Chapitre XVIII

Je m'étais enfuie. Enfuie de cette cage où j'avais été enfermée pendant toute ma courte vie. Où je n'avais jamais vu cette lumière naturelle, le soleil. Où je n'avais été qu'un rat de laboratoire. Où je n'avais fait que souffrir. Je n'avais pas fait cela toute seule bien sur, me sauver après seize ans d'enfermement aurait été impossible. Quelqu'un m'avait aidé, quelqu'un que je n'oublierai jamais. Mais, il vaut mieux reprendre depuis le début pour comprendre.

Quand j'ouvris les yeux pour la première fois, je cru rêver. Des rêves, j'en avais fait. La réalité, je ne l'avais jamais expérimentée. Un reflex me fit lever et m'asseoir, je n'avais jamais fait ce genre de songe. Un mal de crâne énorme me fit vaciller alors que je n'étais même pas debout et, avec mes mains, j'essayais de me toucher mes tempes, mais des liens les retinrent. C'étaient divers tuyaux enfoncés dans ma peau, quelques uns avaient un liquide dedans, d'autres avaient un résidu de rouge. Je me rendis vite compte qu'il y'en avait partout dans mon corps, ainsi que des fils accroché par des pinces et du ruban adhésif sur ma poitrine et sur ma tête. Je ne savais pas ce que c'était, et j'avais peur. Tellement peur. Cette pièce ne m'inspirait aucune confiance. Elle était blanche, sans aucune fenêtre, avec des néons bleus. J'attendais de voir plus clair quand la porte derrière moi s'ouvrit. Un homme, habillé d'un costume noir et d'une chemise blanche, avec une sacoche en bandoulière, entra et prit un certain temps avant de venir me voir. Il avait l'air surpris, extrêmement ébahi même. Il s'approcha doucement et quand son visage apparut à la lumière, je pus voir qu'il était d'une beauté indéfinissable. Il s'avança encore et mit une main dans mes cheveux. Je ne comprenais pas ce qu'il faisait et j'avais peur. Peur? Quand j'y repense, je me rends compte que ce sentiment ne m'avait jamais quitté jusque là. Je n'avais connu que lui pendant cette quinzaine d'années qui était passée.

- Tu...

Il avait ouvert la bouche et des sons en étaient sortis. C'était bien la première fois que je voyais quelqu'un faire cela dans mes rêves! Il recommença bien vite.

- Tu es... Là...?

Je ne comprenais pas pourquoi il faisait cela et c'était étrange pourtant j'avais l'impression qu'une grande émotion le tenait. Sa voix se cassait quand il parlait, il avait les yeux larmoyants et son expression du visage balançait entre tristesse et joie.

- C'est la seconde fois que je vois tes yeux...

Il déglutit et mit sa deuxième main sur mon visage. Il me touchait, comme pour savoir si j'étais bien en face de lui. Et j'avais envi de faire la même chose. Alors j'avançais ma main vers sa joue mais les tuyaux me retinrent encore une fois. Je les pris tous d'une main et les tirèrent d'un coup sec. Ils s'enlevèrent facilement sous le regard d'effroi de l'homme. Il prit mon bras et lécha le liquide rouge qui en sortait. Sa langue était chaude et douce, je me sentais bien à son contact. C'était la première fois que je ressentais cela.

- Ne fais plus jamais cela, ne te fais pas de mal.

Il recommençait à faire cette chose bizarre et j'étais perdue juste en l'entendant.

- Tu ne me comprends pas, n'est-ce pas?

