La véritable peine.
FF7 -Tseng X Elena
DISCLAIMER (l'endroit où que l'on dit des trucs.)
Couple : Tseng x Elena
A noter : certains éléments peuvent sembler un peu lointains du canon du jeu. Dans cet OS, il vous faudra accepter plusieurs headcanons minimes. Merci de ne pas m'assassiner pour avoir profaner le sacro-saint jeu et la sacro-sainte charte. Par bonheur, ceux-ci ne sont que de tous petites offenses et ne devraient absolument pas déranger un fan de la première heure.
- J'ai donné le nom de famille 'Rose' à Elena. Parce qu'il lui faut bien un nom de famille et que celui-ci me plait.
- J'ai fait en sorte qu'Elena passe par une académie militaire (une 'école' de la Shinra lol) avant son entrée au TURK. Parce que c'est drôle et parce que voila.
Si ces deux headcanons ne vous semblent pas insurmontables, alors à table les zoiseaux :) !
Bonne lecture à vous
– La douleur n'est qu'un concept. La souffrance, une réception physique que l'esprit humain peut contrôler.
L'ancien soldat se tourna vers la promotion de jeunes femmes et hommes en devenir. La quinzaine d'élèves approchant de leur majorité semblait boire ses paroles cours après cours et ce, même avec la fatigue accumulée des semestres. Leurs yeux étincelants s'accompagnèrent de bouches bées lorsque le retraité de l'armée sortit de son dos une cravache en cuir noir et mat, rongée par endroits d'une usure qui n'inspirait que le respect.
Alors que les sourcils du plus âgé se fronçaient imperceptiblement, la porte en bois de la salle de cours s'ouvrit en un grincement audible et désagréable.
Passant du grave à l'aigu, il se termina par l'entrée d'une jeune femme blonde aux cheveux coupés en un carré asymétrique lui retombant par mèches éparses ou indociles, sur une partie du front.
– Elena Rose, Monsieur. Nouvelle arrivante du cours d'excellence militaire, Monsieur.
Sur ce, consciente de son retard apparent, la jeune arrivante claqua ses talons l'un contre l'autre en un salut militaire franc et parfait. La jeunette se tenait droite, son uniforme d'apprentissage lisse et propre en tous points. Si ça n'avait été son jeune âge – au moins trois ans de moins que les élèves habituels de cette école – l'ancien soldat aurait juré voir débarquer un émissaire officier du directeur de son établissement. Mais il n'en était rien, et il le savait.
– Un salut exécuté trois minutes trop tard, Miss Rose, le cours a déjà débuté, claqua le militaire en plantant ses yeux gris dans ceux, noisette, de la jeune femme.
Elena aurait pu plaider sa mutation incompréhensible dans ce nouveau cours d'académie – spécialement demandée par la direction sans son accord préalable – ou encore sa présence assidue au cours d'apprentissage des méthodes et psychologies humaines, se terminant à l'instant même où commençait celui de son nouveau professeur mais elle n'en fit rien. Elle accepta le reproche sans plainte aucune et s'autorisa un regard sans émotion envers le militaire à la retraite.
Surpris par l'attitude calme et docile de la plus jeune élève de sa nouvelle promotion, l'homme en uniforme hocha sèchement de la tête en lui désignant un bureau de bois noir luisant, non loin. Elle y déposa ses affaires avec douceur mais rapidité et rejoignit, menton levé, le troupeau indocile formé devant le professeur et sa cravache.
Alors que les murmures et les investigations visuelles envers la blonde se faisaient plus pressants dans le groupe d'apprentis officiers, le bruit sec d'une cravache s'abattant sur un bureau retentit dans la pièce blanche et laissa une impression de brutalité au creux des tympans des élèves réunis.
Quelques sursauts, de sourcils ou de personnes, un petit cri étouffé par une main honteuse et cette jeune femme, fraîchement arrivée, impassible comme une montagne face à la brise de printemps.
– Ceci est un cours sur le concept de la douleur et son acceptation, répéta le militaire une fois que les regards se furent tous fixés sur lui. Miss Rose ?
– Monsieur ? répondit-elle sans appréhension
– Vous serez notre cobaye pour cette expérimentation. Je suis sûr que votre retard à mon cours saura vous remémorer les raisons de ce choix.
