Note de l'auteur : Bonjour à tous ! Me revoilà, avec une petite fic sur la série Merlin, mettant en scène le pairing merthur (enfin… plus ou moins). Je fais renaître, si j'ose dire, ces merveilleux personnages, après avoir regardé quelques épisodes… J'ai été charmée dès le début, j'espère donc que je ne vous décevrai pas. Pour l'écrire, je me suis inspirée de « Le quatrième mur », de Sorj Chalandon. Quel rapport, me diriez-vous, puisqu'il s'agit d'un livre sur la guerre des religions, néanmoins, sachez que M. Chalandon s'est lui-même inspiré d'Antigone, d'Anouilh, en créant un roman-tragédie. J'ai, de ce fait, décidé de faire de-même avec une fic-tragédie. Pardonnez mes explications tordues et le côté pessimiste de la fic… Elle se découpera en trois chapitres (encore !) dont un épilogue, attaché au troisième chapitre.
Pour que vous vous y retrouviez un peu : Morgause a récupéré la coupe de la vie (bon, je ne sais pas si c'est le nom exacte, mais elle appartenait aux druides), et, grâce à une armée d'immortels, elle s'empare de Camelot. Uther découvre que sa fille l'a trahi, Arthur est contraint de fuir, emmenant avec lui Lancelot, Perceval, Léon, Merlin, etc. Dans mon histoire, ils ont réussi à reprendre le château et Morgause est à l'article de la mort. Je ne suis pas le canon... En espérant que cela vous plaise, je vous souhaite une très bonne lecture !

Chapitre 1 : Murmure.

Le ciel était scindé en deux, tranché par une lame fraîchement affûtée, brûlante de haine contenue. Le sang de la plaie dévalait les nuages épais, et tombait sur le paysage horriblement gris. Il pleuvait la douleur et les cendres, le sol était baigné dans la souffrance, les corps inertes, et dans la perte. Il ne restait plus rien des prairies autrefois vertes, touffues et admirables. Seulement un brasier déchaîné, dansant au rythme endiablé du vent. Le feu narguait la citadelle noircie, il la consumait en la fixant droit dans les yeux, crevait son cœur et l'observait dépérir en jubilant. On s'était passé de mot ici, se contentant de la barbarie, des armes et des cris. Les hommes avaient été semblables à des fourmis dans leurs étroits passages au travers de la citadelle assiégée. Les fourmis noires et rouges se heurtaient violemment, sans pitié. Elles se dévoraient, toutes dents exhibées, se déchiraient, ensanglantaient leurs pattes meurtrières. Pourquoi se battaient-ils ? Un bout de terre ? Un carré de boue, un tapis d'herbe sèche, quelques bœufs ? Pourquoi tuer ? Parce qu'ils en avaient envie. Ils étaient entraînés pour cela. Pour leur bien. Du moins, c'est ce qu'on leur disait.

Arthur regardait au loin, son épée plantée dans le sol, légèrement inclinée. L'odeur qui envahissait l'air était insupportable ; un mélange de chair brûlée, de pourriture et de fumée âcre. Il ne tiendrait pas longtemps avant du suffoquer. Cependant, il demeurait au cœur du champ qui fut champ de bataille. Il voulait graver cette image de défaite dans son esprit, quitte à se l'abîmer. Que la pierre entaille son âme à jamais troublée par tant de morts, par tant de destruction. Son diaphragme se soulevait difficilement, contré par la tension ambiante et par la nervosité. Il crevait de cette impuissance. Il avait envie de crier, non, de hurler. N'importe quoi, quelque chose d'incompréhensible, un juron, une promesse qu'il ne tiendrait pas. Peu lui importait. Terrassé, aussi risible que le cabot geignant au coin de la rue. Prince ? Son titre paraissait loin, parti avec toutes ces vies arrachées brutalement ou lentement, tout le monde n'étant pas logée à la même enseigne en temps de guerre. Mais il se tut. Pour la première fois de sa vie, il n'ouvrit pas la bouche. Ou s'il le fit, ce fut pour souffler un peu. Le poids du monde s'asseyait allègrement sur ses jeunes épaules, l'accablait, lui faisait vivre un enfer. Le mot était faible. Que n'aurait-il pas donné pour s'y rendre, en enfer ? Donner son âme en échange des autres. Évidemment, ça aurait été totalement injuste, et ridicule par-dessus tout, mais ses pensées étaient comme l'Histoire, incohérentes.

