Coucou tout le monde ! Avec cette fic, je m'essaie à un pairing un peu bizarre ( un bug dans la cervelle, ça arrive ! ). Il s'agit de caser Nicola Sirkis avec Rimbaud ! L'histoire va se mettre en place peu à peu alors soyez patients et n'hésitez pas à m'envoyer vos commentaires !
Chapitre I/
La rue Mazarine, située de l'un des quartiers les plus pauvres de Paris, connaissait une agitation inhabituelle en ce jour Juillet 1870. Là, comme dans toute la capitale, hommes et femmes, jeunes ou vieux, travailleurs ou mendiants de tout poil, discutaient, s'informaient, et diffusaient partout cette nouvelle retentissante : L'Empereur avait déclaré la guerre à la Prusse. Pour beaucoup, c'était une occasion inespérée de mater enfin ceux qui étaient considérés comme les ennemis héréditaires de la France.
- On va leur mettre une raclée aux Schleus, vous allez voir !
Et chacun d'approuver. La perspective de la guerre réveillait dans ces cœurs populaires et rudes, une énergie féroce semblable à celui qui anime les animaux sur le point de chasser.
Au milieu de tout ce mouvement, un jeune homme essayait de se frayer un chemin dans la foule. Il portait une grosse valise et une casquette qu'il retenait sur sa tête car elle menaçait de tomber à chaque fois que quelqu'un le bousculait. Dans la rue, ça puait l'humain, les égouts et le crottin de cheval et c'était pire encore avec la chaleur.
Le jeune homme repéra l'immeuble qu'il cherchait. C'était une vieille bâtisse d'un blanc sale et triste avec des volets noirs. Il s'engouffra dans le rez-de-chaussée et tomba immédiatement sur une vieille concierge qui l'observa de haut en bas avant de lui demander d'un air maussade :
- Qu'est-ce que vous voulez ?
- Le numéro 9 s'il vous plaît ?
- Troisième étage. Et faites attention, il manque une marche avant le troisième palier. J'ai déjà eu deux jambes cassées ce mois-ci.
Le jeune homme remercia et s'engagea dans l'escalier dont les marches grinçaient dangereusement. Arrivé à l'endroit dangereux, il vit qu'en effet il y avait un trou béant en plein milieu de l'escalier. On y avait une vue plongeante sur le chignon de la vieille tout en bas qui balayait l'entrée. Il enjamba le trou et monta bien vite les derniers degrés. Il y avait trois appartements sur le palier. Il se posta devant le numéro 9 et frappa à la porte. Pas de réponse. Il réessaya. Toujours rien. Il fit une moue de déception. Il aurait dû prévenir son frère Nicola de sa visite mais il avait préféré l'effet de surprise. Qu'allait-il faire maintenant ? Il pensa que le mieux était d'attendre là. En soupirant, il s'adossa à la porte de tout son poids et…se retrouva par terre, les quatre fers en l'air ! La porte s'était tout simplement ouverte et l'avait précipité à l'intérieur !
Le dos endolori par sa rencontre brutale avec les carreaux, le visiteur se releva et referma la porte. Il put constater qu'elle ne fermait pas bien. Il secoua la tête, moitié amusé et moitié agacé en pensant que sa tête de linotte de frère avait oublié de fermer à clef. Puis il se tourna vers l'intérieur du logis.
Il ne ressemblait en rien à ce qu'il s'était attendu à voir. Il était dans une espèce de mansarde du plus pauvre aspect. La peinture sur les murs s'écaillait et il flottait dans l'air une entêtante odeur d'huile de lin. Le jeune homme s'avança et examina les deux pièces qui constituaient l'endroit. La plus petite devait servir de chambre mais au lieu d'un vrai lit, il n'y avait qu'un simple matelas rembourré de paille avec une couverture trouée. La fenêtre n'offrait comme vue que la façade de l'immeuble de derrière. La plus grande pièce et la plus éclairée donnait sur la rue et avait été convertie en atelier. Plusieurs toiles reposaient sur le sol, le long des murs et un chevalet branlant trônait au centre de la pièce. L'odeur de l'appartement était celle de la peinture à l'huile encore fraîche. Le dénuement total de l'appartement ressemblait bien à de la misère et plongea le jeune dans l'affliction et l'incompréhension. Pourquoi Nicola s'était-il retrouvé dans cette situation et surtout pourquoi n'avait-il rien dit ?
