Chapitre 1 : Une nuit du côté de Bristol.

Il attendait assis sur une grosse pierre, au pied d'un arbre. Dans la nuit, la forêt était silencieuse. Seul le bruissement des feuilles, portées par un léger vent, trahissait un semblant de vie.

Il tira une nouvelle goulée sur le joint, il cracha la fumée vers le ciel. Il ne doutait pas que ce comportement lui serait à nouveau reproché mais il s'en carrait le cul, il ne pouvait pas être plus bas dans l'échelle sociale. Le Patron pouvait gueuler. De toute façon qui s'intéressait encore à lui.

Soudain, une chouette s'envola au-dessus de lui en poussant un cri. Il la pointa de son index. A une époque, Il lui aurait suffi de le vouloir plus fort et l'oiseau se serait transformé en une torche qui aurait pu faire croire au début d'un feu d'artifice. Mais aujourd'hui, son doigt ne lui servait plus qu'à se curer le nez.

« Putain, qu'est-ce qu'elle fout ? Je ne vais pas poireauter toute la nuit. Je commence à avoir soif. Fais chier, pourquoi ils m'ont collé une nouvelle, j'étais bien tout seul. Qu'est-ce qu'elle a pu faire pour se retrouver dans ce coin pourri ? Bristol, c'est vraiment le trou du cul du monde. En plus, ce soir, y a une rouquine à qui j'aimerai bien dire un petit mot.»

Comme si son vœu avait été exaucé, une pale lueur apparut devant lui. Elle flottait à quelques mètres du sol. Puis elle descendit doucement tout en prenant une intensité plus grande. Sa couleur se changea peu à peu en un halo bleu qui éclairât tous les arbres autour de lui. Une chaleur se dégagea et la lumière devint aveuglante quand elle toucha le sol. Un sifflement se fit entendre puis tout redevint sombre et silencieux d'un seul coup, comme si un interrupteur avait été utilisé.

Un corps nu gisait à ses pieds. Il le regarda d'un air goguenard. Il faut dire que le petit cul qu'il avait sous les yeux était splendide. Finalement, la nouvelle pouvait être très intéressante. Dommage qu'elle soit de dos.

« Hé, t'attend quoi pour me donner mes vêtements ? » Et voilà, je me retrouve à poil, au milieu de nulle part. Il fait froid, en plus je déteste ce contact avec ces feuilles mouillées, c'est sale. Ça sent mauvais, c'est l'autre imbécile, il me mate comme un malade. Je vais le gifler, s'il continue. « Alors, tu te dépêches !»

« Mais oui, babe, ça vient. Ne t'excite pas. Il faut le temps que mes yeux se remettent de l'éblouissement que je viens d'avoir. » En rigolant, il lui lança un sac qui tomba juste trop loin pour qu'elle puisse l'attraper en tendant le bras.

« Tu le fais exprès. Tourne-toi. Et ferme les yeux, tous les yeux.»

« Ok, Ok ! » Il fit un demi-tour, ferma ses yeux et se résigna à fermer également son œil intérieur qui lui permettait d'avoir une vision périphérique et d'autres petites choses comme sonder l'âme d'un humain. De toute façon, s'il l'avait gardé ouvert, elle l'aurait su et il ne fallait pas pourrir la situation, ils devraient faire équipe pendant un certain temps.

Debout, elle chancela un peu, prise de vertige. Il fallait s'habituer à ce nouveau corps de sang et de chair. Jusqu'à présent, Esprit, elle n'avait voyagé que dématérialisé ce qui était moins traumatisant. Elle prit les vêtements dans le sac et arriva tant bien que mal à s'habiller. « C'est bon. »

Il se retourna et la scrutât autant pour mieux savoir à qui il avait à faire que pour admirer cette fille. C'est un vrai canon, pensa-t-il. S'ils voulaient me tenter là-haut, ils ont réussi.

La jeune fille devait avoir ... à peine 17 ans. Elle était grande avec un corps mince et certainement vigoureux. Son visage allongé était d'une blanc d'ivoire d'où deux grands yeux bleu ressortaient sous une mèche blonde. Ses cheveux tombaient sur ses épaules avec de larges boucles. Ils semblaient soyeux et légers.

Il se ressaisit, surtout ne pas tomber trop vite sous le charme. Car il pressentait que sous ce visage d'ange se cachait une volonté d'enfer. Enfin, Patron, vous voyez ce que je veux dire.

« On peut pas dire que tu te sois fatigué pour la tenue. » Il est vrai que le jean semblait trop grand, le tee-shirt, d'un bordeaux délavé, informe et la veste de survêt grise était trouée aux manches. Quant aux baskets, les semelles commençaient dangereusement à se décoller. Elle se dit que jamais elle n'avait été si mal habillée.

