ! Les Corbeaux seront là pour vous assister. Allez !
- Minute ! intervint Lavi. Où est Allen ?
- Je n'ai pas à répondre. Disposez !
Sur ce les portes s'ouvrirent et les exorcistes traversèrent l'entrée. Le jeune Bookman jeta un regard noir à Leverrier tandis que son grand-père lui asséna un coup de coude dans le genou. Lenalee le tira par le bras.
- On y va. Nous aurons peut-être plus de chances avec Link d'obtenir des réponses.
Dans la salle d'interrogatoire et enchaîné, l'œil gauche d'Allen s'activa. Il voulu appeler quelqu'un mais se piqua la mâchoire avec l'objet qu'on lui avait installé. Ca se présentait mal… Il était encore ici, seul, alors que la Congrégation subissait une nouvelle attaque… Et ses amis devaient être sur le front ! Il ne pouvait pas rester ici ! Il tenta de bouger ses mains qui étaient solidement attachées dans son dos. Evidemment, il ne pouvait pas se libérer comme ça… Depuis combien de temps l'avait-on laissé seul ? Une heure, peut-être… Enfin, ce n'était pas comme s'il avait la notion du temps.
Allen soupira. Que quelqu'un vienne… Vite…
La porte de la pièce s'ouvrit sur Link. Il s'avança vers le jeune exorciste. Ne pouvant tourner la tête, Allen fit rouler ses yeux vers lui. Il n'était pas réputé pour être particulièrement émotif, mais quelque chose semblait le gêner.
- La Congrégation se fait attaqué. Mon supérieur m'a donné ses ordres : tu restes ici.
L'exorciste écarquilla les yeux. Il ne pouvait pas ! Pas alors que ses amis se battaient ! Pas alors que la Congrégation venait tout juste de trouver de nouveaux quartiers !
- Je sais, tu n'es pas d'accord avec ça. Mais cela ne vient pas de moi !
- Leverrier… tenta d'articuler Allen en essayant de ne pas se faire mal. Ici… Vite…
- Il est occupé. Il ne sera pas de retour avant un petit moment, je pense.
- Retire… Ca…
- Je n'ai pas les clés. C'est lui qui les a.
- Va… Le… Chercher…
Link arqua un sourcil et croisa les bras. Allen abandonnait le combat ? Ou allait-il tenter de parlementer avec son Chef ? La première réponse était absurde, quand à la deuxième… On ne négociait simplement pas avec Leverrier.
- Tu… Lui diras… Que je dirai… Tout…
L'exorciste lui adressa un regard suppliant. Le membre du Corbeau soupira.
- Très bien. Je vais le chercher.
- Merci… Link…
- Des niveaux 3… observa Krory.
- Bon sang, commenta Lavi. Pas le choix, on y va Kro !
Ils s'élancèrent vers un groupe de trois Akuma. Le vampire s'occupa de celui qui était le plus proche de lui. Bien entendu, ils étaient très forts. Son adversaire se défendait durement. Mais lui avait de bons réflexes Tout ce qu'il arrivait à faire pour le moment, c'était de tenter de créer une ouverture. Mais l'Akuma calculait très bien ses actions. Il tentait donc de conserver l'égalité avec lui, afin de saisir une opportunité.
Lavi, lui décida de viser directement les deux derniers. Il créa un mur de flammes à l'aide de son marteau. Il en avait déjà affronté auparavant et il était pertinemment au courant que ça ne suffirait pas. Cependant, entre lui et Krory, c'était lui le plus indiqué pour attaquer deux Akuma à la fois. Lorsque les flammes disparurent, les deux Akuma foncèrent sur Lavi.
- Lavi ! hurla le vampire.
- Je sais !
Le jeune Bookman tenta de prendre de la distance afin de trouver un meilleur angle. Même s'il était du genre tête brûlée, il n'était pas assez fou pour les attaquer directement avec son marteau. Malgré l'écart qu'il souhaitait créer, les Akuma étaient toujours trop proches. De loin, il vit Krory en train de se défendre contre deux Akuma à la fois. Lavi claqua sa langue. Cela risquait de devenir difficile à gérer.
De son côté, Miranda avait créé un champ de force autour d'elle. Ainsi, les exorcistes mal en point pourraient venir effacer leur blessure. En voyant comment le combat évoluait, elle se maudissait intérieurement de ne pas avoir une innocence lui permettant de se battre comme les autres. Elle se savait maladroite et elle ne pensait pas faire une excellente guerrière mais, par moment, elle trouvait injuste qu'elle reste en arrière alors que les autres risquaient vraiment leur vie au cœur du combat. Actuellement, ils n'étaient qu'une cinquantaine d'exorcistes, tout au plus car une partie étaient en mission, prêts à se battre. Contre deux ou trois fois leur nombre en Akuma ! La bataille avait commencé depuis un moment maintenant, et leur rang commençait à souffrir de lassitude.
