New vogue children
Chapitre 1
Univers intérieur
Encore un meurtre dans la préfecture plutôt festive de Tokyo. Et tout aussi sordide que les cinq autres. Cette fois-ci, c'était une femme, une femme à qui les entrailles avaient été dévorées. Les traces que les dents avaient laissées avaient fait déduire les légistes que ces attaques se multipliant semblaient être l'oeuvre d'un ou de plusieurs singes. Mais ce n'était que ce qu'ils avaient pensé à première vue. À cette étape-ci de l'enquête, on comparait encore les corps des différentes victimes, quatre, jusqu'à maintenant, toujours les mêmes blessures : des traces de griffures, des morsures, la peau était déchiquetée par des dents plantée dans une puissante mâchoire. Quel genre de singe pouvait perpétuer ce genre de meurtre ? Quel genre de singe pouvait être aussi agressif ?
On s'était informé dans tous les jardins zoologiques de la région, mais il ne manquait de primate à aucun d'entre eux. On avait fait de même avec les cirques, mais ce fut aussi vain. D'où provenait donc cet animal ? Qu'est-ce qui l'avait conduit jusqu'à Tokyo ? Et surtout qu'est-ce qui le poussait à faire toutes ces attaques ?
Passant ses doigts sur son menton, l'inspecteur Juka réfléchissait tout en marchant autour du cadavre à moitié mangé. Ces meurtres qui ne semblaient pas vouloir s'arrêter comme ça l'avait conduit à s'interroger quant au lien que pouvait avoir les victimes. Après tout, toutes ces morts pouvaient être l'oeuvre d'un tueur en série qui avait décidé de faire différent des autres. Mais tout laissait croire qu'aucune des victimes ne se connaissait, aucun lien entre eux, sinon qu'ils habitaient la même préfecture. Sauf que s'il conservait cet hypothèse, il devrait trouver ce qui aurait pousser un humain à faire tuer des gens aléatoirement par un quelconque primate... Dans ce cas-ci, il aurait préféré l'hypothèse du singe qui s'était échappé.
On a eu des nouvelles du labo à propos des traces de pas sur les lieux des premiers assassinats ? demanda-t-il à un collègue.
Pas grand chose, seulement qu'elles sont presque toutes différentes et qu'aucunes d'elles n'appartenaient aux victimes.
Ça nous rapproche donc de l'hypothèse des meurtres, hein chef, fit un autre.
Ça m'en a tout l'air, Kazuno, répondit Juka, l'air un peu découragé. Et par rapport aux morsures, Tooru ?
Je sais pas, Jasmine n'a rien voulu avancer, encore.
Tu veux bien arrêter de l'appeler comme ça !
Mais il insiste pour qu'on l'appelle comme ça...
C'est ridicule... J'arrive toujours pas à croire qu'un excentrique du genre puisse avoir réussi à devenir médecin légiste ! lâcha-t-il un peu plus pour lui-même que pour les autres.
Ni Tooru, ni Kazuno n'osèrent répondre à cette dernière remarque de la part de l'inspecteur.
Bon... Vous connaissez la procédure, amenez-lui celui-là et tâchez de retrouver celui qui a fait ça. Et grouillez-vous ! J'ai pas envie que le fédéral nous pique l'enquête ! ordonna-t-il.
Sur ce, il quitta les lieux en direction de sa voiture. Il devait retourner à son bureau pour remplir quelques papiers avant de rentrer à la maison pour retrouver sa femme, sa douce Yuko.
Inspecteur ! Inspecteur ! Attendez ! entendit-il dans son dos alors qu'il allait monter à bord de sa voiture.
Il fit mine de l'ignorer, ça devait encore être un de ces journalistes à la con.
Attendez, je vous prie !
Trop tard, il claqua la portière. Mais l'autre était coriace et cognait maintenant à sa vitre. Il leva le regard et vit en effet le badge de journaliste épinglé sur la poitrine de l'autre aux cheveux blonds cendrés et bouclés. Roulant les yeux, il décida de néanmoins baisser sa fenêtre.
Qu'est-ce que vous voulez ?
Pardonnez-moi de vous déranger. Je suis Kamijo, reporter pour The Tokyo Gazette. J'aimerais vous poser quelques questions
Juka jeta un coup d'oeil à sa montre.
D'accord, mais faites vite, j'ai pas que ça à faire.