« J'ai pris ce que j'avais. Tu feras du shopping demain, babe. »

Elle le toisa, « arrête de m'appeler babe. Je ne suis pas un jouet ! Bon, dis-moi où on est d'abord, et c'est quoi ton nom ? »

« Ben, t'es pas du genre chaleureuse. Ok, on reprend du début. » Il éteignit son joint. « Bienvenu sur notre bonne vieille terre, ex Paradis désormais perdu. Nous sommes à Bristol, enfin dans sa campagne. C'est en Grande Bretagne, tu vois, en Europe. Tu saisi.»

« Me prend pas pour une imbécile. Je connais ma géographie. » Ce mec l'agaçait et pourtant, elle ne pouvait pas s'empêcher de le trouver sympa. Il avait un côté irritant mais il avait aussi beaucoup de charme. De toute façon, elle savait que s'il était sur terre avec une forme humaine, c'est qu'il était comme elle, un peu trop rebelle, ayant fait une grosse connerie et donc un ange déchu.

Elle décida de se radoucir. « Tu as raison, reprenons du début. Je m'appelle Naomi. C'est ma première mission sur Terre. Enfin, sous cette apparence, avec toute cette peau sur moi."

« Moi, c'est Cook, enchanté Naomiba... Non, je ne l'ai pas dit. » Il se fendit d'un grand sourire et lui tendit la main.

Naomi la lui serra en riant, avec un « tu dois un être un emmerdeur de première. »

« Yep, et j'assume. »

« Et tu es sur Terre depuis longtemps ? »

« Des lustres, je me souviens à peine du Paradis. Bon, allez, j'ai une caisse qui nous attend au bout du chemin.» il désigna du doigt un tracé boueux qui fit faire la grimace à Naomi.

« Je déteste me salir. Et toutes ces odeurs, ça sent la mort. »

« Ben, oui, c'est comme ça sur Terre, Chérie. La mort est partout, tout le temps. »

« Je sais, j'avais oublié cette sensation, c'est tout ».

Naomi avançait péniblement. Marcher dans la boue réclamait de sa part beaucoup d'effort et d'attention pour ne pas glisser. Elle voulait absolument éviter de se retrouver le nez dans cette fange. Rien que cette idée lui donnait des frisons de dégoûts.

Cook devant, aurait voulu accélérer la cadence. Il n'était pas sûr que la petite rousse l'attendrait dans ce pub où il lui avait donnait rendez-vous.

« Naomi, dépêche, j'ai une âme qui me réclame. J'ai encore du boulot moi, ce soir. »

« Et de quoi cette âme a besoin pour que ce soit aussi urgent ? »

« D'Amour, Chérie, d'Amour. »

Naomi sourit. Son Correcteur, c'est à dire, l'ange chargé de la conseiller et maintenant de la remettre sur le droit chemin, lui avait expliqué que son futur partenaire était, il avait employé le mot, iconoclaste. Une des fonctions essentielles des anges déchus était d'apporter du bonheur aux humains. En étant heureux, l'Homme prenait ainsi des décisions qui permettaient au Bien de progresser. Cook le faisait à sa manière et ces manières étaient pour le moins singulières vu du Ciel.

Ils arrivèrent à la voiture. Elle était stationnée devant une barrière en bois qui interdisait l'accès du chemin aux véhicules. Un panneau cloué maladroitement indiquait le nom du lieu : Gobblers End.

La vielle Ford Escort démarra au premier coup de clef. « Elle a 10 ans mais toujours vaillante. » Cook était fier de sa caisse.

Naomi s'installa sur le siège passager. C'était la première fois qu'elle montait dans une voiture sans chevaux. Elle n'était pas rassurée.

"Mets ta ceinture, c'est parti." Cook démarra en trombe.

Il roulait vite sur cette route de campagne. Mais il avait la possibilité de voir plus loin et surtout d'anticiper une action quelques dixième de secondes avant qu'elle ne se produise. Etre un ange même déchu donnait des petits avantages. Bien sûr, les anges, ceux d'en haut, étaient plus évolués. Ils leur étaient possibles de connaître tous les événements humains. Encore faudrait-il qu'ils s'intéressent à ce qu'il se passe sur Terre et c'était loin d'être le cas. En tout cas, eux, ils n'avaient plus le plaisir de conduire ou de fumer un joint.

« Alors Naomi, dis-moi un peu. Qu'as-tu pu bien faire pour te retrouver en pleine nuit sur une planète à la con, en compagnie d'un branleur ? » Sa figure s'était barrée d'un grand sourire moqueur.

