Histoire : Page de Csjethe
Cela faisait déjà quelques années que les religions nordiques s'étaient fait une petite place en Hongrie. Progressivement bannit de part la religion romaine (chrétien), les divinités anciennes avaient reculées vers le centre des terres, et leurs prêtres se retrouvaient trop souvent liés au silence. Plus le temps passait, et plus leurs histoires devenaient méconnues. En Hongrie, un mixte religieux faisait rage : si les chrétiens voulaient de la place, ils devraient jouer de ruse car les églises dévouées à Freyja, à Odin, à Thor ou à d'autres divinités provenant d'autres régions s'étaient implantées profondément dans les racines hongroises.
Freyja était la déesse de l'amour, de la guerre, des prophéties et de l'attirance entre deux personnes. Lors de la mort d'un guerrier, si ce dernier était mort en ayant vécu pour la guerre et pour les batailles, son âme, ou Einherjar, allaient à Odin. S'il mourrait à la guerre pour défendre sa famille et ses amis, alors il allait dans les bras de Freyja.
Quelques familles nordiques immigrèrent vers le sud, certaines par curiosité, mais en grande partie à cause des chrétiens qui envahissaient lentement mais sûrement leurs terres. De grandes batailles sanglantes eurent lieux de par cette cause, et nombreuses furent les familles éparpillés entre Jéhovah et leurs vieilles divinités. Ce fut ainsi que les légendes, us et coutumes nordiques prirent place en Hongrie.
Notre histoire se situe dans les temps médiévaux, alors que la féerie, pourchassée par le christianisme, se réfugiait soit vers l'île d'Avalon, soit vers l'Ouest, où les gens semblaient avoir l'esprit un peu plus ouvert.
À Csjethe, tandis que la neige tentait de cacher le paysage morbide entourant le village hongrois, l'auberge ronronnait des rumeurs des rares voyageurs ou de quelques paysans moins superstitieux ou peureux que d'autres. La plupart des fermiers étaient habillés du traditionnel pantalon de cuir haut, et de la chemise beige un peu trop grande. À leur taille, des ceintures de tissus coloré pendaient jusqu'à la mi-cuisse, et à leur cou régnais ou bien la croix chrétienne, ou encore le symbole de Freyja, car une église lui était destinée dans le village.
Les chandelles éclairaient faiblement l'intérieur de la bâtisse et une légère odeur de bois moisit s'élevait dans la pénombre, sans doute le lot d'un plancher qui dut trop souvent absorber la bière renversée… Au comptoir, l'aubergiste parlait avec un ivrogne à demi-couché qui levait sa chope en réclamant une autre bière. Les paroles à peine logiques du pauvre bougre ne pouvaient cependant enterrer la voix qui résonnait dans la bâtisse.
Dans un coin reculé de l'auberge, Catharym chantait avec la profondeur et l'énergie connue des hongrois. Ses notes montaient et descendaient à volonté tandis que ses doigts agiles couraient sur son luth d'occasion. Derrière l'instrument à corde, un ventre en forme de pleine lune semblait vibrer au son de la musique. Catharym attendait son premier né, et la date d'accouchement approchait à grand pas. Souvent, à la fin des soirées, ses jambes et chevilles enflaient et devenaient de plus en plus douloureuses, mais la barde ne pouvait s'arrêter de pratiquer son métier pour des raisons financières. Elle devait avoir au moins un petit coussins pour l'enfant, et payer Agoston, celui qui se disait son garde du corps, afin de pouvoir se défendre lorsque les situations tournaient au vinaigre. Seulement, à ce moment, le « garde du corps » était à demi-couché sur le comptoir et réclamait une autre bière à l'aubergiste…
Très jolie, Catharym était la barde par excellence, avec ses vêtements colorés et ses long cheveux bruns, tous coiffés en de minuscules tresses qui lui descendaient en bas du dos. Ses yeux gris avaient le pouvoir de captiver n'importe quel homme, même avec son ventre de mère, et elle savait qu'un sourire au bon moment, un regard un peu penché ou un trémolo dans la voix lors d'un certain passage d'une chanson particulière, pouvait faire monter ses pourboires de façon drastiques.
