« En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre, en surface comme en profondeur. »

Gandhi

Poudlard, 7 ème année de magie.

Décembre. Les flocons tombaient, tourbillonnaient avec une grâce inouïe autour de l'imposant château de Poudlard. Le lac alentour était recouvert d'une épaisse couche de glace, craquelée ça et là. Certains élèves s'y risquaient même, retirant ensuite leur pied ou manquant de tomber, sous les moqueries de leurs camarades. Le sol était d'un blanc immaculé, portant la trace de plusieurs couches de neige. Les arbres, quant à eux, étaient dépouillés de leurs feuilles et recouverts de givre. Même le saule cogneur, d'ordinaire si imposant, paraissait presque inoffensif. Une sorte de nature morte. De la fenêtre de son dortoir, Hermione Granger contemplait ce spectacle. Pour elle, l'hiver était simplement la plus belle des saisons. Tout était comme figé, comme dans une trêve. La beauté était omniprésente. Malgré le froid qui perdurait, Hermione avait toujours trouvé que l'hiver était un mystère absolument fascinant. Impossible à percer. La jeune fille soupira, et entortilla l'un de ses longs cheveux châtains entre ses doigts. Cette année, elle n'aurait pas l'occasion de rentrer chez elle. Ni de revoir ses parents. Les vacances de Noël venaient tout juste de débuter, et beaucoup d'élèves étaient partis. Harry et Ron, ses meilleurs amis, étaient au Terrier. Les parents de Ron avaient lourdement insisté pour que Hermione se joigne à eux, mais celle-ci avait refusé catégoriquement, ne voulant ni s'imposer ni déranger. Comme à son habitude. D'ailleurs, celle-ci ne pouvait ni rentrer chez elle, ni aller au Terrier. Ni nulle part ailleurs. En effet, ses parents et ses professeurs craignaient que Bellatrix Lestrange ne remette la main sur elle.

Elle devait donc rester en sécurité, au château. Depuis son altercation avec la sorcière noire, Hermione était terrifiée. Elle refoulait chaque scène chaque fois que l'une d'elle lui revenait à l'esprit, mais elle savait que Bellatrix la rechercherait tôt ou tard, et qu'elle n'hésiterait pas à la tuer. Chaque coup d'œil au « sang de bourbe » gravé sur son bras, le moindre regard sur cette cicatrice la faisait tressaillir. Celle-ci persistait. Tous les remèdes magiques n'y pouvaient rien. Ce n'était pas faute d'avoir essayé, par tous les moyens possibles … Perdue dans ses pensées, Hermione se perdit également dans le paysage, se fondant presque parmi les flocons. Il n'était que vingt-et-une heures, mais la jeune fille se détacha à contrecœur de son observatoire et décida d'aller se coucher pour ne plus penser à ces événements regrettables. Elle mit beaucoup de temps à trouver le sommeil, dans ce dortoir devenu lugubre lorsqu'il était vide. Personne ne dormait à cette heure-ci …

Le lendemain matin, Hermione, cheveux en bataille et encore endormie, se dirigea machinalement vers la salle commune. Silhouette menue, yeux noisettes un peu gonflés par le manque de sommeil et habits simples l'accompagnèrent. Hors périodes scolaires, les élèves pouvaient en effet porter autre chose que leurs sempiternelles robes. Certains s'en donnaient alors à cœur joie, portant des tenues parfois vraiment extravagantes. La jeune fille, fatiguée, n'entendit même pas le bruit des pas vifs de Draco Malefoy. Il était arrivé, juste derrière elle. La voix de celui-ci se fit entendre, traînante et moqueuse. Tranchante. Habituellement tranchante.

- Alors, Granger, on traîne ? Tu dois t'ennuyer sans Potter et Weas-Laid dans les parages, non ?

Hermione se retourna vivement, faisant face au grand jeune homme blond à la peau très pâle et aux traits fins et inexpressifs. Elle lui répondit avec le ton agressif habituel qu'ils employaient pour entretenir une conversation presque routinière. Leurs rapports avaient toujours été conflictuels.

- La ferme, Malefoy ! Je vois que les deux crétins qui t'accompagnent à chaque pas que tu fais ne sont pas là non plus !

