Les mains de Christophe sont attachées derrière son dos par de la corde. Des fibres cisaillent la chair tendre de ses poignets. Du sang goutte le long de ses doigts et forme une flaque sur le sol à côté de ses pieds.
Quarante autres enfants frissonnent en rang à ses côtés. La plupart d'entre eux pleurent.
Le gamin blond situé deux personnes avant Christophe ne dit rien, ne fait que regarder droit devant lui. Christophe ne sait pas ce qu'il a qui le fait ressortir du reste — peut-être que c'est le fait qu'il ne semble pas affecté par l'enfer tout autour d'eux.
Christophe regarde par terre.
Un énorme feu de joie craque et crache des flammes oranges, allumant le ciel étoilé avant de disparaître. De la fumée brûle son nez, tachant ses habits déchirés et éclaboussés de boue.
Christophe a six ans.
Le bruit sourd de pas atteind ses oreilles, et il lève les yeux. Un homme en costume-cravate s'avance dans la clairière et s'arrête à côté du feu. Il est entouré par une dizaine de gardes, comme si les enfants pouvaient le blesser de quelque manière que ce soit. Ces gardes rejoignent les autres hommes armés déjà dans la clairière.
Ça fait une heure que Christophe attend dans le froid. Le feu n'a pas soulagé son frémissement. Il n'a pas mangé depuis des jours, et il n'a pas dormi depuis encore plus longtemps. Il n'a pas vraiment grand-chose à foutre de ce que l'homme en costume a à dire, il veut juste qu'il en finisse afin que tout cela puisse se terminer d'une façon ou d'une autre.
« Si vous êtes présents ici, » dit l'homme en costume après quelques secondes de considération, « c'est parce que vos parents vous ont vendus en l'échange de deux millions de dollars. »
Christophe s'en doutait. Sa mère et son père ont acheté une nouvelle maison juste avant que ces types le kidnappent et le fourrent lui et Owen dans un avion, puis dans un train avec tous les autres enfants pathétiques. Ils vivaient dans une misère noire en France ces dernières années, depuis que sa mère avait perdu au jeu leurs dernières économies.
Alors ils ont fini par vendre leurs propres fils.
« Nous sommes ici pour vous entraîner, » continue l'homme en costume, « à un travail trés spécifique. Nous vous entraînerons dans une école spéciale, afin que vous puissiez nous aider quand nous aurons besoin de vous. »
Ça a l'air mieux que chercher son petit déjeuner au fond d'une poubelle, mais après avoir été trimballé ces derniers jours, Christophe n'est pas près de baisser la guarde. Il jette un coup d'oeil au bout du rang pour voir comment Owen tient le coup. Son frère jumeau se contente d'entourer ses bras autour de son torse et de trembler. Il a toujours été le plus fragile, Christophe devait toujours veiller sur lui.
« Malheureusement— » L'homme s'interrompt et prend une seconde le temps d'examiner chacun des enfants. « Nous n'avons besoin que de dix d'entre vous. Les trente autres nous sont inutiles. Nous allons décider maintenant lesquels nous allons garder. »
« Comment— » commence un petit garçon. Les soldats se tournent vers lui et le petit garçon se fige.
« Abrutis, » marmonne une fille hispanique quelques personnes après Christophe. « Pourquoi ils en ont acheté quarante alors qu'ils n'avaient besoin que de dix d'entre nous? »
L'homme au costume l'entend. « Les trente autres serviront d'exemple, » dit-il.
« ¿Para qué? » crache la petite fille.
Tout au bout de la ligne, environ 5 enfants avant Christophe, se trouve une petite fille dans une robe décorée de tournesols et pourvue de couettes blondes et miteuses. Des larmes coulent le long de ses joues. Elle tremble.
L'homme au costume s'accroupit devant elle. « Comment tu t'appelles, ma puce? » demande-t-il.
