Pour une fois, je ne reviens pas sur ce site avec une traduction mais avec une histoire, centrée sur le personnage de Jill Pole et la famille qui je lui ai imaginé. J'ai longtemps réfléchie à son sujet pour en venir à la conclusion suivante: toutes les familles sont loin de ressembler à celle des Pevensie. Et comme Jill est un personnage bien moins parfait et donc plus réelle, les possibilités sont nombreuses. L'histoire n'est pas raconté de son point de vue, même si elle est directement concernée. J'y ai délaissé le fantastique pour me pencher sur les relations entre frères et sœurs (surtout entre sœurs) pour quand même rester dans l'esprit des livres dont un des thèmes prépondérants reste la famille.
Hormis les personnages crées pour cette histoire et son contexte, l'univers de CS Lewis lui ne m'appartient pas ainsi que Jill Pole.
Bonne lecture et n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez :)
Résumé:
Cambridge, 1950. Suite à la mort de sa sœur cadette, Grace Pole s'enfonce peu à peu dans la dépression. Se rappelant du contexte familiale qu'elles ont dû affronter à deux et qui les a contre toute attente rapproché, elle se replonge dans de sombres souvenirs qu'elle pensait avoir mis de côté voilà bien longtemps. C'est en essayant d'aller de l'avant qu'elle découvre que Jill cachait bien plus de secrets qu'elle ne l'imaginait, le genre de secrets qui pourraient remettre en cause sa propre vision des choses..
'' Those stories that we tell to keep us going, sometimes they blind us, they take us to dark places.. Once you touch that darkness, it never goes away. ''
Dean Winchester
Grace
Toutes les familles ont leurs secrets. Des secrets de toutes les sortes.. un mari ou une épouse infidèle, une de leur fille frivole, des conflits d'héritage, des disputes qui n'en finissent pas.. la liste est longue. Certain s'apprennent par le bouche à oreille, d'autres restent enfuis durant des décennies. Certain éclatent un beau jour et d'autres sont soigneusement dissimulés.
Certaine famille ont font même une spécialité. Car si ce qu'il se passait sous leur toit venait à se savoir, on ne les verrait plus jamais de la même façon.
Si nous, les Pole, avons toujours bénéficié du statut de famille correcte aux yeux du voisinage, nous étions en dépit des apparences très loin d'être parfait, et avions tout intérêt à garder nos secrets là où ils devaient rester, terrés dans l'enfer où ils avaient pris racines.
Et ce n'est certainement pas l'occasion pour moi de venir vous les raconter. Ceci n'est pas l'histoire en elle même, elle n'en est en vérité que le décors.
Alors voilà, mon père était comme tous les pères, enfin je le crois, un homme bon et courageux, mais pas en toutes circonstances. Ma mère toujours tirée à quatre épingles et élégante n'était pas aussi bienveillante et responsable que les gens pouvaient le croire. Mon frère était loin d'être un modèle de perfection, mais ça, personne ne l'ignorait. Certaine choses couraient sur lui, et la plus part des secrets de ma famille lui étaient dédiés.
Quand à moi.. Je ne suis juste pas la grande sœur parfaite que toutes les petites filles rêvent d'avoir.
En ce qui me concerne, je me fichais bien de savoir ou non si les gens le savaient. Depuis le jour où mes parents nous avait appris à mon frère et moi que nous allions avoir une petite sœur, j'avais appris la nouvelle avec une certaine frustration. Puis je l'avais jalousé, voir quasiment détesté. J'étais la seconde, après Gabriel, j'étais déjà en retrais dans la préférence de ma mère, il était certain qu'avec elle les choses n'allaient pas s'arranger. En dépit du sentiment de honte qui m'envahissait à l'idée de détester ma sœur avant même qu'elle ne soit venue au monde, je cherchai par la suite à justifier ce ressentiment par bien des moyens.
Jusque là, j'avais grandit dans une famille pour ainsi dire conflictuelle. Je vivais dans ce monde que vous connaissez et comme la plus part, je ne le comprenais pas. Je ne comprenais pas pourquoi la violence de mon père l'avait tant de fois amené à mener la vie dure à mon frère. Je ne comprenais pas pourquoi ma mère ne cherchait pas à le calmer et mettre mon frère à l'abri de ses coups. Je ne comprenais pas pourquoi sa seule manière de réagir était d'avaler ses fichus médicaments qu'elle prenait à la vue de tous sans en éprouver la moindre honte. Je ne comprenais pas pourquoi mon grand frère devenait de plus en plus malade et turbulent et n'acceptait pas mon aide.