Il me couva du regard et sourit, je pus voir ses dents, deux étaient plus longues et pointues que les autres. Il se mordit le bras et avec l'autre main, me prit doucement la tête, la souleva légèrement vers lui puis écrasa ses lèvres sur les miennes. Il déversa le liquide rouge qu'il avait pris dans ma bouche depuis la sienne. Quand il s'écarta enfin, j'avais un goût horrible dans la bouche et la gorge. Cela me donnait envi de vomir tout ce que je venais d'avaler. Mais, j'avais aussi ce sentiment de savoir. Savoir marcher, parler, faire des choses simples. Toutes les choses qu'une jeune fille de mon âge pouvait connaitre. C'était vraiment étrange. Des flots de mots, de toutes sortes de connaissances et autres jaillissaient dans mon cerveau. Je savais maintenant que j'avais un nom, un âge et j'en étais heureuse. J'avais des flashs de scènes où je voyais une jeune fille allongée à la même place que moi. Je voyais aussi une femme avec deux trous dans la gorge et du sang qui y coulait. Et j'avais ce sentiment d'impuissance horrible. Mais ce n'était pas mes souvenirs, c'étaient ceux d'un autre. Les flashs disparurent quand je posais mes yeux sur lui, et je revis ses dents.

- Vampire...

Le mot était sorti tout seul sur mes lèvres. Je l'avais compris mais il y avait encore cette sensation d'incompréhension. Je n'étais pas habituée. C'était moi qui avais parlé. Ma voix n'arrivait pas à se déployer totalement. Et j'avais beau avoir chuchoté, l'homme m'entendit et me sourit mélancoliquement. Il prit soin d'enlever tout ce qui était accroché sur mes bras et mon corps puis me porta. Je ne savais toujours pas qui il était et alors que je me le demandais, il se présenta tout seul.

- Je suis Tsukiyo Hishisen, Seika-sama. Et je sais que vous ne me connaissez pas mais je suis votre serviteur.

Il faisait la même chose qu'à l'instant d'avant mais cette fois-ci, je comprenais parfaitement chaque mot et le sens de la phrase. Il était donc mon serviteur. Mais pourquoi avais-je un serviteur? C'est vrai qu'il m'avait été d'une grande aide mais je ne savais pas qui j'étais pour l'avoir. Et puis, il m'appelait Seika-sama. Ce devait être mon prénom mais pourquoi sama?

- Seika-sama?

Je levai la tête vers lui mais il ne me regardait pas, tournant dans ces couloirs avec attention.

- Êtes-vous capable de tenir debout un moment?

J'acquiescai alors qu'il m'avait déjà posée à terre. Je chancelai sur mes jambes fébriles mais le mur me retint. Il enleva son manteau et me le mit sur les épaules. Je n'avais même pas remarqué que je n'avais qu'une blouse verte retenue par des ficelles blanches et aussi que j'avais horriblement froid. Mes pieds et mes jambes étaient nus et mes cheveux ne réchauffaient que mon dos. Le manteau me fit grand bien et il sortit des chaussures de son sac. C'étaient des ballerines simples qu'il enfila à mes pieds.

- Je ne peux pas vous tenir dans mes bras indéfiniment, si quelqu'un arrive, je ne pourrais pas vous protéger correctement. Il va falloir marcher.

Il prit ma main qui dépassait à peine des longues manches et la tint, m'emmenant dans les corridors sans fin. Il regardait partout avec une méfiance extreme. Souvent, il disait quelques phrases, ce qui me rassurait.

- Nous serons bientôt dehors, j'ai pris le chemin le plus long mais aucune caméra ne peut nous voir.

En effet, nous arrivâmes bientôt dehors par une porte de service. Le ciel était noir, les arbres étaient nus, tout semblait brumeux. Le sol était blanc et poudreux et mes chaussures s'enfonçaient dedans. C'était froid, glacé mais je n'y fis guère attention. Lui, par contre, s'excusait toutes les minutes pour m'avoir apporté de telles chaussures. Mais, comme il disait, il ne savait pas que je me réveillerais un jour. Il avait juste tout le temps sur lui une paire de chaussure et des vêtements pour femme adulte, au cas où. Il m'informait toujours quand est-ce qu'on arriverait. Nous marchions encore et nous vîmes une grande grille. C'était la sortie. Une sortie obstruée par une vingtaine de personnes. Des vampires. Il s'arrêta et se mit devant moi, me protégeant de tout son corps. J'agrippai sa chemise par derrière, j'avais si peur.

