Disclaimer : Les personnages sont à Rowling et ses éditeurs. Le texte est de SARA HOLMES, en anglais sur ce site.

Titre original : Room Four

Avertissements : Traumatisme psychologique, violence physique, abus d'alcool, sexe, rapports non-consentis à cause de drogues, HPDM

Résumé : « Draco est un fantôme, alors Harry ne comprend pas ce qui lui prend. »

Citation imposée : « La réalité, c'est ce qui, lorsque l'on cesse d'y croire, ne disparaît pas. »

Note de l'auteur : « Fic écrite pour la Darkfest HP sur Livejournal – prière de bien prendre en compte les avertissements. C'est très différent de tout ce que j'ai écrit jusqu'à présent, alors si vous cherchez romance, humour et bisounours, laissez tomber celle-ci.

Cela dit, même si la route est sombre, la fin le sera moins. […] »

NdT : Fic prévue en trois parties. Merci à Elenne pour ses corrections. Si l'anglais vous parle, filez lire tout Sara Holmes ! (liens dans les favoris de mon profil) Sinon, il faudra patienter... Vous trouverez d'autres traductions du même auteur sur mon compte ou celui d'Elberane. En attendant, bonne lecture !

Chambre n°4

« La réalité, c'est ce qui, lorsque l'on cesse d'y croire, ne disparaît pas. »

— Philip K. Dick.

I

Cela commence par un murmure dans la nuit, des mots suivis d'un éclair de lumière verte dévorante. Harry ouvre brusquement les yeux et retient son souffle. Il tremble. De la sueur perle sur ses tempes. La nuit l'entoure, sombre et silencieuse. De longs rayons de lune s'étirent sur la moquette de sa chambre, dispersant les ombres, lui donnant la sensation d'être à découvert.

Les cauchemars sont inévitables, des cauchemars de serpents et de lumière verte, et les visages de ceux qui sont tombés sont la prochaine étape de ce voyage qu'il n'a pas conscience d'entreprendre. Il se réveille en hurlant, le front en sueur et les draps déchirés sous ses doigts. Il y a un grondement terrible dans sa tête lorsque les murs de l'école s'écroulent, tombent comme un vulgaire château de cartes. Des éclairs sont suivis de cris, et des gens s'effondrent pour ne plus jamais se relever.

Tout le monde fait des cauchemars. Il parle des siens, et des visages et des mains autour de lui deviennent compatissants. On lui dit que l'on sait, que l'on comprend, et il y croit sincèrement, pendant un moment. Parfois, il arrive à dormir sans qu'il n'y ait ni tonnerre ni foudre, et il se dit que tout ira bien.

Jusqu'à ce que, la nuit suivante, la charpente se défasse et les murs du château tombent, dans un bruit aussi assourdissant que le silence.

Il se sent mal à l'aise entre ses propres murs. Ils sont pâles et hostiles et l'épient. Les fenêtres sont trop grandes et il passe trop de temps à observer la rue derrière les rideaux. Parfois, il se précipite du salon aux fenêtres de sa chambre pour vérifier qu'il n'y a personne non plus dans le jardin.

Toutes les portes de la maison sont grandes ouvertes, solidement fixées au mur à l'aide d'un sort. Cela lui permet d'avoir un œil sur toutes les pièces et d'être sûr que rien ne se cache derrière les portes.

Il donne une fête obligée chez lui, pour les amis qui s'en sont sortis; ils boivent, rient et sourient, soulagés que la guerre soit terminée. La musique de fond est douce. Harry entend le tintement des verres, la rumeur des conversations, le bruissement de ses habits lorsqu'il bouge et le tap tap des pas sur le dallage. Harry n'aime pas ne pas savoir — ne pas pouvoir savoir — où chacun se trouve à tout instant. Derrière ses sourires, et les échanges futiles qui ont rempli le vide laissé par la guerre, il est fatigué.

Et le voici de nouveau dans le château, et les murs s'effondrent autour de lui, le bruit est terrible, partout. La poussière s'infiltre dans ses yeux, ses poumons, et des lumières aux couleurs éclatantes fusent au-dessus de sa tête. Des gens hurlent et quelqu'un murmure à son oreille « Avada Kedavra » puis un corps tombe à ses pieds. Fred le regarde avec des yeux écarquillés qui ne voient rien, puis il se met à rire. Harry se réveille en sursaut, il crie, il se recroqueville sur lui-même contre la tête de lit et aimerait que tout soit comme on le lui avait promis, maintenant que la guerre est passée.

Les premiers enterrements ont lieu beaucoup trop tôt, bien que ça ait mis longtemps. Le nouveau Ministère croule sous la paperasse et les départements à reconstruire et Harry a un frisson d'horreur en songeant à tous les morts qui reposent quelque part, attendant que la terre les engloutisse, un rectangle parfait de six pieds de profondeur pour les cacher.

Lavande Brown est la cinquième à disparaître. Harry est si fatigué que Ginny doit lui tenir le bras pour l'empêcher de s'écrouler : il regarde un arbre fixement à l'autre bout du cimetière, regarde les feuilles vertes tomber lentement, une par une, sur le sol. Les arbres font le même bruit que l'océan, avec leurs feuilles agitées par la brise qui bruissent les unes contre les autres, doucement, parfois avec un craquement de branches.

Les pages se tournent. La vie continue, sans se soucier de savoir si tout le monde suit. Il ne sait pas si ce qu'il ressent est du soulagement ou de la panique, il ne sait pas ce qu'il est censé ressentir maintenant. Il y a quelque part dans son estomac un malaise qui ne s'arrête pas; l'apaisement qu'il attendait ne vient pas.