Catharym avait rencontré Agoston à Györ. Agoston était le frère du père de son enfant à naître, Adjoran. Charpentier très influent dans le village, plutôt bel homme et très calme de nature, la barde s'était éprise d'Adjoran pendant une nuit, mais une seule. Lorsqu'elle s'était ensuite aperçut des nausées matinales et qu'elle ne saignait plus une fois par mois, elle était retournée vers Adjoran et lui avait demandé de prendre l'enfant avec lui afin de lui garantir un minimum de stabilité mais à sa grande surprise, le charpentier avait refusé. Agoston, qui avait un peu plus le sens de l'honneur, avait offert à Catharym de l'accompagner dans ses voyages et de lui servir de garde du corps afin d'effacer le comportement immature de son frère pourtant plus vieux. Bien sûre, Catharym avait acceptée. Voyager seule était une chose, mais avec un enfant…
Agoston lui-même pouvait être plaisant à regarder lorsqu'il s'y mettait. Mais en général, sa barbe un peu longue et rousse démontrait qu'il se négligeait quelque peu. Son armure de cuir contrastait drôlement avec les paysans présents dans l'auberge, et le fait qu'il porte une épée sur lui montrait clairement qu'il valait mieux de ne pas le déranger. Lorsqu'il était sobre, ses yeux verts pétillaient d'une grande bonté et d'un honneur grandiose. Seulement lorsqu'il était sobre, cependant…
Depuis plusieurs mois, ils voyageaient donc ensemble contre les vents hongrois qui devenaient cruellement froids. L'enfant était prévu pour les grandes neiges du nouvel an. Tout semblait indiquer en ce sens selon les sages-femmes et les sorcières que Catharym avait rencontrées. Et toutes s'entendaient sur un point : cet enfant ne serait pas normal. Déjà, elles pouvaient sentir l'influence sur la magie environnante qu'avait l'enfant : ce ne serait pas n'importe qui…
Catharym repensait à toutes ces prédictions en chantant une dernières balade à l'auberge. Son public proche était littéralement absorber par sa voix hors du commun et son maniement habile de son instrument à corde lorsque la barde sentit tout à coup un liquide couler le long de sa cuisse cachée par sa jupe. Elle arrêta sa mélodie et eût une mimique incertaine en penchant la tête vers le sol : elle crevait ses eaux…Puis, plus rapidement qu'elle ne l'aurait crut, une première contraction se fit atrocement sentir. Catharym crispa une main sur le dossier d'une chaise non loin et chercha son souffle avec peine. Quelques visages curieux contemplaient la scène dont la barde était la seule actrice. La jeune femme sembla paniquer sur le coup, mais garda son sang froid après un effort surhumain.
- Agoston ? appela-t-elle d'une voix contenue.
Son compagnon de route tenait encore une cruche à demi-pleine d'alcool forte tandis qu'une larme de salive se frayait un passage de sa bouche entre-ouverte jusque sur le comptoir de bois. Catharym souffla un peu et n'eût que le temps de ranger son luth dans son sac sans fond avant qu'une autre contraction, cette fois plus persuasive, lui fasse crier :
- AGOSTON !!!
Le concerné leva finalement la tête et fixa un point devant lui. Il se tourna ensuite mollement vers la femme, l'air ennuyé :
- Qu'est-ce t'as à brailler toi encore ?
- Le bébé arrive, et il arrive vite !
- Ben dis-lui d'attendre, merde ! Si tu cèdes à ses caprices déjà, t'as pas finis ma vielle !
Sur ce, il laissa son front tomber durement sur le bois, saoul mort. Habituée à son comportement plutôt bizarre, Catharym tourna un regard implorant vers la clientèle de l'auberge, mais ceux qui n'étaient pas sortit se levaient ou regardaient le plancher avec une certaine fascination. La jeune femme jura entre ses dents et opta pour l'aubergiste ; elle se rendit au comptoir, une main sur son ventre et transpirant légèrement.
- Monsieur, s'il vous plaît…
- Dégage putain. Dit-il d'un ton agressif en nettoyant une chope.
- Mais monsieur ! Je suis entrain d'accoucher dans votre auberge !
- Ouais, et j'espère bien que tu vas me rembourser les draps que tu vas me salir !
Voyant qu'elle allait insister, il rajouta :
- Ici, c'est un lieu public. Si tu veux la charité, va voir un prêtre, la barde !
Catharym jeta un regard autour d'elle, espérant y trouver un peu d'indignation ou de compassion, mais le plancher devait vraiment avoir un « je ne sais quoi » de très intéressant ce soir là. S'armant de courage, la barde sortit de peine et de misère de l'auberge en maudissant intérieurement l'égoïsme des « mâles ». Agrippée à l'espoir de trouver un peu d'aide à l'église, elle mit une devant l'autre ses jambes engourdies par la douleur. Par chance, l'église n'était pas si loin que ça… Mais les contractions se resserraient dans le temps. La femme paniqua encore lorsque l'image d'un nouveau-né bleuit par le froid lui vint à l'esprit : s'il fallait qu'elle n'atteigne pas la bâtisse salutaire à temps…
Subjuguée par la douleur, elle hurla sa détresse, priant la première entité qui passerait par là de lui venir en aide. Peut-être fut-elle entendue, car le prêtre qui était de veille ce soir-là s'adonnait justement à sortir pour une raison obscure. Malgré un visage plutôt jeune, ses cheveux étaient déjà gris et réunis en queue basse, et sa soutane bleue démontrait qu'il était sans doute loin de l'église chrétienne.
