Chapitre Un : Une bête noire.
Ça arrivait toujours comme ça, comme une bête noire qui vous suit tout le temps, vous savez qu'elle vous suit, mais vous ne la regardez pas. Vous la laissez dans un coin de votre mémoire. Vous l'oubliez.
Alors forcément quand elle surgit à nouveau, se jetant dans votre dos pour vous mettre à terre... On se prend les pieds et, sous le poids inattendu, on tombe vraiment à terre.
Charles Xavier était à ce moment-là. Ce moment où il était à terre. Allongé mais incapable de dormir. Quand la bête noire s'était-elle jetée dans son dos déjà ? Ah oui, pendant les entraînements. Une journée d'entraînement était très dure : il fallait libérer l'esprit des autres, les pousser à repousser leurs limites, les pousser tout court dès fois, enchaîner les cas particuliers, de la libération de la force d'Hank au contrôle de celle d'Alex sans s'arrêter, toujours montrer de la bonne volonté, de l'abnégation...
C'était après un jogging forcé avec Hank. Il était essoufflé mais ravi du sourire de son apprenti. Il s'était tourné et avait vu Alex en train de l'appeler pour lui montrer ses résultats.
Là, la fatigue l'avait assailli. Il était descendu, avait admiré et encouragé, mais le coeur n'y était plus autant qu'avant. Il avait joué. Et puis, il avait prétexté une fatigue que tout le monde avait plus ou moins compris pour ne pas dîner le soir-même.
Mais voilà. Maintenant qu'il était allongé dans son lit, il n'avait plus sommeil. Plus du tout. Il fermait les yeux, mais rien à faire. Il n'avait pas envie de dormir. Ni même de rester allongé.
Il ne lui restait plus qu'à aller prendre quelques médicaments et espérer qu'ils marchent. Le jeune homme repoussa les draps de son lit, s'assit et prit un moment pour calmer le mal de tête qui commençait à arriver de toutes ses réflexions. Il passa une main dans ses cheveux, s'étira et se leva. Passant de la position allongée à la position debout, il jeta un autre regard circulaire à l'obscurité autour de lui.
Il se targuait d'une sorte de rationalisme mais il aimait se souvenir de ses peurs d'enfant, quand il croyait encore au monstre sous le lit et dans les coins d'ombre de la pièce. En vrai, pensa-t-il, les monstres ne sont que des projections de notre inconscient. Au lieu craindre notre propre part d'ombre, nous la donnons à des monstres.
Mais ce soir, pas de monstres pour lui. Juste son propre égoïsme. L'énervement. L'envie de tout envoyer valser. De tout foutre en l'air. Parce qu'on en a marre, tout simplement.
Ce genre de sensations lui arrivait des fois. Des pensées qu'il tentait de réprimer. Souvent, il menait un rude combat contre lui-même pendant une soirée entière, puis, il revenait. Il revenait et il était le bon, l'altruiste, le généreux Charles Xavier. A chaque fois, il se disait que ses crises n'étaient pas si graves.
Mais les vivre était différent.
Si ça ne tenait qu'à lui, il aurait abusé de ses pouvoirs, réveillé tout le monde, leur aurait dit tout ce qu'il pensait d'eux, leur aurait aussi dit des choses qu'il ne pensait pas. Il leur aurait révélé sa part d'ombre. Celle qu'il tentait lui-même d'oublier. Mais si pour lui, retenir était facile, oublier, c'était une autre paire de manches. On oublie jamais les monstres de son enfance. On fait semblant de ne plus les voir, c'est tout.
Charles se guida dans le noir. Il connaissait cette maison par coeur. Il lui suffisait de laisser courir ses doigts sur les murs et de descendre les escaliers jusqu'au salon, puis de se rendre à la cuisine.
Il la trouva allumée. Fronçant les sourcils, il se pencha d'abord légèrement sur le pas de la porte afin d'apercevoir la personne qui osait avoir la même idée et les mêmes insomnies que lui.
- Tu peux entrer, Charles, lui parvint la voix d'Erik.
Il la connaissait par coeur. Dure, mais plutôt profonde, presque posée, mais toujours avec cette pointe de froideur qui tremblait presque de la haine qu'il ressentait. Personne ne pouvait décortiquer cette voix parce que personne n'y prêtait vraiment attention. Nous étions tous victimes du manque d'attention des autres. De l'égoïsme qu'il ressentait.
En ce moment, il n'avait pas envie d'être avec quelqu'un. Il avait envie d'être seul, de broyer du noir, de crier, d'aller visiter les rêves des autres, les transformer en cauchemars si possible et aller mieux. Se coucher, dormir deux heures et reprendre sa vie habituelle. Jusqu'à ce que la bête se jette à nouveau sur lui. Et le manège recommencerait. Tant pis.