Pour tuer le temps en attendant d'avoir des réponses, il se mit à regarder les toiles. Chacune d'elle était pour lui, une preuve de plus que le peintre avait eu raison de croire en lui et de venir à Paris. Les peintures représentaient surtout des paysages et des portraits. La mémoire prodigieuse de Nicola lui permettait de capter parfaitement la ressemblance même en n'ayant vue la personne qu'une seule fois. Très observateur et physionomiste, il avait une sorte de sixième sens qui lui permettait de sentir la vérité de quelqu'un sous les traits de son visage et cette vérité transparaissait dans ses œuvres. Les portraits semblaient plus vivants que nature et on y sentait ce petit quelque chose qui expliquait pourquoi le peintre avait choisi de représenter cette personne plutôt qu'une autre. Il aimait les visages atypiques, ceux qui frappaient le regard et qui lui faisait sentir tout de suite que la personne avait quelque chose de plus que les autres. Jamais il ne parlait à ses modèles mais son frère l'avait souvent entendu dire qu'il « faisait mieux connaissance avec les gens en les peignant qu'en leur parlant. »
Nicola privilégiait la couleur à la forme. Bien sûr, les images étaient reconnaissables mais elles étaient rendues d'une manière toute subjective. Nicola suggérait, fondait, floutait ou soulignait tel ou tel détail pour rendre compte d'une impression. Sa peinture était basée sur le ressenti immédiat et spontané. Il était très sensible à tout ce que le monde pouvait lui faire éprouver. La joie, la colère ou le chagrin étaient plus fortement ressentis par lui que par n'importe qui d'autre. Son frère savait tout cela et bien d'autres choses encore car il le connaissait par cœur au point de le reconnaître dans ses tableaux. Les toiles lui étaient comme familières. Les taches de couleurs lui parlaient avec la voix de son frère et lui racontaient pourquoi il avait peint ce paysage ou celui-là.
Un quart d'heure plus tard, son cœur battit de joie en entendant s'ouvrir la porte d'entrée. Mais il ne bougea pas de sa place, laissant Nicola venir. Le bruit de ses pas s'arrêta un moment et brusquement, il l'entendit courir. La porte entrouverte de l'atelier s'ouvrit à la volée et Nicola surgit dans la pièce en brandissant un revolver. Le visiteur bondit sur ses pieds, les mains en l'air :
- Nicola !
- Stéphane ?!
Les yeux de Nicola s'écarquillèrent de stupeur :
- Mais qu'est-ce que tu fais là ?!
- Si tu pointais ton arme ailleurs que sur ma tête, je serais plus à l'aise pour t'expliquer !
C'est seulement à ce moment-là que Nicola réalisa qu'il tenait toujours son frère en joue. Avec un sursaut d'horreur, il lâcha le revolver qui tomba sur le sol.
- Pardonne-moi Stéphane ! J'ai cru qu'il y avait un voleur quand j'ai vu ton sac devant l'entrée. Comment es-tu entré ?
- Tu n'avais pas fermé ta porte à clef, je te signale ! répliqua Stéphane qui étais encore sous le coup de la peur qu'il avait eue.
Nicola ouvrit la bouche pour répondre mais la referma aussitôt. Un sourire nerveux apparut sur ses lèvres :
- Bon sang…quand je pense que j'aurais pu te… Je suis vraiment désolé.
Stéphane respira un bon coup et répondit d'une voix plus calme :
- Ca va. Au moins, je vois que tu sais te défendre !