Ce dernier était effectivement seul. Crabbe et Goyle, ses deux acolytes, étaient à Sainte Mangouste à cause d'une intoxication aux chocogrenouilles. Leur appétit était démesuré, et ils ne réfléchissaient jamais beaucoup, se retrouvant ainsi dans des situations toutes plus risibles les unes que les autres. D'aussi loin qu' Hermione se souvienne, Draco lui avait toujours mené la vie dure. Elle était même sa cible favorite, sous prétexte qu'elle était une sang-de-bourbe, insulte qu'elle avait entendu de nombreuses fois de sa bouche. Cependant, depuis quelques temps, il semblait à la jeune fille que le Serpentard s'acharnait un peu trop. Il ne manquait pas une occasion de l'humilier, chaque fois qu'il l'apercevait. Hermione fit volte-face et continua sa course, satisfaite de sa réplique cinglante. Draco, vexé que celle-ci ne lui prête pas plus d'attention, la rattrapa et la toisa de haut en bas, avec une grimace de dégoût à peine dissimulé. Il ne trouva cependant rien à redire. D'un pas vif, il contourna la jeune fille avec soin et se dirigea vers sa destination. Hermione, habituée à ce traitement, leva les yeux au ciel puis fit abstraction de cet événement presque banal.

Une fois arrivée à la salle commune, Hermione prit place. La table des Gryffondor n'était même pas remplie de moitié. La jeune fille eut un bref pincement au cœur en constatant l'absence de tant de ses camarades, puis se reprit. Elle se servit un petit-déjeuner sans grande conviction. Son attention se porta immédiatement sur la gazette du sorcier, posée près d'elle sur la table. L'image animée l'attira d'emblée. Bellatrix. Un visage qu'elle ne pourrait jamais oublier, ricanant et brandissant avec triomphe une sorte de flasque. Dessous, il était inscrit en caractères gras : « La sorcière sévit à nouveau. Trois personnes, dénommées « sang-de-bourbe » tuées la nuit dernière. » Hermione jeta le journal à terre comme si elle avait été brûlée par les pages. Les quelques élèves qui se trouvaient à sa table la dévisagèrent quelques instants avec curiosité, avant de vaquer à nouveau à leurs occupations.

La jeune fille sentit une angoisse sourde monter en elle. Paniquée, elle tenta de penser à un événement heureux. N'importe lequel. De toutes ses forces. Elle réfléchit à toute vitesse. Sans grand succès. Tout ce qui lui venait à l'esprit, c'était le visage de Lestrange à quelques centimètres d'elle. Répugnante. Son visage respirant le triomphe. Sa baguette effleurant la peau d' Hermione, en guise de menace. La vision d' Hermione se brouilla, en même temps qu'elle songeait à l'horreur de la situation. Elle tenta tout de même de se reprendre, de se raisonner.

La vue de Malefoy, nonchalamment installé à la table des Serpentards, à l'autre bout de la salle, ne l'aidait en rien. En raison du nombre réduit d'élèves, celui-ci se trouvait dans son champ de vision. D'ailleurs, il la fixait. Semblable à une statue de cire. Inexpressif, à l' affût. Prêt à surgir à chaque instant. L'allure générale du jeune homme faisait souvent sensation, un grand nombre de filles auraient tout donné pour ne serait-ce qu'obtenir un regard de sa part. Ce n'était pas le cas d' Hermione. Celle-ci s'acharnait à lui trouver un nouveau défaut chaque fois qu'elle l'observait. Aujourd'hui, elle trouvait qu'il ressemblait à un cadavre. Ils restèrent ainsi. Se scrutant avec une attention démesurée. Avant de perdre connaissance, Hermione aperçut une lueur inconnue dans les yeux de Malefoy. Très légère. Moment rare.

La jeune fille tomba de sa chaise, tel un pantin désarticulé. Dans un premier temps, elle tenta de se relever, mais elle ne sentait plus son corps. Quant à son esprit, il voguait, à des kilomètres de là. Comme morte, sans vraiment l'être. Elle discernait simplement quelques silhouettes, percevait quelques cris. Une agitation qui ne la concernait pas, car elle était absente. Dépossédée de tous ses moyens. Puis, ce fut le trou noir.