« Mandy, » répond-elle en chuchotant. « Je veux ma maman. Je la veux. Je la veux vr— »
L'homme secoue la tête. « Boulet, » annonce-t-il à un soldat.
Tous les enfants entendent le soldat saisir la petite fille et la traîner jusque dans l'obscurité au-delà du feu. Tous entendent le son d'une lame (« shink! ») trancher la chair. Et Mandy ne dit plus rien, puis le soldat revient dans la clairière couvert de sang.
Le petit garçon suivant au bout du rang commence à sangloter. Il est américain. Il supplie, « Mon Dieu, je t'en prie, Dieu, pardon, ne le laisse pas me faire du mal. »
L'homme en costume secoue la tête. « Boulet aussi. »
Il n'y a aucun « élu » jusqu'à ce qu'ils arrivent au petit garçon deux enfants avant Christophe, le petit blond qui n'a pas cessé de regarder droit devant lui tout ce temps. Tous les enfants tremblent à présent, mais ils n'osent pas s'enfuir — dés que l'un d'entre eux fait mine de bouger, les soldats avancent d'un pas, leurs armes prêtes à faire feu.
« Comment tu t'appelles? » demande Costard-cravate.
« Gregory. » Le petit blond le fixe droit dans les yeux. Il a un accent anglais et des yeux bleus foncé. Putain d'anglishe.
« Je vois, » dit l'homme au costume. « Et que penses-tu de tout ça, Gregory? » Il s'accroupit en face de lui, si proche que leurs nez se touchent presque.
Gregory ne cille pas. « Je pense qu'il doit y avoir un moyen plus efficace de faire ça. »
L'homme en costume se met à rire. Il se tourne vers ses soldats. « Celui-là on le garde, c'est sûr! »
Le petit garçon à côté de Christophe se met à hurler et supplie son Dieu de lui venir en aide. Ils ne prennent même pas la peine de l'entraîner ailleurs. Ils le poignardent simplement juste à côté de Christophe. Du sang éclabousse les vêtements de Christophe. Les supplications du petit garçon résonnent dans ses oreilles. C'est la première fois que le sang de quelqu'un d'autre le touche (ce ne sera pas la dernière).
L'homme au costume se plante devant lui et ouvre la bouche pour parler.
Christophe tremble de peur et de colère et d'horreur, mais il parvient à cracher sur le visage de l'homme. Le temps d'une seconde, aucun des deux ne bouge. Puis l'homme essuie le crachat d'un revers de sa manche et fixe Christophe, plus qu'un peu surpris.
« Espèce d'enculé, » gronde Christophe, son anglais marqué par un lourd accent français. « Va crever en enfer, enfoiré! »
Costard-cravate rit une nouvelle fois. Christophe est labellé « élu ». Ce n'est pas le cas de la frêle fillette asiatique juste après lui. Elle supplie dans une langue que Christophe ne comprend pas.
Ils supplient tous. A la fin, seuls ceux qui ne supplient pas s'en sortent. Il n'y a pas la parité — huit garçons et deux filles sont laissés en vie — mais ça n'a aucune importance, parce qu'Owen ne fait pas partie des survivants.
C'est cette nuit-là que Christophe décide que Dieu est une salope.
L'alarme se déclenche au moment exact où je tourne le bouton sur le troisième chiffre de la combinaison. Mes mains gantées saisissent la poignée et je la tire violemment. La porte du coffre-fort grince puis s'ouvre. Les alarmes m'agacent. Elles sont bruyantes et ne ferment jamais leur putain de gueule.
Je me demande si l'alarme s'est déclenchée parce qu'une personne non autorisée a touché le coffre (i.e., moi), ou parce que quelqu'un dans la salle de surveillance a vu un adolescent random couvert de boue, portant une pelle accrochée dans son dos et un rouleau de corde autour de son bras droit.
J'imagine que peu d'adolescents random passent leur temps libre dans les couloirs du manoir du Super Adventure Club.
