Bon, alors voilà, on dirait que je suis lancée. Ca vaut ce que ça vaut, c'est un essai, avec un peu de chance d'autres chapitres suivront.
J'ai collé les notes de bas de page en plein milieu du texte pour éviter d'avoir à faire du monter-descendre, c'est sans doute une mauvaise idée, dites-le moi. Voilà...
Apparemment (merci Leïa) on peut mettre des liens vers des images dans son profil, donc rapportez-vous là-bas si vous voulez voir l'illustration de ce chapitre !
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Chapitre 1
Activités nocturnes - Une robe de chambre sur un million - Un service de qualité pour le client distingué - Monsieur Lipwig cogite trop - Le Guet enquête - Gentilhomme voleur - On compte sur vous
Une silhouette fonce à travers la nuit, fluide comme la soie, égayant l'obscurité d'un rire joyeux, enfantin et sonore. A peine avez-vous cligné des yeux que la voilà disparue. Un homme du Guet qui somnolait à l'abri d'une arche, lanterne d'une main et cloche de l'autre [Note de la Fanfiqueuse – pour annoncer que tout va bien, dormez bonnes gens, enfin essayez, on comprend que ça ne soit pas toujours évident avec un type qui beugle sous vos fenêtres en agitant une sonnette. Le commissaire divisionnaire Vimaire, qui a eu son content de beugleries nocturnes lui-même, insiste pour que toutes les nouvelles recrues de la force publique commencent par là, et de fait, un agent du Guet qui a résisté à six mois de bombardement intensif à coups de pantoufles et de pots de chambre est mûr pour les exigences les plus périlleuses d'une carrière à Ankh-Morpork.], l'a vue passer devant ses yeux comme un éclair noir ; mais à peine avait-il eu le temps de bouger qu'un rideau de pluie la lui escamotait, ne laissant que son rire suspendu dans l'air, et un parfum d'excitation dans l'atmosphère.
Un instant, l'agent Dubuisson se sentit traversé d'une envie de courses-poursuites, de bonds téméraires de toit en toit [NdF – Une activité nettement moins prisée à Ankh-Morpork depuis qu'entre les gargouilles, les équipes d'Assassins en entraînement, les monte-en-l'air ordinaires, les vampires nostalgiques de la grande époque, le club des édifiscaladeurs et les gens simplement trop pauvres pour louer un appartement, le toit moyen dans certaines parties de la ville est plus passant que la majorité des rues commerciales.], d'échanges de tirs et de répliques meurtrières d'une cheminée à l'autre – cela ne dura qu'une fraction de seconde, parce que l'agent Dubuisson était un agent du Guet morporkien, une espèce chez laquelle rien ne peut noyer le bon sens populaire et le besoin quasi-limbique de se recroqueviller avec une cigarette le plus loin possible de toute agitation. Il se replia sous son arcade, redéplia le journal qu'il avait mis à l'abri dans un coin de son armure, et se replongea dans la lecture du feuilleton, tiraillé cependant par un doute vague sur lequel il n'arrivait pas à mettre le doigt.
***
On n'est jamais ravi d'être réveillé par un coffre vide, surtout quand on a passé une bonne partie de sa carrière à en vider d'autres soi-même. Ça vous colle une forme d'angoisse identitaire qui est difficile à gérer avant le café du matin.
Moite von Lipwig papillonnait des yeux devant ce qui avait été, jusqu'à la veille, le coffre flambant neuf contenant la caisse du bureau de poste central d'Ankh-Morpork. Qui ne contenait plus à présent que quelques milliards de molécules d'air nettement plus à l'aise pour s'étirer qu'auparavant, et un carré de papier blanc nonchalamment posé dans un coin.
« Il a laissé sa carte ? Quel est le cambrioleur crétin qui laisse sa carte sur les lieux de son coup ? Je veux dire, même les agents du guet savent lire, en général, de nos jours.
