La musique emplissait ma tête. C'était la mélodie que Xian avait inventée en se regardant l'inventer. Je me rappelais de chacune des notes qui faisait avec son pouvoir psychique. Il abaissait les touches du piano par l'esprit, suivant un rythme que nul autre ne pouvait concevoir.
J'aime cette mélodie. Elle me détend, et toujours quand je suis heureuse, je l'entends. Les notes résonnent en moi, se suivent et composent une musique qui m'emporte. Dans ces instants où elle m'habite, je suis plus heureuse que je ne l'ai jamais été.
Soudain, une pensée noire vient tout gâcher dans mon esprit jusque-là serein. Je n'ai pas réussi à gagner contre le Heledelle à l'Arène, alors que je le voulais. Pour James. Même s'il est très grand par rapport à moi, il ne me fait pas si peur. Mais j'ai peur qu'il ne soit déçu et qu'il ne m'aime plus après ma défaite. Je n'aime pas trop me battre, mais je l'ai fait pour lui. Parce que je le respecte beaucoup.
C'est un humain au courage exceptionnel. Partir de chez lui, sans savoir ce que lui arrivera ... c'est très courageux. Et je sais qu'il est très gentil, mais est-ce qu'il m'en voudra pour mon premier combat, raté ?
Je continue à avancer dans la rue qui s'obscurcit. C'est bientôt la lune qui se lèvera et qui illuminera le ciel. Devant moi, Héo-Héo et James parlent de danse et de musique, mais pas la même musique que moi. Ils discutent d'un "morceau de rap" ou de "hip hop", enfin des mots que je ne comprends pas. Je crois que c'est par rapport à ce que Héo-Héo a fait durant son combat, qu'il a gagné, lui.
Je ne sais pas où est Kronen. Honnêtement, même s'il est petit par rapport à james, il me fait bien plus peur. Je ne sais pas s'il m'aime ou pas, parce que je sais qu'il déteste la télépathie. Mais il essaye d'être gentil, je l'ai vu. Je n'étais pas sûre comment je devais réagir à chaque fois, donc je suis restée distante. Mais peut-être qu'il m'en voudra comme ça ? Je vais le regarder, j'aurais une réponse. Je tournai la tête sans le voir derrière moi. Il n'y était pas, ce que je trouvais étrange vu qu'il marchait en dernier tout à l'heure, ce qui veut dire qu'il est devant. Mes yeux explorèrent les alentours, mais je ne le vis pas.
Avec horreur, je sentis mon sang se glacer.
Je ... enfin, je sais que c'est impoli de lui faire ça, même si je l'ai déjà fait une fois, juste une fois quand il dormait, pour voir s'il allait se réveiller et me menacer avec ses yeux rouges, je l'ai cherché avec mes autres yeux. Mes yeux qui voient le monde invisible. Je les ouvris d'une simple injection mentale, parce que j'y suis habituée depuis ma naissance. Je sondai les environs, détectant aussitôt James, avec sa teinte bleue et verte si caractéristique. Et Héo-Héo, vert et rouge. J'aime bien sa présence pour ça aussi, il me donne de l'énergie sans s'en rendre compte. Il en donne à James en ce moment d'ailleurs.
Je les voyai très proches de moi, et étendis ma vision. Trois humains dans la maison à côté, d'autres plus loin ... mais je ne distinguai rien dans un rayon d'environ cent trente pas (de mes pas, parce que ça ne ferai que quelques dizaines pour mon dresseur). Je ne vis pas la forme et la couleur de Kronen. Le peu de température qui me restait s'enfuit instantanément, et je commençai à trembler, comme quand j'étais toute petite et que je ne voyais personne autour de moi.
Non, j'avais grandi, et puis, Kronen me faisait peur, alors pourquoi est-ce que ce sentiment de peur se diffusait en moi ? Je fermai mes yeux télépathiques, et me mit à courir, ne pouvant m'empêcher dans ma faiblesse de trembler.
J'arrivai vers Héo-Héo tout de suite, et je lui touchai l'épaule avant de réaliser ce que je faisais. À peine avais-je touché le Marisson si peu timide qu'un sursaut me fit retirer ma main.
