Yo ! Plutôt que de décider de travailler, j'ai décidé de pondre le petit texte que voilà (refusons les normes tyranniques de notre société capitaliste et méritocratique, et écrivons des fanfics - j'ai dit). Comme d'habitude, tout est à Tolkien, jusqu'au plus petit cheveu du plus petit elfe qui soit, et je m'incline. Les extrapolations émotionnelles qui s'ensuivent, en revanche, ne sortent que de mon esprit.
Encore une fois, vu que tout se passe en plein milieu du Silmarillion et que je fais allusion à des évènements sans forcément les citer, il vaut mieux avoir en tête la structure générale du roman, et aimer tout particulièrement entendre parler des fils de Fëanor. Mais comme Caranthir n'est pas celui qui s'amuse le plus à remuer l'air autour de lui et que c'est de lui dont il va être question ici, je vous fais une petite chronologie : comme ses frères, Caranthir prête serment et passe la mer avec Papa Fëanor (en se paumant entre deux sur l'océan - sérieusement, qui prend des années à traverser une mer ? Ils avaient perdu le gouvernail ?). Après l'arrivée de Fingolfin, il s'insurge et exprime toute sa colère à l'égard de la politique un peu anti-Noldor de Thingol, et en profite pour envoyer balader ses cousins, ce qui pousse sa fratrie à s'expatrier un peu plus loin pour éviter les conflits. Quelques temps plus tard, entre deux rencontres avec les Nains qui habitent à côté de chez lui, Caranthir découvre qu'une troupe d'humains est passée sur ses terres et s'y fait attaquer : ce sont les Haladin, menés par Haleth. Caranthir les sauve, et propose un peu tard à Haleth de lui donner des terres et d'assurer sa protection, mais Haleth, qui est plus fière qu'un fils de Fëanor, préfère guider son peuple plus loin. Encore plus tard, alors que son frère Maedhros tente d'unir à peu près tout le Beleriand (haha), il contracte des alliances avec des Orientaux, mais certains se révèlent malheureusement être des traîtres et la bataille de Nirnaeth Arnoediad finit par être un massacre notamment à cause d'eux. Vaincus, les elfes et humains en général et les fils de Fëanor en particulier sont obligés de fuir. Nous en sommes à ce stade du récit.
Et comme toujours, les points virgules ne passent pas, je les remplace par des tirets, et je hais ma vie. Voilà.
J'ai écouté en boucle la musique d'Artesia, Lying on the Grey Foam pendant que j'écrivais, et elle me semble résumer l'état d'expression impossible des sentiments dont parle le récit qui suit, donc je vous la conseille. En plus, c'est joli :)
Sinon, hum, ça n'est pas toujours rigolo, mais on arrive à y mettre quelques touches d'humour. Bonne lecture !
Impossibles secrets
« Caranthir ne va pas bien, déclara un jour Maedhros. »
Les sept frères s'étaient réunis non loin du Gelion, et la masse bouillonnante de leurs sujets étalaient ses tentes à perte de vue dans la plaine. Ce n'était pas qu'ils avaient particulièrement envie de se voir, ou que l'instant était heureux : non, s'ils se retrouvaient aujourd'hui, entourés de tout leur peuple, c'était que leurs forteresses avaient été prises, et que la guerre avait échoué.
Alors ils fuyaient, comme ils pouvaient, et ils recherchaient de nouveau un endroit où vivre.
« Caranthir ne va jamais bien, répondit Maglor d'un air évident. »
Maglor n'avait pas tout à fait tort. Tous les fils de Fëanor possédaient un caractère bien trempé, ainsi qu'une fierté à toute épreuve, mais Caranthir, l'irascible Caranthir, le sombre Caranthir, n'avait jamais été content. D'aussi loin que Maedhros se souvenait – et sa mémoire présentait peu de failles – Caranthir avait toujours été grincheux et insatisfait. Enfant, il se plaignait toujours, et refusait de quitter sa mère sans déclencher un véritable scandale. Leur mère avait ainsi passé bien plus de temps auprès de lui qu'auprès de ses autres fils, et Celegorm s'en était plaint à son tour, décidant de vouer à son cadet une inimitié qui n'avait jamais été véritablement résolue. Avec l'âge, Caranthir avait cessé de grogner, et s'était vite tu – mais il n'avait jamais perdu son air lugubre. Attentif à ces changements, Maedhros avait souvent cherché à le dérider, ou à lui faire changer d'air : il l'avait emmené avec lui loin des tours de Tirion, il l'avait présenté à ses propres amis, il s'était même ridiculisé, et lui avait raconté mille incartades qu'il avait pu lui-même commettre dans son enfance. Parfois, Caranthir avait souri, et un jour, il avait même ri – mais son humeur générale en était restée inchangée, et son frère aîné avait cessé de veiller sur lui.