- Eh bien, vous allez rire, monsieur », déclara le directeur adjoint Tollivier Liard, que l'occasion matinale avait amené à exhiber la robe de chambre la plus multicolore et la moins seyante du multivers. Moite avair dû cligner des yeux plusieurs fois avant de s'assurer que non, ce n'étaient pas ses rétines qui lui jouaient des tours. Quelqu'un avait véritablement, un jour (sans doute un jour de cuite décennale), fabriqué une robe de chambre en cousant ensemble des morceaux de tissu de toutes teintes, de tous motifs et de toutes formes, vraisemblablement les yeux fermés et comme un acte de foi en la sélection naturelle. Et, comme si cela n'était pas assez déprimant, il avait fallu que l'objet atterrisse sur le dos de Tollivier Liard, qui portait d'épaisses chaussettes de laine farcies d'onguents maison bizarres et gardait sa casquette sur la tête vingt-quatre heures sur vingt-quatre. D'un côté, cela remettait la situation en perspective en prouvant qu'il y avait toujours des choses pires que de se faire voler tout son argent pendant la nuit. Mais Moite sentait malgré tout qu'il n'avait vraiment pas besoin de ça.
« Je vais rire ?
- …Ou pas, marmonna précipitamment Liard en voyant le regard que lui jetait son supérieur. Enfin, voyez vous-même. »
Moite retourna la carte. Quelqu'un, quelque part, n'avait pas lésiné sur les sophistications typographiques et les tortillons dans les coins ; quelqu'un qui, apparemment, portait fièrement le nom de
Autolycus Rafle
Gentihomme voleur
Un service de qualité pour le client distingué.
« Je suis flatté, dit faiblement Moite en rejetant le carton dans le coffre. Rafle… pourquoi est-ce que ce nom me dit quelque chose ?
- Vous ne connaissez pas Autolycus Rafle, monsieur ? Je croyais que tout le monde connaissait ça, monsieur ! Vous lisez le Disque-Monde, pourtant, non ?
- Oui, mais je ne vois pas…
- Je vais vous montrer… attendez une minute », fit Liard, et lui et sa robe de chambre quittèrent le bureau, laissant Moite faire les cent pas d'un bout à l'autre, luttant en vain contre une trépidation montante.
Quelqu'un a volé la caisse des Postes…
Non…
Quelqu'un a volé la caisse des Postes, et ce n'est pas moi !
Mais quelle chance avait-il de faire croire cela à Vétérini, une fois que la nouvelle serait remontée jusqu'à lui, ce qui prendrait au plus une demi-heure si Sa Seigneurie se sentait aujourd'hui d'humeur à prendre son temps ? Le Patricien avait défait le nœud coulant autour du cou d'un filou accompli et l'avait placé à la tête de la Poste pour qu'il y devienne un parangon d'honnêteté fonctionnaire. Il savait parfaitement ce qu'il faisait, et il savait que, tandis que Moite dépensait son énergie à remettre sur pied le système postal et à remplir les coffres d'un service public de plus en plus indispensable, une partie de son esprit passait son temps à chercher des moyens de le dévaliser. Et qu'il en trouvait, d'ailleurs, avec un enthousiasme inquiétant. Parce qu'il était Moite von Lipwig et que c'était ainsi qu'il fonctionnait. Il aurait pu dépouiller la Poste vingt fois sans une goutte de sueur – les dieux savaient qu'il en avait rêvé… et Vétérini était parfaitement au courant, c'était pour cela qu'il l'avait mis à ce poste. Qu'est-ce qui pourrait maintenant le convaincre qu'il n'avait pas fini par céder à la tentation ?