Lorsqu'il la vit, pliée en deux et le bas de la robe trempée, Déros sût que son temps de veille serait tout, sauf calme. Catharym implora :
- Mon père, je vous en conjure, aidez-moi ! Je suis entrain d'accoucher…
- Ma pauvre enfant ! Laissez-moi vous portez assistance…
L'homme d'âge mure aida la jeune femme à entrer dans le lieu bénit à grande peine et voulût convoquer quelques sage-femmes, mais Catharym ne put se rendre plus loin que devant l'autel, non-seulement incapable de marcher mais sentant son ventre descendre anormalement vite. Elle s'effondra devant le socle d'un dieu qu'elle ne reconnut d'abord que comme étant germanique, mais alors que le prêtre lui tenait la main, elle reconnut Freyja, la déesse de la fertilité. Catharym pria en se crispant sous une autre contraction.
Quelques minutes plus tard, 2 sage-femmes, également de bleue vêtue, arrivèrent en hâte et se penchèrent sur la jeune femme qui semblait prise d'une sorte de crise divine : elle priait à haute voix, de plus en plus fort Freyja de veiller, veiller et encore veiller. Le travail ne fût guère long mais très ardu. Aussi les servantes craignirent-elles de perdre l'enfant, mais après une heure de poussés et de cris, une petite fille naquit, criant à plein poumons son indignation d'être séparée du ventre sécurisant de sa mère. Lorsque Catharym eût l'enfant sur son ventre, elle ne put retenir un sourire et quelques larmes.
- Vous avez choisit son nom ? demanda Déros.
- Freyja-Page de Csjethe, mon père. En l'honneur de celle qui vous mena à moi.
Déros approuva d'un signe de tête tandis que les sages-femmes s'affairaient à amener la mère et l'enfant dans une petite cellule pour le reste de la nuit. Il s'adonna ensuite à regarder par la fenêtre : la neige ne tombait plus…
Le lendemain matin, tandis qu'elle allaitait la petite, Catharym eût la surprise de voir la tête d'Agoston passer par l'ouverture de la porte. Le jeune homme demanda d'une voix désolée :
- Salut Catharym… Je peux entrer ?
- Oui, bien sûre ! Assieds-toi, Page a presque terminée.
Le guerrier s'exécuta. Catharym reconnue les yeux rouges et le teint pâle qui indiquaient que le lendemain de veille était dur pour son compagnon, et en fut presque désolée pour lui, mais ne put s'empêcher d'avoir un sourire en coin :
- Alors, cette soirée valait la peine de tes maux présents ?
- Huh… Non… je voulais m'excuser pour mon comportement.
- Ni toi ni moi ne savions que j'allais mettre la petite au monde hier soir, Agoston. Freyja en a décidé ainsi.
- On m'a raconté toute la peine que tu as eu… J'aurais dû être là.
- Mais tu n'y étais pas, et tu n'es pas attaché à moi par une quelconque promesse ou un banal serment. Tu es ici parce que tu le veux bien ; tu n'es pas obligé à moi. C'est sans rancune. Allez !
Catharym enveloppa l'enfant dans un drap et la lui tendit :
- Prends ta nièce. Agoston de Györ, je te présente Freyja-Page de Csjethe !
- Freyja-Page… répéta-t-il en la prenant dans ses bras. Dis donc, elle a l'air plutôt tranquille : pas un son !
- Oh ça ! C'est que tu ne l'as pas entendus cette nuit mon cher !
- Mais Freyja-Page.. Avec les chrétiens qui prennent de plus en plus de place, ça ne t'effraye pas de la nommer comme la déesse ?
- Non. En fait, elle sera prénommée Page, tout simplement, sauf lors de grands évènements. Plus tard, elle décidera elle-même de son nom. Pendant que j'y pense, j'ai songé cette nuit que nous devrions rester à Csjethe pendant un an ou deux.
- Ah ? Et pourquoi donc ?
- Et bien Page vient d'arriver, le froid ne se tassera pas avant un bon moment, et puis pour un bébé naissant, les coups des voyages peuvent être mortels. Donc, je pensais offrir mes services à l'entretien de l'église en échange d'un gîte et repas. Qu'en penses-tu ?
- Ce n'est pas une mauvaise idée. Tu crois pouvoir tenir en place pendant un an ?
- Pour ma fille ? Sans hésiter.
Agoston approuva d'un signe de tête et regarda la petite Page qui s'était profondément endormie au creux de ses bras. Une part de son sang coulait dans ses veines, et le guerrier en ressentit une certaine fierté.
L'année passa rapidement, et chaque jour qui la composait semblait remplie d'une nouvelle aventure avec la petite Page. Elle apprit à marcher vers ses 8 mois, et prononça ses premiers mots tout de suite après. Sa mère jubilait : les enfants à ce point éveillés étaient rares. Mais ce qui fit encore plus la fierté de Catharym fut sans doute de voir des objets qui volaient seuls près du berceau, ou encore des lumière dansantes dans la nuit lorsque sa progéniture ne pouvait trouver le sommeil. Que la petite soit mage, barde, prêtresse ou n'importe quoi qui se rattache de près ou de loin à la Magie, elle contrôlerait un jour à la perfection l'énergie invisible. Catharym le savait dans son cœur de mère.