"Hé, Majelle ! Ça va ?" me fit-il tout de suite avec un grand sourire.
Non, ça ne va pas, pensai-je, mais il ne pouvait pas lire dans mes pensées. Comment allais-je lui dire, et à James qui s'était arrêté aussi, que Kronen avait disparu ? Un instant ... s'il ne pouvait lire dans mes pensées, peut-être pouvais-je lui envoyer un message ?
Je me concentrai et dirigeai ma conscience vers Héo-Héo, écoutant attentivement son esprit.
J'ai besoin d'aide, Kronen a disparu !
"Hein ? Quoi ? Mais c'est quoi cette voix dans ma tête !" glapit-il en touchant subitement son crâne.
C'est Majelle ! On n'a pas le temps, Kronen a disparu ! Il était là il y a un instant, puis plus rien ! Dis-le à James, tout de suite !
"Quoi, il a disparu ?! Mais c'est terrible !" sursauta mon interlocuteur en me regardant.
"Héo, tu m'expliques ?" fit James, avec un air inquiet sur le visage. "Et où est Kro ?"
"Bin, Majelle me dit qu'il a disparu et qu'elle sait pas où il est.T'imagines, Maj..."
"Où ?! Quand ?!" le coupa son dresseur immédiatement en me me prenant par les épaules.
Je frémis de surprise. Ça me gênait qu'il soit aussi familier. Et je ne savais pas qu'il était aussi attaché à Kronen. Je n'ai pas autant d'expérience qu'Himazé pour comprendre les liens entre les gens. Espérant qu'il allait me lâcher, j'essayai de lui parler par télépathie :
Je ne sais pas ! Lâche-moi, s'il te plaît ! Il a disparu parce qu'il marchait en dernier, je crois. Mais je ne sais pas où il est !
"Tu ne le détectes pas ?" continua James, sans me lâcher.
Non ! Il n'est pas dans un rayon de cent trente pas autour de moi !
"Merde, mais où est-ce qu'il peut bien être ..." fit-il, les yeux affolés. Il se reprit bien vite, et nous dit (après m'avoir lâché, enfin) : "Majelle, Héo-Héo, on doit le retrouver."
"Mais on va pas dormir ?" se plaigna le Marisson.
"Je ne pourrai pas aller dormir en sachant que Kro s'est volatilisé." trancha James.
"Bah pourtant, il est fort ! Il aura pas de problèmes !" tenta Héo-Héo avec un sourire contraint.
"Non. Il serait resté avec nous. Donc il s'est fait avoir par quelqu'un. On le cherche."
Je suivis le mouvement, docile. Je voulais aller au lit aussi, mais je ressentais l'urgence de la situation. Et je n'avais pas le courage de m'y opposer, surtout ça.
Nous avons parcouru la ville toute la nuit, interrogeant chaque personne que nous croisions. La question était toujours la même : "Avez-vous vu un Crocrodil ?" et les quelques réponses affirmatives furent "Si, il était avec vous, pourquoi ?". Après avoir expliqué la situation trois fois, James décida de dire "Merci, désolé de vous avoir dérangé." sans dire pourquoi on le cherchait.
J'étais fatiguée, et Héo-Héo n'était pas mieux. Il se taisait quand il marchait, et c'était la première fois ou presque que je le voyais aussi silencieux.
Vers trois heures du matin, alors que je contemplai la lune (James parlait avec un livreur de pizzas), j'eus une intuition. Si Kronen avait été kidnappé ? Par ceux qui m'avaient kidnappé moi-même ? Je déglutis. Je me rappelais de chacun de leurs coups, la douleur qu'ils m'infligeaient. J'ignore encore comment j'ai réussi à m'enfuir. Et ensuite, avant de m'évanouir, je me souvenais d'un Marisson qui dansait, d'un humain et d'un Crocrodil qui s'était assis sur un rocher.
James, si Kronen a été kidnappé, ça doit être par ceux qui m'ont enlevée !
Il remercia le livreur qui repartit en grommelant sur les pizzas qui allaient être froides, et adieu pourboire, quand James s'agenouilla et me lança un regard intense qui me transperçait. J'aurais presque cru qu'il lisait en moi.