Une ombre se distingua au sommet d'une colline. Enfin, non, ce n'était pas une ombre puisqu'elle parvenait à se tenir debout. Et, si les ombres marchaient, alors la Terre ne serait plus qu'un chaos total, une réplique parfaite de l'enfer tant désiré. Plissant ses yeux, obstrués déjà par quelques larmes, il devina Merlin. Son serviteur avait donc déserté l'infirmerie pour prendre l'air. C'était évidemment une image, l'air étant plus pur à l'intérieur-même du château. C'était amusant –du moins, ça l'aurait été en d'autres circonstances, de voir à quel point tout pouvait changer selon l'endroit où l'on se trouvait. Camelot grouillait de monde, des personnes affolées, perdues dans leurs propres songes, ou dans les couloirs glacials. Le château sentait passer, en son for intérieur, des médecins usés, des servantes éreintées et des malades à l'agonie. Mais dehors régnait une toute autre ambiance. C'était tout aussi froid. On dénotait néanmoins le silence, qui aurait pu être apaisant si ça n'avait pas été un silence de mort. Seul le vent hurlait, traître et mesquin, il soufflait entre les bois, balayait le terrain, comme s'il voulait effacer toutes les traces de lutte. Merlin, donc. Le serviteur s'était assis. Il pleurait. Qui ne le ferait pas ? Arthur. Parce qu'Arthur aimait être différent. Que même s'il essuyait une défaite, il ne s'abaisserait pas aux larmes. Il était fort, c'était le futur roi. Seulement, être roi, c'était une chose, avoir un royaume solide en était une autre. Et cela l'anéantit. Finalement, il n'avait peut-être pas la volonté ? Peut-être devait-il accepter le fait qu'il était un homme, pas un épouvantail chef des armées. Il se mit à genoux. A genoux devant la défaite. Il lâcha ses gants. Retrouver Merlin. Le consoler. Parce que c'était la seule chose dont il était encore capable. Ensuite il irait parler aux chevaliers qui restaient. Il irait beugler un discours idiot dont lui-même ne saisirait pas le sens. Il irait les bercer d'illusions, les coucher dans leur berceau, couramment appelé cercueil.

Il parvint au sommet de la colline en haletant. Merlin ne releva pas la tête, s'obstinant à la protéger de ses mains fines. Arthur ne s'y opposa pas. Le prince, il l'avait laissé devant le château, après l'avoir roué de coups, après s'être déchaîné, lui avoir crié tout ce qui lui passait par la tête. Il observait attentivement les épaules de son serviteur qui tressautaient au rythme de ses hoquets. Un bruit étouffé particulièrement désagréable s'échappait de sa gorge sans qu'il ne puisse l'en empêcher. Arthur lui avait dit, un jour, il lui avait confié ce secret. Un homme ne pleure pas. Un homme ne pleure jamais pour d'autres hommes. Alors que faisait-il là à sangloter, replié sur lui-même, dans une position qui faisait penser à la soumission ? Le jeune Pendragon, ne supportant plus de le voir ainsi, posa une main qui se voulait rassurante sur l'épaule de Merlin. Le geste eut l'effet escompté : immédiatement, le magicien se calma. Il redressa lentement la tête -mais n'ouvrit pas les yeux, se remémorant le paysage détruit et flamboyant qui s'était présenté à lui quelques minutes auparavant, et la tourna vers Arthur. C'est à ce moment que ses paupières se séparèrent, délivrant au passage deux larmes qui s'empressèrent de courir le long de ses joues, et il planta son regard comme un ciel immense, dans celui du prince. Pris sur le fait. Il resta un court instant bouché bée puis, soudainement agité, il se leva complètement, tituba quelque peu, s'essuya le nez sur sa manche et se retourna, prêt à s'enfuir.

Arthur aurait pu le laisser descendre la colline pour rejoindre le bois, le laisser fuir la détresse, la mort, et tous les problèmes qui cernaient Camelot à ce moment-là, cela lui aurait évité un discours. Pourtant, il ne put s'y résoudre. Il se surprit lui-même lorsque sa main attrapa le bras de Merlin d'un geste vif. Merlin se sentit retenu. Il se retourna un peu trop vite et se retrouva nez-à-nez avec le prince. Il se dégagea, une grimace de dégoût peinte sur ses traits habituellement si enfantins. Où était passée l'innocence de Merlin ? Quand Arthur l'avait-il perdue ?

-Laissez-moi, je vous en conjure !
-Merlin, te souviens-tu de ce que je t'avais dit ? Un homme ne...
-Au diable vos morales stupides ! S'écria Merlin, hors de lui. Qui êtes-vous pour parler d'honneur ?
-Eh bien, le prince, balbutia Arthur, déstabilisé.

Merlin ne le regardait plus, il le transperçait. Il avait effacé toute trace de respect, ils parlaient d'égal à égal. Arthur se maudit d'avoir laissé son titre derrière lui.

-Le prince ! Répéta Merlin, caustique. Quelle belle jambe cela me fait !
-Écoute, toute la journée je vais entendre mon peuple murmurer sur mon passage, des horreurs, certains vont hurler des injures aux noms de toute la Cour, d'autres vont me répéter inlassablement, avec mépris, que j'ai perdu la guerre... Je pensais que toi, tu serais différent.