Il pouvait encore prendre le large. Courir prendre les clés dans son bureau, s'éclipser par la porte de derrière avant que Liard ne soit revenu, se faufiler dans l'allée et foncer droit vers la pension Bobard, rue des Paradigmes, où un individu au physique banal répondant au nom de Jacquot Césaire gardait un balluchon d'affaires utiles toujours prêt au cas où sa situation de représentant de commerce l'exigerait – de là dans la première diligence à passer, ce qui ne saurait tarder, maintenant que les efforts tenaces du ministre des Postes avaient fait exploser l'efficacité du service, et il serait hors d'Ankh-Morpork avant qu'on n'ait eu le temps de dire « Attrapez-le ! ». Viser Pseudopolis ou Quirm ; suffisamment provincial pour s'y faire perdre de vue, suffisamment urbain pour que les locaux s'y croient malins, le terreau idéal pour quelques mois d'opérations discrètes. Celui qui en renaîtrait ne s'appellerait pas Césaire, et encore moins von Lipwig. Évaporation pure et nette du personnage. Adieu la poste, adieu Liard et ses concoctions, le timbré du bureau d'affranchissement, les queues mal lunées aux guichets, les problèmes de logistique, les dernières expérimentations avec les pigeons voyageurs, les colis mal adressés, les fous furieux de l'interurbain, paperasse, sédentarité, respectabilité. Retour au mode Lipwig de base, celui qui avait toujours une charrette d'avance sur le reste du monde parce qu'une bonne distance était le seul moyen de vivre en sécurité. Toujours être parti avant d'être arrivé, sans rien qui vous empêtre, invisible aux regards et sans prise aux attentes, qu'elles soient des employés, de l'homme de la rue, de la femme de la rue avec son sourcil haussé et sa cigarette collée à la main…
« Monsieur Lipwig ! »
Malédiction. Quand on doit foncer, on fonce, on ne perd pas son temps à cogiter. Règle numéro un. Je ramollis.
Liard était de retour dans la pièce, agitant le Disque-Monde du jour et traînant à la remorque trois agents du Guet, dont un nain occupé à farfouiller dans une sacoche qu'il portait en bandoulière, et qui fonça aussitôt en direction du coffre. L'un des deux autres fit signe à Moite :
« Monsieur, si vous voulez sortir avec nous, pour ne pas déranger le sergent Petitcul dans son travail…
- Son travail ? Quel travail ? De quoi est-ce que…
- Croyez-moi, mieux vaut aller discuter ailleurs, coupa le troisième agent, une jeune femme à l'épaisse crinière cendrée qu'il n'était pas difficile de reconnaître comme le sergent Angua, renommée de par la ville autant pour son sourire radieux [NdF – quoique, semblait-il, paraissant parfois compter un peu plus de dents qu'il n'eût été attendu.] que pour le sort sinistre que tendaient à connaître les malfrats qui essayaient de la prendre en otage. Elle saisit Moite par l'épaule, d'une prise légère mais étrangement plus inquiétante qu'un carcan d'acier, et l'entraîna précipitamment hors de la pièce.
« Je demande seulement qu'on m'explique ce que… » protesta-t-il, mais il n'eut pas le temps de terminer.
Quelques secondes plus tard, Moite, Liard et les deux agents étaient à la porte de la pièce et faisaient résonner les murs d'un concert de toux carabinée.
« Le sergent Petitcul… travaille sur une poudre spéciale capable de faire apparaître les empreintes, expliqua Angua entre deux quintes. Il y a encore… certains effets qui pourraient être améliorés.
- Les empreintes de quoi ? De pas ? couina Moite en s'essuyant les larmes des yeux.
- Eh bien… apparemment, il s'agirait plutôt des empreintes de doigts, fit le sergent en haussant les épaules d'un air incertain. Des empreintes invisibles, ou quelque chose comme ça. Je ne sais pas si j'ai tout compris. Je reste persuadée qu'il y a de meilleures manières de renifler les traces du coupable, mais il paraît qu'il faut avancer avec son temps…
- En tout cas, je n'ai pas vu d'empreintes de quelque sorte que ce soit, enfin, si vous exceptez celles de Moulin 27 qui s'occupe du ménage dans cette aile... Il pèse une tonne et demi, vous comprenez, et le parquet n'est plus tout jeune, n'est-ce pas, mais je suis sûr que ce n'est pas lui qui a fait le coup. D'ailleurs, il est très attentionné ; il fait attention à ne jamais passer deux fois au même endroit. Monsieur Pipi passera au travers avant lui. Et non, je suis à peu près certain que ce n'est pas lui non plus, hahaha.