- Seika-sama, murmura-t-il. Je vais devoir vous laisser un moment mais avant, je vais vous sortir d'ici. Il faudra que vous vous teniez bien à moi.

- Hishisen-san, l'interpella le plus vieux des vampires. Lâchez-la et nous ne vous ferons rien, ni à l'un ni à l'autre.

Tsukiyo ne bougea pas d'un centimètre et resta devant moi.

- Hishisen-san, vous savez à quel point son sang est important. Il nous le faut, nous faisons cela pour le bien des vampires et des humains par la même occasion.

- Je ne vous laisserez plus la toucher! s'exclama Tsukiyo en prenant mes mains par derrière.

Il les mit sur ses épaules et je me demandais comment il faisait pour être aussi délicat dans une situation pareille.

- Vous n'avez fait que nous berner depuis le début! continua-t-il. Vous vendiez son sang aux vampires nobles et l'argent ne servait même pas à vos recherches!

Je ne comprenais pas de quoi ils parlaient. Mon sang? Mais qu'avait-il de si particulier pour qu'autant de vampires veuillent absolument me garder dans cet endroit? Ils l'échangeaient contre de l'argent apparemment mais cela n'expliquait rien.

- Comment pouvez-vous croire à de telles choses? s'énerva le vieil homme. Vous savez que nous avons tout fait pour essayer d'en refaire un synthétique!

- Depuis seize ans? Toutes ces années sont passées et vous n'avez rien trouvé? Vous mentez!

- Nous sommes sur le point de trouver, intervint une femme en blouse blanche. Si vous nous la laissez, la recherche aboutira d'ici deux à trois ans. Elle sera libre de partir ensuite.

- Alors vous admettez qu'elle n'a jamais été libre, toujours enfermée. Je ne vous la laisserai jamais.

Je suivais leur échange sans rien y comprendre. Quelle recherche? Quel rapport avec mon sang? Pourquoi moi? J'étais peut-être capable de parler, de penser normalement, aucune de ces questions ne trouvaient de réelles réponses. Et cela creusait encore plus le gouffre qui s'ouvrait sous mes pieds. Ce gouffre de peur, d'incertitude, d'angoisse. La chaleur de l'homme était la seule chose qui m'empêchait d'y tomber, d'y sombrer pour toujours. Il passa chacune de ses mains en dessous de mes cuisses, me souleva, prit un peu d'élan et sauta par dessus la grille d'un bon extraordinaire. Il atterrit agenouillé, se releva et courut le plus vite possible. Je me risquai à regarder en arrière et vit les vampires se précipitaient derrière nous. Je resserrai mon étreinte autour de son cou en prenant soin de ne pas le gêner. Je sentais ses mains froides sur mes cuisses et cela me fit frissonner. Cet homme prenait d'énormes risques en me protégeant, je le savais et j'avais presque plus peur pour lui que pour moi. Alors qu'il tournait dans une ruelle, je regardai encore une fois derrière moi. Les vampires n'étaient plus là. Il me posa par terre et mit ses mains sur ses genoux, essayant de reprendre haleine.

- Vous allez rester ici pour l'instant, nous ne pouvons pas les fuir indéfiniment. Il faut que j'aille les retenir. Si je ne reviens pas dans une trentaine de minutes, courez, n'essayez pas de revenir me voir.

J'hochai la tête en signe de dénégation. Je ne voulais pas rester seule et encore moins le laissez partir vers ces bêtes. Il n'arriverait jamais à les battre seul. Il s'agenouilla devant moi et ferma les boutons du manteau que je portais.

- Écoutez-moi, je sais que vous avez peur mais je sais aussi que je ne peux pas vous laisser prendre le risque de mourir maintenant. Vous comprenez?

J'acquiesçai avec la tête mais je n'étais pas du tout d'accord. Il me sourit et m'ébouriffa les cheveux.

- C'est bien. Vous savez, si je vous ai donné mon sang, c'est pour que vous arrivez à vous défendre au cas où... Vous vous retrouvez seule face à des ennemis. Je vous ai transmis tout ce que j'avais appris pendant ma vie.