Déros aussi en éprouva une certaine satisfaction ; si la petite était marquée de la main de Freyja, peut-être une nouvelle prêtresse verrait-elle le jour dans la lumière de cette enfant qui naquit devant son autel… Mais même si ce n'était pas le cas, elle porterait tout de même la marque de Freyja sur son épaule, à la demande de la mère. La petite fleur bleue lui fut attribuée afin de démontrer qu'elle appartenait à la naissance à la déesse.
Quant à Agoston, il s'attacha à Page peut-être un peu plus qu'un oncle ne le devrait ; elle était son orgueil, et aucune nuit ne passait sans qu'il ne se rende à ses côtés afin de prendre soin d'elle. Il jouait avec la petite comme si elle fût sa propre fille, et écrivit à Adjoran :
« … Ta fille est d'une splendeur inégalée, mon cher frère ; elle a tes cheveux et ton nez, mais le reste appartient bel et bien à sa mère ! Les mêmes yeux d'un gris profond, grave et pure que Catharym. Ses premiers mots furent : épée et maman, et chaque jour, elle en apprend de nouveaux. Elle ne cesse de nous étonner ! Une flamme d'intelligence propre à notre famille brille en elle, Adjoran, et tu ne pourra pas nier encore longtemps que le sang de Györ coule dans ses veines. Pourquoi ne pas venir la voir, ne serait-ce que quelques jours ? Ton secret n'en serait pas moins gardé… »
Mais à cette missive, jamais le charpentier ne répondit, préférant le silence.
Catharym ne s'en formalisa pas et préféra esquisser un haussement d'épaule face à cette situation : les bardes n'étaient pas très bien vue, et elle aurait dût se douter qu'Adjoran aurait honte de sa fille, même s'il fallait qu'elle devienne un jour l'Impératrice de Hongrie. Le problème serait sans doute le jour où Page demanderait à connaître son père, mais encore, ce n'était le problème de la barde. Et ce jour était encore bien loin.
Leur vie allait de bon train : même si Catharym rongeait le bas des murs de par la stabilité ennuyante qui l'entourait, elle s'était attaché à Déros et aux sage-femmes qu'elle côtoyait régulièrement. Csjethe n'était pas aussi sombre que la première impression voulait le faire croire. Les petits-gens pouvaient même être sociaux lorsqu'on les prenaient avec des douceurs.
Page gagna sa première année de vie ainsi. La deuxième ne fut cependant pas aussi calme que la précédente ; la petite bougeait tellement qu'elle épuisait son oncle et sa mère en un rien de temps ! Dès qu'ils avaient le dos tourné, elle se faufilait on ne sait où et restait cachée pendant des heures, pour ensuite réapparaître toute joyeuse, gavée de fruits sauvages et sale comme si elle se serait carrément roulée dans la boue. Agoston réussit à la suivre dans un de ses périples solitaires vers ses 3 ans. Ce qu'il vit le laissa bouche-bée : Page parlait toute seule à un ami qu'il ne pouvait voir ni entendre. Plus étrange encore, elle lui faisait des câlins… Qu'un enfant ait un ami imaginaire, d'accord… mais de là à le serrer dans ses petits bras…
Lorsqu'il rapporta l'incident à Catharym, cette dernière ne put que sourire fièrement en se rappelant :
- À son âge, mon défunt père me disait que je voyais des choses que personne ne pouvait voir. Il s'agit du monde des fées, mon cher ami.
- Le monde des fées ?
- Un monde que les enfants pures voient de par leur cœur, invisible aux adultes. Sans doute Page a-t-elle quelques copains de ce monde, et veut-elle les garder pour elle seule. Je ne vois pas où est le mal !
- Et si elle se perdait ?
Catharym rigola :
- Agoston, espèce de père-poule ! Laisse-la donc jouer : c'est le bon âge ! L'enfance est courte en Hongrie, n'oublie pas.
- Je reste d'avis que ce n'est pas saint du tout.
- Alors surveille-la, mais reste en dehors de son monde. C'est son diamant à elle, et personne ne doit lui enlever.
Agoston plia à la demande de la barde et continua d'espionner Page pendant ses escapades féeriques. Plus le temps passait, et plus d'amis se rajoutaient à la liste. Tout semblait être sous contrôle : elle allait toujours dans les mêmes recoins, ne sortait pas d'un périmètre précis, et ne mettait pas sa vie en danger. L'oncle décida de lui laisser ces moments d'intimité avec ses amis imaginaires, ne gardant qu'un œil provisoire sur ses allers et venues
Vers ses 5 ans, Page eût cependant une réaction bizarre : un nouvel arrivant faisait des siennes. Un certain Gabor qui fouettait les autres amis de la petite fille. Alors Page se mettait à crier et à pleurer pour défendre les siens, mais rien à faire : Gabor, le méchant vieux bonhomme aux dents jaunes et à la peau de cire ne s'arrêtait pas.