Leur arrivée en Beleriand n'avait strictement rien changé à son comportement. De tous ses fils, Caranthir était celui dont Fëanor s'était le moins occupé. Maedhros, en qualité de premier fils, avait eu droit à beaucoup d'attention. Maglor avait révélé très tôt son talent de musicien, et Fëanor lui-même possédait trop de sensibilité pour en faire abstraction. Celegorm – eh bien, c'était Celegorm : personne ne pouvait réellement l'ignorer lorsqu'il décidait de se faire entendre. Curufin, bien sûr, avait été l'enfant préféré de Fëanor : partout où le père allait, le fils le suivait, et ils avaient passé plus de temps ensemble que Nerdanel n'en avait passé avec son mari. Mêmes les jumeaux, les deux petits derniers, Fëanor s'en était grandement souciés. Maedhros avait bien pu expliquer de toutes les manières possibles à Caranthir que les jumeaux n'avaient pas eu une enfance particulièrement heureuse, et que Fëanor ne s'en était occupés que par crainte de les voir s'éloigner de lui comme Nerdanel s'éloignait de leur famille, mais Caranthir n'avait rien voulu entendre, et s'était muré derrière son silence et son ressentiment. Maedhros le comprenait, cependant. Fëanor n'était pas un mauvais père, et il les aimait tous tendrement - mais il portait beaucoup trop d'attention à la distinction et au talent, et Caranthir n'avait jamais semblé briller aux yeux de son père. Ainsi Caranthir s'était-il fait secret, et devant les joyeux scandales de Celegorm, les mains merveilleuses de Curufin et la voix superbe de Maglor, il s'était fermé, et n'avait plus jamais rien dit.
Et puis Morgoth était apparu.
En vérité, Maedhros savait pourquoi Caranthir avait suivi chacune des décisions de leur père à la lettre, jusqu'à ranimer de vieilles querelles et les aliéner d'une partie de leur famille. Ils avaient tous prêtés serment par amour et par loyauté – mais si Caranthir s'était montré aussi vindicatif, c'était parce qu'il avait enfin trouvé un usage à toute cette colère qui l'habitait, et qu'en obéissant si bien à son père, il allait peut-être trouver un moyen de le forcer à le regarder.
L'attention que Fëanor lui avait porté n'avait pas beaucoup changé. Leur père était mort dans un dernier soupir de fureur, et depuis lors, chacun d'entre eux vivait comme il le pouvait. Maedhros avait su, pendant un temps, oublier son spectre et prendre ses propres décisions. Ses cadets n'avaient jamais réussi à se défaire de son emprise.
Ainsi, que Caranthir fût d'humeur sombre ne surprenait personne. Il allait et venait silencieusement, le visage fermé, le regard noir, avec ces mouvements de cape qui giflaient brusquement l'air, et tout le monde s'écartait sur son passage. Ses talents d'intendant étaient pourtant exceptionnels, et Maedhros se sentait rassuré de l'avoir à ses côtés – d'autant plus qu'ils conversaient avec les Nains plus que jamais : l'amitié de Curufin avec les fils d'Aulë et les liens que Caranthir avaient autrefois entretenus avec eux se révélaient alors essentiels. Mais sa nature ne s'en trouvait pas changée, et il persistait à être le plus inabordable de ses frères.
Que son état eût pu empirer inquiéta donc profondément son frère aîné.
Il était peut-être difficile de distinguer ses bons moments des mauvais, mais Maedhros le connaissait trop bien pour l'ignorer. Caranthir était peut-être distant et renfermé, mais il n'avait jamais refusé une discussion. Il ne parlait pas, et laissait ses émotions s'empiler dans dans sa poitrine, mais il n'avait pas pour autant l'habitude de rester seul, et ne refusait pas la compagnie des autres - et certainement pas celle de ses frères. Et pourtant le voilà qui ne se mêlait à eux que pour les affaires importantes, le voilà qui désertait les repas et ne prenait part aux chasses qu'à contrecœur ! Maglor semblait peut-être se désintéresser des états d'âme de son cadet, mais Maedhros ne pouvait ignorer cette inquiétude qui hantait ses journées et peuplait ses pensées de sombres idées.
« Tu as décidé de manger ta langue, petit frère, ou c'est par égard pour nous que tu as décidé de la boucler ? Demanda un jour un guilleret Celegorm en rentrant à moitié ensanglanté d'une chasse qui avait mal tourné. »
C'était la pire façon d'aborder Caranthir. Maedhros le lui avait bien fait remarquer mais il s'était également senti soulagé : si Celegorm lui-même saisissait que l'humeur de son frère avait changé, c'était que Caranthir avait réellement quelque chose à cacher.
Aussi Maedhros s'en alla-t-il à sa poursuite, avec la ferme intention de réussir à le faire parler.
« Ne me dis pas que tu es là pour me dire de ne plus répondre à Celegorm, grogna Caranthir en le voyant arriver. Je ne supporterai pas que tu joues de nouveau la nourrice avec moi. »
Maedhros haussa les sourcils.
« Bonsoir à toi aussi, mon frère, se contenta-t-il de déclarer. »
Caranthir lui jeta alors un regard noir, mais accepta silencieusement de reconnaître sa brusquerie, et le laissa s'installer à côté de lui. Il s'était assis sur un large et plat rocher qui surplombait une séries de petites cascades. Leur chant heureux se répandait jusqu'à leur camp - mais du camp, ils étaient bien loin, et personne ne pouvait les entendre.
Alors Maedhros déploya ses longues jambes par-dessus les rochers, et appuya son bras amputé sur le sol pour pouvoir se pencher en arrière et regarder les étoiles.