Et à vrai dire, je souhaitais ne jamais avoir à le comprendre..
Un jour, quelqu'un m'a dit que lorsque l'on vient au monde, nous sommes entièrement dépendant de notre environnement pour survivre. Je retins l'envi de lui rire au nez. Bon nombre d'entre nous doivent apprendre à ne dépendre uniquement de nous-mêmes pour survivre à cet environnement.. Certains en font l'expérience très tôt.
Avant même que je ne sache parler, j'adoptai déjà par instinct des barrières, des armes, des murailles solides, utilisant rapidement ces moyens avec une facilité déconcertante. Je parvins à utiliser tout cela comme un tremplin qui je l'espérais m'emmènerait loin. Loin d'une famille qui ne cherchait inconsciemment qu'à nous traîner toujours plus bas.
Une seule personne fut en capacité de démolir tout cela, et elle apparue plein mois de janvier.
J'avais dix ans et mon frère quatorze. Mon père ne nous autorisa pas à nous rendre à l'école ce jour là. À peine arrivée ici bas et elle me privait de la seule chose pour laquelle j'étais douée, les études. À mon plus grand désarroi la neige était tombée toute la semaine durant et j'y voyais là le signe irréfutable que ma sœur était née pour me compliquer l'existence. Et elle ne faisait que commencer. En la voyant pour la première fois à l'hôpital, je ne pût empêcher le sourire sardonique qui étira mes lèvres : elle ne savait pas dans quelle famille elle venait mettre les pieds..
Mais en voyant le sourire qu'elle avait su redonner à ma mère, la joie qui débordait de mon père et mon frère ainé, j'avais la nette et désagréable sensation qu'elle allait déranger bien plus que notre routine. Elle n'avait que quelques heures et elle parvenait déjà à évaporer on ne sait comment la noirceur de notre famille. Et je dû à mon tour l'admettre, à faire naître en moi cette chaleur et cette lumière dont je me privais constamment.
Elle ramena le soleil dans notre quotidien, et ce fut la première raison de mon aversion envers elle dans mes jeunes années. Elle arrivait à faire apparaître des miracles là où j'en étais tout bonnement incapable.
Les premières années passèrent et ce que je redoutais tant se produisit. Elle était la préférée, la favorite entre toutes, le petite dernière comme on l'appelait. Elle et moi étions le jour et la nuit. La nuit, c'était moi bien sur. Pouvait-il en être autrement face à ces boucles dorées, ses yeux bleu gris scintillants comme des perles et sa peau légèrement hâlée ? Elle mettait le monde à ses pieds, tandis que je croupissais dans l'ombre à ravaler ma jalousie. Ma mère était sévère mais moins qu'elle ne l'avait été avec mon frère et moi. L'âge, sans doute. Elle la gâtait plus que nécessaire en vêtements et en jouets, tandis que mon père s'extasiait devant elle. Comment résister à cette frimousse innocente, demandait-il ? Même mon frère la suivait dans tous ses jeux à l'imagination sans limites. Leur proximité malgré leur différence de quatorze années se voyant à peine ravissait ma mère.
Quand à moi, je ne lui fis pas de cadeaux. Cela peut vous paraître injuste, et je ne vous dirais pas le contraire. Mais rassurez vous, elle me le rendit bien. Je m'aperçus vite qu'elle était capable de lire dans le regard des gens, et ce qu'elle voyait dans le mien ne lui plut sans doute pas, alors elle s'entêta à faire de mon quotidien un enfer. L'ange qu'elle jouait devant nos parents devenait un petit diable une fois le dos tourné et qu'elle me faisait tourner en bourrique. Je me rendis également compte du don de comédienne qu'elle possédait, et dont elle usait pour parvenir à ses fins. Une vraie peste, je vous le dis.