Le guerrier décida que s'en était assez. Même si toutes ces histoires n'étaient que chimères, l'enfant se traumatisait elle-même, et il n'y voyait aucune explication autre que de mauvais esprits qui s'amusaient à tourmenté SA nièce.
Lorsqu'elle entendit l'histoire, et voyant sa fille dans un état près de la crise de nerf, Catharym ne put que plier face à la demande de son garde du corps, et interdit à Page de revoir ses amis imaginaires. Bien que la petite lui en voulut de laisser ses copains ainsi sans défense, la barde tint bond, et après quelques semaines, Page n'eût plus jamais à visiter le « monde des fées ».
Dans celui des adultes, la situation s'aggravait depuis un certain temps : les rumeurs voulant que les Turcs tentent de conquérir la Hongrie couraient de bouche à oreille, jusqu 'à ce que, par une nuit sombre et glaciale, Budapest, Eger et Miskolc passèrent du stade de ville et village à celui de cible. L'armée Hongroise réussit à défendre Budapest, mais ne purent rien faire pour les deux autres villages. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre : la Turquie menaçait vraiment la Hongrie.
Deux jours plus tard, lorsque Catharym sût que les Turcs se rapprochaient de Csjethe, elle réunit Agoston et Déros à l'église de Freyja :
- Nous devons quitter Csjethe.
Le prêtre garda le silence tandis qu'Agoston soupirait. La barde insista :
- Les Turcs sont à nos portes : s'ils avaient prit Budapest, il n'aurait resté que Szonolk entre notre village et eux.
- Et que veux-tu y faire, Catharym ? demanda le guerrier. Si les Turcs décident d'avancer dans le territoire, fuir ne fera que retarder le moment où ils nous tomberont dessus. Et à la façon dont ils s'y sont prit, on ne les voit pas venir de loin. Où qu'on aille, nous ne serons pas à l'abri. Surtout sur les routes.
- Allons vers le territoire Transylvanien.
Agoston et Déros eurent des grimaces dégoûtées. Le prêtre prit la parole :
- La Transylvanie est terre de superstitions plus viles les unes que les autres, Catharym. On y parle de strigoï (vampires), de drakul (démon/dragon) et de priccolitch (loup-garou). La Walpurgis Natch (nuit des morts) y est plus que crainte, et puisque ta fille est de parents illégitimes, plusieurs pourront croire qu'elle est une démone, ou du moins, si cela ne vient qu'à se savoir…
- J'ai plus foi en la cruauté des Turcs qu'en la Walpurgis Natch, mon père. Savez-vous seulement quel genre de monstruosités ils font subir à leurs victimes ? Couper la tête d'un père de famille, la faire manger au fils, puis lui couper la tête à son tour, la faire manger à la mère et ainsi de suite jusqu'au dernier né, vous trouvez cela humain ? Je ne vois pas grande différence entre les Turcs et les strigoïs, père Déros. Qui plus est, le prince Mircea sait défendre son peuple : il l'a démontré à plusieurs reprises pendant les dernières années. Jamais le Turc n'osera se relever une seconde fois contre lui. La Transylvanie est, selon mon humble avis, la terre la mieux gardée de Hongrie. Quittons Budapest avant qu'il ne soit trop tard.
Le silence s'installa dans l'église. La barde attendit de voir les effets de son discourt lorsque Agoston releva la tête vers elle :
- Où tu vas, je vais. Je te l'ai promis.
Catharym eût un sourire de soulagement : tant que son garde du corps restait à proximité, elle n'avait rien à craindre. Seulement, elle voulait à tout prix éviter un carnage au père Déros, et que n'aurait-elle donner pour pouvoir lire dans son esprit à ce moment…
Le prêtre réfléchit et pesa ses mots :
- J'ai bâtie ici une église au nom de Freyja la Grande, afin de pouvoir amener un peu de lumière aux habitants de Budapest. J'ai passé la majorité de ma vie en ces terres, Catharym. Vous comprendrez donc que je ne puis abandonner mon église, quitte à laisser ma vie aux mains des Turcs. Je suis entièrement dévoué à Freyja, et si elle décide que je dois mettre un terme à celle-ci en défendant Csjethe, alors tel sera mon destin. Je reste.
Ses paroles eurent l'effet d'un coup de tonnerre sur Catharym qui baissa les épaules avec un léger soupire. Elle regarda Agoston, l'air suppliant, mais le guerrier tourna la tête, signe qu'il ne l'aiderait pas. Elle demanda :
- N'y a-t-il absolument rien que je ne puisse faire pour vous faire changer d'avis, mon père ?
- Non, mon enfant. Cette terre est maintenant mienne.
- Alors vous me pardonnerez de vouloir prolonger la vie de ma fille.