« C'est un bel endroit que tu as trouvé, Caranthir. Le ciel est fantastique, vu d'ici. »
D'ordinaire, Caranthir aurait répliqué. S'il détestait les critiques et les reproches, il appréciait encore moins les compliments, et trouvait toujours un moyen de pousser son interlocuteur à le laisser désespérément tranquille. Maedhros attendit donc, prêt à essuyer une vague de mauvaise humeur. Mais Caranthir ne répondit pas. Il resta silencieux – pire, il resta même immobile, et son regard ne quitta pas les éternelles chutes d'eau qui se déversaient à ses pieds.
« Mon frère, parle-moi, dit alors Maedhros d'une voix plus fébrile. »
Caranthir haussa un sourcil étonné vers lui.
« Et de quoi voudrais-tu que je te parle ?
- De ce qui pèse sur ton cœur depuis que nous sommes arrivés ici. »
Seul un sourire moqueur lui répondit, avant de disparaître. Le visage de Caranthir s'évanouit derrière la rangée sombre de ses cheveux.
« Je n'ai rien à te dire. Tu te fais des idées.
- À d'autres, répliqua aussitôt l'aîné.
- Maedhros, si j'avais envie que tu viennes régler mes problèmes chaque fois que j'en ai, je viendrais pleurnicher à tes pieds lors de tes séances de doléances, riposta le cadet avec morgue. »
Son ton hargneux jeta un froid désagréable sur la conversation, et même la nature sembla se taire. Sur l'autre rive, les arbres s'immobilisaient, et le vent ne soufflait plus.
« Tu as donc des problèmes, conclut Maedhros d'une voix douce mais non dénuée de satisfaction. »
Caranthir roula des yeux, et poussa un bruyant soupir, avant de détourner la tête. Ses cheveux noirs laissés libres se déployaient sur son dos rond en de gros bouillons d'obscurité, et Maedhros remarqua qu'il ne portait plus aucun signe distinctif. Il n'avait jamais été connu pour ses vêtements aux couleurs ravageuses – non, cela, c'était Celegorm – mais Caranthir avait tout de même conservé un certain amour pour l'élégance, avec sobriété, mais avec goût. Les yeux de son aîné glissèrent sur toute sa silhouette. Il ne bougeait pas, et il était trop buté pour se tourner vers lui, mais le bout de ses pieds remuait, et il contractait sa mâchoire avec beaucoup trop de force.
Alors Maedhros s'installa un peu mieux, et leva la tête vers les étoiles.
« J'espère que tu sais que tu n'as pas à craindre mon jugement, déclara-t-il. Tu es mon frère : je peux tout entendre de toi. »
Encore une fois, il ne reçut pas de réponse – mais il n'en attendait pas moins. Ses yeux se perdirent dans les firmaments de couleurs du ciel, et il laissa son esprit dériver au loin, sans toutefois oublier de veiller sur son petit frère. Forcer Caranthir à parler n'allait certainement pas fonctionner - mais lui laisser le temps de s'ouvrir à lui, cela, il pouvait le faire.
Et il attendit.
Il attendit longtemps.
« Je suis déjà venu ici, déclara enfin le cadet. »
Il avait si peu envie de parler que le fait de s'y résigner le rendait plus furieux encore. Ses joues se coloraient de colère, et il refusait de le regarder dans les yeux – mais enfin il parlait, et Maedhros se concentra aussitôt pour l'écouter.
« Je n'étais pas venu depuis longtemps, mais je n'ai rien oublié. »
Maedhros guetta la suite avec impatience, et mit à bon usage toute sa patience – mais Caranthir avait décidé de plus rien partager, et s'était de nouveau emmuré dans son silence.
« Aurais-tu de mauvais souvenirs liés à cet endroit ? Se risqua-t-il d'une voix douce. Nous pouvons partir, si tu le désires. »
L'idée réveilla aussitôt son frère.
« Non, je ne veux pas ! S'écria-t-il. »
Surpris, Maedhros haussa les sourcils.
« Nous sommes en sécurité ici, et la position stratégique est excellente, reprit Caranthir d'une voix plus mesurée. Se risquer à déplacer notre camp serait stupide et inconsidéré. »
Il s'était rendu compte de la brusquerie de sa réponse, et semblait vouloir se rattraper. Maedhros n'en fit aucun commentaire, mais il ne l'oublia pas, et son regard sur son cadet changea.
Il chercha longtemps la réponse sur son visage.
« Seraient-ce de bons souvenirs, alors ? Demanda-t-il avec prudence. »
Caranthir ne répondit pas, et garda le visage baissé, concentré sur les remous de l'eau et l'écume qui scintillait dans l'air. Il avait toujours cette détestable façon de se fermer à ceux qui l'entouraient, mais il ne put se cacher plus avant : car Maedhros vit le frisson qui le traversa, et la tristesse qui jaillit un instant de ses yeux.
Il ne put contenir l'élan d'émotion qui surgit alors en lui.
« Caranthir..., commença-t-il en déployant sa main unique vers lui. »
Mais son cadet le repoussa.
« Laisse-moi tranquille, proféra-t-il de sa voix la plus menaçante. »
Maedhros se replia aussitôt. Les grands airs de son frère ne l'impressionnaient point, et il ne reculait pas par peur – mais la fureur avec laquelle Caranthir s'efforçait de dissimuler ses sentiments et la violence avec laquelle il se défendait d'être compris le blessaient, et le contrariaient. Alors il se tut, résigné, et tourna sa tête de l'autre côté. Cela, Caranthir le vit, et sous son air ennuyé perça un peu de culpabilité.