"Tu en es sûre ?"
Non. Mais ça doit être eux.
"Hé, on peut dormir maintenant ?" fit Héo-Héo en s'asseyant. "Je suis fatiguééééé ..."
"Non. On y retourne."
"Et si on demandait aux pokémons aussi ?" intervint Héo-Héo en bâillant.
James s'arrêta aussitôt.
"Mais oui ! Majelle, si tu détectes un pokémon, tu peux nous guider jusqu'à lui ?"
Oui. Je vais chercher.
J'ouvris mes yeux invisibles et mon esprit sonda les environs. À six heures du matin, il ne devait pas y avoir tant de gens réveillés. Je sentis deux personnes qui faisaient je-ne-sais-quoi dans un lit, cinq autres qui étaient en position assise dans une autre maison, avec un pokémon. Des gens qui dormaient ou qui se réveillaient. Et là, entre deux maisons ... là !
Par ici !
Je me mis à courir, pas très vite parce que j'étais à moitié endormie, vers la ruelle. J'entendais que James et Héo-Héo me suivaient, je ne me retournai donc pas. Je pris à droite et vit un Miaouss qui fouillait dans les poubelles. Il avait la tête rentrée sous le couvercle d'une benne, et jetait parfois des morceaux de nourriture -si on peut appeler ça nourriture- en miaulant de contentement.
L'odeur était épouvantable, pire que la sueur, et pourtant je déteste la sueur. Des relents fétides se déversaient des ordures. Comment le Miaouss résistait-il à cette abomination ?
Il se relevait en tenant un reste de poisson, son sourire se figeant quand il nous vit. Il cracha en bondissant vers l'autre bout de la ruelle.
"Attends !" lui ordonna James en levant une main, montrant sa paume. Le symbole universel de la paix. "On a besoin de toi ! Est-ce que tu as vu un Crocrodil hier soir ?"
Le Miaouss ne dit rien pendant un instant et, tenant son "repas" comme une mère tient son enfant, il soupira d'une voix sifflante :
"Nan. T'as d'autres questions ?"
Les épaules de James s'affaissèrent, il n'était pas loin de craquer. C'est vrai que ce n'était pas possible que personne ne l'ait vu ! Quant à moi, j'étais aussi secouée que lui. Kronen, c'était celui qui nous protégeait tous, comment allions-nous faire sans lui ?
Non, je me faisais honte toute seule. J'étais horriblement cruelle de dire ça, il allait revenir parmi nous. Il devait revenir.
Des battements d'ailes se firent entendre, et un Roucool se posa à côté du Miaouss :
"Yooooho, vous lui voulez quoi à mon pote Sage ?!"
Il était plutôt comique à agiter ses ailes comme ça, en glapissant à qui mieux mieux.
"Laisse, Rammy, ils cherchent un Crocrodil et ils voulaient savoir si je l'avais vu." fit son "pote".
"Nan, c'est vrai ?" sursauta Rammy. "Mais je te l'ai vu, moi, ce Crocrodil ! Bleu, avec des pointes rouges, tout le tralala ?"
"Oui ! C'est ça !" acquiesça James d'une voix fébrile. Tu l'as vu où ? Quand ?
"Bah hier soir ! J'étais en train de chercher à bouffer, j'pensais rien trouver et aller voir les poubelles du MacNald, et j't'ai vu ces deux humains affublés des mêmes vêtements qui transbahutaient un Crocrodil complètement KO."
"Tu peux me mener à eux ?" lança mon dresseur.
"Yep, pour sûr, mon gars. T'as à manger ? Parce que j'ai la dalle !"
La fin, avec Rammy, est à lire en écoutant une fin d'épisode du Donjon de Naheulbeuk. Ou le moment où le Nain est à poil dans un buisson et que les feuilles lui grattent le c... Bref !
Voici comment Majelle ressent les choses, comment elle voit le monde (se voit, aussi), pendant une nuit où elle a éprouvé des sentiments très forts. Fatigue, peur, terreur, courage aussi. J'espère que ce premier chapitre-bonus vous a plu :)