Merci ! fit le journaliste en sortant de sa poche puis mettant en marche une petite enregistreuse à cassette. Tout d'abord, ces meurtres sont visiblement liés, pensez-vous qu'il pourrait s'agir de l'oeuvre d'un meurtrier en série ?
Je ne peux rien confirmer pour l'instant. C'est une hypothèse à considérer, c'est tout.
Je vois... Votre enquête semble donc ne pas vraiment avancer, la police fédérale risque de se mettre de la partie sous peu si ça continue comme ça.
La police fédérale de cognerait à un mur, elle aussi, si elle avait une enquête du genre sur le dos.
Pourquoi ?
Manque de preuves, animal introuvable et inidentifiable, le peu de preuves que nous avons ne mènent a priori à rien, aucun zoo, aucun cirques n'a égaré de singes, on n'avance apparemment pas, mais on ne peut pas faire mieux !
Raison de plus pour laisser ça au fédéral. Eux pourront peut-être élucider le mystère.
Si c'est ce que vous croyez ! Maintenant excusez-moi, mais j'ai de la paperasse à remplir !
Il ne laissa pas répondre le reporter, il se dépêcha de remonter la vitre puis de mettre le contact pour partir, laissant l'autre sur le trottoir, un sourire satisfait aux lèvres.
Le voyage comme le travail qu'il devait finir se fut de façon monotone. Il avait sa journée dans le corps et n'avait maintenant qu'une seule envie : rentrer chez lui et retrouver son épouse, la serrer dans ses bras, caresser son ventre rond abritant son futur enfant…
oOoOo
Des talons claquaient sur le plancher en aluminium du corridor, on y marchait d'un pas rapide, Kaya avait l'air furieux. Il tenta de rester neutre lorsqu'il entendit chuinter les lourdes portes robotisées du laboratoire et ses chaussures à plateformes taper sur le dallage aseptisé qui s'arrêtèrent à quelques mètres derrière lui.
- Tu m'avais dit qu'avec ce que celui-là ramènerait, je pourrais cuisiner ! s'exclama-t-il de sa voix presque exagérément adoucie pour sembler plus féminine, sur un ton de reproche.
Hora fit comme s'il avait rien entendu.
- T'as vu ce qu'il m'a ramené, dans sa gueule, comme un vulgaire chien de chasse ?
Il entendit le bruit de quelque chose qu'il ne put décrire tomber sur le sol en un bruit mouillé. Il se retourna et vit aux pieds de l'autre presque tout de vinyle vêtu, une masse informe, ensanglantée, rosée, lui rappelant…
- Des tripes ! lâcha encore l'arrivant, sur le même ton.
… humaine.
- Hum… Je me suis trompé, apparemment.
Il s'approcha de l'amas d'intestins sur le sol, s'accroupit pour en saisir un bout entre son pouce et son index.
- T'en feras de la saucisse !
- J'aime pas ça et pis j'espère que tu croyais pas sérieusement que j'aurais vidé ça moi-même ? !
Il leva le regard vers lui en lâchant sa prise qui retourna choir par terre. Il n'avait pas pris le temps de le détailler lorsqu'il s'était retourné vers lui pour voir ce qu'il avait laissé tomber, comme il avait l'habitude de faire. C'est donc là qu'il le fit : chaussures noires, semelles compensées, ganses et cuir verni, dentelle à motifs de toiles d'araignée gainant ses jambes, noire aussi, jupe longue en velours, couleur corbeau, ouverte sur sa jambe gauche, bords fini avec du fil rouge haut lassé en vinyle noir étant censé adopter les courbes d'un corps féminin, mais qui n'épousait là que les formes de la bourrure, en dessous, un haut à manches longues, transparent, aux même motifs que son collant, puis des gants montant jusqu'en haut de ses coudes, dans le même étoffe que son bustier, dont un était couvert de sang, ses cheveux était bouclés en fine bouclettes et avaient été crêpés, comme il le faisait souvent, même si ça prenait des heures à coiffer, le matin, parfois agrémentant le tout de l'un de ses diadèmes (Comme il aurait aimé être une princesse ou une reine !) mais pas aujourd'hui, ses lèvres étaient colorées de rouge et ses yeux étaient décorés d'un méticuleux maquillage noir contrastant avec la blancheur laiteuse de sa peau. Exquis.
Il avança vers lui en évitant le cadeau que leur avait ramené cet être à mi-chemin entre le primate et l'humain. Il lui caressa une joue de sa main dont il venait de retirer le gant de chirurgien.