« Je ne voulais pas dire ça, dit-il avec l'air de s'arracher les mots de la bouche. Je ne le pensais pas, d'accord ? »
Le regard de son aîné se posa sur lui sans plus de préambule, et le cadet se sentit rougir. Il ne pouvait pas décemment se mettre en colère contre Maedhros. Contre Celegorm, c'était facile : embêter tous ceux qui n'étaient pas lui ou Curufin semblait être le but ultime de son existence, et il s'y consacrait avec tant de soin que Caranthir ne cessait jamais de lui en vouloir. Mais Maedhros ne se moquait pas, Maedhros ne jugeait jamais, et Caranthir fit par déposer les armes avec un long soupir.
« C'est compliqué, avoua-t-il enfin. Je... Promets-moi de ne pas me poser de questions.
- Cela me semble difficile, vu l'état dans lequel tu es, répondit son aîné. »
Caranthir lui jeta son éternel regard noir.
« Je te promets de faire de mon mieux pour ne pas poser trop de questions. Cela te convient-il ? »
Caranthir roula des yeux, mais acquiesça.
Et puis le silence revint.
« Retarder l'explication ne va pas la rendre moins difficile, tu sais -
- C'est ici que je me suis marié, dit-il le plus vite possible. »
Ses joues s'étaient soudainement enflammées, et il eut besoin de rassembler son courage pour enfin lever les yeux vers son frère. La stupéfaction avec laquelle ce dernier le dévisageait le fit rougir plus encore.
« Que – tu es marié ?
- Tu as promis de ne pas poser de questions ! Répliqua aussitôt son cadet. »
Le regard de Maedhros se fit consterné.
« Te rends-tu compte de ce que tu dis ? Depuis quand nous caches-tu que... D'accord, je ne poserai pas de questions, finit-il par accepter en levant sa main unique en signe de paix. Mais ne me dissimule plus rien, veux-tu ?
- Hm, fut la seule réponse qu'il put obtenir. »
Ce fut au tour de Maedhros de lever les yeux au ciel. Il aimait ses frères, à n'en pas douter, mais il en avait parfois assez de leur caractère éternellement borné.
« Je l'ai sauvée, lors d'une bataille, commença alors Caranthir. La plupart des siens avait déjà succombé. Elle ne craignait ni les Orques, ni la mort, cependant. Toutes les armées de Morgoth auraient pu se ranger devant sa porte qu'elle n'aurait pas cédé. Ils avaient investi la moitié de leur camp, et seules quelques faibles murs de bois les séparaient de ces aberrations de la nature... Nous les avons tous massacrés, et je l'ai rencontrée. »
Le visage de Caranthir s'éclaira d'un drôle de sourire.
« Elle ne m'a même pas remercié. Nous les avons aidés, bien sûr, et j'ai fait monter le camp près de leurs anciennes demeures, pour les protéger le temps de leur rétablissement. Elle ne m'a montré aucune gratitude.
- Cela me semble quelque peu cavalier de sa part.
- Mais compréhensible. J'ai tardé à intervenir. Peut-être aurais-je pu sauver son père et son frère jumeau, si j'étais venu plus tôt. Je ne l'ai pas fait. »
Le regard de Caranthir se posa alors sur son frère. Toute colère semblait l'avoir déserté.
« Ces morts ne doivent pas peser sur tes épaules, mon frère, dit gravement Maedhros. Tu ne peux prévoir toutes les fins, et certains ne peuvent être sauvés. Elle devait le savoir.
- Je ne me blâme pas. En vérité, je ne voudrais rien changer de ce qui s'est passé. Elle était têtue, et prompte à la colère, mais je l'étais encore plus. »
Maedhros l'observa attentivement. Les yeux de son cadet s'animaient d'une émotion qu'il y avait rarement vu, et son visage s'illuminait d'une fierté qu'il aurait trouvé comique si elle n'avait pas été profondément touchante. Ses rudes traits se détendaient, et il semblait se laisser aller à une joie peu commune, quoique discrète.
« Donc, tu lui as sauvé la vie et vous vous êtes rencontrés, reprit-il en essayant de ne pas formuler de questions. Je suppose que l'histoire ne s'arrête pas là.
- Les siens lui ont donné la charge de décider de leur sort, et elle a également décider d'éduquer son neveu. Il était alors à peine âgé d'une dizaine d'années. Je lui ai proposé d'enterrer les siens et je lui ai offert les services de mes artisans, pour ériger une statue, quelque chose, n'importe quoi en l'honneur de leurs défunts. Elle a refusé. Les siens avaient pour coutume de brûler les corps, m'a-t-elle expliqué. Ils ont donc incinéré leurs morts - mais cette fois-ci, elle m'a remercié. »
L'émotion semblait éveiller sa personne, et il se tourna quelque peu vers lui.
« C'était une femme tellement obstinée, Maedhros. J'étais prêt à lui offrir tout ce qu'elle désirait : des terres, de la richesse, des hommes, ma protection, ma vie – tout. Elle a préféré la liberté. Elle désirait mener les siens dans l'ouest, et vivre sans devoir dépendre d'un seigneur. J'ai refusé. »
Maedhros haussa les sourcils.