Il attendit un instant avant de continuer:

- J'espère que si nous nous revoyons, vous me pardonnerez cela...

Il baisa ma joue et se leva, simplement. Il marcha vers la rue d'où nous étions venus puis se retourna une dernière fois.

- J'aurais aimé entendre votre voix, Seika-sama.

Il courut rejoindre la rue, tourna et je ne le vis plus. Une goutte était descendue de ses yeux, le long de sa joue et avait brillé à la lumière des astres avant de s'écraser sur le sol.

Une heure était passée et je n'avais toujours pas bougée. Je savais qu'il fallait que j'y aille mais si je partais et que lui revenait, comment me retrouverait-il? Alors, je restais assise sur une poubelle détruite, à l'attendre indéfiniment. Mais peut-être avait-il besoin de moi, comment le saurai-je si je n'allais pas le voir? Je me décidai à partir avec la sacoche qu'il m'avait laissée, et marcher un peu sur la route qu'il avait prise. Il faisait très sombre et seule la lune procurait un peu de lumière, assez pour que je puisse voir trois mètres devant moi. Je marchai, encore et encore sans vraiment savoir où aller et où le retrouver. J'avançai dans la nuit noire en faisant attention de regarder partout où quelqu'un aurait pu être. Je ne le trouvais pas. Il n'était nulle part et je m'inquiétais énormément. J'étais seule, dans une ville que je ne connaissais pas, sans connaitre personne que je pouvais contacter, dans le froid, sans vêtements chaud. Je fouillai dans le sac et je trouvai un pull léger, une jupe et des bas. Je les enfilai mais tout était trop grand. Je dus utiliser une ficelle de la blouse verte pour tenir ma jupe et deux autres pour les bas. Je n'avais vraiment pas l'air de quelqu'un de normal mais je m'en fichais, ce n'était pas le moment de penser à cela. Je déambulai encore dans les rues quand je remarquai que quelqu'un me suivait. Pour en être sure, je tournai dans une rue, puis une autre, et encore une autre, il ou elle était encore derrière moi. Je le distançais d'une centaine de mètres, je ne pouvais pas vraiment le distinguer, mais c'était sans aucun doute que je savais que la personne me suivait. Une chose étrange était que ce quelqu'un ne courait pas, n'essayait pas de me rattraper, juste marchait derrière moi sans franchir l'espace qui nous séparait. C'était d'autant plus inquiétant car il marchait d'une façon étrange. On aurait dit qu'il était saoul ou quelque chose comme cela. J'accélérai le pas, de plus en plus vite, sans me retourner, quand j'entendis un cri, déchirant la nuit.

- Seika-sama!...

Je m'arrêtai pendant quelques secondes puis courus vers Tsukiyo, il s'effondra par terre.

- Tsukiyo-san...

Il ne m'entendait surement pas, je n'avais que murmurer son nom. Je m'assis à côté de lui et mit sa tête sur mes cuisses. J'enlevai les mèches de cheveux qui le gênaient.

- Seika-sama... Je vous ai retrouvée...

Je regardai sa cuisse qui saignait abondamment. L'odeur du sang était tellement forte que je me demandais comment les autres vampires de la ville pouvaient ne pas sortir.

- Ce n'est rien... s'essoufla-t-il à dire quand il remarqua que je regardais sa blessure. Il y a plus grave...

Je scrutais une seconde fois son corps à la recherche d'une blessure plus importante mais il serra ses doigts qui étaient dans mes mains pour attirer mon attention.

- Je ne parlais pas de moi... Mais de vous... Sauvez-vous... Ils vont venir...

J'hochai la tête, je ne pouvais pas le laisser ici, blessé, seul. Il m'avait sauvé la vie, il n'était peut-être qu'un inconnu, mais il m'avait sauvé la vie!

- Si... Partez...

