Celui qui défia la Mort.

Chapitre Un : De la vie qui part.

Cela fait maintenant plusieurs mois que je me réveille tous les matins en pleurant. Je regarde furtivement le calendrier accroché au mur, représentant une petite plage ensoleillée. Et j'envie le couple de la photo, enlacé sur cette plage du bout du monde, seul mais pas solitaire, insensible au temps qui passe. Et à la vie qui part.

Elle me quittera bientôt.

¤

On ne peut pas dire que je n'y suis pas préparé. Depuis mes 5 ans, je connais la date de ma mort. C'est inscrit sur ma carte de Vie. Je suis un moins 30. Mais cette mort annoncée, au soir d'une si belle après-midi me remplit d'amertume.

C'était un après-midi de printemps, les rayons du soleil jouaient à travers les arbres de la résidence familiale, famille qui m'a quittée voilà plus de 10 ans. Ma mère m'avait vêtu de mes plus beaux vêtements. Je me devais en effet d'être très présentable lors de mon passage devant la grande prêtresse. C'est drôle, je ne me souviens plus de ces vêtements. Je sais qu'ils étaient mes préférés, et que j'avais longuement insisté pour mettre ceux-là, et non pas cet horrible costume vert que ma tante avait acheté pour l'occasion. Je me rappelle très bien de cet habit vert, mais plus moyen de me remémorer mon vêtement préféré.

Ma mère m'embrassa tendrement sur le front. Elle espérait tellement de cette cérémonie.

Elle m'imaginait en moins 50, fondant à mon tour une famille.

Le destin en a voulu autrement.

¤

Je me levais doucement. Encore une journée qui commence. Aucune perspective réjouissante n'est prévu aujourd'hui. Mais c'était déjà le cas hier. D'ailleurs, si j'assemble mes souvenirs, j'éprouve un certain mal à en retrouver d'agréables.

J'enfilais rapidement un vieux pull. On pouvait remarquer qu'il avait déjà bien vécu et qu'il était temps pour lui de finir la curieuse mais néanmoins passionnante vie de vêtement.

Mais je ne pouvais m'en séparer. Par habitude je pense.

Et il faut bien avouer qu'il me donnait un look d'enfer.

Je me préparais un café. Je le ratais à chaque fois, mais comme j'étais toujours le seul à en profiter, c'était sans importance.

Je le sirotais tout en parcourant du regard l'étiquette.

J'en arrivais rapidement à cette constatation : il n'y a rien d'intéressant à lire sur une boîte de café.

Ce café était vraiment mauvais. Rien à voir avec celui que préparait ma mère. Je divague. Ma mère n'a jamais fait de bon café. Elle essayait de se (nous ?) convaincre mais il ne fallait pas la contrarier. Offrir un café la rendait tellement heureuse…

¤

« Va avec les autres gamins » me murmura ma tendre mère. J'acquiesçai et couru vers l'attroupement.

J'avais rejoint le groupe d'enfants qui se rendait ce jour-là dans la tour de la Prêtresse de la vie. Nous étions si heureux. Quelle fête cela allait être le soir, quand nous retrouverions nos familles avec notre carte de Vie. La cérémonie de la Vie était le jour le plus important de notre existence. La grande Prêtresse, élu pour 5 ans au suffrage universel, nous apprenait la date de notre mort. Et avec cette date, elle définissait notre vie.

Avec le recul, je ne pense pas que cérémonie de la Vie soit le nom le plus pertinent que l'on puisse donner à cette mise à mort. Mais en ce jour de printemps, ce devait être une véritable fête. Le bâtiment où devait avoir lieu la cérémonie était une ancienne Université abandonnée. Sur l'entrée, nous pouvions lire la devise, inscrite sur une large plaque en bronze à peine vieillie par le temps. « Etudier pour vivre ». Témoignage d'un autre temps, temps où personne ne savait quand il allait mourir. Un temps dont les souvenirs s'effacent de nos mémoires, oubliés tel de vieilles légendes dont plus personne ne croit. Et c'était le cas. Seul quelques manuels d'histoire parlent encore de cette période. Les grandes découvertes, la Bombe A, l'atome, l'informatique, la colonisation de la mer, l'espace, le clonage et les famines, guerres et autre épidémie. Mais aucun manuel ne mentionne l'arrivée de la carte de Vie. Comme si tout un coup, comme par je ne sais quelle magie, cette carte avait pris place dans nos vies.

Cependant, ces idées étaient loin de moi lorsque je pénétrai dans le hall de l'ancienne Université et nouveau temple de la Vie. Le long couloir qui menait à la chambre de Cérémonie était large et éclairé. Diverses peintures, représentant les différentes étapes à franchir pour atteindre le savoir, recouvraient les murs. Elles me semblaient affreuses.

Nous étions debout, le long des murs, bavardant et riant. Nous imaginions la grande fête en notre honneur. Oui, ce devait être le plus beau jour de notre vie.