Je fouille à l'intérieur du coffre et en retire la liasse de dossiers. Il y a au moins trois douzaines d'intercalaires. Je sais ce qu'ils sont censés contenir mais je les feuillette juste pour m'assurer, frissonant devant les photographies d'enfants souriants. Des gamins du Zimbabwe dans un dossier, des phillipins dans un autre, du bush australien dans un troisième — chaque enfant a une liste d'informations à côté de sa photo.
Putain de pédos. Je glisse les dossiers sous mon T-shirt et tire sur ma cigarette. L'alarme beugle toujours, mais vu que personne n'est encore là… Ils sont sûrement en train de trembler dans leurs lits comme les saletés de tapettes qu'ils sont.
Puis, j'entends les aboiements.
Je relève brusquement la tête. Ma main se pose sur le manche en bois de ma pelle.
Putain de chiens! Putain, je déteste les chiens de guarde!
Je sprinte. Ma pelle bute contre mon dos pendant que je cours. De l'adrénaline jailli dans mes veines et mes sens s'exacerbent à l'infini. J'absorbe tout autour de moi à un million de kilomètres/heures — les halètements rauques des chiens de guarde derrière moi… le claquement du carrelage contre mes bottes de combat… les sirènes de la police à moins d'un kilomètre.
Un chien se jette sur ma jambe. Merde! Merde! Un autre mord mon pied. Putain! Je retire ma pelle des liens qui la retiennent contre mon dos et abat la partie en métal contre sa tête. Un crac! satisfaisant résonne dans le couloir.
Ma main gauche tient les dossiers sous mon T-shirt. La droite fait tournoyer ma pelle alors que je lutte contre la dizaine de chiens autour de moi. Ma cigarette tombe de ma bouche à un moment pendant la bataille, mais je me penche, la ramasse et la coince entre mes lèvres sans casser le rythme. Du sang dégouline le long de mes jambes et les canines des chiens déchirent mon pantalon et mon T-shirt vert.
J'abats leur leader et ils reculent. Je m'appuie contre le mur, luttant pour retrouver mon souffle, surveillant la demi-douzaine de clébards restante avec des yeux plissés et menaçants. Il m'entourent en grognant, mais ils n'attaquent pas, du moins pas tout de suite.
Puis la police déboule dans le couloir, me hurlant de mettre les mains en l'air.
« Monsieur— »
« Dupont. » C'est un mensonge, bien sûr, mais ça sonne assez cliché pour qu'il arrête de me soûler.
« Monsieur Dupont. D'accord. » L'officier ajuste le dossier sur la table en face de moi. Je tire une latte sur ma cigarette. Je ne sais pas si j'ai le droit de fumer au beau milieu d'un commissariat de police, mais ils ne m'ont pas encore dit d'arrêter alors je m'en fous.
« Nous voulons juste savoir ce que vous faisiez dans le quartier général du Super Adventure Club. »
J'emets un grognement frustré. « Je me battais contre des chiens de garde, ça se voyait pas? »
Il me fixe le temps de quelques secondes. « Vous savez bien que c'est une propriété privée, n'est-ce pas? »
« Je m'en bats les couilles que ce soit leur propriété privée. Ça ne change rien au fait que je me battais contre les chiens de garde. Toute la propriété privée du monde ne pourra pas changer ça. »
Il laisse passer quelques secondes. « D'accord, Mr. Dupont. Pourquoi étiez-vous là-bas? »
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Je hausse les épaules.
