John Reese se tenait sur le toit de la Tour Avengers. Au fil des mois, cet endroit était devenu son lieu de prédilection. Et de toute évidence cela avait été remarqué par le propriétaire de la tour, puisque peu à peu, l'espace vide s'était vu agrémenter de quelques chaises et d'une table. La Tour comptait bien évidemment de vraies terrasses aménagées ; ce lieu n'était à la base qu'un simple toit d'où l'on accédait à différentes cheminées et trappes techniques. L'apparition discrète d'éléments de confort était un témoignage de l'attention qu'on lui portait.
Il aurait pu décrire la vue les yeux fermés et depuis qu'il pouvait enfin se tenir debout son regard portait encore plus loin. Ici, il se sentait en paix et en sécurité, chose qui ne lui était que rarement arrivé dans la vie.
Il utilisait encore une béquille pour se déplacer. Il aurait pu s'en passer mais les médecins avaient lourdement insisté sur la nécessité de prendre son temps et laisser son corps se réparer. Il avait fini par accepter de les écouter, ses incartades à leurs recommandations tournaient généralement mal. La dernière en date datait de la semaine précédente. Un matin, il avait "oublié" sa béquille. Son dos lui avait ensuite fait clairement comprendre qu'il n'avait pas apprécié devoir compenser pour sa jambe encore faible. Temporaire, lui avaient promis les médecins.
Depuis quelques semaines, il se disait qu'il était temps pour lui de quitter la Tour. Il avait largement dépassé les règles les plus élémentaires de bienséance en étendant son séjour. Mais la vie ici, à l'abri du monde réel, était confortable et il savait pertinemment que le jour où il en passerait la porte, il n'y retournerait plus. Il s'accordait un répit qu'il savait ne plus jamais retrouver.
Il entendit la porte d'accès s'ouvrir derrière lui et se retourna intrigué. Le seul à le retrouver ici était Matt et celui-ci était passé lui rendre visite quelques heures plus tôt, il n'avait aucune raison de revenir.
"C'est donc là que vous vous cachez," fit Tony Stark en observant les lieux.
John leva un sourcil surpris. Stark n'était jamais monté ici. D'ailleurs, maintenant qu'il y pensait, il n'avait jamais vu personne ici, hormis Matt. Comme si le lieu lui avait été réservé.
"Merci pour l'aménagement," répondit John.
Tony balaya le remerciement de la main.
"Jarvis m'a indiqué que vous veniez souvent vous réfugier ici, il m'a semblé normal de rendre l'endroit un peu plus accueillant." Il regarda autour de lui. "Vous savez que nous avons des terrasses aménagées beaucoup plus agréables que cet endroit ?" Il observa un bloc métallique appartenant à la climatisation et fit une grimace. "Mais j'imagine que c'est pour cela que vous vous y plaisez."
Il s'installa sur l'une des chaises et invita John à en faire autant d'un geste de la main.
"Malgré tous nos efforts, vous ne vous êtes jamais senti chez vous ici," poursuivit Stark.
"La suite que vous avez mis à ma disposition quand j'ai quitté l'étage médical est somptueuse. Il serait malvenu de ma part de me plaindre. J'ai d'ailleurs largement outrepassé toutes les règles de politesse quant à mon séjour ici. Je veillerai bien évidemment à vous dédommager dès que j'aurai repris un travail."
"Et je veillerai personnellement à vous jeter par-dessus ce toit si vous essayez de me payer quoi que ce soit." Il leva la main pour arrêter John qui avait ouvert la bouche pour protester. "Vous n'avez dérangé personne. Je dirais même plus, je pense que l'équipe médicale était contente d'avoir un patient normal à suivre pour une fois. Les superhéros ne sont pas les meilleurs des malades, les rares fois où ils ont besoin d'assistance," ajouta-t-il sur le ton de la confidence.
"Merci pour tout ce que vous avez fait, vous et votre équipe."
"Cela fait partie de notre travail. Sauver le monde, même si parfois cela ne concerne qu'une seule personne."
Stark s'installa plus confortablement dans le fauteuil.
"Cela fait combien de temps que vous êtes là maintenant ? Dix mois ?" Il fit courir ses yeux sur la silhouette. "Quand je vous ai sauvé de l'explosion, je ne pensais vraiment pas que vous vous en sortiriez aussi bien. Pour tout vous dire, pendant un moment, j'ai vraiment pensé qu'il aurait été plus humain de vous laisser mourir dans les décombres. Vous étiez dans un sale état."
"Votre équipe médicale est exceptionnelle."
"Oui, elle l'est. Elle a eu à faire face à des situations souvent pour le moins peu conventionnelles. Ils sont capables d'accomplir de véritables miracles."
"C'est une bonne chose que les médecins soient tenus au secret médical," plaisanta John.