- Vous semblez être devenu très à l'aise dans ce… milieu, remarqua Angua en suivant distraitement du doigt les moulures du parquet (son collègue continuait d'observer attentivement la porte du bureau des coffres, de sous laquelle s'échappaient à présent de petits nuages de poussière blanche). Félicitations pour votre rapide assimilation, monsieur Lipwig.
- Me fondre dans le paysage est ma spécialité, affirma-t-il avec un grand sourire.
- Ne fondez quand même pas tout de suite ; j'ai besoin de vous sous forme solide pour le moment. Vous n'ignorez pas que la Poste a fait l'objet d'une bonne dose d'attention publique ces derniers temps… Certains prétendent que ce serait essentiellement dû à un individu qui se promène dans un costume comme un deuxième soleil et se donne en spectacle dans différentes parties de la région, je ne me prononcerai pas sur la question, mais il est certain que cette affaire avec le grand interurbain vous a attiré tous les regards, et que pas mal de gens se demandent quel est le prochain tour que vous allez sortir de votre casquette à plumes. Et maintenant, ce casse…
- Vous n'allez tout de même pas insinuer que c'est moi qui ai fait ça ? s'écria-t-il, sans doute un peu plus fort qu'il n'aurait dû, pour noyer les cris de « sauve-qui-peut » qui résonnaient dans son crâne. Que c'est un coup publicitaire, ou je ne sais quoi ?
- Non, non… d'après notre expérience, quand vous voulez vous faire remarquer, vous faites apparaître l'argent, vous ne le faites pas disparaître. Je voulais juste mettre l'accent sur l'importance que revêt la situation de la Poste, dans l'état actuel des choses, pour la paix de la cité. Comme vous le savez, au Guet, nous sommes très portés sur la paix. Notre commissaire divisionnaire a même ça écrit sur sa matraque officielle. Enfin, plus ou moins. Bref, nous attendons toute votre collaboration.
- Sergent, vous m'insultez, répondit Moite en agrandissant encore son sourire. Oser suggérer que je ne mettrais pas le plus grand enthousiasme à servir les hommes… et les femmes… dont la probité et l'héroïsme assurent la tranquillité continue de notre cité ? J'attends vos questions !
- Très bien, fit Angua ; elle fit signe à son collègue, et celui-ci s'esquiva le long du couloir. Dans ce cas, monsieur Lipwig… qu'est-ce que c'est que ce bazar ?
- Hein ?
- Votre directeur-adjoint (Liard, derrière elle, agita fièrement son journal) m'a expliqué que vous aviez trouvé une carte de visite dans le coffre. Celle d'Autolycus Rafle, qui, comme vous le savez parfaitement, est un cambrioleur aussi illustre et talentueux que parfaitement imaginaire.
- Pardon ?
- Le feuilleton, monsieur Lipwig ! intervint Liard. Le feuilleton du Disque-Monde ! »
Il était sept heures du matin. Le coffre de la Poste était vide. La normalité, qui ne s' était jamais sentie la bienvenue en ces lieux, avait rassemblé son balluchon, marchandé un cheval rapide et était vraisemblablement déjà à mi-chemin de Sto Lat sans avoir osé jeter un regard en arrière. A gauche, un vieillard ridé avec les cheveux d'un homme de quarante ans de moins (qui se baladait probablement, chauve et désespéré, quelque part dans les bas-fonds de la ville), vêtu d'une robe de chambre que le Guet aurait qualifié d'arme de première catégorie, et agitant fièrement un rouleau de papier. A droite, une ravissante jeune femme au sourire engageant. Le premier était moins effrayant. Moite s'empara du journal et parcourut l'encadré en petits caractères que Liard lui désignait.
~FEUILLETON~
Les Aventures extraordinaires d'Autolycus Rafle, Gentilhomme Voleur
Par Monſieur A. de la Minaudière
Tous les Samedis
Epiſode 54 : Une ſpectaculaire évaſion !