« Tu as refusé ?
- Je n'ai jamais eu d'empire sur des décisions, répondit son frère avec un sourire de dérision. Elle n'a jamais eu besoin de personne, et elle refusait l'aide de ceux qui l'approchaient. Je l''admirais pour cela. Je comprenais sa décision, et en vérité je la respectais, mais je... »
Sa figure s'assombrit de nouveau, et il perdit son regard au loin.
« Il fallait que je réagisse. Tout était si nouveau, autour de moi – je ne pouvais pas la laisser partir. Alors je lui ai dit. »
Le silence qui s'installa entre eux fut gênant.
Les souvenirs qui pesaient sur les épaules de Caranthir ne semblaient pas si mauvais, pourtant, mais ils ne le poussaient certainement pas à parler. Arrivé à ce point de son histoire, il avait retrouvé son air renfrogné. Alors Maedhros prit la relève.
« C'est ainsi que tu l'as épousée.
- Je ne pouvais pas la laisser partir comme ça, n'est-ce pas ? S'insurgea soudainement son cadet avec autant de brusquerie que d'emportement. Cette espèce d'entêtée allait disparaître sans un mot, sans rien me dire, alors qu'elle aussi m'aimait ! Est-ce une façon de traiter ceux qu'on aime ? Non, bien sûr que non ! Alors je lui ai dit, je lui ai demandé de m'épouser, et la sotte s'est mise à rire, et a eu l'audace de me dire que je n'étais pas en retard que sur le champ de bataille ! »
L'humeur de Caranthir était impayable – Maedhros ne put s'empêcher d'éclater de rire.
Son cadet vira aussitôt à l'écrevisse.
« Ne te moque pas de moi !
- Je ne me moque pas, assura son aîné en essuyant le coin de ses yeux. Je trouve que ton épouse a beaucoup d'esprit, voilà tout. »
Le compliment figea aussitôt Caranthir, dont la rancune s'évapora sans attendre.
« Elle était impossible, oui.
- Caranthir, tu souris, répondit son frère en riant. »
Alors le cadet accepta sa défaite, et afficha un véritable sourire.
« Donc, elle t'aimait, et elle t'a épousée, reprit Maedhros. Je trouve cela plutôt positif.
- Mais elle désirait toujours partir, et son peuple l'attendait. Ils ont migré vers l'ouest, et sont restés un instant dans les plaines, puis ont disparu plus loin encore. Je ne pouvais pas l'en empêcher. Je veux dire - »
Il semblait hésiter, et les soucis s'amoncelaient de nouveau sur son front. Il semblait chercher la meilleure façon de le dire.
« C'était ce qu'elle voulait. J'aurais pu essayer de l'en empêcher, bien sûr, mais -
- Mais tu ne voulais pas aller contre sa volonté, et tu as agi de façon à lui donner ce qui la rendait heureuse, dit doucement son frère. Je comprends. »
Caranthir le regardait d'un air honteux, et détournait souvent les yeux. Il n'y avait pas de quoi se sentir gêné, pourtant, songea l'aîné. Il avait agi avec autant de générosité qu'on pouvait en montrer dans une telle situation, et ce malgré ce que son caractère lui dictait. Cette abnégation, il ne la montrait que rarement, et Maedhros apprécia cette preuve d'amour à sa juste valeur.
Son cœur se serra doucement, et il posa ses yeux sur son frère cadet. Autour d'eux, la nature semblait somnoler.
« Pourquoi ne nous avoir rien dit, Caranthir ? Souffla-t-il d'une voix soucieuse. Nous n'aurions pas ri. Nous n'aurions rien dit.
- Ce n'est pas si simple, répondit son cadet d'un air ennuyé. Elle n'est pas... Ce n'est pas quelqu'un d'ordinaire. »
Caranthir lui jeta un coup d'œil. Maedhros ne comprit pas.
Il n'en fallut pas plus pour l'exaspérer.
« Et dire que l'on te prend pour l'un des plus vifs d'entre nous.
- Excuse-moi de ne pas comprendre tes signaux de fumée, s'offusqua l'autre. Je n'ai pas l'habitude de te voir déployer autant d'éloquence. »
Son trait d'esprit lui valut un profond regard noir, et Maedhros crut un instant qu'il avait manqué sa chance de trouver jamais réponse à sa question. Mais Caranthir ne releva pas la provocation. Au contraire, sa figure s'assombrit plus encore, et sa tête se rentra dans ses épaules, alors qu'il jouait du bout des doigts avec un pli de sa veste.
Il mit du temps à répondre. Ouvrir la bouche le rendait particulièrement furieux.
« C'était Haleth, avoua-t-il enfin, les joues écarlates. Haleth, chef des Haladin. »
Tout s'anima soudainement dans l'esprit de Maedhros. Il ne comprenait pas cette attitude profondément timide dans laquelle Caranthir s'était renfermé depuis le début, qui rajoutait un surcroît de difficulté à leurs discussions déjà si abruptes et malaisées. Qu'il fût secret, Maedhros n'en doutait pas - qu'il fût revêche, encore moins – mais Maedhros avait sérieusement douté de la réserve qu'il affichait à ce sujet. Après tout, il se trouvait avec Caranthir : celui qui, après avoir essuyé les moqueries presque quotidiennes de Celegorm à propos de son éternelle solitude, avait un jour juré dans un impétueux éclat de colère qu'il se marierait en premier. Cet homme-là ne pouvait pas ignorer une opportunité aussi excellente de prendre sa revanche sur son frère aîné.
