Un jour, on m'a dit qu'il n'y avait que deux façon de mourir. La première était celle où nous échouions paisiblement sur les berges de l'inconscient, comme endormi dans une pacifique quiétude. Là où tout prenait fin, mais où tu commençais également. La seconde était celle où tout notre passé se jouait devant nous, ainsi que les milliards d'avenir possibles et imaginables. De la naissance à la tombe, les spectacles s'incarnaient sous nos yeux, formant notre présent, notre passé, ainsi que notre avenir. Scène de théâtre funeste et rassurante, elle étreignait notre cœur et notre âme, l'apaisant de l'inquiétante sensation de solitude La mort était un passage calme, lumineux qui nous permettait d'apaiser les tourments de nos derniers instants. Presque magique, tant elle était une libération.

Pourtant, la mienne ne fût pas de celle-ci. Non, elle n'était pas ce passage si sensible auquel je m'étais accrochée toute ma vie, non. Elle était une lente et langoureuse dérive à travers les continents.

J'étais incapable de me souvenir les causes de mon décès, ni l'instant durant lequel se joua l'acte final. Tout ce dont je me souviens, c'est de cette lumière blanche et voluptueuse qui m'enveloppe encore. Elle étendait devant moi de hauts voiles blancs, immaculés et si doux que je ne souhaitais pour rien au monde les quitter. Leur doux touché effleuraient les tissus de ma peau, séchaient les quelques gouttes d'eau qui perlaient sur mon corps recouvert d'un simple drap.

Cette chaleur rassurante m'étreignait toute entière et libérait mes songes et mes souvenirs. Ne subsistait que ce corps vide et dénué de toute trace de violence. J'étais immaculée, l'essence même de la pureté qui se dérobe aux tourments de la vie.

Et je voguais ainsi, passant à travers les rideaux qui, tels des âmes accueillantes, se dressaient devant moi et s'écartaient à mon passage. Elles formaient comme une haie d'ovation qui m'accueillait en son sein, telle une reine ou une princesse. L'incarnation de la divinité, comme si mon passage marquait de sa beauté farouche les instants de cette vie inconnue

Tout était si simple, si doux.

Et lentement, je me noyais dans ce décor paisible. J'avançais telle une aveugle, toujours plus loin dans la lueur éternelle du tout et du rien. J'étais une autre.

Puis doucement, les voiles s'estompèrent et mon regard bleu, je me souviens, s'était accroché aux hauts voiles d'un bateau. La lueur de l'éternel avait lentement dérivé et esquissait sur les berges de l'infini ce navire aux allures travaillées. Voguant au large, de doux clapotis accompagnaient sa course sur l'onde crépusculaire.

Dans les airs j'avançais, invincible, vers l'objet de ma curiosité, jusqu'à arriver à proximité de l'oiseau des mers. Alors, je plongeais, frôlant l'édifice, je me délectais des courbes légères dessinées sur les poutres et rambardes. Mes doigts glissaient contre le bois frais de l'embarcation tandis que mes pieds frôlaient les germes d'eau qui s'élevaient en volutes sous la course du navire. Et je riais. Un long tintement sortait de ma bouche entrouverte alors que j'observais le lointain. Je n'étais pas stupéfaite de ce spectacle si éblouissant, non... c'est comme si je l'avais attendu toute ma vie.

Et le bois grinçait sous les assauts de la mer tandis que le vent s'engouffrait en des volutes sulfureuse dans les voiles. Gonflées, elles permettaient au navire de poursuivre sa course, invincible monument dans l'éternel océan.

Je remontais l'embarcation, alors que le tissu qui me recouvrait s'éparpillant avec grâce autour de mon corps. A l'image des voilures que j'avais traversé, une longue robe blanche s'évasait en différents morceaux de tissus léger, laissant les souffles chaud traverser leur touché soyeux. Plus je remontais, plus la joie me gagnait alors que mon cœur se taisait, emprisonné dans son silence infini.

Et c'est lorsque les lueurs de l'aube frappèrent mes yeux émerveillés que je le vis.

Un homme était accoudé à la rambarde, de dos il guettait l'horizon, songeur. De longues mèches blondes s'envolaient autour de lui, formant un halo majestueux qui sublimait l'aura imposante qu'il dégageait. Tandis que la lueur matinale se reflétait en divers fragments lumineux sur les broderies de sa parure.