Il mettait le doigt dessus. Arthur n'était pas venu consoler Merlin, non, il était venu se consoler lui-même. Se réfugier dans cette sagesse qu'il appréciait tant, s'assurer qu'il n'avait pas failli partout et surtout, pas aux yeux de tous. Il se répugnait.

-Vous avez perdu bien plus que la guerre !
-Je le sais...
-VOUS NE SAVEZ RIEN DU TOUT ! Vous ne m'écoutez jamais, et si vous le faites, c'est dans votre intérêt propre. Vous êtes-vous seulement demandé ce que cela faisait de crier à s'en exploser les poumons sans que jamais personne ne vous réponde ? J'ai l'impression de me faire agresser dans une rue bondée de monde, sans que personne ne m'accorde aucun regard. J'implore, je prie pour vous tous les soirs mais jamais, JAMAIS, vous n'y prêtez attention ! Que pensez-vous de Morgane, Sire ? Morgane est comme une sœur pour moi, je la respecte et la chérie de toute mon âme, je ne supporterai pas de la perdre et ce, même si elle tentait par tous les moyens de mettre fin à mes jours. Tu me dis de ne pas y aller Merlin ? Très bien, j'y vais ! Tu me dis de ne pas le manger, ça pourrait me mettre en danger ? Je le fais quand même. Tu m'as sauvé la vie, Merlin ? Va donc cirer mes bottes au lieu de parler à mauvais escient ! Tu t'es mis en danger pour mon royal postérieur ? Grand bien te fasse ! Tu n'es qu'un idiot Merlin, un idiot, un... idiot... idiot...

Merlin se courba dangereusement, une main sur son cœur affolé. Il ne parvenait pas à reprendre sa respiration. Il sentait son sang battre furieusement tout contre ses tempes. Qu'avait-il fait ? Pourquoi avoir dit tout cela, pourquoi avoir craqué alors qu'il avait tenu bon jusqu'à lors ? Le nombre de morts ne l'avait pas effrayé, malgré tout ce que pouvait penser Arthur, il n'en était rien. C'était Morgane. Morgane et la lueur qu'il avait vu briller dans ses yeux alors qu'ils étaient dans la crypte, quelques semaines avant l'attaque définitive. Morgane et son cri destructeur lorsque sa sœur se mourait dans ses bras. Morgane et son avidité. Morgane qui ne pouvait plus se passer du goût du sang. La belle Morgane, devenue aussi noire que la plume du corbeau.

-Merlin, qu'y a-t-il ? Cria Arthur, paniqué.

Le prince, ne sachant que faire en voyant les larmes de son serviteur revenir, fendit les lois et s'autorisa à le prendre dans ses bras. Ce n'était pas une étreinte d'homme, aussi virile que chaste, bien au contraire. Ça avait quelque chose de pathétique, transpirant de désespoir. Merlin se laissa aller contre l'épaule de son maître. Ce-dernier fut surpris de voir à quel point il était frêle.
Les pensées de Merlin redevinrent accolées et il se détacha brutalement, repoussant le prince aussi loin que ses maigres forces le lui permirent. Mais Arthur s'était trouvé un abri paisible dans les bras de son serviteur. Il revint vers lui avec douceur… Pourtant, la colère de Merlin ne s'était guère dissipée, loin de là. Toute sa haine contenue remontait, serpentant dangereusement le long de son corps, venimeuse, elle allait s'échapper. Et Arthur ne le voyait pas. Et Merlin hurla.
Il hurla tant et si fort qu'une onde de choc vainquit le vent, émettant un son plus aigu encore qui fit basculer le prince. Il tomba à la renverse, le souffle coupé, la tête sonnée.

Le sorcier se rendit compte de son erreur. Une force puissante le poussa à terre, à quatre pattes à côté d'Arthur. Merlin lui caressait la joue tout en bredouillant qu'il était désolé, qu'il regrettait, qu'il n'avait pas voulu… Le prince ouvrit faiblement les yeux. Ils cherchaient un point de fuite, un repère, ils oscillaient de gauche à droit sans jamais se poser. Puis ils s'arrêtèrent sur Merlin. Ses paupières s'ouvrirent en grand et son visage fut transformé. Le dégoût, le rejet, la peine, la haine.

-Ne… m'approche… pas, cracha-t-il.
-Arthur, tenta de le raisonner Merlin sans trop y croire.
-Ne… me… touche… pas… sorcier…

Merlin était vide. Un vent d'hiver soufflait en lui. Il ne ressentait rien. Il pressentait simplement. Il fallait partir. Vite.

