CHAPITRE 1
Inattendue
Winterfell, 263 AC
Le vent souffle violemment, emportant des nuées de poudre blanche qui se fracassent, sans le moindre bruit, sur les grands murs de pierre qui délimitent l'enceinte du château. La nuit est noire de jais, mais une faible lueur est présente à l'une des fenêtres du château, et le silence est de mise lors de cette longue nuit d'hiver. Le vent violent s'insinue dans la moindre fente, et hurle tel un loup sauvage en pénétrant dans les salles de Winterfell. Les servantes frissonnent tout en amenant des linges chauds. Nan, au service des Starks, gravit les marches qui mènent à la chambre de sa maîtresse. Son panier est lourd, elle est fatiguée par sa journée, ses joues rougies par l'effort et le froid. Elle s'arrête un instant, essuies son front luisant de sueur avec l'arrière de sa main, et prend une grande inspiration avant de monter les dernières marches, de pénétrer dans un couloir où se tient son maître, Lord Rickard Stark. Elle le salue respectueusement avant d'ouvrir la porte qu'il semble garder. La chaleur la frappe telle une gifle en plein visage. Le vent glacial refroidit le château, mais dans cette pièce, les souffles chauds des trop nombreuses personnes présentes rendent l'atmosphère suffoquant. Nan regarde vers le lit, où sa maîtresse, la femme de Lord Stark, Lyarra, est en train de pousser des hurlements déchirants alors qu'elle essaye d'expulser le bébé hors de son ventre. Cette partie de son corps, impressionnante de volume, qui renferme encore pour quelque temps, la promesse d'un avenir radieux pour cette grande maison de Westeros. Le jeune couple a été béni avec la naissance de leur premier enfant, un fils appelé Brandon. Ce n'est encore qu'un bébé, ayant à peine célébré sa première fête, quelques lunes avant la naissance de son frère
Nan sursaute violemment quand Lady Lyarra retombe lourdement sur son oreiller. Ses cheveux sont trempés de sueur, son regard éreinté. Elle semble souffrir énormément, beaucoup plus que pour la naissance de Brandon. Mestre Walys, qui est chargé de faire naître cet enfant, l'encourage, la soutient. Lyarra secoue la tête et quelques larmes roulent sur ses joues :
« Quelque chose ne va pas… », dit-elle dans un soupir las. « La douleur est trop grande, ce n'est pas normaaaaaaal », sa phrase mourant dans un cri qui résonne dans toute la pièce. Dans le couloir, Rickard n'ose entrer. Comme pour Brandon, il préfère rester en retrait. Il a le sentiment de ne pas avoir sa place auprès de son épouse, malgré toute l'affection qu'il lui porte. La maternité, la délivrance d'un enfant sont l'affaire des femmes, exception faite du mestre qui les accompagne dans cette épreuve. Le seigneur de Winterfell supporte mal d'entendre sa femme hurler, souffrir, sans qu'il puisse intervenir : les Stark ne sont jamais impuissants, ou presque. Il appuie l'arrière de son crâne contre les pierres froides du mur, et ferme les yeux un instant, essayant de transmettre un peu de sa force à sa femme. Il ne sait pas si c'est efficace, mais, après quelques minutes, un autre cri se mêle aux siens : plus aigu, et plus faiblard. Rickard ne peut s'empêcher de sourire : son fils est né.
Lyarra ne cesse de crier, même quand Walys lui montre son nouveau-né, couvert de sang et de liquide blanchâtre. Le mestre ne comprend pas, et, alors qu'il vérifie que tout va bien, il se rend compte qu'il touche une forme ronde et dure. Il regarde entre les jambes de sa maîtresse et pousse un hoquet de surprise : des cheveux noirs apparaissent. Walys guide ce deuxième bébé hors du ventre de sa mère, et seulement là, Lyarra cesse de crier. Le mestre pose délicatement le deuxième nouveau-né sur sa poitrine et sourit légèrement :
« C'est une fille… »
Lyarra sourit aussi et Walys se dirige vers la porte, son cœur battant : il craint la colère de son seigneur. A vrai dire, il ne comprend pas ce qui a pu se produire. IL n'a jamais eu le moindre soupçon qu'il y ait deux bébés pendant cette grossesse. Sa main appuie sur la poignée, il déglutit difficilement et fait une légère révérence :
« Monseigneur, vous avez un fils… »
Rickard ne le laisse pas finir et, un grand sourire aux lèvres, parcourt les quelques mètres qui le sépare de son épouse. Lyarra lui sourit tendrement. Il baisse les yeux pour regarder son nouveau fils, et voit qu'il y a deux nouveau-nés. Il se retourne vers Walys :
« Qu'est-ce que ceci ? » dit-il d'une voix froide de colère.
« Je… Je n'ai aucune explication, Monseigneur… Aucune… Je ne m'étais pas rendu compte… » Walys bégaie.
« Oui, c'est bien ce que je te reproche, Mestre », Rickard.
Il sent Lyarra prendre sa main et se tourne vers elle à nouveau :
« Le plus important est que ces enfants soient en bonne santé, ne pensez-vous pas ? »
« Vous avez raison, ma femme, mais… » il commençe puis se ravise. « Non, vous avez raison », il sourit et scelle leur accord d'un baiser sur le front encore humide de son épouse.
« Sommes-nous toujours d'accord pour appeler le garçon Eddard ? » Rickard acquiesçe de la tête et ses yeux se portent sur la petite fille : elle est semblable à son frère en tout point, et il eut été difficile de les différencier s'ils avaient été vêtus.
« Je n'ai connaissance que d'une seule paire de jumeaux dans notre Maison. Deux filles. Sansa, et Serena » il raconte alors que son index effleure la joue de sa fille. Sa première fille.
"J'aime Serena », Lyarra sourit et Rickard acquiesce à nouveau
« Serena donc. Maintenant, reposez-vous. J'amènerai Brandon plus tard. »
Il dépose un dernier baiser sur son front et quitte la pièce. Lyarra ferme les yeux, serrant ses enfants plus fort sur sa poitrine. La petite main de Serena attrape celle d'Eddard, et ils s'endorment tous les trois. Dehors, le vent a cessé de souffler, et la neige tombe à présent à gros flocons. Le château sombre dans le silence à nouveau et, dans sa chambre, à l'abri des regards, Brandon Stark ne se doute pas encore que sa famille vient de compter deux nouveaux membres.
A plusieurs milliers de milles, loin dans le sud de leur royaume, un enfant aussi a poussé son premier cri. Semblable en tout point aux jumeaux, excepté pour ses yeux. Les yeux des jumeaux sont aussi gris que les siens sont bleus. Son frère a le même âge que Brandon, et, plus tard, il lui ressemblera sur bien des points. Son prénom est Stannis, la glace et la pierre mélangées.
