Tel un ballet dansant, les dragons s'envolaient vers le monde caché. Le spectacle de leurs battements d'ailes montrait la grandeur de ces êtres majestueux. Harold avait passé cinq ans de sa vie auprès d'eux et assister à leur départ était de loin la chose la plus difficile à laquelle il avait été confronté. Le regard abattu de Krokmou plus encore. Il l'observait du bord de la falaise avec ses grands yeux tristes, encore hésitant à prendre son envol. Le brun lui sourit à travers ses larmes pour le rassurer, l'air de dire « Ça va aller », et Krokmou lui lança un dernier regard avant de s'envoler vers sa liberté.

Les Beurkiens restèrent longtemps devant cette falaise à contempler le ciel, même après le départ des dragons. Mais chacun avait fini par rentrer sur le campement. Les dragonniers avaient tenu à rester un peu plus longtemps mais avaient fini par faire de même. Seul le chef était resté.

En l'absence de sa jambe artificielle pour le soutenir, il avait pris place au bord de la falaise et y était resté jusqu'à la tombée de la nuit, perdu dans ses pensées. Les larmes qu'il avait laissées couler plus tôt, avaient séchées sur ses joues.

Il entendit des pas derrière lui. Quelqu'un s'accroupit en posant sa main sur son épaule. Sans avoir à se retourner, il savait qu'il s'agissait d'Astrid. Son regard croisa le sien et le visage du jeune homme se détendit. Ses traits s'adoucirent en même temps qu'il lui sourit.

« Allez, il est temps de rejoindre les autres. »

Harold poussa un soupir avant d'acquiescer. Elle l'aida à se relever et il s'appuya sur son épaule pour marcher. Astrid le soutint dans ses pas jusqu'où s'étaient rassemblés les villageois. Des petits groupes s'étaient ainsi formés autour de feux de camps improvisés.

Le couple passa à travers ces derniers en enjambant quelques personnes. Ils observèrent les hommes se frotter les mains pour se réchauffer auprès du feu. Ils se racontaient des histoires du bon vieux temps, souriant à l'évocation du souvenir des dragons.

Beurk avait visiblement besoin de se rassembler après le triste événement qui venait d'avoir lieu. Partager les souvenirs heureux que leur amitié avec les dragons leur avait procurée semblait être une bonne thérapie.

Plus il avançait et plus l'émerveillement pouvait se lire sur le visage du jeune chef. Voir son peuple se recueillir de cette façon le rendait heureux malgré tout ce qui avait pu se passer.

Astrid se tourna vers lui.

« Qu'est-ce qu'on doit faire lorsque les êtres qui nous sont chers ne sont pas avec nous ? »

Un sourire se dessina sur son visage.

« On honore leur mémoire, » répondit-il sans hésitation.

C'est ce que son père disait toujours. Il avait toujours le mot juste dans les moments difficiles. Astrid lui ressemblait beaucoup. Harold était heureux de l'avoir à ses côtés pour cette raison entre autre. Elle lui rappelait beaucoup son père et ça l'aidait à avancer.

Ils retrouvèrent finalement leur vieux amis assis en cercle autour d'un feu. La bande était au complet. Varek pleurait dans les bras de Kognedur qui jetait un regard triste à son frère. Rustik, qui était à côté de Kranedur, observait la scène sans rien dire. Ils avaient vraiment une sale tête. Ils levèrent les yeux à l'arrivée de leur chef de bande et ami. Ce dernier leur adressa un sourire avant de s'asseoir à leurs côtés.

« Alors qu'est-ce que vous faites de beau ? » leur lança-t-il.

« Bah comme tout le monde... » répondit Kranedure.

« On se raconte des histoires, » ajouta sa sœur.

« On était en train de se remémorer la fois où les jumeaux avaient failli réduire la rive en cendres avec le fiasco des verrenflammes. » expliqua Rustik, quelque peu amusé.

« Et j'étais en train de leur expliquer que ça n'était pas complètement de ma faute... celle de Kognedur peut-être, » rétorqua le jumeau.

Rustik s'apprêtait à dire quelque chose mais Harold le coupa dans son élan.

« La rive... c'était la belle époque, pas vrai ? »

« On était jeunes et libres, » acquiesça Astrid.

Les autres se laissèrent alors aller à leurs bons souvenirs.

