Une série de courts textes inspirés par l'extension d'Amnesia, qui m'obsède depuis peu. Ce n'est que ma propre interprétation des personnages et de l'histoire, sans aucune prétention. Les mises à jour seront sans doute irrégulières.
Amnesia, ses personnages et son univers appartiennent à Frictional Games.
Je t'ai entendue, Justine. L'autre soir. Tard, si tard qu'en réalité, l'aube devait déjà s'étirer mollement contre le ciel. Le sommeil me fuyait, heure après heure, et ton image refusait d'abandonner mon esprit. Oh, tu m'assiégeais, comme toujours lorsque tu disparais trop de temps. Cette vieille lame, cette lame fendue bêtement sur la serrure glissait entre mes doigts - je ne sais pas, elle traînait là, au milieu des brisures d'acier, tout près du manche dépourvu de tête. C'est devenu un geste machinal. La nuit continuait de s'allonger, pourtant la fatigue m'ignorait bel et bien. A bout de recours, j'ai fini par contempler mon œuvre, celle sculptée en ton honneur. Et, levant les bras, j'ai compris que ça ne valait rien.
La chair paraissait meurtrie, tiraillée en sens contraires, et les traits grossiers ne se rejoignaient jamais. Un gosse aurait réalisé quelque chose de plus artistique. Devant ce travail méprisable, gauche, crois que la honte m'ait fait pâlir jusqu'aux os. Quelles prétentions pouvais-je assumer de la sorte? Aucune, aucune qui te conduirait de nouveau dans mes bras. Alors, je me suis saisi du reste du métal rouillé, puis je me suis appliqué à déchirer la peau, afin d'harmoniser mes entailles rougies, fort d'une réflexion, d'une minutie sentimentale qui m'avait échappée les fois précédentes. Tu ne pourras plus ne pas apprécier, mon cœur, je te le garantis.
Tandis que j'attaquais le lent découpage des motifs, les échos me sont parvenus, d'abord vagues, hésitants à franchir les barreaux de ma cellule. Peut-être ces semaines passées à démêler les ombres de l'obscurité ont affaibli ma vue inutile au profit de l'odorat, de l'ouïe ; peut-être, aujourd'hui, ta présence m'attire de manière magnétique. Cela n'a plus d'importance. Les pas lourds ont jailli des interstices, m'ont fait tressaillir sur la veine fine que je désirais éviter. J'ai dévié la trajectoire juste à temps, ne t'inquiète pas - ma création n'en sera pas touchée. Néanmoins irrité, j'ai bondi aussitôt sur mes pieds, tendu l'oreille au vacarme. Quelqu'un ranimait les gonds pétrifiés des portes menant aux corridors éboulés, quelqu'un réveillait tous les morts à des lieues à la ronde par sa démarche maladroite, trébuchante, écrasait les pierres délogées des murs. Même Basile, au loin, devait s'en apercevoir. Haletant, piégé dans la voie sans issue, quelqu'un s'enfuyait.
S'enfuyait, cette simple pensée sonnait anormale, ridicule.
Il n'y a personne pour s'enfuir d'ici. Personne pour en caresser l'idée fantastique, personne pour en arranger la réalisation, personne pour le vouloir, d'ailleurs. Personne pour en posséder les moindres moyens. Il n'y a plus personne qui compte, ici, en dehors de moi. Ce qui ne qui signifiait qu'une chose : l'être qui s'acheminait au fond d'un cul-de-sac, aussi consciencieux que fébrile, ne pouvait s'agir que de toi, Justine. A-t-on vu pareille absurdité...? Justine, n'accordant son attention qu'avec dédain, du bord des paupières, Justine, fière en permanence, flamboyante. Justine, Justine... cela relevait du comique pur. De l'hallucination auditive. Pardonne-moi de t'avoir prêtée un instant ce caractère faible, vulnérable. Ce n'était que des jugements hâtifs, rien d'autre, rien d'autre!
Je suis parti à sa poursuite, à ta poursuite, mon amour, retraçant le sillage que tu avais laissé derrière toi. Eux n'en sont pas capables, comprends-le, eux ne t'aiment pas autant. Cette brute et ce... violoniste. Ils ne ressentent pas! Pas assez, jamais assez, jamais assez pour toi, oh, Justine. Tu m'expliqueras plus tard ta course, la distance que tu as bâti depuis peu, tu me dévoileras les secrets, les résultats de tes expériences quand je te rattraperai. Pardon, je m'en suis extirpé, de la cage où tu m'as logé, mais elle s'effritait déjà, tombait complètement en poussières suffocantes, brûlantes. Je supporte de plus en plus difficilement nos séparations, malgré les cris larmoyants qui fusent de ton cabinet, les longues chaînes qui raclent le sol, malgré toute la violence ordinaire qui hérisse l'atmosphère, et qui m'indique enfin que tu es là.
Je t'ai entendue, je t'ai entendue depuis la cellule où tu as préféré te barricader, j'ai reconnu le soupir absent qui a glissé en catimini hors de tes lèvres. Je te discerne à peine, cependant je te sais appuyée contre la roche, à moins d'un mètre de mon visage, de mes yeux, je te sais revenue, revenue. Regarde-moi, Justine, lève la tête vers moi. Je me souviens de ton souffle calme, si calme qu'il ne froissait presque pas l'air, je me souviens de sa chaleur sur mon torse. Je ne veux pas te blesser en faisant voler en éclats cette porte, je ne veux pas recouvrir à la sauvagerie animale de Basile, mais je t'en prie, accepte-moi, car je le perçois, ton souffle délicieux, ton sang noble qui bouillonne. Ne me laisse pas. Permet-moi de me perdre dans le cobalt de tes prunelles, si dures qu'on dirait du titane, si sombres qu'elles engloutissent toute la lumière du monde. Accorde-moi juste ça. Si c'est ce qu'il te faut pour te le prouver, je me mutilerai encore plus, chaque jour, je te le promets...! Justine, ma chérie, ne réalises-tu donc pas? Non, ne me laisse pas en proie à un tel silence, pitié! Non...! Pas encore, ne me laisse pas! Ne me laisse pas! REGARDE-MOI !
