En temps normal, les zombies sont couchés sur papier. Mais jamais je n'aurais cru en voir grandeur nature, animés et sonores. Dans un premier temps, j'étais excitée à l'idée que des morts vivants existent réellement. C'était un cas isolé, maitrisé, et j'étais en sécurité sur le toit de mon immeuble, une clope à la bouche. Je me foutais un peu de tout.

Maintenant, ce n'est plus vraiment la même chose. Ils ne me font plus peur, ils me dégoutent et m'inspirent de la haine. Je vis dans une constante crainte non pas de les voir, mais justement de ne pas les voir. Il vaut mieux les avoir en vue que ne pas savoir où ils se trouvent et se cacher d'un mal que l'on ne parvient pas à situer.

De la musique. Merde, d'où ça vient ? C'est très proche. Et je vais finir piégée si je ne bouge pas. Vite. Je retire le cran de sureté de mon pistolet, et, arme au poing je progresse discrètement dans la forêt. La pénombre va vite être un avantage en leur faveur. Il faut que je trouve un arbre, un toit, n'importe quoi en hauteur.

J'entends des bruissements à quelques pas d'ici. Je me cache, scrutant les alentours mais ne vois rien de plus qu'une maison. Je la longe pour accéder à la porte d'entrée, mais au moment d'allumer ma lampe torche pour y voir plus clair, j'entends des pas qui se rapprochent, sortant de la bicoque. Je me cache rapidement sous le perron après avoir vérifié que je serai seule là-dessous. Plus de musique, le calme est revenu mais pas pour longtemps. J'ai raté ma chance, je vais devoir rebrousser chemin avant que les geeks n'arrivent.

- Vite, faut qu'on se dépêche de partir. Ils vont arriver en masse à cause du bruit, murmure une voix provenant de l'intérieur.

- Désolée, j'ai pas fait gaffe, répond une voix féminine.

C'est une femme qui sort en première. Jeune, élancée. Elle a les cheveux jusqu'au cou, et se balade avec une mitraillette. Visiblement, la musique, c'est elle.

- La prochaine fois, on le fera dans la prison, ça devient trop dangereux de sortir la nuit.

Qu'est-ce « qu'on fera la prochaine fois » ? L'homme sort. Il porte une capuche et un couteau énorme. A côté, mon couteau de cuisine piqué dans une maison est pathétique.

Une prison ? Ces jeunes gens maladroits sont donc prisonniers ? Plus rien ne m'étonne maintenant...

Des bruits désagréables de geeks se rapprochent. Leurs gémissements étranges donnent un aspect glauque à la scène, et je peux constater de sous les marches de la maison le visage plus ou moins serein de la jeune femme se décomposant face à la panique qui s'empare d'elle.

Quelques secondes où chacun de nous sort son attirail d'armes et les voilà. Il y en a quatre, et je reste à terre, observant les deux humains se mettre en position de défense.
Je m'apprête à sortir de ma cachette pour aller les aider quand une voiture déboule en trombe, percutant les geeks au passage. Le véhicule s'arrête, et un homme en sort, arbalète en main. Le petit groupe s'attaque aux geeks et leur règle leurs sorts en deux ou trois mouvements. Le mec à l'arbalète se débrouille pas mal, et une fois le combat terminé, il se met à crier sur les deux jeunes gens, comme si attirer quelques morts-vivants en plus ne le dérangeait pas.

- Vous êtes devenus dingues ?! Si vous voulez baiser, la prison est pleine de chambres. Trouvez-vous-en une au lieu de disparaître en pleine nuit, fait-il.

La petite scène se termine et l'accusateur pousse le couple dans leur voiture avant de regarder autour de lui pour s'assurer que personne n'est dans les environs. Il m'éclaire même avec la lampe torche, je mets mes mains devant mes yeux pour me cacher de la lumière aveuglante qu'il pointe sur moi. Un instant je sens qu'il me voit mais je ne cherche pas à sortir de là où je suis. Je fais cavalier seul, j'ai toujours préféré ainsi, j'ai toujours été ainsi. Il rentre dans sa caisse, et le petit groupe repart aussi sec, avec la nourriture que je convoitais.

La nuit se passe plutôt doucement. Je me cale dans mon abri : un arbre avec un matelas ficelé entre trois branches. Je suis sauvage, je monte aux arbres depuis toute gosse. Ce mode de vie me convient assez. On n'arrêtait pas de me rabâcher « fais gaffe, le jour où tu tomberas tu rigoleras moins ». J'ai eu raison de ne pas y avoir prêté attention.

Les geeks me laissent tranquille, même si j'en vois au petit matin qui lèvent les yeux pour voir si l'odeur qu'ils reniflent ne proviendrait pas d'en haut. Je ne vais hélas pas pouvoir rester ici longtemps, la faim se pointe et le bruit de mon estomac va bientôt attirer des morts. Il faut bouger.