"C'est amusant que vous parliez de secret John…"
Stark laissa planer le silence pendant un moment, donnant tout le loisir à John de se préparer à ce qui allait suivre.
"Comme je le disais, cela a été un plaisir de vous avoir à la Tour."
"Et pour moi donc. Avoir la chance de rencontrer les membres de l'équipe des Avengers a été un véritable honneur !"
"Ce qui m'amène à la raison de ma présence sur votre terrasse."
"Ce n'est pas ma terrasse…"
"Vous y avez déjà vu quelqu'un d'autre ?"
"Heu… non, en effet." Mais John avait sincèrement pensé que cela était dû au lieu en lui-même, pas au fait qu'il s'en était en quelque sorte emparé.
"Et la question qui taraude tout le monde John, et celle que je me pose depuis que je vous ai vu servir de cible sur le toit d'un gratte-ciel, est donc, qui êtes-vous réellement ?"
John ne put s'empêcher de sourire. Il attendait cette question depuis qu'il avait été en état de comprendre qui l'avait sauvé de l'explosion.
"Vous savez que Matt s'est montré beaucoup moins patient que vous ? Cela fait des mois qu'il m'a cuisiné pour que je lui parle. A sa décharge, cela faisait deux ans que nous nous connaissions…"
"Oui, mais lui il devine les choses," marmonna Stark.
"Il devine ?" répéta John.
"Oh, vous savez très bien ce que je veux dire. Ce gars est bizarre."
"Bizarre ? Dit le type qui a une machine dans le cœur…" fit remarquer John.
"Et je vous rappelle que vous avez désormais assez de métal dans le corps pour vous faire arrêter à chaque passage de portique de sécurité."
John fit une grimace. Il avait vu les radios, la plupart faisaient froid dans le dos. Et si certaines pièces n'avaient été que provisoires, il conservait effectivement suffisamment de broches et de vis dans le corps pour déclencher les détecteurs de métaux les moins sensibles. Les tirs d'armes automatiques n'étaient pas tendres pour les os.
"A votre façon, vous avez probablement mérité votre place dans cette Tour, John."
John poussa un léger soupir. Il n'y avait aucune raison qu'il cache quoi que ce soit à Stark. Il lui devait la vie et son passé appartenait désormais à un homme mort, par deux fois… Finalement, peut-être que tout raconter à quelqu'un, quelqu'un qui ne le jugerait pas, aurait quelque chose de salutaire.
"J'ai été soldat, puis agent pour la CIA…"
New York, quelques jours plus tard
John poussa la porte et sortit sur le trottoir.
C'était la première fois qu'il quittait la Tour depuis "l'accident". "Le jour où je me suis retrouvé sur le toit d'un immeuble pour sauver le monde d'une intelligence artificielle maléfique et ai dû faire face à un escadron de la mort et un missile longue portée après avoir menti à mon meilleur ami pour lui sauver la vie" était une explication un peu longue, "l'accident" semblait une définition plus simple. Elle avait eu le mérite de faire s'esclaffer Matt qui l'avait félicité pour son sens de la concision, la première fois où John avait utilisé l'expression.
Le bruit extérieur l'assaillit et il eut un mouvement de recul, presque tenté l'espace d'une seconde de rentrer se réfugier dans le calme confortable du bâtiment. Il n'avait jamais fui devant l'adversité, il n'allait certainement pas se laisser abattre par quelques klaxons intempestifs. Mais si intellectuellement il avait pris sa décision, son corps n'avait pas répondu aussi vite et son cœur battait la chamade.
Une main lui prit le coude et le dirigea vers le bout de la rue. Après le sursaut initial de surprise, il se laissa diriger vers le petit parc qui offrait un coin de tranquillité. Le temps d'arriver aux grilles il avait repris ses esprits et il se dirigea de lui-même vers un banc.
"Un aveugle qui conduit un voyant, nous avons dû attirer quelques regards," fit remarquer John un sourire dans la voix.
"Tu vas mieux ? Ton cœur a fait un de ces bonds, j'ai cru que tu allais avoir une attaque en sortant de l'immeuble," expliqua Matt la tête légèrement penchée, signe évident qu'il était de nouveau à l'écoute.
"Qui espionne qui maintenant ?" questionna John.
Matt leva les mains en signe de défaite. "J'avoue."
"Il va falloir que tu m'expliques. Je connais tes talents particuliers, mais de là à deviner à quel moment j'allais sortir."
Matt s'esclaffa. "Cette fois, j'ai plutôt utilisé tes talents."
"Tirer sur les genoux de quelqu'un pour le faire parler ?"
Matt lui adressa une grimace et John réprima un sourire.
"J'ai mes entrées à la Tour. Et ton emploi du temps n'est un secret pour personne."
"Emploi du temps ? Je n'ai rien à faire de mes journées…"
"Tu veux dire quand tu n'es pas entre les mains des différents thérapeutes et autres machines de torture ?"
