Chapitre I : "Yes my Lord…"

Comme chaque matin, le majordome de la famille Phantomhive, un homme à la silhouette élancée et vêtu en majeur partie de noir, entra dans la plus grande chambre du manoir. Les murs en étaient tapissés de bleu avec, ici et là, des fleurs de lys rappelant le haut rang du propriétaire. Les draps immaculés qui l'en recouvraient étaient relevés en différents reliefs par une personne endormie. Le majordome s'avança en soulevant le bout de couette recouvrant le visage de l'endormi.

- Hmm…, laissa échapper la petite bouche entre-ouverte.

Le majordome sourit.

- Ah bocchan…quel bonheur de vous voir si beau ainsi endormi...sans votre masque quotidien, vulnérable.

Vulnérable. Cet adjectif était pourtant bien le dernier que l'on aurait pu employer pour désigner ce jeune comte anglais de quinze ans. En effet, après la perte tragique de ses parents lors de l'incendie du manoir Phantomhive à l'âge de ses dix ans, Ciel fut enlevé et torturé par une secte clandestine, traité comme un animal, enchainé et marqué au fer rouge. Le Ciel ne l'ayant pas aidé, c'est au Diable que s'était adressé le jeune homme. Il était alors revenu, sauvé et maître d'un diable de majordome par un pacte aux closes strictes : la mort des personnes l'ayant déshonoré ainsi que sa protection contre son âme. Ciel était la tête et Sébastian son bras armé.

- Mmh…, fit le jeune comte dans son sommeil comme une réponse à la voix suave et envoutante de son majordome.

Sébastian avança sa main gantée vers le visage paisible de l'enfant et en dégagea une mèche gris perle. Magnifique. L'homme se ressaisit soudain. Certes il aurait pu rester ainsi des heures durant à contempler son jeune maître mais il était l'heure de le réveiller. Le majordome de la famille Phantomhive n'allait pas se mettre en retard sur son planning pour quelques distractions tout de même (tout de même !:p).

Il retira alors sa main du visage de l'enfant et se dirigea vers les grands rideaux de soie bleue qu'il ouvrit en grand. La lumière du soleil déjà haut illumina la chambre.

- Il est l'heure de vous lever bocchan ! annonça le majordome, un sourire plaqué sur les lèvres.

Le corps dans le lit bougea, tiré par mille agressions (bon ok deux : visuelle et sonore…Bon ok une : visuelle !) de son sommeil. Le visage dégagé précédemment de dessous la couette se tendit et le jeune aristocrate ouvrit enfin deux grands yeux bleu marine qu'il vrilla sur son serviteur. Sa bouche s'ouvrit et laissa échapper un bâillement.

- Mmmh...Sébastian, dit-il en se frottant les yeux, encore à moitié endormi.

- Bonjour bocchan, répondit l'homme en posant sur la table de chevet un plateau remplie de mets plus exquis les uns que les autres.

Ciel se redressa pour s'asseoir dans son lit tandis que Sébastian servait dans une tasse de porcelaine vert amande aux pourtours dorés son thé. Le liquide chaud coulait à mesure que se dissipait le brouillard du sommeil dans l'esprit de son maître. Il la lui tendit puis le regarda porter la tasse à ses délicates lèvres. Son odorat aussi aiguisé que son palais ne le trompa pas sur l'origine du thé de son majordome.

- De l'Earl Grey ?

- Celui-là même monsieur. Je l'ai accompagné d'un crumble aux poires pour adoucir votre réveil.

Ciel piqua un far à l'écoute de ses mots. Cet…arrogant.

- Mon réveil serait peut-être plus doux si tu effaçais ce stupide sourire de ton visage.

Le majordome fit une mine contrite puis retira son sourire pour afficher une mine sérieuse beaucoup moins avenante mais qui plaisait d'avantage au maître disgracieux. Il offrit la pâtisserie à son maître puis enchaina sur le programme de la journée :

- Nous commencerons par votre rendez-vous de dix heures avec le représentant en France de la société Phantom, Monsieur De St Bourgon. Nous enchainerons par le repas, sur la terrasse si vous me le permettez puis à quatorze heures vous prendrez votre habituel cours de violon avec moi-même. J'ai également pensé que…

- Ah ! Cela est déjà une erreur de ta part.