« L'œil de dragons... quand on l'a découvert, ça a tout changé. Ça nous a permis d'explorer le monde... un monde si vaste... » sa voix se brisa quand il réalisa qu'il ne pourrait jamais plus explorer ce monde de cette façon.

Astrid saisit sa main et la serra dans la sienne, comme pour lui témoigner sa présence, elle était là pour lui.

« Ça nous a aussi permis d'étendre nos connaissances sur les dragons ! » s'exclama Varek qui venait de sécher ses larmes. « On en a découvert tellement ! Entre les terreurs nocturnes, les chants funestes, les sentinelles, les éruptodons, les razolames... »

Cette dernière évocation le fit immanquablement penser à Ingrid pour qui il avait nourri un intérêt particulier pendant un temps. En jetant un regard vers les autres, il réalisa qu'ils avaient pensé à elle eux aussi. Astrid posa une main rassurante sur son épaule.

« Elle me manque à moi aussi, » lui souffla-t-elle en s'efforçant de sourire.

« Ah... elle avait quand même le plus cool de tous les dragons cette fille, » s'exclama Kranedur, l'air nostalgique.

Tout le monde se prit à rire sous son air rêveur.

« On en a vécu des choses là-bas tout de même... » s'exprima Kognedur. « On a appris à travailler en équipe, pas vrai Astrid ? » dit-elle en lui donnant un petit coup dans l'épaule.

« Aha, c'est vrai. »

« Et on a rencontré tellement de peuples différents, de cultures différentes, de lieux différents... » ajouta le chef.

« Ces dernières années ont vraiment été riches » conclut sa petite amie.

« Riches en rebondissements, oui ! » s'exclama tout à coup Rustik. « N'oubliez pas qu'on a failli se faire tuer je ne sais combien de fois par les chasseurs de dragons ! Sans compter le volcan de la Rive qui a bien manqué d'anéantir l'île tout entière ! Et tu te rappelles de la fois où toi et Varek, vous avez failli– »

Astrid lui avait présenté sa hache devant les yeux et Harold s'était empressé de la descendre gentiment.

« Et toi tu oublies le nombre de dragons qu'on a pu sauver grâce à notre imprudence. » lui rappela Harold.

Le brun baissa les yeux en ronchonnant et Harold poursuivit son discours.

« On a quitté Beurk pour vivre de nouvelles aventures, pour apprendre à se débrouiller tous seuls. Et c'est ce qu'on a fait. On a vécu... tellement de choses là-bas. Ces six dernières années ont été sans conteste les plus belles années de ma vie. J'ai vécu des choses... incroyables avec Krokmou, avec vous tous. On a appris à s'entraider les uns les autres, à se soutenir dans les moments plus difficiles. »

Il se tourna vers Astrid et planta son regard dans le sien.

« A s'aimer. »

Les yeux bleus de la blonde s'agrandir, un sourire se dessina aux coins de ses lèvres. Harold prit la main qui l'avait serrée plutôt et l'embrassa avant de faire face de nouveau à la bande.

« Et aujourd'hui, on a quitté Beurk pour offrir une vie meilleure à nos dragons et de nouvelles aventures nous attendent. »

Il serra de nouveau la main de la jeune Hofferson. Le reste des dragonniers affichaient une mine déconcertée. Ils étaient restés bouche bée devant les paroles de leur chef. Ils hochèrent tous de la tête avec de grands yeux. Tous sauf Kranedur.

« C'est bien beau tout ça mais tu peux me dire qui va m'emmener voir Poulet maintenant ?! » s'exclama-t-il.

Les autres le regardèrent étrangement avant de se mettre à rire de bon cœur.

Harold ressentit comme une bouffée d'air frais l'envahir. Comme s'il pouvait respirer de nouveau. Comme si toute tension s'était dissipée. Ses amis avaient réussi à lui remonter le moral. Il se sentait bien en leur présence. Et il savait qu'il devait ça à une seule personne.

« Merci. » dit-il en se tournant vers celle qu'il aimait. Celle-ci lui sourit. D'un regard, il l'invita à se lever pour s'éclipser du groupe. Elle le prit sous son bras et ils quittèrent les autres en leur adressant un dernier signe de tête.