Alors Merlin s'enfuit à toutes jambes, dévalant la pente abrupte. Ses pieds partaient loin devant lui, il ne se contrôlait plus. Des larmes glacées lui brouillaient la vue. Il trébuchait. Où allait-il ? Il l'ignorait. Mais il voulait se tenir loin de ce royaume instable fondu dans la plus grande hypocrisie. Etaient-ce ses nerfs qui le lâchaient ? Après tant d'épreuves ? Il nageait depuis trop longtemps en pleine incompréhension.
Le magicien sentait que sa poitrine commençait à se trouer. Il pouvait sentir ses poumons se tendre au point de se déchirer. Inspirer lui faisait souffrir le martyr. Merlin cessa de courir.

Il ne pleurait plus, mais son regard demeurait trouble. La neige tombait paisiblement, sautant des épais nuages qui surplombaient la Terre avec tout l'orgueil possible. On pouvait presque les entendre ricaner dans leur peau de gaz, se moquer de ces imbéciles d'humains qui s'entretuaient. Merlin s'affala contre un arbre, écœuré. Il n'avait envie de rien, pas même de faire un feu. Le froid pouvait bien le dévorer à présent, il n'en avait cure. Il n'aurait jamais la force d'accomplir son destin, personne ne le pouvait. C'était totalement absurde et tellement perdu d'avance. Qui pourrait changer l'avenir ? Tout ce qui se dessinait était d'un noir d'encre et aucune couleur ne pouvait éclaircir ce futur. La magie était perdue. Et Merlin avec.

C'était la folie dans le royaume. Une folie pure. Elle contaminait chaque corridor et touchait chaque homme, chaque femme. Seuls les enfants étaient épargnés. Les enfants et les fous. Les gardes ne cessaient d'aller et venir dans l'enceinte du château. Dans la cour, les paysans pleuraient leurs proches disparus, et dans les prairies alentours… Eh bien, il n'y avait plus rien à pleurer, plus rien à observer.
Arthur, quant à lui, hurlait à qui voulait l'entendre qu'il avait besoin de son serviteur, et ce, immédiatement. Personne ne semblait avoir vu le jeune homme. Alors Arthur entrait dans une rage folle et détruisait tout ce qu'il voyait sur son passage. Sa colère enflait et son visage était méconnaissable. Cette fureur cachait, en vérité, une inquiétude sincère. Et s'il avait rejoint Morgane ? Merlin n'avait pas reparut. Pas depuis la dernière fois. Mais dehors, une tempête glaciale s'était levée, menaçante, et avait éclaté quelques heures plus tôt. Le vent faisait claquer les portes et éteignait sournoisement les torches. Ça aurait été intenable pour quiconque se serait trouvé à l'extérieur. Merlin devait crever. Comme un animal, comme le sorcier qu'il était. Il devait souffrir sur le bûcher, et non transi de froid.

Il n'était plus temps de crier le nom de Merlin, il fallait agir. Sans demander quoique ce soit à son père, Arthur s'habilla chaudement, fit préparer un cheval.

Une poignée de minutes plus tard, il partait.

Le chemin fut long et sinueux. Les membres engourdis par le froid, Arthur gardait la tête droite et persévérait. Il fallait qu'il retrouve Merlin. Il lui avait fait mal. Il l'avait trahi, humilié, déshonoré, traîné dans la boue et jouit de sa puissance. Il lui avait fait mal. Il devait payer, payer de son sang. Finalement, il descendit de son cheval. Il était dans une épaisse forêt, et les arbres filtraient la neige, de sorte qu'il en tombait moins qu'à l'extérieur.

-Merlin !

Et il recommença. Il criait après son serviteur. Il criait dans le vide, dans le vent. Le vent qui emportait sa voix et la menait par-delà les montagnes. Sa poitrine était compressée par le froid, par ses cris. Il désespérait, paniquait.

-Merlin, murmurait-il, Merlin, où es-tu ?

Le paysage blanc tanguait autour de lui, il perdit l'équilibre. Où se trouvait son point de fuite ? Où était Merlin ? Il tournait sur lui-même. Il croyait entendre des bruits sortis de nulle part. Il dégaina son épée et donna des coups au hasard, non sans hurler. De peur. De rage. D'inquiétude. Il était aveuglé par son chagrin.
Et ce n'était que le commencement.

Il finit par buter contre ce qu'il pensait être une racine. Le prince se protégea la tête de ses bras. Il sentit le froid de la poudreuse s'insinuer dans le tissu de ses vêtements pour finalement atteindre sa peau. Son espoir se distillait. Lorsqu'il se retourna pour ramasser son épée, il se rendit compte que ce n'était pas une simple racine qui l'avait fait chuter. C'était un corps.

Un corps inerte. Un corps froid comme la mort.

Le corps de Merlin.