Ce qu'avait dit Chaoji avant ça continua de tourner dans sa tête, et elle commençait à se demander s'il n'y avait pas un fond de vérité… Dans le sens où le Comte aurait ordonné à ces Akuma la capture d'Allen… Elle secoua la tête. C'était grâce à lui qu'elle était devenue exorciste ! Elle ne laissera pas les Akuma profiter de la diminution de leur effectif !
- Krory ! appela-t-elle.
Ce dernier reçut un violent coup à la tête. Par chance, il était juste sonné. Mais à peine avait-il reprit ses esprits qu'il se rua vers son adversaire. Plus loin, Chaoji encaissa un mauvais coup, et tomba inconscient au sol. Plus près d'elle, Lavi avait fini par vaincre l'un des Akuma qui l'avait pris en chasse et luttait du mieux qu'il pu contre l'autre. Mais il était fatigué, et tant que son adversaire serait toujours là, il ne viendra pas reprendre des forces près d'elle.
Miranda chercha Lenalee. Elle l'aperçut rapidement au loin. Bien que blessée, elle se battait vaillamment.
Lenalee atterrit lourdement au sol. Elle était épuisée et les Akuma n'en finissaient pas. Avant que l'un d'entre eux n'abatte son bras sur elle, la jeune exorciste esquiva avec souplesse. Mais, au moment où elle se redressa, elle fut attaquée par derrière. Le coup fut si violent qu'elle fut projetée sur plusieurs mètres.
La jeune fille se redressa sur ses coudes et chercha l'Akuma qui l'avait pris par surprise. Son cœur fit un bond. Un niveau 4 s'approchait d'elle. Sur ses gardes, elle se releva tentant de trouver la meilleure stratégie. Ces Akuma étaient très puissants et en affronter un seul relevait de l'impossible.
- Dis, tu sais où est le Quatorzième ? demanda l'Akuma d'une voix enfantine.
Lenalee se figea. Alors… Ils étaient vraiment à la recherche d'Allen ! Elle serra ses poings. Elle ne laissera aucun Akuma et certainement pas les Noahs ou encore le Comte Millénaire toucher à un seul de ses cheveux. Elle avait déjà failli le perdre une fois. A cause d'elle ! Parce que Summan avait été changé en Rejeté, elle avait supplié Allen de le sauver ! Ca ne recommencerait pas ! Cette fois, elle s'assurerait que personne ne s'approche de lui, que personne ne lui fasse du mal… Que personne ne le lui arrache…
Comme animée par une nouvelle force, l'exorciste fonça sur l'Akuma afin de lui asséner un puissant revers du talon. Sa tentative fut stoppée. Nette. Son adversaire avait bloqué son pied et, en riant, la projeta contre un pilier, qui céda sous le choc.
Lenalee tenta de se redresser, son flanc la faisant incroyablement souffrir. Le niveau 4 fondit sur elle et la bloqua au sol d'une seule main. La pression était telle qu'elle ne pouvait plus respirer. La jeune fille tenta de se débattre pour se dégager. Elle frappa avec ses mains et ses pieds, mais c'était comme si l'Akuma ne sentait rien.
- Tu veux jouer ? Si je gagne, tu me dis où est le Quatorzième.
Le niveau 4 accentua davantage sa prise. Lenalee eut comme un goût métallique dans la bouche. Un filet de sang s'échappa de ses lèvres. Elle sentit ses forces se réduire, comme si elles disparaissaient. Le monde commença à tourner. Elle n'avait plus d'air… Allait-elle mourir ici ? Cet Akuma allait-il la tuer ? A cet instant, le souvenir de son ami lui affichant un doux sourire refit surface dans sa mémoire.
- Allen… murmura-t-elle avec tout ce qu'il lui restait de force.
Une éclatante lumière blanche vint l'envelopper. La pression effectuée sur sa poitrine s'évanouit. Elle se sentit comme tirée en arrière. On la tenait solidement. C'était chaud. La jeune fille tourna doucement la tête. Une bouche remua. Une voix s'éleva de ces lèvres. Elle était douce, mais elle ne compris pas sa mélodie. Les ténèbres finirent par l'engloutir dans l'inconscience.