- Je n'ai pas à vous pardonner : je vous comprends.
- Bien…
La barde acquiesça, plus pour elle-même que pour le prêtre et contempla Freyja de par son autel. Elle déclara :
- Agoston, nous partirons demain à l'aube. Nous devrons être prêt. Mon père…
Catharym salua Déros d'un signe de tête respectueux avant de sortir prestement de l'église. Le prêtre la regarda partir sans dire un mot puis, comme si de rien n'était, s'en retourna vaquer à ses occupations quotidiennes, laissant seul Agoston songeur devant Freyja. Le guerrier releva la tête vers la divinité et fit quelques pas de côtés afin de mieux la contempler :
- Veille, Freya. Veille sur ceux qui te prient. Ils en ont besoin.
Catharym tenue sa décision, malgré les sages-femmes qui voulaient faire pression afin de les garder, elle et sa fille, à Csjethe. À l'aube, leurs provisions étaient faites, leur bagages rassemblés aux portes du village, et la motivation de la barde semblait inébranlable. Page ne comprenait absolument rien à ce qui se passait : maman voulait partir et voyager. Ça semblait intéressant, mais partir loin du père Déros ? Loin du temple de Freyja, là où elle se sentait chez-elle, là où Gabor n'avait aucune emprise ? Là où un courant chaud la traversait dès quel avait un peu de peine ? Là où ils se rendaient, y avait-il un temple de Freyja et un père Déros ?
Tant de question dans la tête d'une si jeune enfant. Mais bon, puisque sa maman le voulait, la petite se tût et avala difficilement ses larmes. Au moins, l'oncle Agoston les suivait. Au moment de départ, Déros vint les trouver et serra Catharym fortement dans ses bras :
- De grâce, ma fille, faîtes attention sur les routes. Surtout une fois arrivée en terre Transylvaniennes.
- Ne vous inquiétez pas pour moi, mon père, et priez plutôt pour que les Turcs rebroussent le chemin.
Puis, il se sépara d'elle pour serrer rigoureusement la main d'Agoston.
- Prenez soin de nos deux perles, mon ami. Elles nous sont à tous précieuses.
- Je vous le jure, père Déros. Tant que je serai à proximité, il faudra 10 strigoïs pour finir par toucher ne serait-ce qu'à un cheveux de ces dames.
- Je n'en doute pas ! Et ma petite Page…
Déros mit un genou au sol et ouvrit ses bras, laissant l'enfant s'y blottir : le prêtre la sentie trembler, et sût à quel point quitter le village pouvait être déchirant pour elle. Pendant un instant, il en voulût à Catharym, mais se ressaisit rapidement. Caressant les cheveux de l'enfant, il lui murmura à l'oreille :
- Ne pleurs pas, Freyja-Page. Nous pourrons nous revoir un jour !
- Je sais, mon père. Mais ce ne sera pas avant longtemps…
- Le jour où tu reviendras à Csjethe, tu seras une belle et grande jeune femme. Et Freyja posera sur toi son regard fier. Garde en tête ceci : si ton corps est ailleurs, ton cœur reste ici. Tu ne l'oublieras pas ?
- Promis.
- Bien. Maintenant va, mon enfant. Ton chemin va en cette direction pour le moment.
Page hocha la tête et se sépara avec douleur du prêtre. Catharym lui prit la main et, faisant un signe de tête respectueux à Déros, elle fit un premier pas vers son ancienne vie d'errance. La différence était que, cette fois-ci, elle avait une enfant et une destination : le château de Pandarin, en Transylvanie.
Selon ce qu'elle en savait, le château de Pandarin surplombait une ville assez grande où il lui serait facile de s'installer provisoirement. Le voyage durerait approximativement un an, n'ayant qu'un âne pour transporter leurs bagages et la petite lorsqu'elle serait trop fatiguée. Ils feraient des haltes de 2 jours dans quelques villages bien réputés de la région et garderaient à l'œil les Turcs qui n'avaient toujours pas redonnés signes de vie. « Si seulement une montagne pouvait leur tombée dessus… » songeait la barde. Une fois arriver en terres Transylvaniennes, il s'arrêteraient dans un minuscule village aux portes du Col de Borgo, pour arriver presque directement ensuite au lieu convoité. Pas de chemins incertains, pas d'arrêts dans des lieux bizarres, pas de problèmes avec les gens du coin. S'ils voulaient atteindre leur destination le plus rapidement possible, tout devait se passer comme prévu.
Page ne mit pas beaucoup de temps à s'adapter aux voyages : elle aimait bien rencontrer de nouvelles personnes et se faisaient un devoir d'apprendre le plus de choses possible à propos des régions différentes ; leurs coutumes, les autres religions… Il y en avait tellement qu'elle finit par en confondre quelques unes. Plus ils avançaient, plus elle trouvait drôle la façon de se comporter des gens. Entre autre, cette habitude qu'avait certaines personnes de faire ce geste chrétien n'importe quand dans la journée, comme s'ils replaçaient leur chapeau par tic nerveux, ou se grattaient le nez. Et si quelqu'un oubliait de le faire pendant un moment où il l'aurait fallut, d'autres le faisaient pour elle. Quel générosité !