« J'avoue que je n'ai pas tellement le temps de lire les romans, fit Moite en rendant le journal à son propriétaire. La marche du progrès postal est un roman en soi que je m'efforce de rendre le plus captivant possible ! Hem. Bref… c'est quoi exactement, ce feuilleton ?
- Eh bien, monsieur Lipwig, commença Liard, c'est ce voleur, vous savez ? Autolycus Rafle, et c'est vraiment un cambrioleur extraordinaire, il pourrait voler n'importe quoi, même si c'est plus protégé que le palais du Patricien, monsieur, et il n'utilise jamais d'arme, il ne tue jamais, c'est son credo, dépouiller les gens en douceur, sans violence…
- Tiens donc, fit Moite. Et il vole aux riches pour donner aux pauvres, je suppose ?
- Euh, non, pas que je sache, monsieur, il doit tout garder pour lui, mais il ne fait pas ça pour l'argent ! L'argent, c'est juste une façon de compter les points pour lui, si vous voulez !
- Tiens donc.
- Et évidemment, poursuivit Liard, les agents du Guet cherchent à l'arrêter, mais ils n'y arrivent jamais, ils se rendent ridicules à chaque fois, et le commissaire divisionnaire en fait une affaire personnelle…
- Qui, Vimaire ?
- Non ! Grimaud, monsieur. Il a juré qu'il arrêterait Autolycus ; c'est son ennemi le plus acharné ! Mais il ne l'aura jamais, Autolycus est trop fort pour lui !
- Et vous aimez ça, vous, Tollivier ?
- J'ai suivi tous les épisodes, monsieur ! J'ai même écrit au journal pour leur proposer des idées. J'en ai des tas que je suis sûr qu'elles plairaient aux lecteurs ! Je n'ai pas encore eu de réponse pour le moment, mais… »
Moite lança un regard vaguement désespéré à Angua avant de se rendre compte que ce n'était pas forcément le meilleur endroit où chercher du secours. Le sourire était toujours aussi engageant.
« Je ne le lis pas non plus, reconnut-elle. Monsieur Vimaire n'est pas très enthousiaste. Grosso modo, il dit que le pisse-copie qui pond ce tas d'âneries devait être pendu par les pieds dans une oubliette et forcé à avaler un par un tous les caractères typographiques qui ont servi à composer ce foutu torchon. Sans compter que j'ai autre chose à faire. Mais si ce monsieur commence à vider des coffres bien réels, il faudra peut-être que nous nous y mettions nous aussi…
- Et… le rapport avec moi ? risqua Moite. Vous voyez que je n'avais jamais entendu parler de ce feuilleton ! Qu'est-ce que vous attendez que je vous explique ? »
Leurs regards se croisèrent, et il était évident dans celui du sergent que, dans l'idéal, Moite aurait eu assez de choses à expliquer, de préférence quelque part bien au calme dans les locaux du Guet, pour tenir la journée et davantage. Mais elle se contenta de demander :
« D'abord, comment se fait-il que ce cambriolage ait pu avoir lieu sans que ni vous, qui dormez à l'étage au-dessus, ni aucun de vos golems, qui ne dorment pas du tout, n'ayez rien entendu ?
- Eh bien… Vous avez entenu monsieur Liard, ce Rafle est très fort, pas vrai ? fit-il avec un petit rire, avant de se reprendre précipitamment : Écoutez, je n'en sais rien, moi. C'est à vous de découvrir ça, pas vrai ?