Mais il ne pouvait plus reculer. Il ne pouvait qu'avancer. Il fit un pas en avant, presque timidement et alla chercher quelque chose dans le frigo. Erik ne le lâcha pas des yeux :
- Je suis censé être celui qui est méfiant.
Charles ne savait pas si Erik avait remarqué, mais il était en train de serrer la mâchoire pour ne pas lui crier qu'il n'en avait rien à foutre, oui, à foutre, de qui était censé être qui et qu'il voulait juste la paix. Mais il savait que crier sur les gens sous prétexte de mauvaise humeur personnelle ne menait à rien. Surtout avec Erik. Erik était comme l'Himalaya. Grand, froid et presque inconquérable. Ce n'était pas en s'énervant sur lui qu'il y arriverait.
Encore son soucis des autres. Il avait envie de s'énerver, diable !
Alors il trouva un compromis et posa la bière qu'il avait pêchée dans le frigo un peu rudement sur la table. Juste assez doucement pour ne pas l'exploser. Erik ne dit plus rien et n'insista pas. Charles, satisfait du silence même s'il trouvait la présence de son ami gênante alla chercher de l'aspirine sur le buffet. Quand il se retourna, la capsule de sa bière était posée à côté de la bouteille, complètement tordue. Cette fois-ci, Charles sourit en regardant Erik.
- Tu crois que ces cachets vont marcher ? lui demanda sincèrement Erik comme si c'était lui qui allait les prendre.
Charles haussa les épaules. Il espérait. Il les bu avec la bière, alors qu'il savait bien que c'était nocif pour la santé. Il s'en fichait ce soir. S'il avait eu une occasion de foutre toute sa vie en l'air, il l'aurait fait. Mais Erik veillait.
Il prit une autre gorgée de bière quand il sentit les mains du manipulateur de métal sur ses épaules. Il la reposa tout de suite et lui demanda sans détour :
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Comme tu peux le sentir, Charles, je te masse, lui répondit calmement Erik.
Déjà, Erik n'était pas un grand tendre si en plus, il commençait à se soucier de son bien-être... Ça n'allait pas du tout.
- J'ai horreur des massages. Laisse tomber, Raven a déjà essayé bien des fois.
Erik ne le lâcha pas. Au contraire, il positionna ses mains plus près de son cou et installa ses deux pouces pile à l'endroit douloureux du haut de son dos. Bien vu. La première pression fut plutôt douloureuse mais fut vite rattrapée par le mouvement circulaire exécuté.
C'était vrai, Charles n'avait jamais aimé les massages. Il n'aimait pas l'idée que quelqu'un puisse vous détendre entièrement sans lui-même avoir quelque chose en retour. Il n'aimait pas qu'on le voit très détendu, complètement abandonné. Il avait atrocement peur de ce qu'il pourrait montrer aux autres. Des choses qu'il avait cachées, pour leur bien. Après tout, nous avons tous un inconscient rempli de choses très peu à même de plaire aux autres.
Charles ne se détendait pas quand on le massait, au contraire, il se tendait, ce qui rendait le massage encore plus douloureux. Au final, il n'avait jamais apprécié un massage et il n'en avait vraiment pas envie ce soir !
- Erik, je ne suis pas une pâte à pain ni une carcasse d'acier, arrête de me pétrir comme ça, fit Charles, légèrement excédé.
- Le contrôle du pouvoir est un juste milieu entre la rage et le calme, lui rappela Magneto. Je sens beaucoup de rage derrière ton calme apparent. Je ne crois pas que superposer les deux soit la solution, si ?
- Je n'ai pas besoin de leçon ce soir, j'ai besoin de calme.
- Ou de compréhension ? lui demanda sincèrement Erik.
- Il n'y a rien à comprendre, lui assura Charles.
Le jeune télépathe essaya de se lever. Il ne pouvait pas avoir la paix ici, il rentrerait dans sa chambre, lirait un vieux journal ou regarderait la télé dans le salon. Il devait bien y avoir un jeu débile ou des informations à cette heure-là.
Mais Erik avait autre chose en tête. Il avait toujours été très têtu.
- Il faut accepter sa part d'ombre pour être complet.
Charles soupira mais le manipuleur de métal ne retira pas ses mains, le forçant à se rasseoir.
- Assied-toi. Nous sommes seuls ici. Tu peux te laisser aller.
- Tu es là, lui fit justement remarquer Charles.
- Tu me fais dos, rétorqua Erik.