– Sans doute aucun, Monsieur.
L'adolescente déboutonna sa veste bleue foncée, symbole de reconnaissance des troisièmes années de l'établissement. Lorsqu'elle la posa, proprement et prestement pliée en deux derrière elle, dévoilant sa chemise blanche uniquement interrompue par le foulard court des officiers féminins, l'ancien militaire put en apprécier la valeur. Ornée de plusieurs décorations de l'école de formation militaire d'excellence ShinraCorp, un palmarès impressionnant s'étalait à l'actif de la jeune Rose puisque sur la dizaine de récompenses disponibles au cours des cinq années de graduation réglementaires, le militaire entendit le tintinnabulement d'au moins sept d'entre elles.
Bien sûr, il connaissait le passé et l'origine de sa nouvelle apprentie. Bon sang ne sachant mentir, il se retint de sourire lorsque l'adolescente blonde remonta ses manches blanches jusqu'aux coudes et présenta ses avants-bras nus et ses poings fermés tournés au ciel, à celui qui allait les décorer de rouge si bientôt.
– Notez : la douleur n'est qu'une information parmi tant d'autres qu'envoie votre corps au cerveau.
Sans attendre, la zébrure se dessina finement sur la peau de lait d'une jeune fille silencieuse.
Sa paupière lourde s'ouvrit sans que sa raison ne le décide. Elle avait repris connaissance alors que la pluie de la forêt avait commencé à tomber sur ses joues blanches. Quelques gouttes froides et irréelles sondaient les contours de ses pommettes et s'aventuraient au gré de leur taille sur la commissure de ses lèvres fermées, ou glissaient sur les marbrures de son cou tendu.
La jeune femme cligna de son œil valide une seconde ou deux avant d'apprécier, en entrouvrant sa bouche d'un râle discret, la présence d'un liquide potable à l'intérieur de sa bouche.
Humidifiant ses papilles d'une eau pure venue du ciel, filtrée par les branchages immémoriaux cristallisés de l'endroit blanchâtre où son corps reposait à terre, la jeune femme se fit violence pour tourner son cou durement touché par la dernière séance.
De loin, elle aperçut une masse informe, noire.
Sa nuque meurtrie de la dernière heure émit un craquement sonore et elle serra les dents pour activer son épaule et tendre le bras.
Agrippant la terre meuble sous ses doigts, elle y planta ses ongles courts et tenta de se traîner vers la masse immobile.
La pluie continuait de tomber sur sa peau, détrempant peu à peu ses vêtements et formant un rideau de plus en plus opaque pour sa vision affaiblie. Sous elle, la terre se déroba et elle en projeta quelques éclats sur son visage déjà par moitié souillée contre le sol de la forêt.
Pas un son ne sortit de sa gorge sèche et abîmée alors que ses traits se tiraient en une expression qu'elle n'avait pas expérimenté depuis de très nombreuses années.
– Ts...
Alors que ses chairs se raffermissait sous l'effet du froid, la recrue mordit sa langue et un goût de fer se répandit sur ses papilles. Elle ne distinguait de l'homme à quelques mètres d'elle, qu'un dos courbé et un semblant de bras tordu dans un angle étrange.
Aucune respiration ne soulevait son torse. Aucun bruit ne lui parvenait, signe d'une vie encore présente chez celui qui l'avait tant protégée jusqu'alors.
La dernière séance avait été rude. Ses tympans vrillés par l'assommante symphonie d'un cri qu'elle connaissait désormais par cœur, la jeune femme avait préféré provoquer elle-même la venue précoce de son agresseur préféré pour mettre un terme à cet opéra de douleur auquel son être assistait.
Au rappel de la scène passée, Elena enfonça sans précaution son visage crispé dans la boue en formation comme pour s'y noyer. Elle regretta son geste lorsqu'elle sentit s'infiltrer dans sa narine une odeur nauséabonde de terreau mélangé à d'autres éléments de cette terre mille fois sacrée et maudite.
Elle se fit violence pour redresser au mieux son cou et ses épaules. Elle ignora le signal sourd de ses muscles, celui, plus subtil, de ses articulations, et celui, prédominant, de ses blessures ouvertes par endroits.