Naomi s'accrochait à son siège. La vitesse l'effrayait mais il était hors de question qu'elle l'avoue. Ses yeux se perdirent dans ses souvenirs. « Disons que j'ai un peu trop ouvert ma gueule et d'autres choses. »

« C'est sûr qu'ils n'apprécient que l'ordre et la discipline. Donc tu n'as pas été un bon petit soldat. Coquine ! Allez, raconte, l'ange blond aurait-il craqué pour un bel humain ténébreux ? »

Naomi se renfrogna, « tu n'y es pas, et je n'ai pas envie d'en parler. Laisse tomber. »

De nouveau, elle se trouva trop agressive, elle essayât un ton plus calme. « Et toi, tu es sur Terre depuis longtemps ?» Naomi savait que sa pénitence pouvait durer des siècles. Pour un ange le temps n'avait plus d'importance mais sur Terre, il reprenait toute sa place. Surtout, elle avait peur de ressentir à nouveau des émotions humaines car un ange déchu redevient un être vivant avec toutes les souffrances qui accompagnent cet état.

Cook lui jeta un œil malicieux, « tu ne veux pas me parler mais tu veux tout savoir sur moi, t'es bien une femelle. Mais Cook lui, il ne cache rien, il est transparent.» En disant cela, Il ouvrit ses bras en lâchant le volant pendant quelques secondes. Naomi ne put s'empêcher de pousser un cri. Cela redoubla l'hilarité de Cook.

« Je suis sur Terre depuis plusieurs centaines d'années. J'étais le protecteur d'un poète français, François Villon. Il est très connu, Il est dans les livres. Je devais lui éviter de faire des conneries», il rigola, « Là-haut, ils considéraient qu'il avait une grande œuvre à accomplir et donc je devais le protéger des démons. Sur ce point, j'ai réussi, je les ai tous éliminés. Mais pour écrire, il avait besoin de danger, d'amour, de vin. Bref, pour mieux le défendre et l'aider, j'ai pris forme humaine et hop j'ai fait toutes les tavernes et tous les bordels avec lui. On a même détroussé deux, trois bourgeois bien gras. Un soir, on s'est bourré la gueule, on s'est endormi sous un porche et il est mort de froid dans la rue. Autant te dire que je suis remonté fissa au paradis et qu'on m'a coupé les ailes sans me laisser le temps de m'expliquer. Depuis, j'erre dans des patelins du bout du monde mais je m'en fous, je m'éclate bien. Tu veux que je te dise le Paradis c'est chiant et finalement tant qu'à donner de l'amour autant le faire directement. Si t'as oublié, je te montrerai »

Il lui fit un clin d'œil. Naomi tourna la tête vers la vitre. Elle était trop fatiguée pour se révolter. « On est encore loin ? »

« On arrive. Désolé mais, je te pose, je te montre la turne et je repars. Tu comprends la fonction d'ange c'est du 24/24.»

Naomi se retrouva seule dans un immense appart décrépi et sale. Il était situé au-dessus d'un hangar désaffecté, dont une partie était divisée en cellule, remplie encore de cartons vides, de bout bois et de tissus. Elle se dit qu'effectivement dans cette friche industrielle, Cook avait trouvé un coin tranquille à l'abri des regards. Par contre, le ménage n'était certainement pas son premier souci.

Elle s'allongea habillée sur le lit. Elle n'avait qu'une confiance limitée dans les draps qui lui semblaient bien gris. De toute façon, elle n'avait pas la force de faire quoi que ce soit.

Ses yeux fixaient le plafond, les souvenirs affluaient dans sa mémoire. Elle devait payer. Elle revoyait l'air sévère et triste de son correcteur. Elle entendait la voix monocorde de l'archange énonçant les faits et lisant la sentence qu'elle savait inévitable. Elle avait encore dans son âme, cette douleur intense, la première qu'elle ressentait depuis la fin de sa vie terrestre. Les ailes qui s'arrachent et tombent dans le vide. Les anges, ses frères d'hier, qui lui tournent le dos. La lumière qui l'enveloppe et lui crée un nouveau corps humain. Le froid qui la saisit tout de suite et cette peur dont elle sait qu'elle ne la quittera plus.

Il lui fallait réapprendre à dormir, manger, faire tous les actes répétitifs et désespérant d'un être humain.

« Si tu souhaites retrouver une place digne et une âme pure, tu devras prouver que tu peux aider, secourir et aimer les hommes. Oublie ton arrogance, ta fierté, ton aveuglement qui t'a perdue. Tu dois te racheter en étant altruiste, honnête et surtout obéissante. Porte la parole d'amour, fais la prospérer, donne lui l'éclat qui permettra à l'humanité de poursuivre sa route, pour qu'elle retrouve un jour, la paix. »

La morale, toujours la morale, son correcteur était un pensum. Il ne fallait voir qu'une tête, tous les anges identiques et aux ordres, elle détestait cela.

Une torpeur l'envahit, ainsi c'était ça le sommeil, elle ne s'en souvenait plus