Toujours est-il qu'un rayon de soleil ne règle pas tous les problèmes, et comme moi, elle allait en faire les frais. Mais ce fut tout de même une surprise pour moi quand à partir de là, j'appris à l'aimer dans cette famille instable. Lorsque je fus obligé malgré moi de la réconforter dans les moments de paniques où je semblais être sa seule bouée de sauvetage, je me sentais gagner en force à ses côtés tandis que je la rassurais et qu'elle s'apaisait. La première fois que Gillian vit mon père et mon frère se battre en plein dans le salon, j'aurais tant voulu lui dire que moi aussi savais ce que cela faisait, mais je ne savais trouver les mots. Et pourtant, elle se tournait vers moi, l'insensible. Je me devais de l'être, dans cette maison, c'était mon seul moyen de survit en attendant de la quitter. Si j'avais été quelqu'un de plus tendre, je lui aurais certainement dit que je ne comprenais pas non plus comment ils pouvaient se comporter de la sorte devant nous, devant notre mère. Ni comment cette dernière ne pouvait être capable de se montrer forte dans ses occasions, au lieu de pleurer devant ce spectacle désolant. Et au final, c'était moi et ma sœur contre cette famille désastreuse.
Ce genre de crises familiales (habituelles pour moi) se produiraient tellement de fois par la suite que je devins celle qui apprit à Gillian à rester forte lorsque tout partait en vrille, à garder la tête haute et froide face aux événements. Dans ses instants, on lisait la même chose dans les yeux de l'autre : nous étions désormais des alliées face à ce désastre, non plus des ennemies. Les seules qui parvenaient à être encore consciente de son ampleur et des conséquences sur notre moral à tous. Et cela continue de me bouleverser à l'âge adulte, cette force et cette lucidité que nous étions capables de nous transmettre par ces simples contacts visuels. Même durant les années qui suivirent, lorsque la situation se rétablit au sein de notre maison, le message demeura toujours identique entre nous : rester forte, se tenir éloigné de tout ça.. Pour ne pas sombrer comme eux. Même si je ne souhaitais pour rien au monde que ma sœur finisse par me ressembler, je savais au moins que je lui transmettais ce qu'il y avait de meilleur en moi. Enfin, je le pensais.
Et finalement, contre toute attente, c'est sur moi qu'elle opéra un miracle. Elle devint ma lumière, et je fus la sienne. Je m'autorisai enfin à remplir mon rôle de sœur. Et je pense que je ne m'en tirai pas trop mal. Avant même qu'elle n'aille à l'école, je lui apprenais l'alphabet, les chiffres, la géographie, des choses simples mais qui lui permirent de bien commencer sur les bancs de l'école une fois qu'elle y fut inscrite. Elle apprenait tellement vite.. Je lui faisais découvrir mes passions, je l'emmenais en ville avec moi pour lui faire découvrir le centre de Londres qu'elle ne connaissait que très peu à l'époque. Je lui montrais les grands monuments et leur histoire, ou la traînais dans les grandes bibliothèques qui me faisaient rêver depuis toujours. Les magasins, elle les arpentait assez avec ma mère comme cela. Et peu à peu, je lui dévoilais timidement qui j'étais à l'intérieur, sous cette épaisse fourrure de sarcasmes en tout genre qui me caractérisait.
Le problème se posa lorsque je dû remplacer ma mère dans son propre rôle, ce que je ne lui pardonnerai sans doute jamais. Cela se produisit une fois notre père partit à la guerre. Le quotidien était déjà suffisamment éprouvant et difficile pour notre famille, de même que toutes les autres qui se retrouvèrent privée de figure paternelle. Ma mère tomba dans une période de grave dépression et je me retrouvai seule à gérer à la fois le foyer, un frère perturbateur et une enfant inconsolable. Je dû emmener Gillian à l'école lorsque ma mère y renonça, l'aider à faire ses devoirs, l'emmener à ses cours d'équitation. Ça, c'était la partie émergée de l'iceberg.. Car le reste du temps je me retrouvais seule face à notre frère qui débarquait à la maison ivre en voulant nous extorquer de l'argent, dans le moins grave des cas. Dieu sait ce qu'il comptait faire avec.. On était loin d'ignorer avec quels genres de personne il traînait dehors. Mon père n'était plus là pour nous protéger de lui, ne me restais que la colère que j'enfouissais en moi et que je tentais en vain de contrôler, pour ne pas que ma sœur ne soit plus apeurée qu'elle ne l'était déjà. D'où me venais cette force de le repousser avec mes bras alors qu'il faisait le triple de ma force et de mon poids ? Où encore le menacer d'appeler la police ? Notre mésentente ne datait pas d'hier, même enfants, mon frère et moi n'étions jamais parvenus à nous entendre. Alors, maintenant qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même..