Et maintenant, Lavande n'est plus là et autour de lui on parle à voix basse et s'éloigne. Les voix passent comme des vagues de sons au sein desquelles il ne discerne aucun mot. La grille du cimetière gémit sur ses gonds. Il entend le bruit de la terre qui emplit doucement la fosse rectangulaire. Malgré la solitude insupportable qui règne chez lui, il veut rentrer et boire jusqu'à s'endormir mais on l'emmène au Terrier, quelqu'un l'invite à prendre le thé – il est trop fatigué pour se rappeler qui. Il fait trop chaud; l'air est lourd et humide sur sa peau. Le soleil tape et ses amis parlent entre eux dehors, profitant des derniers jours de l'été, mais lui se cache, la lumière lui blesse les yeux. Des gens s'agitent dans la cuisine, bruit calme, bruits de pas. Leurs voix sont douces et bienveillantes mais Harry n'entend pas tous les mots. Des portes de placard grincent en s'ouvrant et claquent en se refermant, la vaisselle tinte.

Quelque chose siffle de plus en plus fort dans un coin de sa tête. C'est d'abord très faible, presque imperceptible, puis de plus en plus fort et Harry ferme les yeux, détourne la tête par réflexe. Il y a du vert sous ses paupières et lorsqu'il rouvre les yeux le son est plus fort encore. Il vibre dans l'air, entremêlé d'un chuchotement, tranchant comme une lame : le cri d'un Horcruxe. Cela enfle jusqu'à devenir le hurlement d'élèves qui tombent, et Harry ouvre de grands yeux, les mains crispées sur le plan de travail.

Le son s'évanouit lorsque Mme Weasley retire la bouilloire fumante du feu.

« Du sucre et du lait, Harry, c'est bien ça ?

- Oui, dit-il sans quitter la bouilloire des yeux. S'il vous plaît. »

Petit à petit les cauchemars deviennent des voix dans le noir qui le réveillent et le suivent dans sa maison. Harry entend leur souffle dans les ombres alentour lorsqu'il s'éveille de rêves de la Forêt Interdite. Il met la maison sens dessus dessous à la recherche de leur planque mais finit par abandonner et se dire qu'elles se cachent peut-être dans un endroit qu'il ne peut pas atteindre.

Quand il est plus fatigué que d'ordinaire, il croit voir des choses du coin de l'œil, mais dès qu'il se retourne elles ont disparu. C'est comme chercher à discerner les étoiles les plus pâles dans le ciel, la nuit.

Cela fait deux semaines que tout le monde a commencé à oublier Lavande Brown : Harry est à la fenêtre de sa cuisine, le regard fixé sur la ruelle étroite qui longe la maison. Il a verrouillé la porte de la cuisine pour être sûr d'être bien seul dans la pièce et concentrer ainsi toute son attention sur la fenêtre. La ruelle est vide, comme depuis ce matin. Son estomac gargouille, il soupire. Il se détourne de la fenêtre et se fige : il y a un sifflement aigu dans l'air, faible mais bien réel.

Il secoue la tête mais cela ne disparaît pas, et il se rend compte avec horreur que le son n'est pas dans sa tête mais dans sa maison.

Il se précipite vers la porte, laisse échapper un juron en essayant de l'ouvrir, avant de dégainer sa baguette et de lever le sort de verrouillage. La porte claque contre le mur et le sifflement résonne plus fort à travers le hall. Désespéré, Harry tourne la tête de tous côtés et se lance à sa recherche : la peur et la précipitation le font trébucher.

Il le poursuit jusqu'au grenier, le cœur battant et la gorge sèche, mais à l'instant même où il pose le pied sur le bois branlant de l'escalier le son s'arrête. Il s'agrippe à la rampe et s'affale contre le mur, les genoux tremblants, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Il déglutit péniblement, tout son poids contre le mur ; soudain il aimerait ne pas être seul.

Il se force à bouger et redescend. Les marches grincent sous ses pieds comme une forêt à la merci du vent, son cœur continue de battre la chamade — comme le pas de soldats sur un pont.

Le sifflement reprend.

Ses yeux s'écarquillent derrière ses lunettes et il s'élance à nouveau dans la maison, passe dans toutes les pièces, paniqué, désespéré. Il a envie de vomir lorsque le son le mène à sa chambre. Il s'y risque pas à pas. Si seulement le son pouvait le laisser tranquille. Ses doigts tremblants se resserrent autour de la poignée froide et lisse : le bruit vient de son armoire. Rassemblant son courage, il lâche prise et se rapproche de la source, le son est de plus en plus fort, lui faisant involontairement fermer les yeux — il se force à les rouvrir quelques secondes plus tard. Il referme les doigts sur la poignée de l'armoire et tient sa baguette prête dans l'autre main. Il compte intérieurement jusqu'à trois puis ouvre brusquement la porte, baguette pointée vers l'intérieur, tandis que le miroir derrière la porte claque contre le bois.

Le sifflement s'arrête. Dans l'armoire, il n'y a que ses habits, de vieux livres d'école et ses vieilles baskets. Harry jure entre ses dents, se détourne, et hurle soudain à la vue de cheveux roux, de taches de rousseur et de sang dans le miroir, juste dans son dos. Pris de panique, il éclate le miroir d'un coup de poing, se retourne en jurant et tremblant de tous ses membres, mais la chambre est vide.

