Parvenir à écrire sur un couple à propos duquel je songe depuis des années, c'est comme une petite victoire.
Titre : Rehab
Résumé : Ses souvenirs, elle avait envie de les vomir. Tirer la chasse d'eau, se sentir un peu mieux. Et lui, qui s'amusait à marquer sa vie, à tracer de nouveaux horizons dans sa peau meurtrie… ça ne pouvait que mal finir.
Raiting : M
Disclaimer : Tout appartient à Kubo.
Bonne lecture:)
Rehab
Chapitre 1
"Le deuil n'existe pas. On se souvient. On se souviendra toujours de tout. Dans les moindres détails."
- Bertrand Betsch
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Everything x Muna
Clac.
Vide de toute expression, Rukia observa ses mèches noires rejoindre presque gracieusement le carrelage froid à ses pieds. Il y en avait tout un beau paquet, des cheveux coupés, à en masquer le bout de ses orteils, à en envahir la salle de bain plongée dans un silence presque mortuaire. Les ciseaux claquèrent encore, de plus en plus secs et saccadés, proches de ses oreilles.
Elle abaissa la main et releva le nez vers son reflet trouble, esquissa un sourire sans joie face à sa nouvelle apparence.
Etait-ce dans l'intention de provoquer Byakuya qu'elle agissait de la sorte, coupant ces longs et soyeux cheveux, quoique constamment mal coiffés, la liant encore un peu au monde de l'aristocratie du Seireitei ? Se détacher ainsi complètement de ces nobles vicieux et avides de superficialités, tel un coup de jambes désespéré pour crever la surface d'un profond lac où elle s'y était noyée trente années durant ? Ou alors paradoxalement, afin de ne plus douloureusement reconnaître, chaque fois qu'elle passait devant un miroir, la petite fille à la chevelure folle qui arpentait les rues du Rukongai, l'adolescente ayant découvert le monde surréaliste des Kuchiki, la jeune femme qui avait transmis sans regret ses pouvoirs à Ichigo Kurosaki ?
Changer. Devenir quelqu'un d'autre.
Une grimace tordit ses traits comme un spasme incontrôlable lorsqu'elle eut le malheur de songer au jeune homme aux cheveux oranges. Quand bien même une année et six mois s'étaient écoulés depuis, le souvenir d'Ichigo ressemblait à une vieille boursouflure, éternelle, omniprésente. Un désagréable mélange de culpabilité, de chagrin et de ressentiment, parfois, contre le monde entier et surtout contre elle-même, qui s'infectait.
Elle soutint une bonne minute son propre regard violet, scrutant le corps pâle et maigre, dénué des formes féminines qu'on vantait chez Rangiku ou Orihime, aux épaules voutées et aux cicatrices multiples, fardeaux de tout officier se jetant de tout corps face au danger, qui était le sien. Ses cheveux sombres, désormais carrés et disciplinées par l'eau glacée, frôlaient son menton et elle hésita entre rire ou pleurer lorsque son éternelle mèche lui retomba entre les deux yeux.
Rukia demeurait Rukia après tout, et c'était inutile de chercher à devenir quelqu'un d'autre.
Arrête cinq minutes de te morfondre sur toi-même, se gifla-t-elle mentalement tout en étouffant dans une serviette chaude sa chevelure trempée où naissaient des larmes frappant le sol. C'est inutile. C'est être faible. Tu sais bien que ce crétin d'Ichigo te taperait sur les doigts s'il te voyait dans cet état.
L'aube rosissait à sa fenêtre. Comme d'ordinaire, elle n'avait été capable de trouver le sommeil et une nouvelle idée tordue était montée à son cerveau, enivrante, avec l'épuisement que procurait ces nuits blanches à la pelle.
Quand suis-je devenue une créature de la nuit ? Certains se mettraient d'accord pour dire que Rukia ressemblait, en ce petit matin, davantage à un vampire qu'à la jolie jeune femme pleine de vie qu'on voyait rameuter ses hommes. Mais elle était fatiguée, fatiguée de faire semblant.
