Un petit one-shot histoire de ne pas perdre la main. C'est pas parce qu'on a migré en Belgique qu'il faut désespérer... Il fait soleil pour le moment.
Cette histoire est vaguement tirée de faits réels et vécus. Les choses ne sont heureusement pas allées aussi loin, mais des fois je me demande ''et si ?''. Je sais que ça ne sert à rien de ressasser le passé mais on peut en tirer des leçons.
Bonne lecture.
Ca y était. Un connard l'avait fait. Luka n'y avait pourtant jamais cru. Tous ces articles dans les journaux, ces posts sur les forums, ces témoignages à la télé qui parlaient d'agressions caractérisées.
Tout ça lui été complètement passé au dessus de la tête. Et maintenant, Miku pleurait.
Luka voulait tendre la main vers la joue de son aimée. Sécher ses larmes qui lui brouillaient sûrement la vue. Lui dire que tout allait bien se passer. Mais elle ne pouvait rien faire. Elle n'était même plus sûre de sentir ses membres.
Il n'y avait qu'une douleur sourde qui venait de partout et de nulle part à la fois. Tout son corps n'était plus que pulsation de la vie qui s'échappe douloureusement.
Ils avaient été nombreux. Trop pour qu'elles espèrent même s'enfuir.
Au début, Luka avait pensé qu'en les ignorant, ils partiraient d'eux-mêmes. Elle avait bien senti la main de Miku se resserrer sur la sienne, avait bien vu la demande muette de cette dernière de partir d'ici au plus vite.
Elle n'avait pas voulu donner satisfaction à la bande de louveteaux urbains qui les avait prises en chasse.
Un hoquet s'échappa douloureusement de sa gorge. Et sa main qui refusait toujours d'aller cueillir les larmes de Miku au dessus de son visage…
C'était étrange. Ce quartier n'était pourtant pas classé comme ''à risques''. Le prédateur nous tombe toujours dessus lorsqu'on s'y attend le moins.
Non.
Ils ne méritaient même pas l'appellation de ''prédateurs''. Ces derniers ne tuent pas pour le plaisir. Ils ne rient pas en poignardant leurs proies. Ils ne la laissent pas agoniser pendant de longues minutes, le dos contre le bitume froid et le regard tourné vers le ciel.
C'étaient des monstres. Tout simplement. Le genre que les enfants ont peur de retrouver sous leur lit ou dans leur placard la nuit. Le genre de créature que Luka avait appris à ne plus redouter, forte de ses vingt et un ans et de son esprit rationnel.
Miku le lui avait bien dit par contre. Ce n'est pas parce que tu ne les vois pas qu'ils ne sont pas là. Tapis dans le noir, près à frapper de la façon la plus lâche qui soit. A coups de moqueries en premier, puis d'insultes.
Miku avait accéléré le pas à partir de ce moment, entraînant Luka avec elle. Autour d'elles, personne n'avait réagit. Absolument personne. Et puis quand la bande avait commencé à hurler derrière elles, quelques uns s'étaient joints à eux, tandis que d'autres prenaient difficilement la défense du couple. Le reste vaquait. Triste troupeau blasé de la violence environnante.
Luka n'avait pas paniqué, persuadée qu'ils ne feraient rien au milieu de tout ce monde.
En voyant que les moqueries et la provocation ne suffisaient pas, la bande était passée au niveau supérieur : la traque.
Elles avaient entendu les bruits de pas derrière elles. Luka avait tout juste eu le temps de pousser Miku sur le côté avant d'être victime du final.
La mise à mort.
Pas de coups, pas d'intimidation. Juste des griffes de métal qui avaient jaillies de poings serrés et de poches de jeans troués. Luka ne savait pas combien de temps avait duré le massacre – car c'était bien ce que c'était, un massacre.