La douleur n'était qu'une information parmi tant d'autres qu'envoyait votre corps au cerveau. Une somme d'impulsions électriques nuancées atteignant une valeur mathématique contrôlée par une réception inconsciente, traduite sous forme d'altérations physiques variables et correspondant à un seuil d'alerte.
Rampant enfin avec force sur le sol blanchi par endroit, son avant-bras se trancha sur un morceau de cristal enduit de boue. Elena sentit l'impulsion électrique remonter à son cerveau et y coupa court.
Cette peine ne valait pas d'exister. A vrai dire, aucune d'entre elles ne le valait véritablement.
Son travail ne lui permettait pas d'accorder d'importances à ces afflux électriques gênants qui morcelaient sa conscience et sa pensée.
Froide et tranchante, telle une lame, elle se devait d'aiguiser son jugement et d'affûter son esprit. Elle était métal et ces douleurs, un mord-fil à évincer.
Son esprit était pierre et sa contenance, un barrage à tout obstacle.
– Tsen..
Elle hurlait en elle-même alors que le simple nom de l'homme arrachait sciemment, parcelle par parcelle, la muqueuse de sa gorge irritée et aphone.
Il n'y avait plus de peine. Juste cette incapacité que nulle information n'arrivait à surmonter.
Elle retomba au sol, ses doigts atteignant enfin du bout de leur pulpe, le tissu sale et déchiré par endroits de celui qu'elle avait cherché à rejoindre dans cet océan d'informations.
Elle toucha son uniforme et le caressa, cherchant à passer sous la veste pour déceler de la chaleur.
– Vis...
Repérant enfin un signe désespéré et faible de respiration, la jeune femme sentit le barrage de son esprit céder et la vague d'impulsions s'empara de son corps. Malmenée par des soubresauts, véritable esquille ravagée par la tempête, Elena se laissa sombrer dans les abîmes noires et glacées d'un océan de sensations refoulées.
– Vous pouvez y aller, Monsieur, désigna l'homme en uniforme de professeur au jeune homme qui se présentait devant lui avec l'assurance d'un lion et la démarche d'un loup.
Son regard, véritable onyx dessiné en une amande parfaite, suffit à remercier le plus âgé de ses actions.
– Je ne serais pas tendre, termina-t-il sans même avoir commencé d'autres discussions.
– J'attendrais les malchanceux dans la pièce secondaire. Gardez ceux qui vous semblent à la hauteur.
Cette fois-ci, le jeune homme se retourna vers lui alors que la poignée de la porte qu'il tenait fermement n'était pas encore activée.
- Il n'y en aura aucun. Il en est ainsi chaque année.
Le militaire tiqua de la langue, désapprobateur face à l'attitude insolente du jeune en costume noir. Cependant, il devait avouer que ses trois seules et premières années d'enseignement à l'académie n'avaient pas laissé tombé les fruits escomptés par ses semailles.
Chaque année, le jeune homme au catogan parfait revenait, fermait cette porte en compagnie de sa promotion et...
A vrai dire, le militaire ne connaissait pas la suite. Aucun de ses élèves n'avait jamais voulu le lui révéler, que ce soit sous la menace, sous la cravache ou entre quelques pleurs assumés. Et chaque année, aucun des élèves n'était retenu par celui qui avait pris la tête de l'élite de la police secrète de Shinra.
Les TURKs.
Alors que Tseng actionnait la poignée de la porte qui le séparait de sa promotion, l'ancien Soldat passa un bref regard à l'intérieur et examina au mieux l'état de la douzaine d'élèves restants de sa promotion.
Avec anxiété, il attendit.
Cette année, la promotion mit deux heures à sortir. Moins que l'année précédente, mais plus que la toute première.
Visages livides et tremblements incessants avaient été le lot des tous premiers, sortis à la hâte. Regards fixes et pâleur inquiétante avaient été celui des derniers.
Lors que le militaire comprit en secouant un de ses plus prometteurs élèves, qu'il n'aurait pas la réponse du mystère cette année encore, il se rendit compte d'un problème plus grave.
– Et Miss Rose ? Demanda-t-il agressivement au jeune homme châtain foncé qui lui faisait face, tétanisé.
A l'évocation du nom de la plus jeune, le garçon qui devait devenir homme dans l'année afficha un regard embué et son visage vira du blanc au vert. Pris d'une nausée que l'adulte ne s'expliquait pas, il s'enfuit, laissant le professeur solitaire dans le couloir blanc immaculé.