Vu sous cet angle… John passait effectivement une grande partie de ses journées en rééducation. Il avait d'ailleurs programmé sa sortie après ses derniers soins de la journée.
"Et tu m'as dit hier que tu allais sortir aujourd'hui." Matt plia sa canne. "Alors, ça fait quoi d'être libre ?"
"J'étais libre de sortir quand je le voulais," lui rappela John.
"Juste pas prêt, je sais. Bizarre, non ?"
"Oui…"
John n'irait pas jusqu'à dire qu'il avait eu peur de sortir, mais après l'explosion toute sa vie avait été chamboulée. Ce n'était pas la première fois qu'il était mort. La fois précédente, venger Jessica avait pris le pas sur tout le reste. Puis, une fois sa mission accomplie, il n'avait plus eu aucun but dans la vie. Vie à laquelle il avait bien failli mettre fin de son propre chef cette fois-là.
Cette fois-ci, à l'abri de la Tour et ayant promis à Stark de ne pas mettre fin à ses jours (même s'il n'en avait pas eu l'intention quand celui-ci lui en avait fait la demande) les choses étaient différentes. Il se sentait en sécurité, il n'avait rien à faire d'autre que se remettre de ses blessures, pas de décision à prendre. Il n'était pas prisonnier de la Tour, mais il s'était en quelque sorte conduit comme s'il avait été en prison, délaissant les décisions à ses gardiens. Comme il l'avait dit une fois, certaines de ses meilleures vacances avaient été en prison.
Ressortir impliquait de reprendre le contrôle de sa vie, avec les difficultés que cela entraînerait. Renouer avec la société, retrouver un appartement, un travail… même si côté travail, il en avait un de garanti dès qu'il se sentirait prêt.
Il regarda autour de lui. Il était abasourdi par le niveau de bruit. Cela ne l'avait jamais dérangé dans le passé, mais quelques mois passés dans un silence relatif lui avaient fait oublier la circulation ininterrompue de New York. Il regarda Matt songeant à son ouïe surdéveloppée. Il comprenait mieux pourquoi celui-ci appréciait autant sa terrasse en haut de la tour.
"Je suis sûr que Stark acceptera que tu continues à monter sur le toit de son immeuble," fit-il.
"Pardon ?" Matt le regarda totalement confus. "De quoi parles-tu ?"
"Je pensais au bruit. A la façon dont cela doit te déranger. Je n'avais pas conscience du niveau de gêne que cela doit représenter pour toi."
"On s'habitue," répondit Matt en haussant une épaule.
"Quand je vois la façon dont mon corps a réagi alors que cela fait juste quelques mois… Merci."
"Je t'en prie. J'ai cru que tu allais faire demi-tour sans te laisser une chance."
"J'ai bien failli, j'avoue." John inspira profondément. "Et ça aurait été dommage. Il est temps de reprendre ma vie en main."
"Ca y est ? Tu es décidé ? Tu repars travailler pour…" Matt regarda autour de lui et baissa la voix, "la Machine ?"
"Il va falloir que je me trouve un appartement aussi. Je doute que le mien soit encore libre…"
"Pas forcément. Tu es mort, mais sans descendants directs. Il faut un certain délai avant que la ville ne puisse réquisitionner ton bien. Si ça se trouve, ton appartement est toujours vide… mis à part la poussière." Matt se redressa. "Laisse-moi vérifier ça."
"Pratique d'avoir un ami avocat," murmura John.
"Je ne peux rien faire pour ton travail par contre."
"Oh ça, rien de plus facile." John tourna la tête vers une caméra pointée sur le banc. "Je suis prêt," fit-il en regardant l'objectif fixement.
"A qui parles-tu ?"
"Il y a une caméra juste en face de nous."
"Tu penses qu'Elle t'observe ?"
"Elle voit tout Matt. Ce n'est qu'une question de secondes avant qu'Elle ne me repère dans les millions d'images qu'Elle reçoit."
Et comme pour lui donner raison, son téléphone vibra.
"Qu'est-ce qu'Elle te dit ?" demanda Matt sans cacher sa curiosité et visiblement totalement à l'aise avec l'existence de la Machine.
Après la surprise initiale quand John lui avait expliqué son secret, Matt l'avait intégré comme une évidence dans la vie de John, et un peu la sienne. Si l'on voulait assurer la sécurité des citoyens, certaines fins justifiaient les moyens. Il avait même pris pour lui le côté féminin de la Machine.
John ouvrit le message, une adresse et des codes d'accès.
"Où me rendre…"
"Félicitations alors."
"Pour ?"
"D'avoir retrouvé un travail !" répliqua Matt avec un sourire.
"Qui sait, nous aurons peut-être l'occasion de collaborer un jour."
"Je suis toujours prêt à aider les innocents John, tu le sais bien."
Fin partie 1 - A Suivre