Le majordome se tut, interrogateur.

- Tu n'as pas à penser, juste à m'obéir mon cher Sébastian. Tu n'es qu'un pion à l'affut de mes ordres ne l'oublie pas.

Le majordome s'inclina, une main sur le cœur. Un sourire apparut à la commissure de ses lèvres lorsqu'il prononça son…

- Yes my Lord.

Comme son maître pouvait être beau lorsqu'il rappelait à ses subalternes QUI il était.

- Bien, à présent habille-moi, ordonna-t-il en tendant l'assiette de porcelaine qui contenait précédemment le superbe crumble.

Le majordome s'exécuta sans rechigner. C'était le moment de la journée qu'il préférait. Son maître était à sa merci. Le plus jeune s'assit sur le bord du lit, ses jambes pendant négligemment dans le vide tandis que son serviteur s'agenouillait face à lui, la pile de vêtements de son maître à ses côtés. Il retira de ses mains gantées la longue chemise de nuit immaculée qui couvrait son corps imberbe. Le tissu glissa sur la peau de porcelaine de l'aristocrate qui s'offrait au diable. Il désirait tellement le caresser, le parcourir de ses baisers,…L'homme s'arrêta en se rendant compte que sa langue léchait malicieusement ses lèvres à cette pensée. Si son maître savait les pensées qu'il nourrissait à son égard, jamais plus il ne l'aurait laissé le toucher. C'est donc avec retenue sur ses fantasmes que Sébastian habilla son bocchan d'une tenue alternant entre bleu et noir. Quant à Ciel, il ne prêtait pas attention aux gestes de l'homme plus bas. Il fixait le plafond face à lui, se délectant encore du goût qu'avait laissé le gâteau dans sa bouche. Sébastian était bien un cuisiner hors pair.

- A quoi pensez-vous bocchan ?se permit de demander le majordome alors qu'il lassait les chaussures à talons de son petit maître.

Rien ne pouvait échapper à son regard acéré, encore moins la multiplicité des expressions que pouvait prendre le visage de Ciel. Ce-dernier cligna des yeux puis abaissa son regard, dérangé dans ses pensées. A quoi pensait-il ? Aux qualités exceptionnelles de son homme à tout faire. Bien sûr, il n'était pas question de le lui avouer et Ciel était passé maître dans l'art du mensonge après ces années en compagnie du démon. Il émit un léger soupire.

- Je pensais au travail qui m'attendait aujourd'hui... Il peut être pesant d'être le descendant de la famille Phantomhive.

- Je vous comprends monsieur mais vous êtes un jeune homme courageux vous nous l'avez à tous prouvé à différentes reprises.

Il eut un rictus hautain.

- Je ne suis pas un Phantomhive pour rien. Nous travaillerons jusqu'à épuisement que cela ne nous dérangerait pas. Nous sommes forts.

Le comte évoquait souvent ses feu-ancêtres par un « nous » qui semblait les rappeler à la vie l'espace d'un instant. Il n'était également jamais avare sur les compliments lorsqu'il s'agissait de flatter sa noble descendance.

- A ce propos bocchan, vous devriez faire un peu plus attention sur la quantité de sucreries que vous consommer. Vous êtes très excité lorsque vous vous couchez ces derniers temps.

Ciel ouvrit de grands yeux.

- Pardon ?

Le majordome se redressa sa main sur le cœur.

- Ce n'était qu'une simple constatation de ma part.

- Je ne te permets pas !

Sébastian sourit. Son maître était toujours aussi réactif lorsque cela découlait de piques de sa part.

- Il est pourtant de mon devoir de veiller à la bonne santé de monsieur. C'est pour cela que je vous conseille de la soupe à vos divers plaisirs sucrés, répondit innocemment le diable.

Le maître rougit. Il osait l'attaquer sur sa taille à présent !

- Tu me fatigues Sébastian. Débarrasse tout cela et rejoins moins à mon bureau lorsque tu auras fini.

Il se leva et alla vers la porte qu'il ouvrit.