Il se retourna sur le champ et s'engouffra dans la pièce pourtant interdite, prêt à découvrir l'horreur personnifiée.
Il s'arrêta et ses traits se tirèrent lorsqu'il aperçut ce qui le marquerait à vie.
- Quelque chose ne va, Capitaine Voller ? s'enquérit calmement le leader des T.U. avant de reprendre de sa voix grave mais calme. J'avais pourtant expressément demandé à ne pas vous voir entrer ici avant la fin des opérations.
- Je... Ex-Capitaine, fut la seule réponse que le militaire réussit à balbutier face à la scène.
- Il va être dommage de devoir vous relever de votre poste dorénavant que vous connaissez l'épreuve. Les professeurs qui excellent dans votre art sont peu nombreux.
Le leader de la police secrète soupira un instant avant de claquer des doigts et que ne s'engouffrent à sa demande, trois personnes de noir vêtues. S'emparant du corps ensanglanté de la jeune fille face à eux, ils la sortirent sans ménagement.
Le professeur en uniforme ne put s'empêcher de suivre des yeux le corps, respirant encore par à-coups saccadés entrecoupés de sifflements gorgés de gargarismes sanglants. Il tenta d'y apposer une main hésitante mais devant l'horreur de la chose, la retira immédiatement. Il vit se décrocher du coup de la jeune élève le foulard distinctif qu'il la voyait porter joyeusement depuis un ou deux ans déjà.
Comment cette abomination avait pu arriver au sein de son établissement ?
– Ce n'est pas ce que j'ai enseigné... souffla-t-il pour lui même et pour son assistance.
– Pourtant, vous avez enfin réussi à inculquer quelque chose à l'une d'entre eux, soutint Tseng d'un ton que le militaire pouvait presque qualifier de satisfait – exploit rare lorsqu'on connaissait comme lui, la capacité ultime du jeune Utaien à dissimuler ses émotions derrière un masque de cire finement ciselé.
– N'est-ce pas, Miss Rose ?
A l'évocation de son nom, la jeune étudiante sortit du fond de la salle, portant à son bras la veste bleue marquant son appartenance à l'établissement d'élite. Sa chemise blanche, imbibée d'une couleur rouge grenat sur toute sa face avant, lui collait à la peau, laissant voir des formes féminines en formation qu'elle cachait pourtant d'ordinaire du mieux qu'elle pouvait.
Sa réponse se fit concise, alors que l'écarlate de ses vêtements renvoyait sur ses joues une teinte que l'ex-militaire ne lui aurait jamais deviné seyante.
Ce démon blond qui venait de massacrer une élève du niveau d'en-dessous de sang-froid, sans ressentir ni compassion ni déchirement, lui apparaissait sous un jour nouveau.
Elle avait compris la véritable leçon depuis bien longtemps.
Avant même son entrée dans ses cours. Avant même ses poings tendus vers le ciel face à sa cravache revancharde. Avant même son regard noisette planté dans le sien alors qu'il s'échinait à faire comprendre aux autres élèves le réel sens d'une souffrance apprivoisée.
– La victime en question a été répertoriée depuis bien longtemps dans nos fichiers. Nous l'avons laissée suivre ses cours ici même dans le but précis de l'abattre face à vos élèves le jour venu. Une personne déjà connue voire appréciée de vos élèves fait mouche à chaque fois. Bien sûr, si elle survit, nous la transférerons immédiatement en cellule, là où elle aurait déjà dû séjourner avec les traîtres de son espèce depuis bien longtemps, déclara placidement le brun en essuyant une paire de gant rougis avant de les mettre dans la poubelle la plus proche avec déception.
– C'est comme ça, c-chaque année ? balbutia le soldat sous le coup de l'émotion.
Le jeune homme au catogan haussa un sourcil, partagé entre l'amusement et la déception. N'était-ce pourtant pas évident ?
– Vous pouvez disposer, Miss Rose. Nous reviendrons vers vous si l'ensemble de vos études se déroule de la même façon.
– Merci, Monsieur.
L'étudiante hocha la tête et s'en fut sur le champ, sans même un regard pour le professeur béat.
