Accord tacite
Silencieuse, Levy attendait, assise en tailleur sur le lit qui, pour une fois, n'était pas encombré de livres. Silence angoissant, oppressant, qu'elle prenait soin de garder malgré tout. L'attente, interminable, étirait chaque minute jusqu'à ce qu'elle devienne des heures. Par-delà les murs, elle décelait la rumeur familière de la ville. Par la fenêtre, elle distinguait la guilde. Elle n'avait pas besoin de s'y trouver pour imaginer clairement l'ambiance dégénérée, là-bas; le boucan infernal et pourtant si réjouissant des lieux, les bagarres, l'entrain que chacun mettait à accomplir ses missions.
Aujourd'hui, elle ne participerait pas aux perpétuelles festivités.
Aujourd'hui, il rentrait.
Elle se souvenait encore de son imposante silhouette dans l'encadrement de la porte. C'était une aube brumeuse qui l'avait laissée inquiète et incertaine. La guilde, étrangement calme, désertée en cette heure inconvenante par tous ses autres membres, lui avait paru terne et froide. Une seule chandelle allumée dégageait une lueur fragile, vivotant dans le silence et la pénombre. Assise sur une table, Levy avait lancé un regard empreint d'espoir, les questions muettes dansant dans ses prunelles. Puis-je t'aider ? T'accompagner ?
Gajeel avait posé sur elle son regard de braise, avait soupiré. Secoué la tête. De quelques longues enjambées, il l'avait rejointe. D'un sourire en coin, il lui avait insufflé sa moquerie. Tu t'inquiètes, Crevette ? Elle se souvenait parfaitement avoir froncé les sourcils, esquissé une moue boudeuse. Elle ne pouvait pas lui faire part de ses inquiétudes, elle ne pouvait pas lui souffler combien elle avait peur pour lui. Ce serait comme s'attaquer à son âme solitaire, tromper la confiance qu'il avait en elle, douter de sa force. Elle n'avait pas le droit de faire ça, pas le droit de prononcer le moindre mot là-dessus. C'était la règle. Il lui avait alors tout simplement donné les clés de son appartement, ébouriffé les cheveux de sa rudesse habituelle.
— À dans trois semaines, avait-il maugréé en se détournant.
Elle avait acquiescé, sans un mot, un sourire sur ses lèvres.
Aujourd'hui, il rentrait.
Les trois semaines s'étaient écoulées avec une paresse poisseuse, comme chaque fois qu'il n'était pas là. Elle avait effectué deux missions avec Jett et Droy, s'était laissée porter par la joie de Fairy Tail, avait savouré chaque instant avec ses compagnons. Comme si de rien n'était. La règle du silence ne s'appliquait pas seulement leurs échanges, mais s'étendait à toute leur relation, son fondement même. Toujours faire comme si de rien n'était, toujours se dissimuler aux yeux des autres, toujours agir comme de bons amis. Ne se départir des apparences que dans leurs instants d'intimités, par leurs gestes, leurs regards et leurs souffles. C'était ainsi qu'ils savouraient le mieux le contraste qui les habitait, cette tendresse rude et cette admiration sans faille, cet air revêche et cette joie de vivre, cette carrure puissante et le corps délicat.
Levy ne l'avait jamais imaginé ainsi, mais elle en était satisfaite. Son attention lui suffisait, sa présence remplissait son existence, comblant la moindre faille, la moindre faiblesse. Les sentiments n'avaient pas besoin d'être prononcés pour être ressentis.
La porte s'ouvrit, grinça. Levy se détourna de la fenêtre pour porter son regard sur le nouvel arrivant. Un large sourire éclaira son visage aux traits fins, encore juvéniles. Un signe de bienvenue, une joie non feinte de le retrouver, sain et sauf. Elle n'esquissa aucun geste pour le rejoindre, patiente et désireuse de respecter son caractère bougon. Il posa son sac dans un coin de la pièce, referma la porte. Une fois encore, il parcourut l'espace qui les séparait d'une enjambée ou deux. Une fois encore, il lui ébouriffa ses cheveux bleus, déjà hirsutes pourtant. Sa main se posa sur sa taille si fine tandis qu'il se penchait sur elle. Leurs souffles se mêlèrent tandis que leurs lèvres se rapprochaient, lentement, pour mieux se rencontrer. D'abord avec tendresse, puis avec une avidité sauvage; lui par sa force et sa rudesse, elle par son impérieux désir d'être à la hauteur, d'afficher dans chacune de leurs étreintes son caractère entier, sans la moindre omission. Car si elle dévoilait un corps fragile, elle se forgeait chaque jour un tempérament d'acier pour rivaliser avec celui de son amant, pour, dans un étrange esprit de contradiction, lui imposer sa douceur.
Tu m'as manqué.
Mais pas besoin de mots pour l'exprimer.