Il essaye de croiser mon regard mais je me concentre sur son front. « Mr. Dupont, vous avez quoi, quinze, seize— »
« Dix-sept ans. »
« C'est ça. Dix-sept ans. Où sont vos parents? Je suis sûr qu'ils doivent s'inquiéter— »
Je laisse échapper un rire bref. « Croyez-moi, Monsieur l'Officier, je suis certain que ma mère se porte trés bien. Bon. Vous avez toujours les trucs que vous m'avez confisqués quand vous m'avez capturé, oui? Je peux vous expliquer ce que je fabriquais là-bas si vous me les ammenez. »
Il est tellement content de m'avoir arraché une réaction positive qu'il ne met même pas en doute l'intelligence de ses actes. Il demande à ce qu'on apporte mes affaires, et quelques minutes plus tard un autre officier de police arrive avec ma corde, ma pelle, et les dossiers que j'avais cachés sous mon T-shirt. Oui. Il les jette sur la table et sort de la salle d'interrogatoire.
« Eh bien? » dit le policier avec impatience.
« Tu vas voir, » dis-je, avant de le frapper à la tête avec ma pelle.
Il perd connaissance et s'écrase au sol. « Prends ça, salope, » dis-je en marmonnant. J'enroule la corde autour de mon épaule et de mon bras et brise la vitre qui donne dans le couloir principal à l'aide de ma pelle.
Je laisse les dossiers sur la table. C'est assez de preuves à conviction pour faire fermer boutique au Super Adventure Club pour un bon bout de temps, et de toute façon c'est tout ce que veut ma cliente (Akna de son prénom).
Les policiers crient lorsque je saute dans le couloir du commissariat. Je fais tournoyer ma pelle en me dirigeant vers la sortie.
Une fois que je suis sorti dans la rue, je me jette dans une allée. Bien entendu ils me poursuivent, mais je me mets à courir dans le labyrinthe de ruelles que renferme Vancouver, Canada. Trois flics crient et me courent après tout en m'ordonnant de m'arrêter.
Oui, pauvres cons, parce que ça fonctionne toujours.
Je m'élance dans un parc en cherchant mon souffle. Les policiers ne sont qu'à quelques dizaines de mètres derrière moi. Mes bottes soulèvent de la boue noire. Je me jette derrière un arbre et arrache ma pelle de mon dos. Je l'enfonce dans la terre sous mes pieds.
Creuser est l'unique chose qui fait prendre conscience aux autres qu'il y a quelque chose de surnaturel en moi. La vitesse brouille mes bras. Une lueur blanche apparaît autour de moi alors que je travaille. Chaque centimètre de mon corps fredonne. En moins d'une seconde, j'ai déjà creusé un trou profond de 3 mètres.
« Nom de Dieu! » J'entends l'un des officiers crier, mais le temps que les mots sortent de sa bouche j'ai déjà commencé le tunnel, en me dirigeant vers l'ouest. « C'est quoi ce bordel— »
Une balle de pistolet passe au-dessus de ma tête. Mon tunnel fait 6 mètres de longueur maintenant. Je prends une seconde pour tasser la terre au-dessus de moi.
Les ténèbres m'engloutissent. Le silence m'envahit. La terre recouvre mes bras, mes jambes et mes vêtements. Seul. C'est trop beau.
Mes muscles tendus, mes poumons réclamant de l'air à grands cris, parvenant à peine à en trouver assez dans cette terre remplie de produits chimiques… Je commence à creuser.
Je retrouve mon sac-à-dos à l'endroit où je l'ai laissé, c'est-à-dire à environ deux kilomètres du manoir du Super Adventure Club. Je farfouille dedans pour m'assurer que rien ne manque. Mon ordinateur portable, le chargeur, et le localiseur satellite portable sont à leur place. J'ai une demi-douzaine de plans différents fourrés dans la poche de devant. Mon kit de premiers secours est pratiquement vide, mais il était déjà comme ça lorsque je l'ai laissé la nuit dernière. Quelques paquets de cigarettes se cachent au fond du sac, et j'en retire un.