– Pourquoi ? questionna-t-il dans un souffle pour le jeune leader accoudé au bureau, fixant de ses amandes noires le dos de l'élève qui avait su retenir son attention. Pourquoi elle et pas les autres ?
Tseng mit quelques temps à se décider à répondre. Jaugeant son interlocuteur dont l'esprit vacillait entre dégoût et sobriété, il soupira :
– Vous devriez le comprendre mieux que moi 'Ex-Capitaine' Voller. La douleur n'est qu'une information n'est-ce pas ? Mais qu'en est-il de celle d'autrui ? Que crée l'information de la douleur d'autrui sur un cœur bardé d'insensibilité à sa propre souffrance ?
Il laissa un silence se créer et termina :
– C'est ça Capitaine. Miss Rose est une des rares personnes de son âge à connaître le sens de la véritable peine.
Sur le sol froid de la forêt, adossée à un arbre cristallin dont la blancheur ne faisait qu'accentuer la misère des deux personnes s'abritant contre son tronc, Elena tentait d'enserrer l'homme pour qui elle se battait contre l'inconscience.
Sa cheville fêlée par endroit déversait lentement son lot d'informations à son esprit mais la barrière était revenue, solide.
Réveillée par le bruit d'un craquement de branches, elle avait tout d'abord cru au retour soudain d'un trois argentés qui les retenaient depuis des semaines déjà dans cet antre infernal où ils avaient été laissés pour morts.
La torture quasi quotidienne avait laissé de marbre les deux acolytes des T.U. . Insensibles à l'achèvement physique, ils n'avaient jamais révélé la moindre information utile pour le compte des incarnés. La torture mentale s'était avérée tout aussi inefficace.
Pourtant, après de longues journées à subir les assauts répétés du trio, Elena avait découvert que le barrage qu'elle avait érigé depuis son plus jeune âge, comportait une faille béante.
Inatteignable, inexploitable, discrète, cette faille n'avait de cible que sa porteuse et créatrice.
Et c'était un simple cri qui l'avait réveillée.
Un cri atroce, soudain, inattendu.
Un cri qu'elle n'avait jamais pensé entendre de sa vie, puisqu'elle pensait pouvoir donner la sienne pour l'éviter à tout moment.
Le cri de l'homme qu'elle tenait en ce moment dans ses bras, entre la vie et la mort.
Ses propres cris, résonnant à ses oreilles alors que le plus imposant des Incarnés s'acharnait avec avidité sur son dos démuni, n'avaient été ressenti que comme lointains, durant les séances. Les zébrures brûlantes sur ses bras, n'avaient été que des échauffements à peine digne d'être remarqué par son esprit imperméable et déjà parti dans un autre recoin, à l'abri. Les marques violacées apposées par des mains mortelles sur son cou, qui l'avaient parfois fait céder à l'inconscience brumeuse, n'avaient été que bienfaits pour ses pensées affaiblies et divagatrices.
Elena avait subi un nombre incalculable de sévices entre leurs mains mais il était aisé de leur résister lorsque le corps comprenait encore cette séparation simple, mathématique, logique entre informations et émotions.
Pourquoi parler pour de simples impulsions électriques infligées par son propre corps ?
Cette raison ridicule ne menait à rien et elle savait que de son côté, l'homme qui la commandait ne ressassait en boucle, à l'intérieur de lui, que cette unique pensée.
Prisonniers tous deux d'une chair meurtrie, d'un corps invalide, d'un esprit déchiré, leur conscience et leur santé mentale demeuraient sans faille et il leur suffisait d'un regard entre deux séances pour se le réaffirmer l'un l'autre.
Il n'y avait ici, pas de véritable peine.
Mais ce jour où le cri avait déchiré la forêt en deux, avait fait céder la digue construite il y avait de cela des années par la jeune femme.
Alors qu'aucun bruit ne suivait le silence imposé par cette brisure dans le temps, elle avait vu revenir le corps de cet homme qui jamais, n'avait émis un bruit durant leurs tortures.
Ça avait été un cri d'une violence inouïe, qui avait ébranlé les fondations mêmes de son âme.
L'âme. Ce concept abstrait que nul ne lui avait jamais appris à panser.
Tseng était revenu, porté à bout de bras par le colosse du trio et posé à terre alors que celui-ci s'en allait, troublé par ce qu'il venait d'entendre, comme eux tous.