Effectuant un shunpo pour combler la distance entre ses appartements et la sortie du manoir – et aussi afin de mieux éviter Byakuya, probablement lui-même sur le départ –, elle se retrouva à l'air libre, et se hissa sur le toit gris de la maison voisine. Sa frêle silhouette surplombait le Seireitei illuminé de lueurs roses alors, glissant ses doigts dans sa chevelure plus légère, elle se permit un sourire.
Planté devant la caserne de la Treizième Division, Jushiro l'attendait de pied ferme. Comme toujours, Rukia trouva un certain plaisir, emmêlé à quelque chose comme du soulagement, à venir à sa rencontre. Certainement que la douceur se propageant par tous les pores de la peau de son capitaine apaisait son mal.
« Bonjour, Rukia. » l'accueillit-il chaleureusement. « Jolie, ta nouvelle coupe. »
« Merci, Ukitake-taïcho. »
Elle lui rendit son sourire, palpant machinalement les pans de son uniforme.
« Je viens de recevoir un ordre de la Première Division – nous partons d'urgence à Karakura. »
Karakura.
Non.
Elle se figea à l'entente de la ville d'Ichigo, et ses yeux s'emplirent d'émotions diverses et contradictoires qui n'échappèrent en rien à Jushiro. Un an et six mois qu'elle n'y avait pas remis les pieds, un an et six mois qu'elle évitait comme la peste toute conversation à ce sujet.
« Très bien… » marmonna-t-elle en abaissant le menton. Rentra les mains dans les poches, parut se recroqueviller sur elle-même dans un instinct primitif de se protéger.
Le capitaine ne releva pas, se contentant d'ébouriffer avec tendresse la masse capillaire noire de son lieutenant.
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KILL ME x xxxtentacion
Hard Time x KO KO MO
La pluie tombait, diluvienne. Du sang plein la bouche, Rukia n'abaissait pas sa vigilance, ses doigts pressés à l'en briser autour du manche gracieux de Sode No Shirayuki, l'oeil aussi vitreux qu'hagard fouillant la noirceur de la nuit qui s'était abattue depuis plusieurs heures sur Karakura.
Seule, pour changer.
« Ne restez pas seuls, d'accord ? Ce Hollow me semble plus puissant que les autres. »
D'un même ensemble, la dizaine de jeunes Shinigami les accompagnant dans cette petite expédition s'échangèrent une série de coups d'oeil nerveux. Que le capitaine en personne note la dangerosité d'un simple Adjuchas était… inquiétant.
Rukia aurait aimé les rassurer, rien qu'une simple parole de rien du tout, mais les hauts murs de Karakura écrasaient sa petite taille, chargés d'images sanglantes. Elle se tut, concentrée pour ne pas baisser les bras face à la crise d'angoisse la menaçant.
Le moins qu'on puisse dire, c'était qu'ils s'étaient montrés imprudents.
Ce n'était non pas un simple Hollow, mais tout un essaim qui les attendait au détour d'une rue de l'immense ville. Le sang-froid de la plupart des Shinigami s'était barré au grand galop mais bien courageusement, ceux-ci s'étaient malgré tout campés sur leurs jambes et avaient combattu. Jusque-là, tout allait pour le mieux.
Rukia en avait découpé, des masques, et puis le corps recouvert de cendre noire, elle avait pris conscience que Jushiro était en train d'abaisser sa garde, saisi d'un moment de faiblesse. Avait bondi, un hurlement désespéré jaillissant d'entre ses lèvres trop sèches. Mais trop tard, une des cornes mauves du rhinocéros titanesque, avait embroché son capitaine tel un vulgaire morceau de viande.
Alors elle l'avait buté, ce Hollow. D'un coup de sabre, la rage au coeur, les côtes palpitantes de peur. Elle avait serré son précieux supérieur entre ses bras frêles et, observant la demi-douzaine d'Adjuchas aux alentours, saisi combien ils se trouvaient tous en danger.
« Sauvez-vous… » crachota Ukitake, livide, serrant maladivement la main de Rukia entre les siennes.
« Hors de question. »
« Rukia… »
Mais la jeune femme n'écouta pas davantage ses protestations et leva un regard assombri par l'effroi sur leur maigre troupe. Dépourvus de la protection de Jushiro, ils ne pourraient bien longtemps survivre.