Nicola s'approcha de lui et l'enlaça chaleureusement :
- Je suis content de te voir !
- Moi aussi ! J'ai tellement de choses à te dire ! Mais pour commencer, dis-moi pourquoi tu vis dans ce grenier à rats.
Stéphane regarda fixement son frère :
- Tu as maigri et tu es pâle. Dis-moi la vérité Nicola.
Pour bien comprendre l'histoire, un petit retour dans le passé des deux frères s'impose.
Stéphane et Nicola étaient de faux jumeaux. Ils étaient nés en 1853 à Issoudin, une petite ville de la Haute-Marne. Leurs parents, M.et Mme Sirchis, comptaient parmi les notables de la ville. Le grand-père Sirchis avait fait fortune en implantant dans la région la culture du houblon et avait bâti une brasserie qui portait toujours son nom. L'entreprise tournait à plein régime depuis plus de 60 ans et son fils avait pris la succession à l'âge de 25 ans. Il s'était marié à la fille d'un gros rentier, une grassouillette ni belle, ni laide dont le plus grand avantage était la dot. Puis Jean-Jacques Sirkis avait vu sa lignée assurée par la naissance de trois fils : Christophe en 1849 et les jumeaux quatre ans plus tard. Naturellement, l'entreprise familiale devait revenir à l'aîné mais le père n'avait pas l'intention de laisser végéter les deux autres. Stéphane serait avocat et Nicola, grâce aux relations de son père, trouverait une bonne place dans un Ministère. Entre-temps, le père se serait débrouillé pour leur trouver trois héritières à épouser et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Malheureusement, un malheur imprévu était venu contrarier les projets de ce brave bourgeois : il avait découvert que l'un de ses fils était un artiste.
D'après ce qu'il avait compris, Nicola avait contracté cette affreuse maladie à l'âge de six ans, lorsque sa mère, à l'occasion d'un voyage à Paris lui avait fait visiter le Louvres. Elle avait raconté à son mari comment l'enfant avait semblé émerveillé devant les tableaux et était resté sagement à les admirer au lieu de courir partout comme les autres marmots. A l'époque, le père ne s'en était pas inquiété. Mais les choses s'étaient corsées lorsque Nicola avait commencé à peindre avec un sérieux et une fréquence qu'il était loin d'avoir pour ses études. Ses parents, qui ne comprenaient rien à la peinture, avaient commencé à s'inquiéter. Le vrai drame avait éclaté le jour où Nicola, qui avait dix-sept ans, annonça à sa famille qu'il voulait devenir peintre. Jean- Jacques, fou de rage, avait utilisé toutes les menaces : il allait le déshériter, l'envoyer à l'armée ou dans une usine mais rien ne put ébranler la détermination de Nicola. Le ton était monté très vite suivi d'une terrible dispute devant Stéphane et Christophe pétrifiés et la mère éplorée. Maudissant son fils indigne, Jean-Jacques l'avait frappé rudement, l'avait empoigné par le bras et l'avait enfermé à double tour dans sa chambre. Ensuite, incapable de contrôler sa colère, il était allé directement dans l'atelier de son fils et y avait pris toutes ses toiles qu'il avait fait brûler dehors sous les fenêtres de Nicola. L'artiste, le visage figé avait regardé ses œuvres partir en cendres tandis que son père dardait sur lui un regard narquois. Pendant deux jours, Nicola n'était pas sorti de sa chambre et n'avait pas dit un seul mot, refusant même d'ouvrir à Stéphane qui s'inquiétait horriblement. Le père crut avoir gagné la partie. Cet imbécile avait sûrement fini par renoncer à sa voie de va-nu-pieds. Il avait déchanté très vite, car le matin du troisième jour, Nicola avait disparu de la maison. Il n'avait laissé qu'un mot dans lequel il crachait sa haine à son père, l'informait qu'il était parti pour Paris et qu'il ne reviendrait jamais.