La poche de devant contient également soixante-douze dollars, la plupart en billets de un. C'est tout. J'ai soixante-douze dollars pour me rendre jusqu'à la réserve de Mme Akna en Alaska. Ainsi elle me paiera les cinq cents dollars promis, ce qui est assez pour vivre un peu plus d'un mois. Ça ne coûterait pas une fortune si je n'avais pas autant de putain de frais à essayer de couvrir mes traces. La dernière chose que je souhaite, c'est qu'un connard random prenne ma photo, la foute partout sur Internet, et que les types de Yardale me capturent comme ils essayent désespérément de le faire depuis dix ans. Après que Mme Akna m'aura donné mon fric… Eh bien, j'ai à peu près deux cents requêtes qui m'attendent dans ma boîte mail pro. Je sélectionnerai un autre job, repérerai la cible/tache/peu importe, et je passerai à l'action. Alors j'aurai assez d'argent pour survivre le temps de quelques mois.
Ça me paraît être un super plan.
Je hisse mon sac sur mes épaules et retourne vers Vancouver.
Ma photo est placardée sur un millier de panneaux d'affichage. Ma trogne grincheuse me rend mon regard depuis chaque panneau, chaque cabine téléphonique, chaque centimètre carré de la ville.
Une fois que je sors des ruelles pour me diriger vers l'arrêt de bus, seize personnes me reconnaissent dans l'intervalle de neuf secondes que je prends pour réaliser que putain de merde, je suis partout.
Je ne sais pas quand ils ont pris ma photo ou comment ils ont réussi à la coller sur tous les espaces libres de Vancouver dans les trois heures qu'il m'a fallu pour creuser du parc jusqu'à mon sac, ré-emprunter mon tunnel dans l'autre sens, et retrouver mon chemin parmi les rues presque désertes. Mes délits sont écrits en travers de ma photo. Tout ce que les autorités locales savent de moi, c'est que j'ai enfreint une propriété privée. Ils n'ont aucun moyen d'être au courant des vols, assassinats, ou autres passages à tabac dont je gratifie des seigneurs du crimes régulièrement (quand on m'engage pour).
Quelqu'un de Yardale a du me voir au commissariat. Peut-être que la police de Vancouver a posté une annonce pour voir si quelqu'un savait qui j'étais. Je sais que Gregory est toujours à ma recherche, et il se pourrait qu'il soit aidé par Maria et Chase. Ils se seraient mis en chasse dés l'instant où ils auraient vu ma photo.
Ils remueraient ciel et terre pour un seul indice sur ma piste.
Je saute dans une allée. Pour la deuxième fois dans les douze dernières heures les sirènes de la police hurlent dans mes oreilles. Le parc est à un kilomètre de distance ; trop loin pour un sprint. Je m'enfonce dans l'allée.
« Stop! »
Je me retourne pour apercevoir un groupe d'enculés de Canadiens en train de pointer des putain de mitraillettes dans ma direction.
« Mets les mains en l'air! »
Je fais volte-face et me met à courir. Des balles jaillissent de derrière moi. Quelque chose percute ma jambe droite, mais la panique m'a déjà submergé et anesthésie la douleur. Je glisse dans l'ombre, ma respiration gonfle et dégonfle mes poumons, chaque inspiration est une lutte. Je me tapis derrière une benne à ordures. Les policiers la dépassent en courant en criant « Il est passé où? »
« Putain… d'enculés, » je grince dans le vide.
Je serre ma jambe blessée. Du sang tache mon pantalon déchiré et coule entre mes doigts.
Je jure dans cinq langues différentes en tirant mon kit de premiers secours de mon sac. Mes doigts tremblent mais je serre les dents et enroule une bande de gaze autour de la blessure. Ça fait toujours un mal de chien mais je n'ai pas d'autre choix. Je peux rester ici et attendre de me faire capturer et renvoyer à Yardale, ou je peux fuir.
Je n'ai jamais été le genre à abandonner. Viva la Résistance, n'est-ce pas?
Je me remets debout et commence à me traîner le long de l'allée. J'utilise ma pelle comme béquille. Elle fait clang, clang, clang en butant contre les pavés.