- Oh et pendant que j'y suis, profites en pour faire disparaître ce ton sarcastique de ta voix. Une cruche d'eau glacée n'est jamais loin sur mon bureau tu le sais, dit-il avec un petit sourire sadique avant de sortir en laissant la porte ouverte derrière lui.

Le majordome le regarda sortir, admirant la démarche élégante et le corps fin du plus jeune, perceptible à travers ses vêtements cintrés. Il se félicita intérieurement d'avoir renouvelée sa garde-robe pour son plus grand bonheur. Alors que jeune maître traversait les couloirs de son manoir jusqu'aux hautes portes de son bureau, son majordome avait fini de débarrasser le petit déjeuner et de faire la vaisselle. Il attendit cependant que le jeune homme soit assis à son bureau pour entrer, ne désirant pas le vexer sur sa vitesse plus lente que la moyenne humaine. Après tout, on ne pressait pas un noble n'est-ce-pas ?

- Le courrier bocchan, annonça-t-il en lui tendant sur un plateau d'argent des lettres cachetées aux différents blasons familiales.

Il s'en saisit, les regarda brièvement puis rapporta son regard sur son majordome.

- Pas de lettre de Sa Majesté ?

- S'il y en avait eu une il est évident que je vous l'aurais apportée en priorité bocchan, répondit-il en bon serviteur qu'il était.

- Evidemment…

Le jeune homme croisa les bras sur son grand bureau, pensif.

- Cela fait un moment que Sa Majesté ne m'a pas envoyé de missive.

- Ce n'est pourtant pas les affaires sordides qui manquent à Londres ces-derniers temps. Peut-être Sa Majesté a-t-elle trouvé meilleur chien de garde que Monsieur ?

Les yeux du comte se plissèrent, donnant un regard assassin à ses yeux bleu marine pourtant si beaux. Cette réaction ne fit que sourire d'avantage Sébastian qui n'en attendait pas moins de son maître.

- Je suis l'unique chien de garde de la Reine ! Et ton sourire !

- Veuillez m'excusez bocchan mais l'un de nous doit bien se donner la peine de sourire si l'on veut éviter cette ambiance…mortelle.

C'était la phrase de trop pour le plus jeune qui ne supportait pas l'insolence. Ces joutes verbales étaient pourtant leur lot quotidien à tous deux pour tromper l'ennui dans ce sombre manoir mais aujourd'hui Ciel n'était décidément pas d'humeur à ce qu'on lui tienne tête. Il renversa sa chaise en bondissant et traversa en un temps record (pour lui hum hum ^^) la distance qui le séparait encore du brun, avant de lui attribuer un soufflet phénoménal.

- JE NE TE PERMETS PAS MISERABLE CHIEN !

Le regard du maître était plein de haine et ses traits emprunts d'une colère immense. Depuis les évènements passés il n'avait plus souris, il avait oublié comment faire…Et cela personne n'était en droit de le lui rappeler ! A peine remis de sa gifle malgré sa réactivité surhumaine, Sebastian se vit attribuer des coups de pieds dans les jambes. Voyant son peu de réaction et ne parvenant pas à calmer sa colère, Ciel en rajouta dans le degré de punition. Il saisit à pleine main les cheveux d'un noir de jais de son vis-à-vis et les tira sans vergogne jusqu'à le faire plier genoux à terre sous la douleur. Il le gifla de nouveau.

- Tu n'es rien ! Juste un pantin Sébastian ! Un pantin que JE décide de bouger à ma guise ! Ah oui...un pantin qui porte même le nom de MON CHIEN !

L'enfant fou de rage émit un rire sadique alors que son majordome subissait la punition en serrant les dents.

- Aboie Sébastian ! Aboie comme le chien que tu es !

Tout en criant, Ciel bougeait sa poigne, amplifiant ainsi la douleur diffuse dans le cuir chevelu de son serviteur. Celui-ci ne répondait pas, ses yeux passant de leur carmin habituel à deux iris de chat flamboyantes. Des yeux de démon en colère.

- Aboie c'est un ordre !lui cracha son pactisant.

- Wouf…wouf…, fit la voix grave du démon alors que s'éparpillaient tout autour de lui dans la pièce des plumes noires de corbeau.

Il était temps pour l'humain de payer pour l'offense faite à un démon.

A suivre…