Elle était tombée à terre, incapable de tenir plus longtemps sur ses jambes, et de ''monstres'' ils étaient passé à ''charognards''. Quoi d'autre que des vautours ou des hyènes pouvait bien s'acharner de cette façon sur un corps détruit ? Il avait plu des coups. Sur ses jambes, sur son ventre, sur sa tête. Elle avait senti craquer plusieurs os.
Elle ne sentait à présent presque plus rien.
C'était un lion. Un grand lion à la crinière mauve qui les avait effarouchés. Ils étaient partis en criant et en rigolant, fiers face au corps brisé à terre, peureux face à l'immense silhouette capable de se défendre. De les défendre, Miku et elle.
Miku l'avait rejointe, s'était jetée à genoux près d'elle en hurlant.
Luka l'entendait. Quelque part, Miku hurlait son prénom. Quelque part, Miku pleurait. Quelque part, une bande de jeunes louveteaux urbains hurlaient le succès de leur chasse… Près d'elle, les gens commençaient à réagir. Beaucoup accélérèrent l'allure pour s'éloigner. D'autres se resserraient autour d'elle.
Luka voyait vaguement leurs silhouettes aux frontières de son champ de vision.
Elle y voyait flou. Un drôle de filtre rouge semblait s'être posé sur ses yeux.
La douleur était telle qu'elle n'en criait même pas. Trop aigue, trop vive pour être correctement analysée par son cerveau qui lui ordonnait de sombrer dans l'inconscience afin d'échapper à cette sensation qui pulsait au creux de ses côtes.
Elle ne pouvait, ne devait pas fermer les yeux trop longtemps. De crainte de ne plus se réveiller.
Miku criait toujours, le visage dégoulinant de larmes. Luka trouvait étrange que l'eau sur les joues de sa petite amie n'ait pas encore gelée. Avec le froid qu'il faisait.
Elle avait pourtant souvenir de n'être qu'en automne. Mais elle avait tellement froid.
Elle avait la sensation que son sang ralentissait dans ses veines.
Le lion à la crinière mauve s'approcha à son tour, un téléphone contre l'oreille. Il parlait. Luka n'entendait pas. Elle n'entendait plus. Miku sanglotait en silence à présent. Il posa le portable près de lui et commença à appuyer sur l'épaule de Luka. Ca lui faisait mal. Affreusement mal.
Miku était pâle près de lui. Trop au goût de Luka.
Alors c'était comme ça ? Elle allait mourir là, allongée sur le bitume qui lui gelait les os ? Quitte à mourir aussi jeune elle aurait préféré être seule avec Miku et que ce soit moins violent.
Et mourir pour quoi en plus ? Pour le bon vouloir de quelques connards qui avaient décidé de qui devait vivre et qui devait mourir.
Même si elle s'était douté qu'elles n'avaient pas choisi la voie de la facilité en répondant mutuellement à leurs sentiments, jamais Luka n'aurait cru que ça irait jusqu'au meurtre sauvage au milieu de la rue.
Et pourtant…
Elles n'avaient rencontré aucun problème en l'annonçant à leurs parents ou à leurs amis. Il y avait bien quelques blagues de mauvais goût qui circulaient sur leur compte, mais elles s'en moquaient éperdument.
Apparemment, le bonheur ne durait jamais très longtemps.
On lui avait pourtant dit que ce serait dur, qu'il y avait les regards, les remarques, ce rejet implicite venant souvent des proches. Un véritable enfer à vivre sûrement. Elles n'avaient rien eu de tel à subir. Pas de leurs proches en tous cas.
Et pendant que la vie la quittait par une multitude de plaies, que le bitume se faisait plus froid sous son corps, Luka eut une pensée avant de perdre toute lucidité. Une phrase qui lui vint et qu'elle avait déjà entendue en pensant que ça ne valait rien. En pensant que chacun était maître de sa destinée et faisait de sa vie ce qu'il en voulait.
Avant que le peu d'esprit qu'il lui restait ne se tourne vers Miku, elle songea que rien n'était pourtant plus vrai.
L'enfer, c'est les autres.