Tout ce qui existe de malédictions paternelles, Jean-Jacques les avait lancé contre son fils. La mère s'évanouit retenue à temps par un Stéphane stupéfait. Christophe, lui, n'avait eu qu'une expression méprisante :
- Quel idiot ! L'odeur de la peinture a dû lui abîmer la cervelle ! Ne t'inquiète pas père ! Laisse-le vivre un mois comme un crève-la-faim et tu le reverras revenir ici en demandant pardon.
- Non ! avait vociféré le bonhomme. Qu'il ne revienne jamais sous mon toit ce petit ingrat ! Désormais je vous interdis de prononcer son nom devant moi ! Tu as compris Stéphane ?! aboya-t-il en direction de son cadet qui essayait de ranimer sa mère. Tu l'as toujours encouragé, je le sais ! Je t'ordonne de ne plus parler de lui et de te tenir à carreaux ou ça va barder pour toi aussi !
Stéphane avait eu le cœur déchiré par le départ de son jumeau. Il ne lui avait rien dit du tout alors qu'ils avaient toujours été si proches. Il ne pouvait qu'imaginer la souffrance qu'il avait dû éprouver devant ses toiles en train de brûler. Quelle pire blessure pour quelqu'un comme lui ? Cette fugue était un coup de tête et Stéphane avait eu peur pour son frère.
Deux mois s'étaient écoulés sans la moindre nouvelle. On aurait dit que Nicola n'avait jamais fait partie de la maison tant on avait respecté l'interdiction paternelle. Mais Stéphane y pensait sans cesse et son angoisse avait grandi… Jusqu'au jour où il avait reçu une lettre. Il avait su instinctivement qu'elle était de Nicola. Loin des regards de sa famille, il avait lu le court message :
Je vais bien. Pardonne-moi d'être parti comme ça mais je ne pouvais plus LE supporter. Je crois que je ne lui pardonnerai jamais. Je suis décidé à devenir artiste et j'y parviendrai. Si tu veux m'écrire, j'habite au 9 rue Mazarine à Paris. Ne dis rien à nos parents et cache cette lettre. Je n'ai pas le temps de te donner plus de détails mais je t'enverrai bientôt d'autres nouvelles. A bientôt, Nicola.
C'était court, sec mais Stéphane avait ressenti un énorme soulagement : Nicola était bien vivant.
A partir de ce jour, un plan un peu hasardeux avait mûri dans son esprit. Il s'était montré avec son père, le fils le plus obéissant possible dans le seul but de lui faire croire qu'il s'était plié à sa volonté. Le bonhomme ravit, avait décidé d'envoyer Stéphane à Paris faire son Droit. Les excellents résultats qu'il avait eus jusqu'à ce jour lui avaient laissé espérer un grand succès pour lui. Il lui allouerait une généreuse pension qui lui permettrait de vivre confortablement dans la capitale. C'était exactement ce qu'avait espéré Stéphane qui comptait bien aller rejoindre son frère à Paris et l'aider financièrement au besoin grâce à la pension. Mais il avait été loin de s'attendre à le retrouver dans une telle misère. C'est pour cela qu'il lui demanda des explications. Nicola soupira :
- La peinture ne rapporte pas des fortunes tu le sais. En tout cas, pas tant qu'on n'est pas célèbre !
- Mais pourquoi ne nous as-tu pas demander de l'aide ? – Nicola fit un mouvement de protestation- Pas à notre père mais à notre mère ou à moi ?
- Non ! Je ne voulais rien vous demander. Tu me connais…
En effet, Stéphane savait bien pourquoi. Nicola avait horreur de quémander. Il était resté très fier en dépit de la gravité de sa situation. Il devait vivre uniquement avec l'argent qu'il avait emporté en s'enfuyant. Stéphane objecta :
- Demander de l'aide à sa famille, ça n'a rien de honteux Nicola ! J'ai vraiment bien fait de venir.
Il raconta à son frère comment il avait indirectement poussé son père à l'envoyer à Paris. Il lui parla de son plan de partage de la pension :
- Ca devrait suffire pour nous deux si nous restons raisonnables.