Et pourtant, Maedhros comprenait. Cette gêne, ce sentiment absurde de ne pas être à sa place, cette incapacité de partager ce qu'il ressentait, la joie comme la tristesse – il le comprenait.
À côté de lui, Caranthir lui jetait des regards en biais, indécis.
Alors Maedhros posa sa main sur son épaule.
« Tu n'aurais pas dû garder tout cela pour toi, mon frère, déclara-t-il doucement. Nous aurions pu t'aider. »
À cela, son frère esquissa un geste agacé.
« Je ne plaisante pas, gronda l'aîné. Les circonstances de votre union étaient dramatiques et exceptionnelles. Tu as certainement été capable d'agir avec sagesse, comme ton récit me le prouve, mais mon frère, c'étaient là des bonheurs et des malheurs que j'aurais voulu partager avec toi. »
Alors Caranthir leva les yeux sur son grand frère, son incroyable grand frère, celui que tout le monde craignait et admirait, ce vainqueur de la mort, ce seigneur intouchable et immortel. Il était curieux de réaliser combien, sous son apparence terrible, Maedhros restait une personne de cœur. Une seule personne avait jamais réussi à être à la fois aussi effroyable et aussi touchante, et c'était leur propre père.
« Et comment pouvais-je vous annoncer cela ? Grogna Caranthir. En l'amenant à Himring ? C'était une mortelle, Maedhros, au cas où tu ne l'aies pas remarqué.
- Et une sacrée mortelle, si tu me le permets, répondit son frère aîné. À mon avis, tu as simplement raté une occasion de voir Celegorm se faire moucher. »
Alors Caranthir éclata d'un joyeux rire, plus sincère et libérateur que jamais. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux, mais il les effaça vite, sans toutefois perdre son sourire.
« Je t'accorde cela, et je le regretterais presque. Mais je l'aurais aussi amené droit dans la gueule du loup.
- Pourquoi donc ? »
Caranthir lui jeta un regard atterré.
« As-tu oublié tous nos discours sans fin sur l'inutilité de la race mortelle et les problèmes qu'elle amenait ? Je ne crois pas que nous ayons accepté un seul instant de ne plus mépriser les Edain. »
Et puis Maedhros comprit. Caranthir ne nommait personne, et prenait soin de ne pas citer de noms à accuser, mais Maedhros savait très bien qui il visait. Car Curufin, en véritable fantôme de son père, n'aurait jamais accepté que son frère pût fréquenter une mortelle, et cela, Caranthir n'aurait pas su le supporter. L'application avec laquelle il avait gardé le secret témoignait de la force de ses sentiments, et de l'importance qu'avait eu cet épisode dans sa vie : jamais n'aurait-il laissé qui que ce soit, et certainement pas son père, le lui ruiner.
Et c'était si rare, de voir Caranthir agir comme il l'entendait.
« Je l'ai fait, pourtant. J'ai accueilli Amlach lorsqu'il est venu vers moi, et je l'ai pris à mon service. Nous avons également contracté différentes alliances avec les mortels. Ne comptent-elles donc pour rien ?
- Elles n'ont fait que nous desservir. Depuis quand avons-nous gagné Nirnaeth, mon frère ? »
À cela, Maedhros ne pouvait certainement pas répondre. Caranthir le savait bien, et se renferma derrière sa mauvaise humeur.
Mais son frère n'était pas prêt à abandonner.
« Est-ce pour elle que tu as décidé de contracter une alliance avec les Hommes de l'Est et de t'occuper personnellement des pourparlers ? »
L'air de Caranthir devint maussade.
« Je voulais donner leur donner la chance que j'ai tardé à lui donner, répondit-il sans prononcer le nom d'Haleth. On a vu ce qui en a résulté.
- Au contraire, c'était bien, rétorqua son frère aîné. L'alliance a mal tourné, mais tu ne pouvais le prévoir. Tu ne devrais pas te reprocher un tel acte de générosité.
- C'est juste que – Maedhros, je ne suis qu'un idiot, s'emporta le cadet. Je suis toujours complètement décalé : je prends les mauvaises décisions aux bons moments, et les bonnes décisions avec les mauvaises personnes. Qui d'autre fait cela ? Cela fait-il partie de la malédiction ? Si je m'étais écouté, j'aurais été plus borné qu'elle, et je l'aurais suivi pour la protéger et vivre le temps de sa vie à ses côtés – mais bien sûr, il a fallu que je sois fier, et que je - »
Une grande main vint aussitôt attraper sa tête et unir leurs deux fronts.