Là encore, Gillian n'était pas comme moi. Gabriel savait exercer son charme inné et son influence sur elle et savait se faire pardonner. Là ou je ne voyais qu'un délinquant et mon père un pauvre diable, ma petite sœur voyait en lui un être incompris qui avait besoin d'aide. Et par-dessus le marché, son futur mari. Elle disait à qui voulait l'entendre que son grand frère était le plus beau et qu'elle l'épouserait un jour. Ce n'était pas très difficile de comprendre que la seule chose qu'elle voyait en lui, c'était le prince charmant que toutes les petites filles de son âge avaient apparemment besoin d'idéaliser à travers les hommes de leur famille. Elle ne connaissait pas les hommes tels que je les connaissais. En son fort intérieur, elle devait se persuader qu'il changerait, qu'il fallait juste lui donner du temps. Cela ne durerait pas bien longtemps, enfaîte, jusqu'à que ce que sa vision d'enfant disparaisse et que Gillian s'aperçoive de l'égoïsme sans borne de Gabriel, et de la vie qu'il ne cesserait de nous compliquer, sans rien donner en retour. Elle dû avoir dans les treize ans lorsqu'elle commença enfin à comprendre ce qu'il était et à prendre ses distances comme je l'avais toujours fait.
La guerre avait su faire ressortir le pire de notre famille, et tandis que cette dernière se désagrégeait lentement, Gillian pour sa part changea considérablement. À notre stupéfaction à tous, elle devint plus insolente, plus irrespectueuse. L'école expérimentale où mes parents l'avait inscrite dût aussi expliquer ce revirement. Elle qui était si peu encline à obéir, son séjour là-bas n'arrangea rien. Elle garda le silence sur ce qu'il s'y passa durant des mois entiers, tant et si bien que nous apprîmes un an plus tard qu'un groupe d'élèves l'avait brutalisé à de nombreuses reprises durant tout ce temps. Le rayon de soleil avait disparu. Ou, plus exactement, il avait dévié sur moi, et uniquement sur moi. Il n'y avait qu'en ma présence qu'elle continuait d'être douce et gentille. Comme si j'étais la seule à le mériter.. Le nuage que représentait notre famille (sans parler de celui de la guerre) était passé par là et commençait à faire son travail, le travail qu'il avait également dû effectuer sur moi des années auparavant, bien que j'en conserve plus la trace que le souvenir. Je réalisa avec effroi que Gillian n'était pas comme moi tout compte fait, elle était encore pire.. Le plus étrange dans tout ça, c'est qu'elle représentait encore et toujours ce qu'il y avait de plus lumineux au plus profond de moi, bien que je ne l'admette jamais à voix haute, par fierté sans doute.
Ce comportement rebelle perdura quelques temps, sans qu'on y puisse quoi que ce soit.
Jusqu'à ce qu'elle les rencontre.
Plus le temps passe, plus les souvenirs affluent. Plus je me souviens de ce qu'elle a été, de ce que j'ai fais d'elle. Et par-dessus tout le reste, de l'influence soudaine et inexplicable qu'ils eurent sur elle. C'est peut-être tout cela que j'ai besoin me remémorer aujourd'hui. Pour ne pas oublier.. Maintenant qu'elle n'est plus là.
Ma sœur est morte dans cet accident de train un an plus tôt, me redonnant à nouveau l'impression d'être seule dans un monde que je ne comprendrais jamais. Mais faire le deuil de ma soeur n'est pas aussi ardue que de faire face aux découvertes qu'elle m'a laissé déceler en quittant ce monde..
Ma petite soeur est apparue dans mon existence comme un rayon de lumière avec une promesse de soleil infinie. Elle en est repartie en me laissant dans cette ombre qu'elle seule avait su chasser; tandis que je me retrouvais désormais condamné à devoir chercher un sens à tous ces questions sans réponses qu'elle avait laissé..
Parce qu'il y a des secrets que même des familles ne peuvent partager entre elles.
Ils viennent en général de la dernière personne à laquelle vous aurez songé.