Il court. Il jette quelques habits au hasard dans un sac, les mains tremblant violemment, il se couvre la tête de sa capuche, puis il transplane. Il se retrouve sur le Chemin de Traverse et longe le trottoir en baissant la tête pour échapper aux regards des passants. Il se dirige vers Le Sphinx et le Dragon. Le flanc de l'immeuble surplombe le Chemin de Traverse mais la façade et l'entrée se trouvent dans une petite rue adjacente, ce qui lui permet d'aller et venir à l'abri des regards si nécessaire. Le soleil se couche et le ciel prend une couleur orange malveillante, oppressante. Il fait trop chaud mais Harry frissonne ; il se glisse dans la ruelle et entre dans l'auberge.

Pour cent gallions la chambre 4 est à lui, assortie d'une promesse de discrétion de la part du gérant et d'un faux nom dans le registre. La n°4 est parfaite : dernier étage, après une volée de marches grinçantes, isolée au bout d'un long couloir très droit. Si quelqu'un monte, il l'entendra dans les escaliers et aura tout le temps d'atteindre la porte avant qu'il n'arrive au bout du couloir. Il n'y a que deux portes dans la chambre : celle qui mène au couloir et celle de la petite salle de bain. Il se sent plus rassuré après avoir démonté celle-ci et l'avoir glissée sous le lit. Il n'y a plus qu'une porte à présent, et une fenêtre pour surveiller l'extérieur.

Les robinets de la salle de bain gouttent jour et nuit, il s'y habitue très vite – un léger fond sonore pour sa nouvelle vie dans la chambre n°4. Toute la pièce grince : les meubles d'acajou sombre sont vieux et usés. Les murs sont d'un rouge passé, souvenir d'une opulence perdue avec les années. Le dessus-de-lit est troué dans l'un des coins, mais Harry n'y prête pas attention : le lit est suffisamment confortable, pour ce qu'il arrive à dormir. La fenêtre donne sur le Chemin de Traverse, et il y a des centaines de personnes à regarder passer à longueur de journée. Cela le rend un peu nerveux, mais il arrive tout de même à voir l'entrée de la petite ruelle qui mène à l'entrée de l'auberge, de sorte qu'il saurait si quelqu'un venait dans sa direction.

Il a la paix, une paix aigre et agitée pendant deux jours. Pendant deux nuits il arrive à dormir sans orage, et il passe la journée à la fenêtre en silence, à regarder les gens faire leurs courses et vivre leur vie comme si rien ne s'était jamais passé. Un jour, il voit s'arrêter sous sa fenêtre une silhouette vêtue d'une cape noire avec une capuche dissimulant le visage. Il se raidit, une main agrippée au rideau, l'autre prête à saisir sa baguette. Il commence à penser qu'il reste des Mangemorts en liberté : il sait que la chute de Voldemort n'a pas tout arrangé, et il les attend, il attend qu'ils le retrouvent. Il lève la baguette, se redresse, tendu, puis un enfant rejoint l'inconnu et tous deux poursuivent leur chemin jusqu'à Gringotts.

La prochaine fois, peut-être, se dit-il.

Cette nuit-là, son sommeil est agité. Il se retourne sans cesse dans son lit, l'esprit obnubilé par cette silhouette encapuchonnée qui s'est arrêtée sous sa fenêtre. Il ne peut faire confiance à personne, personne qu'il ne connaisse déjà. Voldemort est déjà revenu une fois, la paranoïa grandit en lui — s'il s'avérait qu'un Horcruxe lui avait échappé…

C'est à cet instant précis qu'un sifflement transperce l'air. Il ouvre brusquement les yeux et se redresse, jetant des regards partout dans la pièce. Il hurle et s'étrangle, privé d'air, et se recule comme il peut à la vue de Fred qui est debout au pied de son lit, couvert de sang, arborant un grand sourire, deux doigts entre les lèvres. Il éloigne la main de sa bouche et le sifflement cesse.

« J'ai cru que tu n'allais jamais te réveiller, dit-il.

- Tu — non, » balbutie Harry, paralysé - son dos pressé contre la tête de lit lui fait mal. « Comment — c'est impossible, tu ne peux pas être ici, tu n'es pas réel. »

Il n'arrive pas à comprendre. Comment peut-il être en train de parler à Fred alors qu'il sait qu'il y a des semaines qu'ils l'ont enterré ? Du moins, il croit qu'il sait — non, il a vu Fred tomber lors de la bataille finale, il ne peut pas être là à parler à Harry comme si c'était tout naturel. L'espace d'un instant Harry pense — espère — qu'il est en train de rêver, mais quelque part il sait que ce n'est pas le cas. L'air est doux et la lumière de la lune sur son lit est parfaite, immobile.

« Je ne crois pas, lance Fred tout en époussetant ses épaules, que tu sois en mesure de me dire ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

- Non, dit Harry et il ferme les yeux et plaque ses mains sur ses oreilles. Tu n'es pas là. Non. Tu es mort.

- Ouaip » répond Fred, la décontraction incarnée. Il se frotte la joue et le sang s'étale sur sa peau, épais, coagulé. « Bien mort. »

Quelque chose gronde dans les oreilles de Harry et ses yeux luttent mais basculent dans leurs orbites. Il tente de se raccrocher à quelque chose mais le grondement s'intensifie et tout devient noir.

En dépit du visiteur indésirable, dont Harry est certain qu'il n'est pas allé très loin, il ne veut pas quitter sa chambre. Malheureusement, il faut qu'il sorte : il a des amis qui ne sont pas morts et qui veulent probablement s'assurer que lui est toujours vivant. On l'invite au Terrier pour dîner et malgré ses réticences, il accepte, mais seulement parce qu'Hermione lui a promis qu'ils ne seraient que tous les trois. Il ne quitte la chambre n°4 qu'après en avoir examiné les fenêtres et la porte, et mis en place des sorts de sécurité qui l'avertiraient si jamais quelqu'un se rendait dans sa chambre durant son absence. Pour la modique somme de dix gallions, l'aubergiste promet que le personnel n'essaiera pas d'entrer.