Je ne pouvais vraiment pas. Il avait l'air d'avoir si mal, et c'était le seul qui pourrait me dire tout ce que je n'avais pas compris quand ils parlaient de moi. Je fis une chose qu'une humaine n'aurait pas dû faire. Quelque chose de tabou. Donner son sang volontairement à un vampire. Je savais que c'était le seul moyen de le sauver. Comme lui avait su que se battre avait été le seul moyen de me sauver. J'ouvrai avec mes propres ongles la peau de mon cou et le liquide écarlate tomba sur son front. Il ferma les yeux et huma l'odeur, délicieuse pour lui, avec plaisir. Je vis ses canines s'agrandir encore plus et ses yeux devenir rouge quand il les rouvrit. Il faisait légèrement peur ainsi mais, je me rappelai la raison de mon geste et je ne reculai pas. Ni quand il lécha le sang sur ma peau, ni quand il enfonça ses dents dans mon cou, ni quand j'entendu le son du sucement de sang, non plus quand je me sentais mal et quand je m'évanouis.

Je me réveillai avec un léger mal de tête, dans une pièce que je ne connaissais pas. Elle n'était pas blanche mais avec des couleurs chaudes qui la rendait chaleureuse. C'était tout le contraire du rêve que j'avais fait avant... C'était la première fois que je me souvenais d'un rêve dans un autre. Je me levai lentement et enlevai les couvertures qui me couvraient. Des rideaux cachaient les fenêtres, je les soulevai légèrement mais la lumière du soleil m'éblouit et je les laissai tomber. Je regardai la chambre, elle était simple. Un lit, un bureau, une armoire. Rien de plus. J'avançai vers la porte quand celle-ci s'ouvrit, laissant entrer une jeune fille avec un plateau. Elle avait les cheveux bruns, courts, les yeux de même couleur, elle était plus petite que moi et elle souriait toute seule. Je trouvais cela étrange, elle n'avait aucune raison de sourire en me voyant et elle le faisait.

- Hishisen-san, tu es réveillée! s'exclama-t-elle avec un sursaut.

Elle faillit renverser son plateau mais je le rattrapai avant qu'il s'écrase sur le sol.

- Merci, je suis vraiment maladroite.

Elle rit avec un air gêné, me reprit le plateau et le posa sur son bureau.

- Je t'ai amené un verre d'eau et un petit gâteau. Le directeur m'a prévenu que tu ne pouvais manger directement des choses lourdes.

Qui était ce directeur? Et elle-même, qui était-elle? Manger? C'est vrai que j'avais faim mais je n'avais jamais mangé avant, je ne savais pas comment mon corps allait réagir. Elle me regarda un instant, puis me prit les mains avec douceur.

- Ne t'inquiète pas, Hishisen-san, tout va bien se passer. Tu es en sécurité maintenant. Et même si je ne sais pas ce qu'il t'est arrivé, je sais que tu iras mieux bientôt. Il faut reprendre des forces, tu es si maigre! Et il faut oublier ces mauvais souvenirs.

Souvenirs? Parlait-elle de Tsukiyo? Et elle disait mauvais souvenirs... Que lui était-il arrivé? Ces vampires... Ils l'avaient...? C'était impossible! Je lui avais donné de mon sang! Il aurait dû guérir et être avec moi! Si j'étais là, c'est bien qu'on avait pu s'enfuir ensemble! Je ne comprenais pas, était-ce une partie de rêve qui n'existait pas dans celui-ci? Le bruit de la porte qui s'ouvre me sortit de mes pensées et je me retournai tandis que la fille sortait diverses choses de l'armoire. Un homme entra, il avait les cheveux longs, attachés, et des lunettes. C'était peut-être le directeur dont elle m'avait parlé?

- Hishisen-san, tu vas bien?

Je le regardai sans lui répondre, pourquoi étais-je ici? Sans Tsukiyo? Avec ces gens que je ne connaissais pas?

- Yuuki, dit-il à l'intention de la jeune fille. Tu finis de lui donner de quoi s'habiller, aide-la un peu et envoie-la-moi dans mon bureau, d'accord?

- Oui, répondit la fille. Je fais ça.