Une gare apparaît devant moi. Putain, yes. Je ramène mes cheveux au niveau de mes yeux dans une tentative de dissimuler mon apparence. Pas besoin pourtant — le mec qui vend les tickets est complètement défoncé.
J'achète un ticket pour le prochain train et parvient à peine à me hisser à bord à temps. Je me laisse tomber dans l'un des sièges et appuie ma tête contre le mur. Je crois que je suis en route pour Denver, bien que je n'en sois pas certain.
Un sourire fait son apparition. Denver. Colorado. South Park.
Ça faisait longtemps que j'étais pas « rentré ».
Ma jambe me fait super mal. L'hémorragie s'est majoritairement arrêtée, bien que toutes les cinq minutes ma blessure suinte une tache visqueuse écarlate sur la gaze. Je dois extraire la balle, mais je ne peux pas le faire dans le train.
Je déplace ma pelle contre mon ventre afin que je puisse m'allonger, puis ferme les yeux. Ce serait extrémement dangereux de s'endormir maintenant. N'importe qui peut me voir et me reconnaître. Gregory pourrait être en train de remonter ma trace jusqu'à ce train à l'instant même.
Ah, merde. Je suis fatigué. Là, tout de suite, j'en ai rien à cirer.
Je m'extrais du train aux alentours de cinq heures de l'après-midi. Le ciel crépusculaire s'étend autour de moi. Il neige. Il neige toujours dans le Colorado. Je frissonne dans mon T-shirt fin et mon pantalon déchiré.
Je me traîne juste que dans la prochaine allée, me cache derrière une benne, et me mets à extraire la balle de ma jambe à l'aide de mon couteau de poche. Pour information, je ne crie que deux fois.
Du sang jaillit autour de mes doigts. La panique tord mes entrailles. Je plaque encore plus de couches de gaze sur la blessure. L'énergie s'écoule de mon corps. Je ferme les yeux.
Du manière ou d'une autre, l'hémorragie s'arrête, et je reste là au beau milieu de Denver, Colorado, avec plus que deux paquets de cigarettes.
Je fume quatre cigarettes pendant que je reste assis là, trop crevé pour bouger mon cul. Puis, il recommence à neiger. Merde! On est en septembre! Merde!
Des bruits de pas résonnent dans l'allée.
J'ouvre les yeux. Un adolescent d'à peu près mon âge me rend mon regard. Je peux dire même en étant assis qu'il est bien plus grand que moi, bien que plus maigre. Ses cheveux et ses habits sont noirs. Il tire sur une cigarette et souffle sa fumée directement dans mon visage.
Je le regarde avec des yeux plissés et méfiants, tire la dernière cigarette de mon paquet, et galère pour l'allumer avec des doigts tremblants. Je devrais probablement manger quelque chose, mais je n'ai pas de bouffe sur moi, ni la volonté d'aller en acheter.
« Il me semblait bien que j'en avais senti un autre, » dit-il d'une voix nonchalante. « Mais je ne m'étais pas rendu compte que tu étais aussi blessé. Ou un gamin. »
Mes yeux s'écarquillent, puis se plissent de nouveau. Je serre les dents et le fusille du regard. « Qu'est-ce que tu m'veux, pédé? »
Il sourit sarcastiquement. « Rien de particulier. Enfin, j'allais te tuer, mais vu que je doute que tu sois un Ange, je crois que je vais plutôt te laisser à tes blessures. »
« Un Ange? Qu'est-ce qui t'as fais penser que j'étais un Ange? »
Il lève les yeux au ciel. « T'es pas trés doué pour contenir ta magie, tu sais. Si tu veux me faire avaler des conneries, va falloir que tu trouves un meilleur mensonge que ça. »
Je digère ce qu'il vient de dire le temps de quelques secondes, puis, « Je ne la contiens pas bien? »
Il secoue la tête avec un sourire moqueur. « Et non. Je peux te sentir à deux kilomètres à la ronde. Ici c'est mon territoire au fait, et j'apprécie pas de voir des étrangers s'y balader. »
« Toutes mes excuses, » je marmonne dans ma barbe. La foutue cigarette refuse de s'allumer. Alors comme ça, je ne réprime pas bien ma magie. Pas étonnant que Gregory ait réussi à suivre ma trace ces dix dernières années.