Elena avait crié elle aussi, du plus fort qu'elle avait pu : émettant un son semblable à un gargouillis alors que le second du trio venait déjà la rechercher pour continuer leur petit jeu pluri-quotidien.
L'homme qui avait crié ne cria plus jamais depuis ce jour, et ainsi avait commencé la véritable peine.
Une douleur insondable, nouvelle, directe et brûlante. Puissante comme un brasier et froide comme une aurore en destruction. Une peine incessante qui avait fait d'Elena une femme meurtrie dans son entièreté.
L'esprit et la chair dédiés au monde physique et mortel avaient entièrement cessé d'exister à ses yeux. Inondés d'informations qu'elle ne savait stopper.
Ces informations, ni électriques, ni compréhensibles. Intégrées sans son consentement, inatteignables par sa conscience et uniquement soulagées par un sommeil forcé chaque fin de journée venant. La tiraillant de l'aube au crépuscule, sans discontinuer.
Sentant la cage thoracique de l'homme dans ses bras s'affaisser doucement en deux ou trois étapes, elle ressentait à chaque pause l'arrivée soudaine de cette peine véritable. Poignardée, morcelée, lacérée dans un instant de douleur et d'incompréhension, Elena pouvait presque palper ce qu'elle appelait désormais 'son âme'.
– Vis...
Sa prière futile s'estompa aux vents de la forêt silencieuse. Soutenir de ses yeux, de ses mains, de tout son être, l'affliction de l'homme qu'elle aimait avait été le rappel de ce pour quoi elle avait été choisie ce jour-là, à l'examen.
Torturée par leur inspecteur, puis torturant sur son ordre une camarade qu'elle avait connue, devant les yeux et les esprits incapables d'agir de ses compagnons avait été un jeu d'enfant pour elle. Pourtant, lorsque le jeune homme au catogan était revenue la voir le soir même dans son dortoir, il lui avait soufflé avant de partir une parole qui était resté sans substance à son âge.
« Ça n'était pas la véritable peine, n'est-ce pas ? »
La jeune femme blonde serra contre elle de ses bras amaigris le corps de Tseng. Affermissant son contact alors que celui-ci ne semblait plus réagir à ses appels muets, elle réussit à murmurer :
- Ça l'est, à présent... Ça l'est.
Une larme coula sur la joue de la jeune femme qui avait enfoui son visage tuméfié et sali dans les cheveux noirs et souillés de l'homme au teint de miel. Son discours éraillé perdu entre passé et présent n'atteignait plus la conscience de son chef. Depuis ce cri, elle le savait.
L'inconscience vint la soulager alors que le silence bienvenu et synonyme de l'absence de leurs tortionnaires, véritable couperet, signait la froideur et la solitude de cette nuit à venir.
– Tu crois qu'ils vont s'en sortir ? fit la voix de la jeune fille, partagée entre l'inquiétude et un ressentiment égoïste à la limite du remord.
A ses côtés, un homme encapé de rouge haussa les épaules. Il porta son regard sur les deux corps fatigués et bercés par l'absence de troubles qu'il avait arraché à la folie et à la mort. Le visage de l'homme semblait serein, si l'on arrivait comme lui à distinguer ses traits sous la couche d'hématomes et de coupures diverses. Son corps avait été endommagé mais avec des soins et une technologie appropriée, il pourrait être sur pied dans quelques semaines.
Il s'attarda un peu plus sur la jeune femme et son regard intense se fit plus précis.
– Dis, Vincent ? Tu crois qu'ils vont s'en sortir, en vrai ? répéta la jeune kunoïchi en prenant une couverture supplémentaire dans un coin de la grotte de fortune, transformée en hôpital de campagne.
Les traits de la jeune femme étaient froids, douloureux. Et si son corps avait été endommagé, les séquelles physiques n'avaient pas inquiété leur sauveur au premier abord. Mais il sentait en elle quelque chose qu'il n'avait plus ressenti depuis sa propre expérience.
Vincent fixa Elena encore quelques secondes et, devant l'insistance de la plus jeune, grogna fatalement.
Elle survivrait. Marquée à vie de ce souvenir douloureux et unique.
Marquée à jamais par la véritable peine.