Il marmonna un « Très bien » puis sortit. La jeune fille, Yuuki, me prit par les épaules et me fis asseoir au bureau en me demandant de boire, au moins. Ce que je fis et j'avais l'impression que l'eau écartait deux feuilles collées quand elle passa dans ma gorge. Ce fut douloureux mais je ne m'en plaignis pas, il ne fallait pas embêter ces gens qui m'aidaient.

- Je t'ai mis des vêtements ici, m'informe Yuuki. Tu peux les prendre en attendant qu'on aille tout les deux faires les magasins. Tu es plus grande que moi mais je pense que ça va aller. Il y a aussi des chaussons pour la maison, et bientôt tu auras ton uniforme. Je vais te laisser mais je suis à côté, appelle-moi dès que tu as fini.

Elle sortit après m'avoir sourit et je commençai à m'habiller. Je n'avais pas remarqué que j'étais en pyjamas depuis que je m'étais réveillée. Qui me l'avait mis? Ce devrait être Yuuki, ou une autre fille. Je mis la jupe qu'elle m'avait donnée, le gros pull, un gilet et des chaussettes chaudes. J'étais confortablement habillée et c'était très agréable de se sentir au chaud dans ses vêtements. Yuuki revint une dizaine de minutes plus tard et entreprit de coiffer mes cheveux.

- Tu en as fait beaucoup attention, commenta-t-elle en les lissant et en passant sa main entre. Ils sont magnifiques! Je n'aurais pas pu les garder aussi longs, moi. La preuve, les miens sont si courts. Je vais te les tresser, ce sera plus pratique pour toi.

Le contact de ses doigts sur mon cuir chevelu me fit détendre et je ne me rendis même pas compte qu'elle avait fini.

- Tu veux voir le résultat? Viens avec moi!

Elle me prit par la main et m'emmena dans une pièce à côté. Elle ouvrit la porte et entra. Je restai sur le seuil, examinant la chambre. Elle était sombre, pas vraiment rangée, des habits trainaient partout, et les draps étaient en boule.

- C'est la chambre de Zéro, m'expliqua-t-elle. Il habite aussi ici avec nous. Tu le verras bientôt.

Elle était penseuse quand elle parlait de lui, elle resta un moment surement dans ses souvenirs, à regarder le sol. Puis d'un coup, elle rougit et elle se secoua la tête comme pour se réveiller. Elle était étrange, mais je savais que je n'étais pas bien placée pour dire cela. Elle m'amena devant le miroir et je pus voir mon reflet. Je m'effrayai moi-même. J'étais vraiment maigre, creusée, les yeux vides, le visage sans expression, les membres longs, la peau blanche, presque translucide. Je n'étais pas jolie à voir même affreuse. Mes cheveux étaient vraiment la seule chose agréable à regarder. Ils étaient extrêmement longs, noirs, épais, lisses, comme ceux d'une vraie japonaise. Tressés ainsi, ils se balançaient dans mon dos quand je bougeais.

- Tu verras, dans quelques semaines, quand tu prendras du poids, tu seras magnifiques, essaya de me rassurer Yuuki.

Et je la croyais. Il me fallait juste grossir un peu, j'aurais meilleur mine. Elle me ramena dans le bureau du directeur et me laissa seule avec lui, sous son ordre.

- Assis-toi, Hishisen-san, me pira-t-il.

Je lui obéis en regardant tout autour de moi. La pièce était tout aussi sombre que les autres mais je savais qu'elle n'avait pas l'habitude d'être comme cela. Le bureau de chêne était recollé en plein milieu et une fissure était restée.

- Hishisen-san, je suis le directeur de l'Académie Cross, à mon nom.

Je reposais mes yeux sur lui et y reportait mon attention.

- Tu vas rester ici pendant un certain temps, continua-t-il. Je te laisse reprendre des forces et après, tu entreras dans l'école pour poursuivre tes études.

Je voulais lui dire que je n'avais jamais été dans une école mais ma voix n'arrivait vraiment pas à sortir un son et chuchoter était épuisant. Je pris un papier et un stylo et je le lui écrivis. Il prit le papier et lut avec attention puis sourit.

- Tu as vraiment la même écriture que lui...