- Mais à quoi ça sert ? demanda-t-elle un jour à un vieux pêcheurs au teint bronzé et aux rides profondes, tandis qu'elle attendait sagement sa mère et son oncle sur un pont, les adultes au marché.
- Ça sert à éloigné les strigoïs et les drakul, petite.
- Les « quoi » et les « quoi » ?
- Les créatures de la nuit. Tu ne sais donc pas ce que c'est ?
D'un signe négatif de la tête, Page avait aussi froncé le nez, signe qu'un tourbillon de suppositions et d'idées frayaient leur place dans son jeune esprit. Pour elle, créatures de la nuit égalaient hiboux et chauve-souris, et elle imaginait bien mal un grand-duc rebrousser le chemin parce qu'elle faisait un signe de la main…
Le vieillard expliqua :
- Les strigoïs, ce sont des créatures qui ressemblent à des vivants, comme toi et moi, sauf qu'ils sont morts. Et pour se nourrir, ils boivent le sang frais des bébés non-baptisés.
- UH ! s'exclama Page en arrondissant ses yeux gris.
- Oui, oui ! Et pour les en empêcher, lorsque l'enfant est baptisé, nous jetons une pierre par-dessus notre épaule, alors ils savent que l'enfant n'est pas pour eux.
- Mais, mais, mais ! Et ceux qui ne sont pas baptisés ?
- Oh, s'ils ne deviennent pas démons, ils seront vidés de leur sang dans d'atroces souffrances. Hé oui, c'est ainsi, jeune fille ! Allons donc, ne sois pas aussi choquée : si Dieu t'aime, il te protégera !
Cette conversation resta gravée longtemps dans la mémoire de Page. Souvent, la nuit, elle se réveillait en pleurs en rêvant de petits bébés dans les bras de ce qu'elle imaginait un strïgoï (elle les voyaient plutôt petits, gras et laid avec de très, très grande dents). Catharym eût beau la questionner encore et encore, jamais Page ne voulût lui dire ce qui l'effrayait autant.
La barde se rendît compte que les églises chrétiennes avaient prit beaucoup d'expansion depuis quelques années : ses fidèles agissaient avec ferveur et bonté, mais avaient trop tendance à se sentir supérieurs à son goût. Mais bon, c'était la nouvelle mode, et tous semblaient s'en accommoder. Agoston, quant à lui, rageait de plus en plus. Lui qui avait apprit à prier Freyja se voyait privé de ses convictions en ces terres catholiques, et il redoutaient les chrétiens autant que Catharym redoutait les Turcs. Bien sûre, la barde riait !
Après 10 mois de voyage presque ininterrompu, ils arrivèrent finalement au Col de Borgo. La jeune femme s'encouragea ; plus que quelques semaines ! Agoston et elle avaient convenus passer 3 jours au village qui, encore trop petit, portait le nom du col, et dont l'auberge semblait inactive depuis sa création.
Or une tempête se leva, si forte que, seulement après quelques heures, on se demandait où était la route ! Catharym s'assombrit, et décida de rester quelques temps à l'auberge. Le soir même, alors qu'ils attendaient leur repas (un repas chaud, qui plus est !), le regard d'Agoston fut accroché par une jeune femme au teint pâle et aux cheveux dorés. Celui-ci ne put se décidé à la quitter des yeux, ne serait-ce qu'un moment, de peur qu'elle ne soit plus là lorsqu'il reviendrait à elle. Amusée, Catharym offrit à la jeune inconnue de prendre place avec eux.
- Je ne vous dérangerai pas, vous êtes sûre, madame ?
- Oh non : je vous assure ! Mon frère et moi désespérions de voir un peu de vie dans ce village, et vous semblez être une personne de très bonne compagnie !
- Je vous remercie ! répondit la jeune femme en rougissant et en enregistrant l'information donné. Je me nomme Laura, je suis la fille de l'aubergiste.
- Tout à fait enchantée, mademoiselle Laura ! Je suis Catharym, barde et mère de la petite Page de Csjethe que voici !
Page offrit un grand sourire à Laura qui lui rendit chaleureusement.
- Et voici finalement mon cher frère, qui n'a pas la politesse de se présent…
- Je suis Agoston de Györ. Dit précipitamment le concerné, prenant la main de la belle et l'embrassant. Pour vous servir, demoiselle Laura.
Catharym eût un petit rire triomphant tandis que Page les regardait en tentant de comprendre : lorsque sa mère avait ce genre de rire, c'était qu'elle avait réussit quelque chose, mais quoi donc ? L'enfant haussa les épaules et remit son intérêt sur l'assiette chaude qui se trouvait devant elle en dégustant le porc à la sauce si épissée qu'elle faisait tousser.