En s'éloignant de la foule pour regagner leur tentes respectives, ils observèrent le paysage qui les entourait. Ils avaient tout un village à reconstruire, toute une vie.

Devant l'air distrait de son petit ami, la blonde l'interpella par son nom.

« Harold, est-ce ça va ? »

« Ça va mieux. Merci encore de m'avoir emmené les voir. J'avais besoin de ça. »

La jeune fille baissa les yeux en souriant.

« Tu as dû prendre une grave décision aujourd'hui. C'était indispensable à la survie des dragons et à la nôtre aussi. »

Elle releva la tête.

« Je veux juste que tu saches que même si c'était dur pour nous tous, tu as pris la bonne décision Harold. »

Le fait de l'entendre le dire à haute voix le rassura quelque peu car il était vrai qu'il s'était posé la question et se l'était retournée plusieurs fois dans la tête après coup. Mais Astrid le connaissait trop bien et elle savait déjà tout ça.

« Il va me manquer. » murmura le jeune chef.

Ils venaient d'arriver devant sa tente. Astrid l'aida à s'asseoir par terre tout en gardant une main réconfortante sur son épaule. Devant son air triste, elle saisit sa tête entre ses mains.

« Il va me manquer à moi aussi comme Tempête mais tu as fait ça pour leur bien. »

La jeune femme descendit ses mains le long de son buste.

« Et puis, ils seront toujours là. » avait elle achevé de dire en posant une main sur son cœur.

Elle parvint à décrocher un sourire au chef de Beurk qui recouvrit sa main de la sienne. Son autre main caressait son visage en le dégageant des mèches dorées qui le dissimulait.

« Tu as toujours été là pour moi Astrid. »

Il lui embrassa le front.

« Krokmou est mon meilleur ami. Il m'a aidé à devenir l'homme que je suis aujourd'hui. Mais tout ça n'aurait pas été possible sans ton soutien. »

Les yeux de la jeune fille s'ouvrirent en grand.

« Vivre sans lui sera une épreuve difficile mais tu sais quoi Astrid ? »

Il marqua une pause.

« Quand je me vois heureux, c'est avec toi. »

Le visage d'Harold se détendit. Il sourit, les yeux embrumés :

« Tu te rappelles de la promesse que je t'ai faite quand nous étions enfants ? »

« Comme si c'était hier, » acquiesça la jeune femme.

« Alors je te le demande Astrid Hofferson, veux-tu passer le restant de ta vie à mes côtés ? »

L'hiver était déjà bien installé quand le jeune Harold Haddock se décida à sortir de chez lui. Comme à son habitude, il était parti sans en avoir la permission. De toute façon son père Stoick la brute n'était pas là pour l'en empêcher. Et puis avec Gueulfor pour seul baby-sitter, il saurait s'en sortir.

A dix ans à peine, le futur chef du village était un garçon intrépide, amoureux de la nature et de sa beauté. Il aimait se perdre dans les bois. Il n'avait pas vraiment d'amis parmi les enfants du village mais il prétendait aimer sa solitude. La vérité c'est qu'il cherchait seulement la reconnaissance de son village et qu'ils arrêtent de le traiter de boulet.

Il arriva bientôt à l'entrée de la forêt. Il se frotta les bras pour se réchauffer un peu avant de s'y aventurer. Ses pieds foulèrent le sol enneigé en y laissant des traces de pas derrière lui, en s'enfonçant plus profondément dans la forêt. Le jeune garçon avait prévu de se poser à un endroit au calme pour observer les quelques oiseaux qui se cacheraient au creux des arbres. En cette période de grand froid, les dragons étaient partis comme ils le faisaient à chaque fois que la période de Snoggletog arrivait. Les petits animaux pouvaient donc retrouver une vie tranquille où ils n'avaient pas à échapper sans cesse à leurs flammes dangereuses.

Harold prit placé alors sur un tronc d'arbre d'où il pouvait observer quelques oiseaux sortis pour faire leur toilette. Il saisit son carnet et de sa main gauche, commença à griffonner quelques croquis. Malgré le froid et ses joues rouges, il continua à dessiner pendant pendant près d'une demi heure. Au bout d'un moment, à force de rester dans la même position, il se décida à changer d'endroit. Il alla un peu plus loin dans un lieu un peu plus boisé et se posa de nouveau. Il se mit à dessiner les arbres qui l'entouraient ainsi que le tapis blanc à leurs pieds. Un bruit, cependant, lui fit lever la tête de son carnet. Il le referma d'une main et se rapprocha du son qu'il venait d'entendre. Cela ressemblait à du bois qui craquait. Il avança encore un peu.

