Toi et moi contre le Monde

Une fragile silhouette arpentait les sombres ruelles d'un Chicago dévasté, d'un pas cependant enjoué et qui contrastait avec le terrible gris des buildings qui l'entouraient. Un sourire se dessinait sur ses lèvres alors qu'elle sentait en elle l'excitation monter. Même le ciel maussade paraissait être éclatant, et elle seule parvenait à apercevoir quelques rayons du soleil percer à travers ce manteau opaque.

La jeune femme ne pouvait être plus heureuse… Aujourd'hui était un grand jour. Mieux, aujourd'hui était SON jour.

C'était le seul jour que la société lui attribuait pour choisir son Destin. Jusque-là, elle avait subi le sort qui était celle d'être née de parents issus de la faction des Sincères, les gens honnêtes de la civilisation. Depuis petite, elle s'était confrontée à ce monde où la vérité était seule maîtresse. Ses parents et ses frères ne lui avaient pas inculqué l'art du mensonge et la sincérité était son credo, peu importe à quel point elle blessait. L'adolescente s'était accommodée à cette vie, en serrant les poings et en faisant ce qui était attendu d'elle. Jamais elle n'avait déçu, jamais elle n'avait eu un comportement déplacé ou malhonnête. Elle était la fierté de sa famille, petite dernière, et choyée.

Mais intérieurement, elle s'était toujours sentie étouffée. Etouffée par cette obligation à se convertir en avocat de la Justice. Ce n'était pas qui elle était, c'était l'image que la société voulait qu'elle devienne. Et cela ne lui plaisait guère. Elle voulait être… différente. Non pas par prétention, mais cette vie dictée par un code de conduite ne lui avait jamais permis de se découvrir réellement. Ses frères, Jonas et Aimé l'avaient supporté, vu qu'ils avaient décidé de rester dans leur faction originelle, un jour semblable à celui que la demoiselle vivait actuellement.

Mais elle, elle ne voulait pas commettre une erreur semblable…

Une pièce bondée s'offrait désormais à elle. Toutes les familles des jeunes qui allaient sceller leur Destin étaient présentes et la salle était pour dire comble. La pression se fit ressentir, ses muscles se raidirent quelque peu et il lui parut qu'il faisait un temps de canicule, tant elle avait chaud. A côté d'elle se trouvait quelques personnes qu'elle connaissait. Elle reconnut Christina et Peter, de sa faction. Autant la première était quelqu'un qu'elle admirait et appréciait grandement, autant le second avait le don de lui faire hérisser les poils. Peter était à double-tranchant, il pouvait offrir un sourire avenant et tendre avant de sortir la plus terrible des lames au travers de paroles atrocement venimeuses. Tant que la demoiselle avait fini par le surnommer intérieurement « La Fourbe Vipère ».

Son nom retentit d'ailleurs, faisant monter d'un cran supplémentaire la pression que l'adolescente subissait à crescendo depuis le début. Christina également fut appelée, de même que les membres des autres factions.

De ses yeux quelque peu grossis par l'excitation, la jeune fille observait les autres faire leur choix. Beaucoup restèrent dans la sécurité de leur faction originelle, quelques-uns partaient pour des factions dites « d'amour », soit celle des Altruistes et des Fraternels, qui offraient un rythme de vie harmonieux, bien que travailleur et restrictif pour les premiers. Certains optaient pour une carrière dans les Sincères ou les Erudits, ces derniers étant dirigés par Jeanine Matthews, la Présidente de ville, également présente lors de la cérémonie.

Et enfin certains autres, comme Peter et Christina, optaient pour la faction des Audacieux, les seuls à perturber le côté solennel de ce passage à l'âge adulte par des cris barbares dès qu'un jeune verser son sang sur la braise ardente, symbole de cette faction en charge de la Sécurité de la ville.

« Katherina Zenor »

Une voix retentit, appelant la jeune femme à s'avancer. L'excitation de toute à l' heure s'était muée en adrénaline pure et dure, et la joie avait peu à peu pris place à l'incertitude. Les mains tremblantes, la jeune fille âgée de seize ans s'avança, s'offrant à la vue de tous.

Elle sentit sur elle tous ces regards, et surtout, le regard de ceux qui avaient été sa famille. Devant les différents choix qui s'offrirent à elle, Katherina demeurait stoïque, immobile, comme paralysée. Elle analysait de ses yeux les différents éléments disposés devant elle et s'imaginait les changements que chacun pouvait potentiellement apporter.

Et, soudain, la Sincère ressentit quelque chose de nouveau. Un malaise, une douleur à la poitrine, et une émotion qui aurait pu lui amener des larmes si elle ne figurait pas au centre de l'attention de tous.

Elle venait de comprendre alors pourquoi tant de jeunes, aussi aventureux soient-ils, se confortaient en restant dans leur faction originelle. Pour la famille. Son insouciance et son avidité d'aventures lui avaient tant obnubilée qu'elle en avait oublié le sacrifice qui découlait du choix qu'elle allait faire. Ellen e resterait pas une Sincère, mais pour ce faire, elle devrait abandonner Mère, Père, et Frères. Et à la réalisation de cette tragédie, elle dut serrer les lèvres. Elle se trancha faiblement la peau, et déversa le sang sur la braise chaude des Audacieux, leur décrochant un énième cri de victoire qui résonnait bien plus amer qu'il ne l'aurait dû.

Pourquoi ce choix ?

Parce qu'elle voulait se sentir vivante. Elle voulait être de ceux qui se démarquaient, sans avoir à se sentir obligée de rentrer dans un moule. Elle aimait la promesse de liberté que lui offrait la faction des forts de corps et d'esprit et avait hâte de se séparer de cette prison qu'était la vie des Sincères. Seul le regard que lui offrit sa famille alors que Katherina disparaissait dans une foule d'Audacieux lui donna l'impression qu'elle regretterait ce choix. Heureusement, on ne lui donna aucunement le loisir d'y réfléchir davantage.

« Les Audacieux, avec moi ! »