Lui? Parlait-il de Tsukiyo? Et pourquoi m'appelait-il comme lui? Tout le monde m'appelait Hishisen mais étais-je de sa famille. Je le demandai par écrit au directeur.

- Hishisen-san t'a ammené ici, il a disparu après, me dit-il en me regardant droit dans les yeux. Il doit être en fuite pour échapper à ses poursuivants et il ne voulait pas t'emmener avec lui, t'embarquer dans cette fuite. Il voulait que tu aies une vraie vie, pas comme celle que tu as vécu depuis ces seize ans.

« Que s'est-il passé pendant tout ce temps? Pourquoi ces vampires voulaient-ils mon sang? Comment Tsukiyo a fait pour les battre? », avais-je écrit après l'avoir écouté.

- Pendant ces années, répondit le directeur, ces gens te prenaient ton sang car il est... Spécial. Il est très apprécié des vampires mais il est aussi une vraie solution pour que les Level-E puissent redevenir des humains. Sauf qu'il leur en faut en énorme quantité, c'est pourquoi ils faisaient croire qu'ils essayaient d'en faire un synthétique alors qu'ils gagnaient de l'argent en le vendant aux vampires riches. Maintenant, ils te recherchent avec Hishisen aussi, c'est pour cela que tu es ici. Tu comprends?

J'acquiesçai mais je n'avais pas compris une chose. Pourquoi était-il apprécié et pourquoi agissait-il ainsi envers les Level-E? Et, surtout, qu'étaient les Level-E?

- Les Level-E sont des humains mordu par des vampires, expliqua-t-il après que je lui demandai toutes ces questions. Sans le sang de leurs maitres, ils dégénèrent et deviennent incontrôlables. Ils tuent des humains, ils tuent des vampires. Ce sont de vraies bêtes. Rien ne peut les sauver, à part devenir un vampire en buvant souvent le sang de leur maitre. Malheureusement, les vampires abandonnent souvent ces ex-humains sans se soucier des conséquences. Ton sang peut arrêter le processus de dégénération et faire marche arrière. Un Level-E qui boit plus de dix litres de ton sang redevient humain. Ton sang purge, nettoie celui des vampires. S'il est apprécié, c'est qu'il contient celui d'un Sang-pur.

« Qui sont les Sang-pur? »

- Des vampires qui n'ont jamais eu de parents humains. Leur sang est totalement vampirique.

« Je suis humaine, je ne peux pas avoir ce sang. »

- Être humain et avoir du sang de Sang-pur sont deux choses différentes. Ta mère était une Sang-pur, ton père était un humain.

« Où sont-ils? »

- Je suis désolé mais tu ne les verras jamais.

Un espoir s'était formé mais une simple phrase l'avait anéanti. Je n'aurais jamais de parents. Je savais au fond de moi que je n'avais pas à être triste, je ne les avais jamais connus, mais j'aurais aimé les voir.

- Ta mère s'est battue contre les chasseurs de vampires, elle s'est faite tuée. Ton père était un chasseur de vampire, il est devenu un vampire peu de temps après ta conception et s'est fait tué par les chasseurs lui aussi. C'étaient tout les deux des combattants ardents pour la paix entre les deux races. Tu ne ressembles qu'à ton père, les mêmes yeux, le même visage, les mêmes cheveux...

Il se leva, fit le tour de son bureau et ouvrit la porte, m'invitant à sortir.

- Hishisen-san, je t'appelle ainsi pour l'instant, cette conversation ne sort pas de cette pièce. Tu ne dois en aucun cas le dire à quelqu'un d'autre.

J'acquiesçai puis sortis. J'avais vraiment reçu trop d'informations d'un coup. J'avais du mal à assimiler tout cela, mon sang, ma fuite, mes parents, Tsukiyo... S'il était là, je savais que je pourrais me sentir en sécurité, mieux en tout cas. Il devait fuir ces gens pour moi. Et plus j'avançai dans les couloirs, plus une peur et une sensation de dégout grandissaient en moi. Envers les vampires.