2 mars 1969 – Toulouse, France

Projet Concorde, ou ''comment essayer de contrer la suprématie américaine dans l'aéronautique''

Les deux hommes étaient calmement assis derrière l'énorme vitre à travers laquelle ils observaient la foule affairée autour de l'avion supersonique, réglant les derniers détails avant le décollage. Ce projet commun faisait suite à ce que l'on pouvait communément appeler 'des tentatives infructueuses qu'on préfère oublier' qu'ils avaient menées chacun de leur côté et dont les coûts avaient été si élevés qu'ils n'avaient eu d'autre choix que de les arrêter. Leurs gouvernements respectifs les avaient par la suite enjoints (à savoir forcés) à travailler (pour leur plus grand malheur) ensemble, d'où la situation actuelle. Finissant de siroter sa tasse de thé, Arthur se rappela soudain d'un détail qui pouvait avoir son importance et se tourna vers son homologue Français :

''Au fait, comment allons-nous l'appeler ? Je veux dire, définitivement ?''

''Le Concorde, cela va de soi,'' répondit l'autre homme sans détourner les yeux de leur avion chéri.

La réponse ne plut visiblement pas à Arthur, qui fronça les sourcils.

''Non, je n'aime pas la manière dont ça sonne. Trop français. Je pense que « Concord », sans le 'e' final, ferait un bien meilleur nom.''

''Non, et je ne céderai pas là-dessus. Ce sera Concorde,'' répliqua Francis en accentuant la lettre finale et en jetant un coup d'œil méfiant à son compagnon Britannique, dont le visage devenait de plus en plus rouge sous le coup de l'énervement.

''Je préfère Concord !'' s'écria-t-il en se levant brusquement.

''Peut-être, mais l'avion sera le Concorde ! Si tu n'es pas content, libre à toi de faire plus ample connaissance avec le canapé pour les prochains mois.''

L'Anglais se rassit brutalement et croisa les bras avec une moue boudeuse. Après quelques secondes de silence il maugréa :

''Très bien, dans ce cas. Concorde s'écrira avec un 'e', mais seulement parce que le 'e' signifie Excellence, England et Entente, que l'on soit bien d'accord là-dessus, pas parce que je n'ai pas envie de dormir tout seul.'' (1)

Francis ne répondit pas, mais son petit sourire satisfait parlait à sa place. Ce sourire déplut fortement à Arthur qui se sentit étrangement obligé de lancer une pique au Français en contrepartie. Il se détendit dans son siège et lança sur le ton de la conversation :

''Quand même, je dois avouer que tu m'épates sur ce coup-là, frog. Qui aurait cru que tu y connaissais quelque chose à la physique ?'' Il fut ravi de constater que le poisson mordit immédiatement à l'hameçon.

''Je te demande pardon ?'' s'exclama Francis, outré. ''J'ai fait beaucoup de découvertes scientifiques ! Tu apprendras que Pierre et Marie Curie…''

''Marie Curie était d'origine Polonaise en passant…'' répliqua le Britannique en faisant semblant de bâiller.

''Soit" concéda Francis, ''Mais Évariste Gallois était quant à lui bien Français, et c'était un brillant mathématicien qui…''

''Est décédé à l'âge de vingt ans dans un duel galant. Oui. Il n'y a que vous pour faire ça.'' Arthur en eut les larmes aux yeux à force de se retenir de rire.

''Eh bien, la physique de Descartes…''

''Fut surpassée par celle de Newton, nous le savons tous...''

''La découverte de Neptune…''

''Francis, J'ai découvert Neptune." (2)

Un silence lourd, très lourd, s'installa dans la salle qui n'était (fort heureusement) occupée que par les deux hommes. Francis se tourna lentement vers son compagnon, un sourire douloureusement forcé sur son visage crispé.

''Tu es mignon Arthur, mais tu peux toujours rêver. C'est moi qui ai découvert Neptune.''

Au diable le flegme britannique. L'Anglais, irrité au possible, décolla de son siège et attrapa le Français par le col de sa chemise pour lui hurler au visage :

''J'ai découvert Neptune en premier ! J'avais fait tous les calculs bien avant toi, parce que toi tu étais à la ramasse comme d'habitude !''

Il n'en fallut pas plus pour faire sortir le Français de ses gonds et il se jeta sur son homologue britannique, ce qui eut pour effet de les faire tomber au sol.

''Tiens, mais revoilà monsieur-je-pète-plus-haut-que-mon-cul-et-je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde ! À se demander comment tu fais pour marcher avec ces piliers qui te servent de chevilles !''

''Moi arrogant ? Tu plaisantes j'espère, c'est toi qui te prends pour le maître du monde ! Et tu sais pourquoi ? Parce qu'un Français arrogant est un putain de pléonasme !''

Leur querelle fut soudain interrompue par un bruit de tous les diables accompagné de forts tremblements. Les deux hommes échangèrent un regard ébahi avant de se relever précipitamment tout en se poussant mutuellement, et ce pour découvrir que la source du vacarme n'était plus qu'un petit point haut dans le ciel. Ils contemplèrent bouche-bée le petit point pendant quelques secondes puis sortirent finalement de leur torpeur.

''Imbécile ! Tu nous as fait rater le décollage ! Le tout premier décollage du Concorde avec ton fichu 'e' !''

''Ah parce que c'est de MA faute ? Si tu n'étais pas abonné à l'idiotie nous n'aurions même pas eu cette discussion !''

''Excuse-moi je ne comprends pas ce que tu dis, j'ai oublié mon dictionnaire anglais/débile à la maison !''

Et les deux hommes se remirent à se taper dessus, parce que visiblement c'était tellement plus amusant que de discuter dans le calme.


(1) On doit cette déclaration (du moins la première partie) au Ministre Britannique de la Technologie Tony Benn pour mettre fin à la polémique entre 'Concord' et 'Concorde'

(2) La découverte de Neptune est un sujet de controverse récurrent entre l'Angleterre et la France. Certaines sources affirment que John Couch Adams a effectué des calculs antérieurs à ceux d'Urbain Le Verrier, d'autres que la découverte doit revenir à Le Verrier, d'autres qu'il s'agit d'une découverte anglo-franco-allemande car Johann Gottfried Gall s'est servi de leurs calculs en 1846 pour trouver la position exacte.
Aujourd'hui la découverte de Neptune est plus ou moins (ça dépend de quel côté de la Manche on se trouve) créditée à John Couch Adams et à Urbain Le Verrier car leurs travaux se sont fait simultanément. Néanmoins le tout premier à avoir observé la planète reste l'Italien Galileo Galilei.

J'ai pris quelques libertés par rapport aux faits historiques, rien de bien méchant, mais je m'en excuse !