I. Souvenirs douloureux
Je me réveillai ce matin-là en hurlant. Encore. Une fois de plus, le vide et la peur de solitude m'avaient atteint dans mon subconscient. Enfin, mon souffle se fit égal et je jetai un regard circulaire. Tout était à sa place, le bureau, le placard, la table de nuit… le fauteuil à bascule. Je fermai les yeux, et essayais en vain de ne pas me remémorer les souvenirs que ce dernier ramenait invariablement.
Charlie était déjà au commissariat, sûrement afin d'éviter le zombie dans sa maison. Je ne pouvais que le comprendre. J'avais essayé de me protéger dans une coquille, une carapace d'apathie depuis plusieurs mois déjà. Cela n'éloignait pas la douleur, mais ça aidait un petit peu.
Je sortis du lit et m'habilla dans un brouillard. J'avalai un peu de céréales sans lait sans remarquer le goût fade et me dirigea vers le lycée.
En sortant de ma camionnette, je soupirai. Je n'attendais pas de ce jour qu'il soit différent. Je connaissais cette routine. J'allais passer quelques heures à l'école avec des gens qui allaient m'ignorer ou me jeter des regards en coin de temps à autre. Ensuite, j'allais retourner à la maison, préparer le dîner pour Charlie et il allait passer la soirée à m'observer du coin de l'œil prudemment. Enfin, il allait aller regarder le match dans le salon et j'allais fixer la vieille cloche dans la cuisine jusqu'à ce que l'heure soit décente pour me coucher.
Sans surprises, la journée se passa comme prévu. Ce qui était le plus difficile, en général, était d'éviter à tout prix une seule minute sans être occupée par quelque chose. Je devais être distraite, je le savais. Sinon, je ne serais pas capable de résister à la tentation de penser à… lui.
Cela faisait déjà plusieurs mois, mais la plaie était aussi douloureuse que si c'avait été hier seulement. J'avais été protégée par ma bulle d'apathie jusqu'à maintenant, mais la paroi devenait de plus en plus fine et fragile, et je sentais que ma bulle allait se casser à tout moment. J'avais essayé de me rappeler comment je m'étais réfugiée dedans au début, mais je ne pouvais. Aussi loin que je me souvienne, ma mémoire ne me rappelait que la douleur.
Allongée dans mon lit, je jetai un coup d'œil au réveil digital. Les nombres rouges du cadran brillaient dans l'obscurité : 20:03. Mince. J'avais encore au moins une heure avant de pouvoir m'endormir.
Je ne me permettais jamais de penser à lui. Même penser à son nom était insupportable, encore moins songer au souvenir de sa présence, de son baiser… Trop loin. Je sentais déjà la plaie s'ouvrir au milieu de ma poitrine, béante, les lèvres sanglantes.
Je gardai mes bras croisés sur ma poitrine et suffoquai, attendant impatiemment que la terrible douleur s'en aille. Comme toujours, elle disparut, mais pas complètement. Je soupirai et maintenu mes yeux clos. En réalité, je n'étais pas si impatiente de dormir, car même si je pourrais enfin échapper à mes propres pensées, le cauchemar reviendrait. Je frissonnai à l'idée.