« Rejoignez tous le portail avec Ukitake-taïcho. Vite. »
Une très jeune fille aux cheveux verts se détacha de la masse informe et terrifiée qui les entourait. Rukia la reconnut sans peine d'un coup d'oeil – Yume Nakamura, treizième siège de leur division.
« Et vous, Kuchiki-fukutaïcho ? »
« Je vais rester. Les ralentir juste un peu. » Elle planta un regard aussi profond que féroce dans les yeux étrangement calmes de Yume. « Ne restez pas plantés là, le temps presse ! »
« Rukia. » gronda Ukitake, cherchant mollement à se débattre tandis que deux Shinigami le soulevaient avec douceur et se volatilisaient dans la seconde. Yume fut la dernière à disparaître, adressant un bref hochement de tête au lieutenant, la laissant seule.
Elle les avait éloignés. Elle les avait combattu et en affichait à présent les conséquences. De profondes blessures trouaient son buste et ses bras tremblants, rouges et dont l'averse ne parvenait à effacer la saleté, des marques d'ecchymose marquaient sa gorge fragile, les pans de son uniforme affichaient des déchirures, il semblait qu'une de ses côtes était brisée.
Elle les avait vaincus, du moins presque tous. Des six Adjuchas, il n'en demeurait plus qu'un. La traquant à travers les rues de Karakura, ricanant de sa douleur, l'attaquant puis disparaissant tout aussi brusquement dans les ténèbres, tel un gros matou jouant avec sa proie.
L'hydre.
Putain, il aurait certainement sa peau celui-là.
Rukia clopina encore avant de prendre une immense inspiration. Ça y était, elle en avait sa claque. De tout, la vie et surtout la mort, les absences diverses qui poignardaient son existence dépourvue de tout sens, les hantises, le malheur, les mèches coupées qui tombaient à ses pieds, la maigreur, le regard épouvantablement vide qui était devenu le sien.
Ce soir, tout allait prendre fin. Elle le décida ainsi, d'un claquement de doigts et sans regrets, qu'elle mourrait ici et maintenant, fière et droite, le zanpakuto au poing, et que jamais quiconque ne découvrirait que sa mort soit-disant honorable ressemblait davantage à un suicide.
Oui, il était temps.
Aussi s'effondra-t-elle à même le bitume humide, attendant repliée sur elle-même que la mort la rejoigne.
« Viens, je t'attends… »
L'Hollow ne tarda pas. Monstre doté d'une trentaine de têtes de serpents féroces, il faisait trembler le sol à chacun de ses pas. Eclata d'un rire sinistre en découvrant ainsi Rukia.
« On abandonne, Shinigami ? »
La jeune femme se contenta de sourire calmement, ne prenant même pas la peine de répondre à sa provocation. Ainsi, ce seraient les derniers mots qu'elle entendrait avant de quitter ce monde ? Son coeur se serra.
Hisana, Ichigo… J'espère que vous ne m'en voudrez pas.
Elle ramassa ses genoux contre sa poitrine, plongea son nez dans le tissu sombre afin de ne pas voir la mort arriver. C'était terrifiant d'en avoir conscience, quand bien même elle le souhaitait de toutes ses forces.
Mais la mort ne la faucha pas. En revanche le son d'un sabre qui fend l'air, lui, emplit les oreilles de Rukia qui releva vivement la tête, stupéfaite de découvrir le Hollow se dissiper sous ses yeux avec un grognement de douleur. Mais qui… ?
« J'suis pas trop en retard, j'espère ? »
Son sang se glaça. Cette voix… Cette voix moqueuse, elle l'aurait reconnue entre mille. Puis ça lui sauta aux yeux, tous ces petits détails – le blanc du haori qui claque dans le vent, les cheveux gris lune, ce sourire… ce sourire à vomir qui ne quitte jamais ses lèvres, les deux fissures que forment ses yeux clos.
Gin Ichimaru venait de toute évidence de lui sauver la vie.
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Verdict ? Chaque commentaire, me fait grave plaisir et j'y réponds tôt ou tard.
Lybeah.
