Elles dansaient. Miezella pouvait se souvenir d'un tel spectacle, même si c'était il y a longtemps. Elle riait sous le ciel étoilé avec une mère et un père, fascinée par ces minuscules étoiles.
Ce n'était pas exactement pareil, mais cela y ressemblait beaucoup. Miezella pouvait aussi se tromper: c'était il y a une éternité, avant la guerre, les bombardements, les famines et la cendre. C'était avant les camps de réfugiés, la panique collective, avant les morts par dizaines, centaines, milliers. C'était avant que les chuintements des pensées de ses congénères ne disparaissent à jamais pour cet horrible silence. C'était avant que dans le tumulte, sa main ne se referme sur celle de Mirenel. Elle avait immédiatement aimé sa nouvelle sœur, dernier écho dans son esprit. Elle s'était fait la promesse de ne jamais la lâcher, cette main.
Alors, que s'était-il passé? Où était Mirenel? Elle ferma les yeux un instant, tentant de se souvenir. Elles n'avaient jamais été séparées. Elles n'étaient que des enfants, quelqu'un devait avoir eu pitié d'elles malgré la haine qu'on leur manifestait car elles avaient pu rester ensembles. Cela avait duré jusqu'au jour où cet homme était entré dans leur cellule. Miezella ne savait pas qui il était, mais il souriait, la main tendue vers elle. Elle l'avait prise. Elle était désespérée et il lui proposait son aide. Qu'aurait-elle pu faire d'autre?
Il avait pris soin d'elles, bien sûr, et avec le temps Miezella s'était persuadée qu'il les aimait. C'était là qu'avait débuté cette jalousie absurde. Elle n'était pas sa fille, elle ne serait jamais sa fille, et peut-être... Peut-être qu'il pourrait y avoir entre elle et lui quelque chose de spécial. Elle voulait sa reconnaissance, elle voulait tant qu'il soit fière d'elle, et pour ça, elle en avait parfois oublié Mirenel. Jamais elle ne pourrait oublier que c'était elle qui avait convaincue Mirenel de commettre le geste qui l'avait finalement menée à la mort. Tout ça pour défaire ces damnés terrons...! Tout ça pour plaire à Dessler.
Si seulement elle aurait pu... Elle ne savait pas exactement. Se faire pardonner. Ou le tenter, du moins. Était-il trop tard?
Quand elle rouvrit les yeux, Mirenel lui souriait.
-J'ai eu peur que tu ne le demandes jamais.
L'émotion lui coupa le souffle un instant, puis Miezella serra sa sœur contre elle. Elle lui avait tellement manqué.
-N'es-tu pas fâchée?
Sa sœur la câlina, s'appuyant sur elle et passant ses bras autour de son cou exactement comme elle avait fait de si nombreuses fois. Elle posa sa tête sur son épaule et Miezella se fit la remarque qu'elle n'avait pas grandi.
-Non, je ne le suis pas.
Le ciel était toujours noir au dessus de leurs têtes. Elle avait l'impression de... d'être rentrée à la maison. Ses derniers souvenirs étaient flous, mais si elle était morte... Elle était morte, forcément, mais elle n'osa pas demander où elles étaient. Malgré tout ce qu'elle avait fait, si elle était en enfer, comment se faisait-il qu'on lui avait rendu Mirenel?
Miezella releva la tête. Les lumières des lucioles se confondaient avec celles des étoiles. Cet endroit ressemblait tellement à la maison. Elle serra Mirenel un peu plus fort. Peu lui importait là où elles étaient, pourvu qu'elles ne soient plus jamais seules.