Il n'y a pas assez de gallions dans l'univers pour faire taire Hermione. Elle est la première à l'accueillir, le serre fort dans ses bras lorsqu'il sort de la cheminée et entre dans la cuisine du Terrier.

« Où étais-tu passé tout ce temps ? demande-t-elle en l'examinant des pieds à la tête comme si elle était Médicomage. On était morts d'inquiétude ! »

Harry la repousse gentiment, avec un sourire faible. Elle est chaude et réelle sous ses mains, très différente de cette ombre dont il essaie de se convaincre qu'il ne l'a pas vue. « J'ai logé quelques jours au Chaudron Baveur, » ment-il, peu disposé à trahir le secret de la Chambre n°4. « J'avais besoin de changer d'air. »

- Je comprends, mais, s'il te plaît, préviens-nous avant de disparaître ! » Elle se mord la lèvre et regarde Harry s'éloigner et s'asseoir à table. Ron en remet une couche et Harry ment pour le rassurer lui aussi. Il est fatigué, presque à bout, le corps et l'esprit atrocement tendus, alors ça lui va de rester assis et d'écouter Ron et Hermione papoter. En fait, leurs voix familières l'apaisent, et pour la première fois depuis des jours, il se sent un peu en sécurité.

Ils parlent de la maison qu'ils ont repérée — à Godric's Hollow ! Harry ne comprend pas comment ils pourraient avoir envie de retourner là-bas, mais ils ont l'air heureux, alors il écoute et acquiesce avec un sourire aux lèvres, content qu'ils soient près de lui. Il se sent tellement en sécurité qu'ils arrivent à le persuader de sortir, au Chemin de Traverse. Andromeda voudrait des fleurs pour que Teddy aille les porter à Tonks et, à travers la brume que le monde d'Harry est devenu, la conscience de ses devoirs envers son filleul refait surface, suffisamment forte pour l'entraîner dans la cheminée à la suite de Ron et Hermione.

C'est un désastre.

Le soleil est trop vif et il y a beaucoup trop de monde. Les pavés bruns du Chemin de Traverse brillent dans une douce ondulation de chaleur sous les pieds de la foule à travers laquelle ils se frayent un passage, poussant, hurlant.

« Monsieur Potter !

- Harry, par ici !

- Potter, une petite question ? »

Tout est trop vif. Des robes et des visages de toutes les couleurs, cherchant à se faire de la place et attirer l'attention. Ron maudit la terre entière et essaie de lancer un nouveau sort de protection pour repousser les gens. Un éclat de soleil se reflète dans une boucle d'oreille. Des cheveux blonds brillent sous le soleil. Des robes vertes, rouges, jaunes, orange volent de tous côtés. Le ciel au-dessus de leur tête est d'un bleu parfait, sans fin, inatteignable.

Ils ont réussi à acheter les fleurs, mais leur trio ne passe pas inaperçu — ils sont une bouée de sauvetage pour ceux qui veulent encore des réponses, qui veulent les approcher, juste être en présence des trois qui ont vaincu le Seigneur des Ténèbres. Harry aimerait qu'ils les laissent tranquilles. Il n'a aucune réponse à leur apporter.

Au milieu du chaos, le regard d'Harry se pose sur les fleurs rose vif qu'il tient entre les mains, sur la fine bande jaune qui parcourt chaque pétale jusqu'à la pointe. Les feuilles sont d'un vert profond mais plus il les regarde et plus elles s'éclaircissent, s'avivent, jusqu'à être du même vert qu'un certain éclair de lumière. La foule hurle comme le tonnerre. Un petit sifflement enfle dans ses oreilles et il se braque par réflexe. Il ne voit pas le regard alarmé d'Hermione et il n'entend plus rien que ce sifflement aigu, de plus en plus fort, qui finit par couvrir le bruit de la foule.

Il faudrait qu'il aide. Qu'il se batte, pour lui-même et pour ses amis. Il ne peut pas. Il est trop fatigué.

Il ferme les yeux un long moment. Lorsqu'il les rouvre le monde est devenu gris et le sifflement a cessé. Il lève le bouquet devant ses yeux : les fleurs aussi sont monochromes, blanches et noires et de tous les gris possibles. Il regarde la foule.

Tout le monde est en noir et blanc. Adoucies, l'explosion de couleurs et la distorsion de chaleur ont disparu Dieu-sait-où. Avant qu'il puisse assimiler quoique ce soit, une main saisit son poignet et on le fait transplaner. Les fleurs tombent sur les pavés et sont piétinées par la foule qui continue de pousser dans tous les sens, déçue d'avoir été abandonnée par ses héros.

Harry s'écroule sur une chaise de la cuisine du Square Grimmaurd. Il se frotte les yeux vigoureusement et regarde autour de lui. Tout est encore gris. Il ne cède pas à la panique : c'est au contraire une impression curieuse de détachement qui l'emplit, et bizarrement ce qu'il ressent aussi ressemble presque à du soulagement. Des voix lui parviennent à nouveau et il se détend ; Tonks, Teddy et les fleurs sont déjà oubliés. Il se dit que, peut-être, tout ira bien ; sans les couleurs pour les définir, les angles trop vifs du monde ont disparu, tout est moins violent.