Charles comprit qu'il ne pouvait pas y échapper. Cela le mit d'une humeur encore plus exécrable qu'avant. Il se rassit, un coude sur la table, le menton dans le creux de sa paume tandis qu'Erik reprenait ses massages. Il commença, en silence, à triturer la peau au bas de sa nuque, entre ses épaules. Visiblement, il y avait du travail à faire car il y resta longtemps.
C'est pendant ces longues minutes que le «miracle» s'accomplit. Le télépathe se dit alors qu'un massage n'était quand même pas le diable. Si Raven n'y parvenait pas, peut-être était-ce lui qui montrait tellement de mauvaise volonté. Il se sentit se détendre légèrement. Déjà, ses paupières se faisaient un peu plus lourdes et ses épaules s'abaissaient. C'est là qu'Erik se remit à parler :
- Tu essayes de montrer aux autres ton bon côté. Celui qui t'avantage. Tu es gentil, intelligent, généreux, altruiste... Mais tu n'es pas que ça, n'est-ce pas ? Au fond de toi, ne maudis-tu pas les personnes que tu aimes car elles sont montrent égoïstes, bêtes, irrationnelles ? Et ne te maudis-tu pas toi-même pour avoir de telles pensées ?
Charles n'essaya même pas de répondre. Ce n'était que trop vrai. Erik était-il donc télépathe lui aussi ? Comment avait-il deviné ? Il se re-tendit un peu, ce que son ami remarqua aussitôt et il dirigea son attention vers le noeud qui venait de se former.
- Erik... Lis-tu dans mes pensées ? demanda Charles et il s'en voulut d'avoir soudainement une voix aussi faible, presque comme un murmure.
- Non, répondit le concerné très naturellement, c'est ce qui se passe aussi pour moi.
Cette réponse fit sourire Charles. Il n'était donc pas le seul. Le fait de ressembler un peu à Erik, d'une certaine manière, le rassurait. Au moins, il ne ressemblait pas à un psychopathe. Les mains d'Erik descendirent au niveau du bas des omoplates, se rejoignant à une première bosse de la colonne vertébrale. Charles grimaça un peu, mais ne dit rien. Il ne voulait pas faire part de ce qu'il pensait. Pas maintenant.
- Dans ces moments-là, on est juste fatigué d'être gentil et attentionné. On voudrait que, pour une fois, les autres viennent s'occuper de nous. Etre égoïste à notre tour, leur dévoiler notre part d'ombre comme une évidence, et qu'ils s'ne accommodent, qu'ils l'aiment malgré tout et qu'ils nous acceptent avec.
Charles sentit son coeur se serrer légèrement à l'entente de ces mots. Il disait vrai, bien sûr, mais l'accepter était beaucoup moins évident.
- Pourquoi tu me dis tout ça ? demanda simplement Charles.
- Parce que tu as besoin de l'entendre ? suggéra Erik.
Charles fit une pause avant de continuer :
- Enfin, je me suis jamais senti aussi bête de ma vie, fit-il en plaisantant. Je ne l'avais pas vu comme cela...
- Tu ne connais pas encore ta part d'ombre. Tu as peur d'y réfléchir. Tu préfères canaliser ton énergie vers le bon, le gentil Charles...
- Et que devrais-je faire ? Ce que j'ai envie de faire, comme ça, sur un coup de tête ?
- Pourquoi pas ?
- Génial, je vais donc envoyer des cauchemars à tout le manoir, farfouiller dans les souvenirs douloureux de la terre entière et les insulter s'ils protestent ? Ce serait ridicule.
Il sentit Erik sourire. Cela le fit sourire aussi. A un moment, il y avait vraiment pensé. La sensation du sourire d'Erik avait désamorcé sa colère. Il sentait déjà l'ancien Charles revenir, à sa grande joie. Il allait redevenir normal.
Les mains d'Erik s'attaquèrent au deuxième creux de la colonne vertébrale, juste au-dessus des reins. En temps normal, Charles aurait protesté, ce toucher à cet endroit précis était déplacé. Mais le télépathe n'y pensait pas vraiment. Partout où Erik le touchait avec ses mains expertes, il se sentait bien plus détendu. Il s'abandonnait doucement. Fermait les yeux. Sa respiration s'approfondissait lentement et chaque inspiration le détendait encore plus.
- Ou alors tu pourrais laisser quelqu'un d'autre s'occuper de toi, rien que pour quelques heures, suggéra Erik.
- Ça me semble en effet être une bonne idée.
Mais à ce moment-là, Charles ne comprenait pas exactement tous les sens de cette proposition. Erik sourit. Ça ne durerait pas.