Quelques heures plus tard, Hermione se réveilla. L'infirmerie. Des visages familiers et inquiets étaient penchés au dessus d'elle. Mme Pomfresh, le Professeur Mac Gonagall et Dumbledore. Ceux-ci semblaient converser à mi-voix. La jeune fille savait que tout le monde pensait qu'il lui restait des séquelles de sa mésaventure de cet été. Ce n'était en effet pas la première fois qu'elle se trouvait mal. Elle s'était aussi évanouie parfois, mais rarement si longtemps. Les professeurs soupirèrent de soulagement en voyant la jeune fille s'éveiller doucement. Dumbledore prit la parole.

- Bien ! Vous devriez …

Mme Pomfresh le devança en le coupant, estimant que sa parole était tout aussi importante que celle du Directeur.

- Tu nous as fait peur, une fois de plus. Fais attention à toi la prochaine fois ! Gronda t-elle gentiment.

L'intéressée se redressa dans le lit et hocha docilement la tête. Il fallait leur donner ce qu'ils attendaient, pour qu'elle puisse partir. L'infirmerie n'était pas un lieu qu'elle affectionnait particulièrement, pour l'avoir côtoyé à de nombreuses reprises … Elle savait pertinemment que tant que Bellatrix ne serait pas de retour à la prison d' Azkaban, ces malaises se reproduiraient. N'importe où. N'importe quand. Il suffirait simplement d'un cauchemar, ou d'une réminiscence. Hermione avait conscience d'avoir des fragilités, mais elle souhaitait s'en sortir seule.

« J'aurais du apprendre l' occlumancie avec Harry, comme il me l'avait conseillé … Je suis sûre que ce monstre s'immisce dans mon esprit, avec l'aide de son cher Maître … » songea Hermione avec amertume.

- Miss Granger, fit Mac Gonagall de sa voix habituellement pincée. Veuillez être plus prudente. Vous êtes trop fragile. Endurcissez vous, et surtout, faites de l' occlumancie avec le professeur Rogue ! Je sais que vous ne l'appréciez pas particulièrement, mais c'est essentiel.

Le professeur marqua une pause, paraissant choisir ses mots avec soin.

- Dites vous que rien ne peut vous arriver tant que vous vous trouverez ici, dans l'enceinte de ce château.

Face à son professeur, la jeune fille ne se démonta pas.

- Professeur, je sais ce que vous pensez, mais je suis très forte. Plus que ce que vous ne pouvez l'imaginer … Cela ne se reproduira plus, je vous le promets. Est-ce que je peux partir, à présent ? S'enquit Hermione.

Les professeurs échangèrent un bref regard, puis Dumbledore soupira :

- Bien sûr, Miss …

Ils étaient à présent habitués aux malaises de la jeune fille mais ne pouvaient s'empêcher d'avoir peur pour elle, à la manière d'une famille. Mais ils n'avaient pas le choix, ils devaient la laisser vivre normalement. Au risque qu'elle prenne peur et ne puisse plus suivre correctement sa scolarité et ses activités.

La jeune sorcière ne se fit pas prier. Elle se sentait mieux, malgré la tête qui lui tournait encore un peu. Au moins, les incessantes images de Bellatrix dans son esprit s'étaient quelque peu atténuées. Sans ses amis, les choses étaient beaucoup plus compliquées … Si Harry, Ron et les autres avaient été là, elle aurait au moins pu ne pas avoir le loisir de penser. La jeune fille rassembla ses quelques affaires et partit dans l'instant, en remerciant brièvement ses professeurs et Madame Pomfresh.

Elle avait juste besoin de s'aérer. Elle se dirigea donc vers le parc, qu'elle trouvait toujours aussi sublime. En faisant quelques pas dans la neige, la jeune fille se sentit apaisée. A chaque foulée, elle se sentait plus légère. De plus, un exemplaire de son livre fétiche était sagement rangé dans son sac fourre-tout, et elle avait très envie de le relire pour la énième fois. Elle décida donc de se rendre vers le banc où elle avait l'habitude d'aller dès qu'elle était en quête de paix intérieure. Un sourire se dessina même sur ses lèvres. Elle était heureuse d'avoir pu se rétablir un peu. Une fois rendue sur place, Hermione eut la surprise de trouver la personne qu'elle avait le moins envie de voir, et le sourire qui s'était installé s'effaça aussitôt. Draco Malefoy.