Une silhouette grise décorée de sang argenté. Quelqu'un se tient dans l'embrasure de la porte, et Harry entend un rire qui est comme un aboiement dans la pièce derrière eux. Il se lève brusquement, sa chaise grince sur le sol, il ignore les protestations et les questions d'Hermione et Ron. Il a complètement oublié leur présence : il chasse l'apparition, le cœur battant. Il se fige à l'entrée du salon, où quatre silhouettes sont alignées contre le mur du fond, comme un peloton d'exécution.

La panique s'empare de lui et il hurle, il veut qu'ils partent, veut que tout cela s'arrête. Quelque chose se brise au fond de lui et il perd le contrôle.

« Laissez-moi tranquille ! » hurle-t-il ; et sa voix se brise, il attrape un livre sur l'étagère la plus proche et le balance à travers la pièce. Le livre traverse la seconde silhouette à gauche et atteint le meuble vitré près de la fenêtre qui éclate en morceaux sur le tapis. Il saisit sa baguette et le miroir au-dessus de la cheminée éclate à son tour.

« Harry, non ! »

Le cri d'Hermione est pétrifié, au-dessus des bruits de verre qui se brise et de tous les petits grincements dans ses oreilles. Un bruit de pas le dépasse — le pas de ceux qui ne failliront pas, résignés à leur sort de gardiens du château. Il sent l'air nocturne, froid sur sa peau, puis la chaleur accablante des flammes qui lèchent le mur.

« Laissez-moi tranquille ! » crie-t-il encore, agrippant ses cheveux et tournant les talons pour partir loin de ces gens noirs et blancs qui vont bientôt vouloir le suivre partout.

Fred éclate de rire, Sirius lève les yeux au ciel, Lavande glousse et Cédric sourit doucement.

Il retourne en courant à la Chambre n°4 et se réfugie là où personne ne peut le suivre ou le trouver. Il prend sa baguette et marmonne plusieurs sorts pour rendre la pièce impossible à localiser. Plus aucun hibou ne le trouvera, plus aucune invite au désastre. Il s'écroule sur son lit, le visage enfoui dans la laine râpée de la couverture, et l'épuisement l'emporte.

Et il se retrouve dans la Forêt Interdite ; cette fois il a changé d'avis, il ne veut pas mourir. Il veut courir mais des branches jaillissent du sol pour s'enrouler autour de ses pieds, ses chevilles, ses genoux. Il essaie de se libérer à l'aide de la baguette qu'il a volée, il essaie de couper les branches mais n'arrive qu'à s'entailler les jambes. Du sang argenté coule par terre sur les feuilles mortes et les fougères, puis le spectre de sa mère apparaît devant lui, Bellatrix hurle de rire dans le décor.

« Tiens-toi tranquille, murmure Lily, grise et triste. Reste immobile et ça va s'arrêter.

- Je ne veux pas mourir » dit Harry. Puis tout devient noir.

Il ouvre les yeux, il frissonne. Il est au pied de son lit, la joue sur le tapis. Des mains s'emparent de lui : Fred le remet sur ses pieds et lui tend ses lunettes.

« Calme-toi, dit Fred en fronçant ses sourcils noir et blanc. » Il repousse Harry sur le lit et le stabilise. Il n'y a pas de bruit dans la chambre, seulement des gouttes qui s'échappent des robinets dans la salle de bain et deux respirations silencieuses.

« Tu ne vas pas partir, hein ? finit par demander Harry. Tu es dans ma tête, ou un fantôme ou quelque chose comme ça.

- Non, je ne vais pas m'en aller, dit Fred. » Et il tourne la tête vers la fenêtre. Harry a un mouvement de recul à la vue de son visage couvert de sang et de bleus.

« Pourquoi ? » demande Harry d'une voix rauque.

Fred hausse les épaules et au bout d'un moment Harry acquiesce, soudain bien trop abattu pour se soucier des gens, des Mangemorts, ou même des fantômes. Tout ce qu'il veut, c'est dormir. Tout a changé depuis sa crise au Square Grimmaurd. Hermione et Ron ont l'air terrifiés maintenant, ils essaient de faire comme si de rien n'était mais échangent des regards constamment, suggèrent discrètement un rendez-vous chez un psychomage. Harry les ignore, il n'en a rien à faire. Il a l'impression d'être passé d'un certain niveau d'existence à un autre et s'est à présent résigné au fait que Fred et les autres n'allaient pas partir. L'idée l'épuise, mais c'est décidé, et soudain Hermione et Ron semblent si loin que ce n'est plus la peine d'y penser.

« Ok, dit-il, et les mots font vibrer l'air malsain qui l'entoure. Bien. Fais comme tu veux, suis-moi. Mais – fais pas chier, d'accord ? »

Fred ricane gaiement tandis que Harry se retourne dans son lit et se rendort.

« Si seulement ça pouvait s'arrêter, dit Harry, la voix rauque. » Cela fait des semaines que le dernier cercueil a été enterré. À présent lorsque qu'il court à travers le château dans ses cauchemars, il trébuche et tombe dans sa propre fosse rectangulaire, six pieds sous terre. La terre commence à le recouvrir et il se réveille en hurlant lorsqu'elle emplit sa bouche, ses yeux, ses oreilles.

Au bout du lit, Fred se retourne sur sa chaise et lui sourit. « Ça, ça ne dépend pas de toi, crétin, tu sais ? »

La présence de Fred n'est pas si terrible, si Harry ne s'attache pas trop au fait qu'il est mort. Il va et vient à sa guise, a souvent quelque chose de grossier ou d'insultant à dire. Harry se dit que peut-être que s'il joue le jeu, Fred finira par partir.

