Ce one-shot a été commencé lors d'une Nuit du FOF. Il fallait écrire, en une heure, sur le thème "noblesse". Je n'ai pas réussi à honorer la première partie du contrat. J'ai fait de mon mieux pour la seconde... et j'ai piqué à Oscar Wilde.


Le refuge de ceux qui n'ont rien à faire

Alexander Waverly a le sang bleu.

Les indiscrétions de sa jeunesse ne l'ont pas dilué, au contraire. Le vice de plaisir (surtout de la sorte que l'on puisse, non seulement évoquer, mais encore savourer en bonne compagnie, après dîner) ne dépare pas le cercle sans cesse recommencé des plaisanteries légères qui rédigent, dans le champagne et les parfums, le contrat social de l'aristocratie anglaise. Et si les notes fruitées de la fête tantôt sont alourdies par les vapeurs de l'opium, si l'alanguissement devient si puissant qu'il vous faut faire appeler un médecin pour en tirer votre fils, well, ce n'est guère la virevolte la plus délicate que vous ayez eue à exécuter.

Les compromissions de la maturité n'y ont pas nui non plus. De toutes les passions violentes, le meurtre reste la mieux admise : il a le bon goût de toujours faire définitivement taire son principal détracteur. Et le service de Sa Majesté n'a rien de déshonorant, tant qu'on s'abstient de mentionner les réalisations auxquelles on se livre. Certainement il est regrettable qu'il exige de s'aventurer à l'étranger, mais on peut pardonner ceux qui ont découvert leur perle au loin, tant qu'ils la rapportent au pays.

La véritable faute commise par Waverly, c'est celle qui rend si regrettablement laborieuses ses discussions avec Kuryakin, parce que ce Russe a l'intelligence d'un amateur d'échecs. Un jeu où toute pièce est sacrifiable, quelle que soit sa compétence, pourvu qu'elle sauve le roi. Alors que Waverly, cela se sait jusque dans le cabinet du duc d'Édimbourg, est prêt à changer d'objectif pour conserver ses pions.

C'est la faute qui finit toujours par convaincre Miss Teller de lui faire à nouveau confiance. Celle-là a tout du cheval de race amoureux d'une bête de trait, ce pourquoi elle rue contre Alexander dès qu'il fait mine de la ranger dans son étable. Elle qui a pris et laissé dans les enseignements de sa RDA croit à la valeur plus qu'à l'égalité et soumet tout, constamment, aux tests de son contrôle technique, car se voir approuvée sans examen serait reconnaître qu'elle a été acceptée en vertu de son sang. Bien entendu c'est le cas. Elle est agente parce que fille d'un nazi comme il est son supérieur parce que fils d'un comte et, pour cela, il lui arrive de le comprendre. Elle sait ne pas mettre en doute son intérêt si suspect pour la paix dans le monde ; heureusement, elle n'en fulmine pas moins contre sa compétence, sans quoi les choses deviendraient terriblement embarrassantes.

C'est la détestable faute qui lui permet de parler la langue de Solo, ce Napoleon deux fois usurpateur, auréolé du nom fou d'un Corse plébéien : double la honte, triple la vanité. Il croit tout mépriser de la noblesse car il pense en mesurer l'infinie vacuité et parce qu'il en sourit, il s'en juge épargné. En cela il est pareil à tous les nobles. Mais le divertimento de Solo se laisse entacher par la même vilaine fausse note que celui de Waverly : sa détermination à n'en commettre aucune. L'excellence de leur ascension professionnelle, leur adhésion à U.N.C.L.E., trahissent davantage que le goût de la danse, davantage que l'ambition, défaut encore excusable ; elles prouvent l'investissement. Elles dénoncent un sérieux qu'aucune plaisanterie ne dissimulera tout à fait. Elles sentent le travail, parce qu'il pourrait les sauver.