Loge de la Carlotta, 20h00...
Carlotta
n'était pas aux anges aujourd'hui...tout d'abord, elle avait
le trac. Certes, La Traviata de Verdi n'avait plus de secrets pour
elle, la Violetta immortelle, la Muse de la musique, celle qui chante
cette valse enivrée tout en servant du vin aux convives:
"Libiamo...". N'empêche...la Carlotta avait un bien
mauvais pressentiment pour ce soir. Comme si une étrange
menace planait au-dessus d'elle.
Bien
évidemment, tout ceux auxquels elle en parlait la prenaient
pour juste victime d'un coup de trac et tentaient de la rassurer à
coups de "c'est ça la vie d'artiste" et de "ne
t'en fais pas, ça va aller dès que tu seras sur
scène"...des paroles en l'air, songeait Carlotta en
achevant de se farder les joues.
Demeure du Lac, Chambre Louis-Philippe, même heure
Le fantôme de l'Opéra tournait en rond comme un lion en cage depuis des heures. Certes, Christine Daaé pourrait faire de grandes choses, songeait-il, s'il n'y avait pas cette maudite peste de Carlotta! Toujours à voler la vedette à tout le monde, malgré une voix sans reproche, mais à la tessiture mince, deux petites octaves seulement! Christine en possédait une en plus, elle avait plus de trois octaves de voix, elle! Mais...évidemment! Il n'était pas un grand musicien célèbre, lui! Certes, il avait fait de grandes choses, en faisait encore. Mais il se cachait aux yeux du monde, n'existait pas au niveau administratif, et le fait d'être le professeur de Christine n'accordait à celle-ci aucun crédit supplémentaire. Il n'était pas un mauvais précepteur, il était juste trop méconnu...Cette fois ci, c'en était de trop de la maudite Carlotta, de ses vocalises sans âme et de ses simagrées mélodramatiques. Il fallait en finir. Mais comment...Comment tuer une femme comme elle, si ce n'est en l'escamotant en plein spectacle, ou autre chose! Lui, si prévoyant d'ordinaire, était littéralement à court d'idées: l'amour fou qu'il avait pour Christine le poussait à bout.
Retour chez Carlotta, dix minutes avant la représentation (donc, 20h20)
Carlotta finissait d'enfiler sa belle robe rose et parme, brodée de plumes d'autruche noires. Elle posa sur sa tête un petit chapeau assorti, et se rendit alors dans les coulisses après avoir accompli quelques dernières vocalises avant son entrée en scène. Le trac disparaissait toujours dans ces instants, pour se faire plus vif encore quelques trente secondes avant l'entrée en scène. Mais la sensation désagréable d'un malheur imminent restait toujours bien présente.
Elle entra en scène.
Erik, le Fantome de l'Opéra, entra en scène quasiment en même temps: il commença par excercer à la perfection l'art de la ventriloquie: le malheureux ténor se voyait transformé en castrat, et la pauvre Carlotta chantait avec une voix de basse profonde. Elle tenta maladroitement de se reprendre, et finit par y parvenir: Erik avait dû abandonner la partie, car les voix du ténor et de Carlotta se mêlaient maintenant. Fière d'elle, Carlotta vocalisait, montait, chantait et...finit par se briser la voix: sa voix si claire devint rauque, elle pâlit, puis s'effondra sur scène. Les autres acteurs, chanteurs et figurants la transportèrent dans sa loge. Pendant ce temps, Erik, ayant vaincu sa répulsion du public, continua l'aria de l'opéra, puis l'opéra tout entier, avec le concours improvisé de Christine Daaé.
Folle de rage, la Carlotta tentait de se reprendre dans sa loge. Erik en profita (avec l'aide de Christine Daaé) pour l'évincer à jamais: il se présenta dans sa loge, lui lança un bouquet de fleurs fanées, alors que le public, véritable émeute, acclamait la nouvelle étoile au ciel de la musique, ainsi que son compagnon masqué.
Ce fut le coup de grâce pour la malheureuse cantatrice, qui en mourut sur le coup. On l'enterra tranquillement, et ses anciens admirateurs écrivirent sur sa tombe: "A force de monter trop haut, elle finit par chuter. Ce fut la raison de sa mort."
FIN
PS:
et Erik? et Christine?
Oh,
aux dernières nouvelles... ils sont à la Scala de
Milan...