Au début il n'ose pas contempler la petite part de lui-même qui espère que Fred va rester. Elle est plus forte de jour en jour, et bientôt Harry se met à attendre ses visites avec impatience. Fred comprend ce que c'est. Il ne le dorlote pas, ne fait pas d'histoires, ni ne le dévisage d'un air inquiet. Il se contente de faire de mauvaises blagues et de lui jeter des choses à la tête lorsqu'Harry ne s'y attend pas.

« Tu es quoi en fait, un putain d'esprit frappeur ? » Harry fulmine. Il se masse le crâne et écarte d'un coup de pied le livre qui a échoué à ses pieds.

« Appelle-moi Peeves, » dit Fred sur un ton solennel. Puis il sourit jusqu'à ce qu'Harry cède et sourie à son tour.

« Un autre. »

Harry descend son shot de Whisky Pur-Feu et le repousse de l'autre côté du bar. Le barman ne dit rien, il acquiesce et remplit à nouveau le verre. Il y a suffisamment de monde dans le bar pour qu'Harry se fonde dans la masse, mais pas assez pour que la claustrophobie menace. Tout est gris ici comme le reste du monde l'est depuis le jour où ils ont acheté ces fleurs sur le Chemin de Traverse.

« Tu vas te retrouver complètement bourré, tout seul comme un con. »

Harry tourne vers Fred un regard torve, Fred qui a décidé d'occuper le tabouret à côté de celui d'Harry, accoudé nonchalamment au comptoir.

« Ne te méprends pas, » dit Fred sur le ton de la conversation tout en se prenant un verre. Il boit une gorgée et le repose sur le comptoir. « Je trouve que c'est super que tu aies réussi à sortir tout seul. Pendant un moment, j'ai cru que tu n'allais jamais quitter cette chambre. »

Harry ne lui avoue pas que s'il est sorti c'est premièrement parce qu'il était à court d'alcool et deuxièmement parce que les occupants de la chambre d'en dessous hurlaient à en perdre haleine. Les éclats, le bruit, les coups, l'avaient mis à bout de nerfs, et il avait alors suffisamment bu pour refouler sa peur d'être attaqué s'il quittait l'immeuble.

« J'étais tout seul avant que tu débarques, grommelle Harry. » Le barman lève le nez sans comprendre.

« Oui, mais tout le monde pense que tu es seul. » Fred a un rictus et tourne la tête vers Harry. Harry ne fait plus attention au visage de Fred maintenant, à tout le sang argenté sur sa silhouette grise. Il se contente de soupirer et vide son verre.

« Pourquoi tu ne vas pas hanter George ? » demande Harry, le regard parcourant la surface du comptoir. Les fines lignes du bois ondulent un moment avant de se remettre en place, immobiles, silencieuses.

« Je ne te hante pas, tête de pioche, dit Fred, plus exaspéré que jamais alors qu'il se retourne pour être dans le même sens que Harry. Tout ça ne dépend que de toi. » Il toque à la tempe de Harry et Harry repousse sa main en grognant.

« Ça ne s'arrange pas, hein ? demande Fred. » Une goutte de sang tombe sur le comptoir. Harry l'essuie du bout du doigt, et regarde distraitement l'argent lui tacher le pouce et l'index.

« Tu vois bien que tu es encore là, dit Harry en guise de réponse.

- On dirait bien, » dit Fred, puis il disparaît. Harry laisse échapper un soupir et allonge les bras sur le comptoir. Le barman lui glisse un autre verre et il l'avale cul sec. Ça a un goût de sang, un goût d'argent qui reste sur sa langue.

Harry a oublié à quoi ressemblent les couleurs. Il ne se rappelle plus à quoi correspondent toutes les nuances de gris. Il sait que les cheveux de Fred étaient roux avant mais ne se rappelle pas ce que c'est. La seule couleur dont il se souvienne, c'est un vert éclatant qu'il aimerait mieux oublier.

« Allez, grouille-toi. Il y a quelqu'un que je voudrais que tu voies. »

Harry libère son bras de l'emprise de Fred, l'air très énervé. « Tu n'existes pas, alors arrête de m'emmener où tu veux. »

- Empêche-moi, vas-y, répond Fred, et il s'enfonce dans l'Allée des Embrumes. » Harry grommelle mais le suit, ignorant le regard apeuré que Madame Malkin, qui quitte son magasin pour la nuit, lance dans sa direction. Il ramène sa capuche sur sa tête pour mieux dissimuler son visage.

Le ciel gronde au-dessus de lui, sombre et menaçant. Ses yeux mettent un moment à s'habituer à l'obscurité de l'Allée, voir dans la nuit n'est pas une mince affaire quand tout est gris. Il n'est pas tranquille. Il est furieux contre lui-même d'avoir suivi Fred dehors. À quoi pensait-il ? Des milliers de visages pouvaient immédiatement reconnaître le sien.

« Putain de fantômes, siffle Harry tandis que Lavande Brown le dévisage depuis l'ombre d'une porte. Il détourne le regard. Il a l'habitude maintenant de la plupart des choses qu'il voit, mais la gorge mutilée de Lavande continue de lui retourner l'estomac.

« Nous ne sommes pas des fantômes, » répète Fred pour la n-ième fois, juste dans son dos. Du sang goutte sur le T-shirt d'Harry, il l'essuie impatiemment.