« T'es quoi, toi, alors? Parce que je ne sens aucune magie émaner de toi. »
« Contrairement à toi, je peux assez bien la contenir. »
« Suce ma bite. »
« Je ne m'intéresse pas aux nains. »
Je le fusille du regard. Son sourire s'élargit.
« Bon, t'es quoi du coup? Tu peux pas être un Ange, à moins qu'ils aient spontanément commencé à produire du sang rouge à la place du bleu. Mais t'as exactement la même odeur. »
Je grogne. « Putain de saleté d'enfoiré qui m'a donné cette putain de connasse de magie de merde! » Ma blessure me fait un mal de chien. « Merde, merde, merde, merde, MERDE! » Le dernier juron se change en cri et je grogne de douleur avant de réussir à la ravaler.
« Tu veux dire Dieu. » Ses sourcils se soulèvent.
« Ouais, je veux dire cet enculé. »
La cigarette glisse de mes doigts. J'essaye de la ramasser avec des doigts tremblants, mais l'adolescent devant moi soupire, la ramasse et sort son propre briquet pour l'allumer.
« Tiens. » Il me l'insère entre les lèvres. Pour une raison inconnue, je rougis violemment.
Je frissonne incontrôlablement en fumant. L'adolescent se contente de me regarder le temps de quelques secondes.
« T'es quoi alors? »
« Va te faire foutre, » dis-je encore. Je tire une longue latte et m'adosse au mur. Je sais que je suis probablement en train de foutre mes poumons en l'air en fumant la moitié d'un paquet en moins d'une heure, mais j'ai toujours été sûr que même si je finis vraiment par choper un cancer du poumon, il est bien plus probable que les putes de Yardale me plantent une hache à travers la tête.
« T'es pas un Ange parce que ton sang est rouge. Mais il se trouve que tu as aussi une énorme quantité de magie divine, ce qui signifie que tu dois d'une manière ou d'une autre être un agent de Dieu. »
« Je ne travaille pas pour cette salope! » Je me redresse et lui lance un regard noir. « Jamais et pour toujours! »
« Ce qui expliquerait pourquoi tu n'utilises pas ta magie pour guérir ta blessure. » Il ignore ma colère. Ouais, ça, et puis j'ai aucune idée de comment l'utiliser.
« J'ai déjà connu pire. C'est juste ma jambe. »
« T'es toujours en train de saigner pourtant. »
« Qu'est-ce que tu veux, suppôt de Satan? » je crache.
Il hausse un sourcil, mais ne fait aucun commentaire sur mon accusation. C'était pas tellement difficile à deviner. Il parle de Dieu avec indifférence, mais il dit avoir aussi des pouvoirs. Il n'y a qu'un seul autre endroit où il aurait pu en acquérir. Je me demande vaguement s'il est un démon, ou quelque chose de bien pire.
« Je suis assez curieux. D'habitude quand je rencontre des suppôts de Dieu, je les tue. Mais tu viens d'en haut, et tu n'en es pas. T'es qui alors? »
« Je suis humain. » Je me rallonge contre le mur. La fatigue et le choc de l'hémorragie me terrassent et ma vision se brouille. Le gel s'accroche à mes jambes et les flocons de neige s'empilent sur mes vêtements et recouvrent mes bras nus.
« Dégage, enculé. » Je marmonne.
« Oh, t'es sur le point de t'évanouir, c'est ça? » Grogne-t-il.
Ça me fait vraiment chier de lui donner raison.
L'histoire originale, c'est lizoftheinfinite!
Bisous à tous!
