La poignée se tourne entre mes doigts. Le cliquetis semble hurler dans le silence de ma maison.
Je me fige un instant, craignant d'avoir réveillé quelqu'un. Quand je suis bien certain que tout le monde est assoupi, j'ouvre grand la porte.
Une tache de lumière inonde la pelouse. Mon ombre s'étale sur le sol noir. L'horizon me fait face, froid, immense.
Pendant un instant, je pense à reculer. Retourner dans les bras de ma femme, retrouver les rires de mes enfants.
Je plonge dans les ombres. Elles me lavent de toute hésitation.
Demain, dès l'aube, je les aurai quittés. Pour toujours.
La nuit m'enserre dans ses bras froids, le vent enlace mon visage engourdi, mais rien, rien ne m'inquiète.
L'idée de le revoir, l'idée de ses yeux, l'idée de sa présence, l'idée de lui me consument.
Je pourrais tout traverser, tout affronter, pourvu qu'il soit de l'autre côté.
Que tu sois de l'autre côté.
Ces nuits me paraissent insupportables. Chaque seconde s'égraine dans un sablier trop étroit.
Rien ne m'apaise, rien ne me réchauffe, rien ne me conforte, rien ne me berce. J'attends mes nuits.
Attendre indéfiniment que le ciel s'effondre, s'ouvre en deux, lâche sur moi ses démons.
Que tout prenne sens, qu'enfin je comprenne les soupirs de ma femme. Que je retourne dans ses bras, contenté et heureux, béat enfin.
Mais rien ne se passe. Rien ne m'émeut. Les nuits défilent, longues et languissantes, sans cesse semblables. Toutes aussi sombres que mes jours.
Une ombre sous la lune. Je me penche sur la fenêtre, ignorant mon propre reflet.
C'est toi ?
Ton manoir m'apparaît sous la lune. Essoufflé, éreinté, épuisé, je lève les yeux vers cette imposante bâtisse plongée dans la lune.
J'en pleurerais. Un rire nerveux franchit mes lèvres, se cristallise au contact de la nuit.
Et maintenant ? Ta porte me semble infranchissable. Quelle idée, de vouloir faire de cette nuit la nuit. Notre nuit. Et d'en être soudain incapable.
Un hurlement dans le noir. Un cliquetis.
Tu es là ?
La lumière inonde ton visage. Je suis ébloui. Tu plisses les yeux à cette lueur si forte. Je te fixe, incrédule.
Mon souffle est coupé. L'air glacé ne parvient pas à atteindre mes poumons pendant que je te regarde, que je te contemple.
Tes cheveux noirs encadrent ton visage, ta mâchoire carrée, ta cicatrice au front, tes yeux verts... Si familiers.
Je connais tous ces détails. Je les reconnais sans mal. Ils sont irréels dans mon quotidien.
Tu n'existes pas dans cette réalité dans laquelle une femme m'attend dans mon lit.
Tu n'existe plus. Et pourtant...
Tu souris, timide. Ton rire étouffé, humide d'émotion. Et tout fait sens.
La lumière qui illumine la scène m'empêche de retrouver tes traits.
Je cherche, au milieu des taches multicolores qui noient ma rétine, quelques unes de ces choses qui sont toi.
Je te cherche au milieu de cet océan de couleurs.
Tu ne bouges pas. Cette immobilité me cloue au sol. Je songe à repartir, à m'excuser.
Il est tard, il fait froid, et il y a bien de cela des années que nous avons mis fin à ce qui nous animait. Peut-être que cette nuit n'est pas notre nuit.
Mais je ne peux pas partir. Tu es là.
« Draco ». La voix est hésitante.
Elle craquelle dans l'air, comme si le vent de la nuit tentait de la geler sur place.
Comme pour l'empêcher d'arriver à son destinataire.
À moi.
Tu me sors de ma stupeur. Je souris. Je ris.
Ce rire nerveux, inquiet, qui te caractérise si bien, et que tu m'as donné.
J'avance mon pied dans l'herbe noire et froide.
Ce sont mes mains qui te trouvent les premières.
Je te retrouve enfin. Nous nous retrouvons enfin.
Tes traits, ce sourire dont je suis l'un des seuls admirateurs, cette joie, ces lèvres, ce dos, ce visage, ces cheveux, ce nez, cette odeur, ces mains, tout est beau, tout est là. Tu es là. Cette étreinte est forte d'une forme de panique. Nous tremblons de cs retrouvailles, nous enlaçons.
Nous ne voulons plus nous défaire l'un de l'autre. Nous sommes enfin nous.
La porte s'est refermée.
Notre nuit se fait sur le monde.