« Ah ! »

Quelqu'un semblait réaliser un effort physique. Il s'approcha de nouveau.

Tchac !

C'était une fille qui coupait du bois. Elle avait l'air d'avoir son âge. Deux couettes blondes dépassaient de son bonnet en fourrure blanche. Une peau de loup en guise de manteau, la fillette ne semblait pas ressentir le froid.

Tchac !

Elle coupa une bûche de plus. Harold l'observait attentivement. Cette silhouette lui semblait familière mais il n'était pas sûr de lui, jusqu'à ce qu'elle se retourne. Sans s'en apercevoir il avait posé une main sur une branche qui s'était cassée sous la pression de cette dernière. Le bruit avait alerté la blonde. Il se baissa instantanément pour se cacher.

« Il y a quelqu'un ? »

Cette voix. Cette voix autoritaire qui ne pouvait appartenir qu'à une seule personne. Astrid Hofferson. La jeune fille avait toujours occupé une très grande place dans son cœur. Au point qu'il en était tombé amoureux. Il était tombé amoureux de son tempérament de feu, de sa faculté à manipuler la hache comme personne et de ses magnifiques yeux bleus. Harold était désespérément amoureux de cette fille mais il était trop timide pour lui avouer. Pourtant il en avait envie mais il avait trop peur de se trouver ridicule.

« T'es là depuis longtemps ?! »

Le jeune garçon sursauta. Il ne l'avait pas vu venir. Il se releva aussitôt pour lui faire face. Cette dernière croisa les bras sur son ventre en haussant un sourcil. Et Harold savait ce que ça voulait dire ; elle voulait des réponses.

« Et bien... c'est à dire que... »

« Qu'est-ce que t'étais en train de faire exactement ? »

Il ravala sa salive avec difficulté.

« Bah c'est que... j'étais dans la forêt et... tu étais là et... »

« Et quoi Haddock ? »

Il était coincé. Elle ne voudrait jamais le croire. Il fallait qu'il invente quelque chose. Ou pas. Pourquoi ne pas se lancer ?

« Voilà, je t'ai suivie parce que... je t'aime Astrid Hofferson. Depuis toujours et... un jour je me marierais avec toi. »

Il l'avait fait. Il avait dit ce qu'il avait sur le cœur.

« Ça n'arrivera jamais. »

Et elle avait anéanti tous ses espoirs en moins de cinq secondes. Harold resta immobile devant elle, se demandant pourquoi il avait dit toutes ces choses. Le pauvre garçon ne savait plus où se mettre. Il finit par reprendre ses esprits et rebroussa chemin.

« Au revoir Harold. »

Elle avait prononcé son prénom. Astrid avait dit son nom. Et elle lui avait dit au revoir. Les jambes du jeune garçon devinrent toutes tremblantes. Il lui sourit un peu bêtement avant de repartir, le rouge aux joues, vers sa hutte. Gueulfor pourrait bien lui faire la morale ce soir, cela ne pourrait rien changer à ce qui s'était passé plus tôt dans la forêt.

Astrid avait les larmes aux yeux.

« Bien sûr Harold. »

Il la prit dans ses bras et la serra très fort contre lui. Ils étaient tous deux si heureux. Ils avaient parcouru tellement de chemin. Astrid était tellement fière de ce qu'il était devenu. En faisant ça, Harold s'assumait enfin entièrement.

Astrid fit glisser sa main sur sa joue. Elle observa son visage.

« Je t'aime Harold Haddock, » prononça-t-elle avant de l'embrasser tendrement.

...

Blottis l'un contre l'autre dans la couche du chef, Harold et Astrid ne dormaient pas. Ils n'avaient pas non plus besoin de parler. Un regard suffisait. Et Harold la regarda dans les yeux. Il avait une question.

« Quand ? » lui demanda-t-il en serrant sa main.

« Quand quoi ? »

« Quand est-ce que tu comptes devenir ma femme ? »

Elle sourit.

« En hiver, comme lorsqu'on s'est fiancé. »