Mais Nicola, bras croisés, avait la mine sombre :
- Comment veux-tu que j'accepte ça ? Tu me proposes de vivre à tes crochets ! Ou à ceux de notre père ce qui est encore pire !
- Tu crois vraiment que je vais te laisser dans cette situation ? Arrête un peu avec ta fierté et regarde-toi, tu n'as vraiment pas bonne mine ! On te croirait prêt de mourir de faim ! Que tu ne veuilles pas de l'aide de notre père, je peux comprendre mais moi ? Il n'y a jamais eu de honte entre nous !
Comme le peintre ne réagissait pas, Stéphane poursuivit d'une voix ferme :
- Moi je crois en ton talent. Tu as raison de venir tenter ta chance ici et je veux t'aider à réussir ! Si tu acceptais juste…tiens j'ai une idée ! On va présenter la situation autrement. Accepterais-tu de me laisser vivre ici avec toi ? On se partagera le loyer et comme ça, tu n'auras pas l'impression de vivre à mes crochets.
Il épousseta affectueusement la veste défraîchie de son frère :
- Par contre, tu ne m'empêcheras pas de t'acheter des vêtements convenables.
Nicola ne répondit pas tout de suite car il était à la fois hésitant et ému du dévouement de son frère. Mais il vit bien qu'il était dans une très mauvaise situation et il craignit que Stéphane ne se vexe s'il refusait son secours. Aussi finit-il par dire d'une voix embarrassée :
- Je ne sais pas comment te remercier…
- Je ne veux pas que tu me remercies. Ca ne te dérange pas au moins que je vive avec toi ?
- Bien sûr que non ! J'ai juste peur que tu ne te plaises pas ici.
Stéphane sourit et le serra brièvement dans ses bras :
- Ne t'en fais pas pour ça, je me charge de nous procurer un peu de confort.
Et en effet, le soir même, Stéphane avait fait installer deux lits un peu bancals mais décents dans ce qui serait leur chambre commune. Ils dînèrent dehors et parlèrent pendant des heures. Au retour, Nicola vit son frère tirer un étui de vieux cuir de ses bagages :
- Ton violon ! s'écria-t-il. Cela m'étonne que le vieux ne l'ait pas brûlé sur le même brasier que mes toiles.
- Il n'a peut-être aucun sens artistique mais je crois que son avarice lui interdisait de se débarrasser d'un objet aussi coûteux qu'un authentique Stradivarius.
Sur ces mots, Stéphane ouvrit l'étui et en sortit un superbe violon aux lignes parfaites et au vernis reluisant. Le regard qu'il posait sur l'instrument en disait long sur l'affection qu'il lui portait. Nicola croisa les bras et dit d'un air grave :
- Dire que tu as laissé tomber la musique pour aller jouer les futurs avocats…Pourquoi n'a-tu pas fait comme moi ? Tu as sacrifié ton rêve pour une vie dont nous savons tous les deux qu'elle ne te conviendra pas.
Stéphane se mordit les lèvres et leva vers son frère un regard tristement fataliste :
- Si je l'avais fait, je n'aurais pas pu te venir en aide. Père nous aurait renié tous les deux !
- Et alors ? Est-ce qu'il ne vaut pas mieux vivre selon son désir plutôt que de se plier à ceux des autres ? Moi je me fiche de la misère, tu as bien vu que je ne vous ai jamais rien demandé ! J'aurais préféré mourir dans ce trou en peignant plutôt que de finir bien vieux dans des draps de soie que j'aurais payé en gâchant ma vie !
- Je sais, murmura Stéphane d'un air douloureux. Mais je ne peux pas…A choisir, je préfère que ce soit toi qui réalise ton rêve. Tu es plus fort que moi, plus persévérant et tu as vraiment du talent. Moi je ne suis pas certain d'en avoir suffisamment pour prétendre à quoi que ce soit.