« Arrête ça. »

Il s'enfonce à la suite de Fred de plus en plus loin dans le labyrinthe. Les murs de pierre alentour sont de plus en plus hauts au-dessus de lui. Les pierres bougent dans un grincement menaçant, se rapprochent, centimètre après centimètre.

Il s'arrête devant une porte et le temps de cligner les yeux Fred a disparu. Il est seul. La porte est silencieuse et immobile. Harry se demande de quelle couleur la peinture écaillée serait si tout le monde était en vie. Il tend la main et passe les doigts sur le bois abîmé. Pourquoi Fred l'a-t-il amené ici ?

Inspirant profondément, il ouvre la porte. Le grincement des gonds est immédiatement noyé dans le bruit de l'intérieur.

Il s'agit d'un bar, une pièce sombre et enfumée pleine des pulsations d'une mauvaise musique. L'atmosphère est étouffante ; à chaque inspiration, l'air paraît trop chaud et vicié. Sur les étagères derrière le comptoir sont alignées des bouteilles à n'en plus finir, luisantes dans la lumière faible. Les clients sont entassés autour des tables, les têtes se redressent un instant pour regarder l'étranger qui vient juste de les rejoindre. Cela ressemble à de la pollution ici, décrète Harry sans se soucier des regards malveillants. Cassant, oppressant. Indolent et las.

« Regarde. »

Il entend Fred mais ne le voit pas. Il se détourne du bar et aperçoit soudain une silhouette familière.

« Il a grandi d'un coup, n'est-ce pas ? »

« Ta gueule, Fred, » dit Harry à voix haute, sans pouvoir détacher son regard de Draco Malfoy. Il est grand et bien trop maigre dans sa chemise et son pantalon sombre, si pâle qu'il est du même spectre que la faible lumière d'automne qu'il y avait sur le Chemin de Traverse. La musique tambourine comme une mécanique industrielle et les battements du cœur d'Harry se règlent sur elle.

Qu'est-ce qu'il fait là ? Est-il même réel ? Harry sait qu'après la guerre les derniers Malfoy sont tombés comme des dominos. Draco a l'air réel, mais Fred aussi, ainsi que tous les autres qui passent leur temps à rôder autour d'Harry, tapis dans les ombres.

Draco se tourne vers Harry et lorsqu'il le voit ses yeux s'écarquillent et le cœur de Harry s'arrête.

Les yeux de Draco sont violets.

Harry s'avance sans réfléchir. Des araignées s'enfuient sur son passage. Harry continue de marcher alors que le regard de Draco le fixe, à la fois embrumé et aiguisé par l'alcool. Il a l'air ivre, et effrayé.

Harry arrive à sa hauteur et Draco ouvre de grands yeux violets quand Harry saisit sa cravate et le tire brusquement vers lui, il titube. Personne dans le bar ne regarde dans sa direction lorsque Harry rapproche Draco encore un peu de lui, contemplant ces yeux violets avec avidité. Pourquoi est-ce qu'il peut les voir ? Pourquoi ne sont-ils pas gris comme le reste du monde ?

« Fiche-moi la paix, Potter, finit par dire Draco en chancelant. Je viens d'enterrer ma mère. »

Harry ne le lâche pas. « Et moi qui pensais que c'était toi qu'on avait enterré. »

Draco rit. Sa tête bascule en arrière, et il rit si fort qu'il manque de tomber à la renverse. Le son est étrange, il se brise sur les sens de Harry comme du verre. Cela fait une éternité qu'il n'a plus entendu quelqu'un rire. Ils n'étaient pas encore censés rire.

« Ç'aurait tout aussi bien pu être moi, qu'est-ce que j'en sais.

- Tu es mort ou complètement saoul ? » demande Harry.

Draco fait un pas en avant, il est si près que son nez frôle celui de Harry et Harry ne voit plus que du violet.

« Un peu des deux. »

L'horloge sur le mur fait bien trop de bruit. Ron et Hermione sont hors de vue, de l'autre côté de la porte, leurs murmures bruissent comme les feuilles d'automne. Ginny est à genoux aux pieds du fauteuil où Harry est assis, bien au fond des coussins. Elle a posé une main sur son genou ; elle est grise et triste et silencieuse. Loin, très loin.

« Tu pourrais venir ici, » dit-elle d'une voix trop légère et qui tremble « rester avec nous. »

Elle essaie d'avoir l'air de dire ça comme ça, comme si c'était juste parce que Harry leur manque, et non parce qu'ils croient qu'il a perdu la tête.

« Non, ça va, merci, dit-il avec un sourire. Je ne voudrais pas déranger. Ça me va de rester au Square Grimmaurd, vous le savez bien. »

Elle se mord la lèvre et détourne le regard. Un souvenir tente de refaire surface dans l'esprit de Harry, un souvenir d'amis et de gens qui peuvent l'aider, qui peuvent s'occuper de lui et tout faire rentrer dans l'ordre —

C'est oublié instantanément lorsque Harry se rappelle Draco et ses yeux violets. Il ne peut pas rester au Terrier. S'il reste, ils ne le laisseront jamais retourner à l'Allée des Embrumes et il ne saura jamais pourquoi les yeux de Draco sont de cette putain de couleur.

Il devra laisser tomber la Chambre n°4.

« Tu me manques » dit-elle.

Harry fait non de la tête, pose sa main sur celle de Ginny et lui sort un très joli mensonge : « Je suis là. »

Derrière elle, Fred fait une grimace et Harry a envie de rire. Il a envie de rire depuis que Draco a brisé le tabou. L'expression de Ginny est inquiète maintenant. Le sifflement reprend et fait de plus en plus de bruit tandis que les lèvres de Ginny se remettent à bouger ; il n'entend aucun de ses mots.