« Tu n'as rien à te reprocher, dit son frère d'une voix plus ferme. Qui pouvait prédire qu'Ulfang et ses fils se retourneraient contre nous, quand Bór nous restait fidèle ? Rien dans leur comportement ne pouvait nous certifier qu'ils nous trahissaient, et si preuves il y avait, alors je suis tout autant coupable que toi de ne pas les avoir remarqués ! Tu es impulsif, et colérique, Caranthir, mais tu n'es pas mauvais. Et ton épouse était plus têtue encore que tu ne l'es ! Tu aurais voulu la suivre ? Très bien, alors laisse-moi te poser une question : qu'aurais-tu fait, Caranthir, en la voyant vieillir et faiblir ? Aurais-tu pu supporter de voir le temps vous séparer ? Aurait-elle pu supporter de constater combien tu restais inchangé ? Vous seriez devenus fous, et votre douleur aurait terni vos plus beaux souvenirs. Tu l'as rencontrée dans les plus beaux moments de sa vie, et elle t'a offert ce qu'elle avait de plus précieux à t'offrir. Votre histoire a peut-être été courte - mais qui te dit qu'elle aurait été plus belle si les choses s'étaient déroulées comme tu sembles le désirer ? »
Caranthir ne répondit pas. Il n'y avait rien à dire. Le regard de son frère, si clair et si terrible, lui fut insoutenable, et il détourna les yeux. Il aurait voulu garder tout ce qu'il avait dans le cœur, et l'enterrer si bien que rien n'aurait jamais pu en sortir - mais c'était sans compter l'entêtement des siens, et l'acuité avec laquelle ils se connaissaient. Quelque chose se brisait en lui, et il peinait à ne pas le montrer.
Maedhros le savait bien. Maedhros comprenait toujours tout ce que ressentaient ses frères.
Alors sa main cessa de faire pression sur sa tête, et son bras valide s'en alla entourer ses épaules. Ainsi enlacé, la tête de son frère reposant sur la sienne, Caranthir n'avait plus rien à cacher, et il oublia tout ce qu'il avait jamais pu se dire sur sa fierté.
« Haleth, fille de Haldad, dit plus tard Maedhros. »
Le Gelion pleurait toujours à leurs pieds, et ses chutes d'eau chantaient plus fort à mesure que la nuit s'avançait et que la nature se taisait. Caranthir leva la tête vers son frère. Celui-là souriait.
« J'aurais voulu la rencontrer. Une femme assez forte et entêtée pour accompagner les fils de Fëanor, on n'avait plus vu cela depuis Aredhel.
- Ne me parle pas d'Aredhel, grogna Caranthir en retour. Elle était mille fois ce qu'Aredhel était. »
Le rire de Maedhros fendit joyeusement l'air.
« Je n'en doute pas. »
Ses yeux clairs et sages se posaient sur lui.
« Elle a également donné la réplique à Thingol, si je me souviens bien. Finrod en parlait, quelquefois. »
De la figure sombre de Caranthir jaillit un sourire.
« Elle n'aurait jamais laissé Thingol l'insulter sans répondre, affirma-t-il d'une voix joyeuse. »
Maedhros fit de son mieux pour dissimuler son sourire. Caranthir semblait particulièrement fier de cet exploit.
« Ne veux-tu pas en parler aux autres ? Je suis sûr qu'ils voudraient le savoir tout autant que moi.
- De quoi compliquer plus encore la situation, et leur donner un motif pour m'ennuyer durant les trois âges à venir. Non merci. Je connais trop bien mes frères pour vouloir éviter cela.
- Je me sens vexé, répliqua l'autre d'un air faussement blessé. »
Caranthir leva les yeux au ciel.
« Applique-toi donc à te marier, Maedhros, plutôt que de t'occuper de ma femme.
- Applique-toi alors à assumer que tu as une femme, Caranthir, plutôt que de me conseiller, parodia aussitôt le premier. Que dirait donc Haleth, si elle t'entendait ? »
À ces mots, Caranthir se raidit. Son regard s'affola. Il lui fallut quelques instants pour de nouveau se maîtriser, et il finit par pousser un soupir ennuyé.
Maedhros ne s'en était pas douté, mais il avait déniché là le meilleur argument possible.
« Elle serait pire que vous tous, je serais prêt à le parier, maugréa-t-il. »
Et il se leva, sans un mot de plus.
Son frère attendit un moment que quelque chose se passât.
« Alors ? »
Maedhros haussa les sourcils.
« Alors quoi ?
- Tu viens les surprendre avec moi ? Je ne voudrais surtout pas que tu rates la tête impayable que Celegorm fera. »
Maedhros ne se priva pas pour afficher son étonnement. Caranthir n'avait pas l'air plus ouvert que d'habitude, et ses joues rougissaient. Il refusait de croiser son regard, et semblait toujours furieux, mais la moue qui contractait ses lèvres était déterminée.
C'était une occasion inestimable, songea son frère aîné. Il ne fallait surtout pas la rater.
« Allons-y, déclara-t-il en se levant. Allons raconter la merveilleuse histoire d'Haleth la Chasseresse et de Caranthir le ronchon.
- Je te défends de leur présenter la chose ainsi.
- Soit tu parles, soit je parle, Caranthir. Mais ne t'inquiète pas. L'histoire se souviendra du plus important, et cela suffira. »
Bon, alors, quelques mots sur ce qui vient de se passer - ou pour reformuler : pourquoi Maedhros a l'air si ouvert et si concerné, pourquoi Maglor s'en fiche, et pourquoi Celegorm a juste l'air de passer son temps à embêter son monde ?