- Je ferai mieux la prochaine fois, je te le promet, dit le scientifique avant de l'embrasser tendrement.
- C'est toujours ce que tu dis…
- Kaya… C'est difficile, ce que je fais, tu le sais très bien, je crois.
- Oui mais…
- Sh ! Admets qu'il y a quand même une amélioration considérable entre le premier et le dernier.
- Peut-être, mais ils sont toujours aussi laids et stupides ! J'aimerais qu'ils soient plus humains…
- J'y travaille… Je te jure qu'un jour l'enfant que je t'offrirai sera parfait sur tous les points.
Celui face à lui eut un sourire.
- Mais pour l'instant, il faut que j'observe encore les points qui ne te conviennent pas. Où est-il ?
- Il est mort, fit-il, l'air ennuyé, détournant le regard.
- Encore ?
- Oui, encore !
- Mais il a survécu moins longtemps que Succubus !
- Qu'est-ce que j'y peux ! T'as dû te tromper dans une formule… !
- Peut-être… répondit celui en sarrau avec un peu de scepticisme.
- Me regarde pas comme ça, tu veux ! Et donne-moi quelque chose que je puisse nettoyer mon gant ! C'est déjà en train de sécher.
Hora se pencha pour ramasser les tripes et les mit dans un bocal rempli de formol. Il dirigea Kaya vers un lavabo pour qu'il lave son gant avant que le sang le maculant ne soit trop coagulé, puis il alla nettoyer les quelques dalles salies de sang.
- Tu ne m'as toujours pas dit où Zetsubou était…
- Dans la cuisine, soupira le travesti.
Le bio-scientifique sortit du laboratoire, l'autre le suivant à quelques pas derrière. Rendus à la cuisine, il s'accroupit à côté du cadavre du presque humanoïde pour l'observer alors que Kaya se planta à côté de lui, les mains sur les hanches, semblant trouver le temps long.
- Tu l'as étranglé, remarqua Hora, d'un ton neutre.
- Quoi ?! feignit-il de s'offusquer.
Il lui montra une tache violacée dans le coup parsemé de plus ou moins longs poils noirs de la bête.
- …
- Tu peux pas nier ça…
- Et alors ? Qu'est-ce que ça peut bien faire ? Il serait mort de toute façon ! Et il ne remplissait pas mes critères…
- Comment veux-tu que mes recherches avancent si tu tues les prototypes ? !
Kaya croisa ses bras sur sa poitrine en adoptant une mine boudeuse. Le scientifique prit le corps comme s'il avait s'agit d'un vrai enfant et reprit la direction de sa salle d'observation pour aller le mettre dans le même genre de réfrigérateur où on mettait les morts, sur des tiroirs, à la morgue. Il l'étiquetta comme étant le numéro six. Et il alla retrouver celui pour qui il créait ces bestioles en train de bouder dans le salon, le nez dans un livre qu'il ne lisait pas vraiment.
- Kaya… dit-il tout bas en venant s'asseoir à côté de lui sur la causeuse.
Il posa son bouquin sur ses genoux et lui jeta un regard un peu hautain.
- Tu sais que je fais tout ça uniquement pour toi, parce que je sais que tu t'ennuies quand je ne suis pas là et quand je suis au labo… Mais je t'aime et je veux que tu sois heureux… Sauf que si tu n'y mets pas un peu du tien, ben c'est encore moins facile et tu sais que ça ne l'est déjà pas…
- Si tu es conscient que je m'ennuie autant, emmène-moi au restaurant ce soir !
- Non, répondit-il, catégorique.
- Pourquoi ?! retourna-t-il sur le même ton qu'un gamin aurait pris si on lui avait refusé une sortie. On a rien pour le dîner puisque ton imbécile de singe ne nous a ramené que des boyaux !
- Pourquoi ? Tu le sais aussi bien que tout le reste ! Ta santé est fragile et je ne veux pas que tu attrapes une quelconque maladie !
- Mais je me sens mieux depuis quelques temps et pis… peut-être que j'aimerais bien voir des gens aussi… dit-il, plus tristement.
- Les gens à l'extérieur ne sont pas aussi gentils que ceux que tu vois à la télé ou dans les films !
- Je suis sûr qu'il y a d'autres gens comme nous à l'extérieur…
- Je vais au marché, je reviens tout de suite.
- D'accord… soupira-t-il en se levant pour aller ranger son livre dans l'immense bibliothèque puis de se rasseoir pour allumer le téléviseur.
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