Draco est facile à trouver.

Le violet est facile à trouver.

Fred ricane quand Harry lui explique.

« Tu es complètement paumé, mon pauvre. Des fantômes et des Malfoy ! »

Quand Harry le retrouve, il est bourré et s'est écroulé au fond du même bar à la lumière polluée. Il n'y a pas de musique industrielle à cette heure de la journée, seulement la rumeur des conversations, les chocs sourds des verres reposés sur les tables, et le souffle haché de Draco. Harry lui donne un coup de pied et ses yeux s'ouvrent péniblement, violets dans la pénombre.

« C'est pas vrai. J'ai envie de gerber. Dégage Potter. Je te hais. »

Il s'agrippe à la table la plus proche et se redresse péniblement sur ses genoux, le souffle court. Ses yeux se ferment et sa tête tombe en avant. Il vacille. Ses cheveux sont en vrac, sa nuque est sale.

« Je veux te parler. »

Harry s'accroupit à côté de lui et saisit fermement le menton de Draco pour le forcer à le regarder.

« Me fais pas de mal », dit Draco en grimaçant. Sa respiration est lourde et épaissie par l'alcool. Harry songe à lui coller une droite. Il lui doit bien un nez cassé, non ? Mais maintenant que Draco est un fantôme, ça ne servirait pas à grand-chose, et d'ailleurs, ce violet a beaucoup plus d'importance qu'une revanche mesquine.

Derrière le comptoir, une porte s'ouvre et se referme. Une voix sèche éclate de rire et des verres s'entrechoquent. Harry jette un regard autour de lui ; ça ne lui plaît pas du tout d'avoir tourné le dos à la pièce.

« Viens, dit-il en lâchant le menton de Draco pour se remettre debout. Tu viens avec moi.

- Sûrement pas, rétorque Draco, des larmes au bord des yeux. Non, non, non et non.

- Comme tu voudras. Reste ici et pourris en paix » dit Harry, et il lui donne un autre coup de pied pour la forme.

Draco éclate en sanglots et agite la main vers les jambes de Harry sans l'atteindre. « D'accord, parvient-il à dire à travers les larmes. D'accord, je viens. »

Harry le prend sous le bras et le remet sur pieds. Il passe un des bras de Draco par-dessus son épaule. Les mains aussi sont sales.

« Tu es le fantôme le plus pitoyable que j'ai vu jusqu'à présent. » dit Harry.

Draco rit et pleure en même temps, un sanglot étranglé. « Je sais. »

Harry balance Draco sur le lit de sa chambre : il s'écroule sans élégance, en un tas de membres dont les coudes et les genoux forment des angles étranges. Les ressorts du matelas protestent et le bois de lit craque de lassitude.

« Bienvenue dans la Chambre n°4. »

Draco se redresse péniblement jusqu'à presque s'asseoir, tout son poids sur ses bras qui tremblent. « Tu vas me tuer ? »

Harry éclate de rire — Et s'il pouvait re-tuer tous ces fantômes ? Il verrouille la porte, vérifie qu'il n'y a rien à la fenêtre et dans la salle de bain avant de se retourner vers Draco qui semble de plus en plus terrifié.

« Qu'est-ce que c'est que cette question ?» demande-t-il. Il s'assied au bord du lit et tend la main pour toucher la tempe de Draco. Draco a un mouvement de recul.

« Tu vas — tu veux me faire du mal. Me torturer. Pour tout ce que j'ai fait.

- De ce que j'en sais, c'est vrai que tu as bien tout foiré. » Harry ricane. « Sauf quand tu ne m'as pas vendu au Manoir, et que tu m'as laissé te voler ta baguette.

- Tu l'as encore ? »

Harry la sort de sa poche et l'agite sous le nez de Draco. Embrumés par l'alcool, ses yeux ont du mal à suivre les mouvements, puis il essaie de l'attraper mais ses doigts se referment sur le vide. En un éclair, Harry l'a plaqué sur le lit, une main pressée sur sa poitrine tandis que l'autre pointe la baguette entre ses yeux, appuyant suffisamment fort pour laisser une marque sur la peau blanche.

« Tout doux» menace-t-il.

Des larmes s'échappent des paupières fermées de Draco, laissant des traces le long de ses joues et mouillant la couverture sous sa tête. Elles énervent Harry ; il voudrait que Draco ouvre ses putain d'yeux.

« Qu'est-ce que tu me veux ?

- Je veux juste, dit Harry en retirant la baguette, de la compagnie. »

Les yeux de Draco s'ouvrent brusquement et il fronce les sourcils. « Tu veux que moi je te tienne compagnie ? Tu es fou ? »

Harry ne lui avoue pas la vraie raison. Au lieu de cela, il se penche et gifle Draco doucement, le faisant tressaillir une fois de plus. « Complètement fou. Ça pose problème ? »

Draco l'observe prudemment, puis il fait non de la tête. « Tu promets que tu ne me feras pas de mal ? »

Harry porte la main qui tient encore la baguette de Draco à son cœur. « Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.

- Va te faire foutre » répond Draco, la voix tremblante. Il n'essaie même pas de se rasseoir.

« C'est promis, fait Harry. D'accord ? »

Draco acquiesce lentement, et son corps semble se détendre. Ses poings se desserrent et ses épaules retombent sur la couverture. Il déglutit et Harry suit le mouvement de sa pomme d'Adam avant de retourner aux yeux de Draco avec avidité. Draco soutient son regard une seconde puis se détourne; il déglutit péniblement encore une fois, tout en fixant le plafond.