D'abord, la plus simple : Celegorm passe bien son temps à embêter son monde. Déjà, son surnom, c'est the Fair, et rien que pour ça je pense que la discussion peut se terminer maintenant (qui se laisse surnommer le Beau, franchement ? "Salut, moi c'est le Bô." *tching*). Cet homme-là a aussi essayé d'avoir la tchatche avec Luthien juste parce que c'était cool. Et c'est lui qui poussera plus tard ses frères à attaquer Doriath ("d'abord, Beren y m'a piqué ma meuf et mon chien, et puis t'façon Thingol il est nul, et Dior c'est pas un prénom !"). Je vous le dis, ce mec est la TCHATCHE incarnée. Alors, il y a mille manières de le dépeindre, et certains pourraient me rétorquer qu'il peut aussi avoir son côté très sensible, ou compréhensif (pour avoir appris à parler avec les bêtes, on peut supposer qu'il n'est pas totalement égoïste - quoique, il les chasse, aussi), et je suis tout à fait d'accord. Mais nous parlons avant tout du point de vue de Caranthir, qui connaît certainement bien son frère aîné, mais qui a aussi dû essuyer ses plaisanteries un peu trop souvent pour vouloir s'ouvrir à lui. Mais ne vous inquiétez pas, les fils de Fëanor s'aiment entre eux : insultez l'un, et les six autres vous tomberont dessus.
(attendez, je guette à la fenêtre - tiens, un Curufin de mauvaise humeur, j'aurais pu le parier !)
Pourquoi le furtif Maglor qui n'apparaît qu'au début etjesaisvousvousenmoquezdeluiicimaisbon se désintéresse de son frère ? Principalement parce que je voulais essayer de développer une autre image de Maglor. En général, j'ai l'habitude de le considérer comme le sensible musicien qui en a marre du fardeau familial et qui préfère élever des petits orphelins parce que les semi-elfes, c'est cool. Mais j'ai du mal en général à cerner complètement Maglor, parce que dans mon esprit c'est une figure qui évolue : il finit bien sûr par s'amender, ce qui fait qu'il est le seul à rester en vie (quoique méga déprimé), mais c'est aussi l'un des frères qui perpétuent les trois massacres, et qui au début de l'histoire ne s'insurge pas contre l'incendie des bateaux à Losgar et ne se déplace pas pour sauver son frère aîné suspendu à la montagne. Alors, je sais, je lance un débat ici : il y a plein de raisons pour lesquelles il ne l'a pas fait et je suis la première à les invoquer, mais pour moi c'est une figure bonne, sensible, et généreuse, mais aussi avec une bonne dose d'orgueil - et il ne faut pas oublier que le serment est supposé changer quelque peu leurs caractères (Galadriel le dit à Melian). Ainsi, Maglor ne se désintéresse pas totalement de son frère, mais quand même, il y a d'autres choses à faire, je veux dire, Caranthir fait toujours la tête, et puis tu as vu ma nouvelle version du troisième mouvement du Noldolantë ? Je sais bien que c'est triste, mais ça claque.
Enfin, pourquoi Maedhros a l'air si ouvert et fait de l'humour ? (grand fou) Encore une fois, lui aussi garde une image assez flottante dans mon esprit. J'ai la profonde certitude que c'est un personnage essentiellement bon, et intègre. Il prête serment, d'accord, mais à ce moment-là de l'histoire, tout le monde fait des conneries (oui, bon, il participe au massacre -.- mais Fingon aussi, et tout le monde aime Fingon - ouais, team Fingon, ouais), et il est le premier à s'insurger contre les injustices commises par les siens. Il fait toujours de son mieux pour apaiser les tensions, et même au moment des deux autres massacres fratricides, il cherche à trouver une solution pacifique avant de se résigner à combattre. Ainsi, je ne peux pas le voir comme un mauvais frère, ou même comme une mauvaise personne : dans ma tête, c'est un grand frère attentionné. Peut-être parfois trop envahissant, et qui cherche à tout faire à la place de ses cadets, mais avant tout attentionné. Ainsi, puisque cet OS se concentre sur la relation entre son frère et lui, il ne va certainement pas se montrer comme le terrible chef des armées qu'il est, celui devant lequel les armées fuient. Ici, il n'est ni le premier fils de Fëanor, ni le souverain d'Himring, ni le survivant du Thangorodrim : il est avant tout un grand frère qui voit son frère en proie à la douleur. Et puis, les deux autres massacres fratricides ne se sont pas encore produits. Les évènements précédents ne sont certes pas joyeux, mais ils sont pour une bonne part au-delà de leur portée (à part les machinations de Celegorm et Curufin à Nargothrond, mais pour ça, il a déjà dû leur taper dessus). Le Serment est toujours présent mais pas encore aussi vivace qu'il le sera plus tard, et il pense certainement qu'il a encore une marge de manœuvre assez grande pour lui résister (fufufu, que nenni, mon petit). D'où l'air peut-être plus ouvert qu'il peut offrir ici. Et puis, c'est déjà assez triste, alors ne dépeindre que des Fëanorions déprimés, merci bien !
Bref, je voulais juste partager avec vous toute la subtilité que demande un petit bout de texte comme celui-là. À bien vouloir transcrire les caractères et les émotions de chacun, et réussir à les mettre en scène sans les caricaturer, il y a là une bonne part de dosage, et ça n'est pas toujours facile. Bien sûr, si vous n'êtes pas d'accord ou que vous voulez en papoter, c'est avec plaisir.
À la prochaine, merci d'avoir lu !