- Hmm. Mes hommes sont en train d'interroger votre personnel, mais d'après ce que j'ai cru comprendre, ça m'étonnerait que cela donne grand-chose. Les gens de la malle-poste qui travaillaient dans l'arrière-cour n'ont apparemment rien vu de suspect non plus. Ni la porte ni la fenêtre n'ont été forcées. Il apparaîtrait que notre malfaiteur ait des pouvoirs magiques… ou les clés. »
Que je suis le seul à avoir, pensa Moite. Et elle le sait. Elle sait que je sais qu'elle sait, et elle n'en dira rien, naturellement. Pour le moment, elle ne me connaît pas. Elle ne connaît que le respectable M. Lipwig, dévoué à la cause du service de la cité. Mais elle va fouiller. Ce regard… c'est celui d'un chien policier, un chien qui va me renifler sous toutes les coutures jusqu'à ce qu'il puisse dire tout ce que j'ai mangé depuis le quatre-heures que ma mère m'a mis dans la poche le jour où je suis rentré à l'école. Et avec qui je l'ai partagé. [NdF – Hansi Würtzl, une grosse brute de la classe du dessus, qui se trouvait être un partisan convaincu du partage de goûter avec tous ceux qui étaient plus petits que lui, et qui avait prélevé sa dîme de tous les quatre-heures de Moite pendant plusieurs mois, avant d'être renvoyé de l'école à grands cris quand on avait retrouvé sur lui la montre en or volée de M. le directeur.]
La porte du bureau s'ouvrit avec quelque chose comme un râle d'asphyxie, et il en sortit un bonhomme de neige format miniature à la barbe hérissée.
« Alors, Hilare ? demanda le sergent, tournant la tête vers lui. Ça va, les empreintes ?
- Rien du tout », soupira le nain (qui, après examen plus attentif, portait une jupe et avait des talons hauts boulonnés à ses semelles ; c'est vrai que depuis quelque temps, la race naine dans son ensemble semblait légèrement moins terrifiée à l'idée d'admettre qu'elle comptait aussi des membres susceptibles de préférer le chocolat à la bière et de chanter les opéras traditionnels en soprano). Il… elle soupira, et extirpa de sa manche un mouchoir en cotte de mailles pour s'essuyer la figure.
« C'est extraordinaire ! Et j'ai bien vérifié la fenêtre, aussi ; aucun moyen qu'elle ait été forcée ! J'ai pris des iconos, je les examinerai plus en détails au laboratoire. Mais ce type n'a laissé aucune marque de son passage, Angua !
- Vous avez cherché des traces d'encre d'imprimerie ? » demanda gaiement Moite. Les deux agents plissèrent les yeux dans sa direction.
« Eh bien, fit Angua, je pense que nous avons vu tout ce qu'il y avait à voir ici… Je vais retourner interroger le reste du personnel. Quant à vous, monsieur Lipwig, vous avez quelque chose à faire dans l'immédiat ?
- Eh bien, il fallait que je vérifie les comptes… vu la situation, je pense que ce sera assez vite fait…
- Je suis sûre que vous trouverez à vous occuper dans votre bureau. Vous êtes un homme très pris, n'est-ce pas ? Je ne voudrais pas vous mettre en retard dans votre travail. Bon courage, monsieur Lipwig. Si vous avez le moindre problème, des agents à nous seront dans le bâtiment. Nous n'avons pas l'intention de vous laisser tomber.
- Eh bien… merci beaucoup, sergent…
- En avant, Hilare, allons chasser le cambrioleur fictif !
- Bonne chance », marmonna Moite. Les deux agents s'éloignèrent, laissant Moite seul dans le couloir avec Tollivier Liard, qui s'empressa de s'écrier :
« Ça alors, monsieur, quelle histoire ! Qui aurait cru qu'Autolycus s'attaquerait à la Poste ?
- Vous… vous ne croyez tout de même pas que votre… héros de feuilleton soit le coupable, pas vrai, Tollivier ?
- Mais non, bien sûr ! C'est un truc ! répondit-il joyeusement. Mais vous allez démêler ça, pas vrai, monsieur Lipwig ? On compte sur vous !
- Naturellement, naturellement… merci, Tollivier. Allez rejoindre ces dames et tenez-moi au courant de ce qu'elles trouvent, vous voulez bien ? »
Liard partit à son tour, et les rétines de Moite poussèrent un soupir de soulagement, mais le reste de sa personne était déjà accaparé par un autre sujet. Il fallait agir, vite, et à ce stade il n'y avait qu'une seule solution. Pour échapper au chien, se jeter dans la gueule du loup. Il grimpa l'escalier quatre à quatre.