Curieuse, je m'approchais de l'inconnu, silencieuse telle l'ombre que j'étais. Sa poitrine se soulevait lentement, presque douloureusement tant sa posture laissait deviner une grande mélancolie. Bien que droit et fier, mon instinct ne me laissait guère le choix quand à son état d'âme. Mon cœur se serra devant cette vision. La souffrance que je ressentais me frappait avec une violence telle que je crû défaillir. Pourtant, un air chaud s'évertuait à me relever, ne me laissant jamais tomber pour me permettre de garder la tête haute et, les yeux larmoyants, je m'avançais encore. Guidée par l'aura bienfaitrice qui me menait toujours plus loin, mon envol n'en était que plus puissant.

Passant par-dessus bord, mon corps s'avança en contrebas, slalomant entre les vaguelettes qui jamais ne m'avait semblaient si imposantes. La lumière matinale frappait mon corps, le parsemant de milles cristaux mordorés quand enfin, je me relevais. Frôlant la coque de l'embarcation, je me figeais devant l'inconnu au visage las. En suspension dans les airs, je ne bougeais pas, suivant automatiquement la vitesse du navire qui voguait toujours par delà les rives en s'échappant de la terre où siégeaient les hommes.

Je me figeais alors qu'une larme coulait subitement le long de ma joue blafarde.

L'ange devant moi n'avait rien des hommes que j'avais connu autrefois. Il n'en était d'ailleurs pas un. La mine basse, son regard bleu s'était échoué sur moi, surpris alors que tout son visage exprimait la plus grande des incompréhensions. Il était si beau. Un air dur semblait ne jamais vouloir le quitter, pourtant la tristesse et la surprise qui envahissait ses traits ne laissait aucun doute quand à la bonté qui transparaissait le souverain.

Car si ce n'était pas un ange, il ne pouvait être qu'un roi, sa fine couronne d'argent en était l'un des témoins principal.

Je lui souris, alors qu'il penchait la tête de côté, songeur. Ainsi, sa moue était adorable, presque enfantine à l'inverse de son regard sage. Son visage était éclairé par le soleil levant, alors que l'ombre de ma robe de fortune faisait danser des vagues contre sa peau claire. Doucement, je fis jouer les tissus de ma parure, comme pour l'amuser alors qu'un sourire illuminait désormais mes traits devant son visage concentré. Je me sentais bien, en sécurité et le sourire dont il me remercia fit fondre mon cœur, comme si celui-ci battait encore.

- Qui es-tu ? demanda l'ange à la voix douce, alors qu'il tendait une main dans ma direction.

Je ne lui répondis pas, me contentant d'un sourire enjôleur.

Il sourit à nouveau pourtant, une envie plus puissante germa à l'intérieur de moi, tout droit dirigé sur sa main. Je devais le toucher. J'ignorais pourquoi cette certitude m'empoisonnait, pourtant il était de mon devoir de le faire. La sensation de cette certitude était grisante, elle envahissait chaque parcelle de mon être et se libérait en de chaudes bourrasques dont je n'aurais pas su me défaire. Alors, j'avançais à mon tour ma main.

D'abord, il n'y eu qu'un léger effleurement, alors que mon souffle était coupé. Nos regards étaient rivés l'un dans l'autre sans vouloir se lâcher. Et enfin, mes doigts caressèrent les siens, doux et gelés.

C'est alors que tout s'accéléra. Mon cœur battit férocement dans ma poitrine alors que j'inspirais douloureusement une grande goulée d'air. Mon corps sembla transpercé, comme si l'on voulait arracher chaque parcelle le composant. Je rejetais la tête en arrière, dans un cri silencieux alors que mes bras s'écartaient vivement. Alors que le feu battait férocement dans mes veines, je fermais les yeux, priant les grâces pour que cette torture cesse.

Quand soudain, mon corps s'arqua sous un battement familier qui me semblait lointain. Ce n'est qu'alors que je pus souffler tandis que mon corps sombrait. Doucement, je sombrais, privée de mes ailes. La tête me tournait, bien que des chuchotis fouillaient ma tête, des paroles et des chants rassurants dont je ne comprenais rien, trop étourdie pour me rendre compte de quoi que ce soit. Pourtant, je finis par toucher le sol. Non pas avec brutalité comme ma chute me l'avait prédit, non… avec une délicatesse sans fin.

Etendue sur le plancher du navire, j'ouvris enfin les yeux sur le monde qui m'entourait. Cette terre dont je ne connaissais rien et qui pourtant venait de m'accueillir aux portes de la tombe… Et ce regard bleu dont la lueur curieuse et soucieuse faisait battre mon cœur que je pensais perdu.