Nicola secoua la tête en soupirant. Pas suffisamment de talent ? Stéphane n'était rien de moins qu'un prodige du violon. Il s'était découvert cette passion grâce à un vieux professeur de violon à la retraite. Stéphane avait huit ans et le vieux s'était pris d'affection pour lui. Il avait rapidement détecté chez l'enfant une excellente oreille et un vrai goût pour la musique. Aussi avait-il commencé à lui apprendre le violon. Il avait été stupéfait par les progrès fulgurants de son élève. Malheureusement, le talent de Stéphane avait dû rester secret car, il refusait que son maître aille parler à son père de peur que celui-ci ne lui coupe toute possibilité de jouer. Nicola seul, était au courant et les leçons se déroulaient en toute clandestinité chez le professeur.
Puis un jour, celui-ci mourut brutalement d'une attaque cardiaque. Il laissa en héritage à son dernier élève ce qu'il avait de plus cher au monde : son meilleur violon, le fameux Stradivarius que Stéphane gardait comme la prunelle de ses yeux. Après la mort de son professeur, Stéphane travailla le violon deux fois plus. Il jouait en cachette, dans la campagne et son jumeau l'accompagnait. Les progrès avaient continué...Ainsi, Jean-Jacques Sirkis ignora toujours qu'il y avait un virtuose sous son toit.
Stéphane retournait son violon entre ses doigts, l'âme assaillit de souvenirs mélancoliques. C'était pourtant un bien beau rêve…Mais il valait qu'il ne se fasse pas d'illusions. Nicola qui l'observait, vit son visage chagriné et se sentit coupable d'avoir remué le couteau dans la plaie. Il vint s'asseoir sur le sol prés de son frère et l'embrassa sur la joue :
- Je suis désolé…, dit-il d'une voix douce. Mais ne dis pas que tu n'as pas de talent.
- Je préfèrerais que tu me dises que je suis mauvais. J'aurais moins de regrets.
Nicola baissa la tête ne sachant que répondre. Puis il posa la main sur l'épaule de son frère et demanda :
- Il y a longtemps que je n'ai pas entendu ta musique. Voudrais-tu jouer pour moi comme à l'époque où j'allais t'écouter dans les champs loin des oreilles de notre père ?
Stéphane acquiesça et prit son archer qui reposait toujours dans la boîte. Il cala son instrument sous son menton et posa l'archer sur les cordes. Une première note s'éleva, longue et vibrante. Le son du violon était d'une extraordinaire pureté. Stéphane entama une mélodie si belle qu'elle aurait sûrement remué jusqu'au fond du cœur l'homme le plus insensible. C'était une composition personnelle que Nicola n'avait jamais entendue. La musique emplit toute la pièce comme un charme magique. Elle ressemblait à un long sanglot bouleversant et magnifique. Nicola sentait chaque fibre de son corps tressaillir quand le son atteignait des appogiatures aigues comme des cris d'ultime désespoir avant de redescendre brusquement au niveau d'un murmure harmonieux.
Stéphane avait fermé les yeux et se balançait doucement, accompagnant de tout son être le chant de son violon. Ses traits se contractaient parfois violemment et ses lèvres s'entrouvraient comme s'il était sur le point de pleurer. Nicola ne bougeait plus, la gorge enserrée par l'émotion. Une dernière note stridente résonna dans l'air puis mourut lentement. Stéphane ouvrit les yeux mais resta immobile plusieurs secondes, la tête inclinée sur son violon comme s'il revenait doucement à la réalité. Puis, il reposa son instrument sur ses genoux et regarda son frère. Nicola avait les larmes aux yeux.
- C'était magnifique…Quand l'a-tu composé ?
- Il y a un mois, répondit le musicien en rangeant le violon dans son étui.
- Je crois que c'est le plus beau morceau que tu aies jamais fait.
Stéphane eut un sourire. Il était heureux de ce que lui disait son frère mais également triste de penser qu'il serait toujours le seul à l'écouter.