Agoston discuta longuement avec Laura. En fait, même lorsque Catharym alla se coucher avec sa fille, les deux restèrent dans la pièce principale à parler encore et encore… Le lendemain, voyant les vagues dans les yeux de celui qu'elle disait son frère, Catharym ne parla pas de partir. De toute façon, la tempête faisait encore rage. Même que l'on pouvait apercevoir de temps à autre des éclairs au travers de gros flocons.
Comme la barde s'y attendait, une petite flamme amoureuse semblait se mettre à briller entre Laura et Agoston. Et bien qu'elle savait quels risques elle courait à voyager seule avec sa fille, jamais Catharym n'aurait demandé au guerrier de faire ce genre de sacrifice pour elles. Il avait amplement donné, même beaucoup trop. Elle jugea que la place du jeune homme était à Borgo.
2 jours plus tard, alors que la tempête semblait enfin s'adoucir, elle prit Agoston à part :
- Nous partons aujourd'hui. Nous ne devons pas attendre qu'une autre tempête ne se refasse la reine de ces lieux.
Le guerrier hocha la tête doucement et eût le réflexe de regarder là où se tenait Laura, c'est à dire, plus loin dans la pièce avec Page entrain de rigoler de dessins faient dans la poussière. Peut-être pourrait-il revenir dans quelques mois et l'épouser…
- La petite et moi passerons par la forêt qui passe entre les montagnes. Nous devrions y être à l'abri…
- Et moi, je passe par où ?
Catharym eût un petit sourire :
- Toi, tu ne passes pas, mon frère. Tu restes ici, avec ta belle.
- Quoi ? Catharym, tu es folle !
- Peut-être, mais pas sotte, mon ami. Tu l'aimes, à un point tel que de passer quelques instants sans sa compagnie te déchire. Bon, d'accord, c'est une chrétienne, mais ça ne fait pas d'elle une mauvaise personne pour autant.
- Mais enfin, tu as pensé à votre sécurité, la petite et toi ?
- Justement, Agoston : MA petite et moi. Cette enfant n'est pas à toi. C'est à sa mère d'en prendre soin, pas à son oncle. Ma décision est irrévocable : tu ne suis pas.
Le guerrier semblait tout à fait désemparé face à cette décision inattendue. Catharym rajouta :
- Tu veux me faire plaisir ? Marie-la, et fais-lui beaucoup, beaucoup d'enfant. Jure-le.
Agoston baissa la tête, incapable de dire quoi que ce soit. Il était en colère contre Catharym de mettre la vie de sa fille en danger pour une histoire d'amour, mais l'idée de se séparer de Laura lui était si cruelle qu'il ne pouvait juste pas l'envisager de front. Il plia donc :
- Je te le jure devant Freyja, ô ma sœur.
- Bien ! c'est ce que je voulais entendre. Maintenant va ! J'ai des choses à faire.
Sur ce, la barde rassembla ses affaires, ainsi que celles de sa fille. Agoston la suivit du regard puis se retourna vers Laura qui jouait encore avec Page. Il ne regretterait pas la décision de Catharym, il le sentait !
De son côté, Catharym avait le cœur gros : Agoston était vraiment devenu son frère avec les années, et se séparer de lui semblait vraiment irréel sur le coup… Mais elle ne doutait pas de son choix, et savait que ce serait pour le mieux. Qui plus est, elle avait encore beaucoup à apprendre sur Freya-Page, puisqu'elle était surtout avec son oncle depuis le début du voyage. Tout irait pour le mieux, la barde le pressentait !
Et quand Page sût qu'Agoston ne les suivrait plus, elle resta d'abord sans réaction puis eût un sourire nerveux :
- Tu blagues, maman, pas vrai ? Dis-moi que c'est une blague…
- Chérie, ton oncle Agoston a sa vie à vivre, lui aussi…
- Mais sa vie, elle est pas avec nous ? répliqua la petite sur un ton très rebellé.
- Page.. il arrive souvent que des personnes soient obligées de se séparer dans la vie...
- Oui ! Comme pour le père Déros et les sage-femmes, et tout ces gens qui sont passées comme des ombres dans ma vie parce que TU as décidé de partir !
L'enfant pleurait de rage et d'incompréhension. Ses petits poings étaient crispés et quelques sanglots se glissaient dans sa voix. Catharym resta sous l'émotion de ces reproches mais se reprit vivement : Agoston était encore dans la pièce commune et le mur qui séparait leur chambre de la salle était bien mince.
- Chérie, c'était pour te sauver…
- Non, c'est parce que tu crains les Turcs ! Tu as peur, c'est tout !
- Freyja-Page : si tu savais tout ce dont ils sont capable, tu comprendrais…
- Je le sais autant que toi ! Mais moi, j'aime trop pour laisser ma peur me guider !
La barde ravala des mots perdus et fixa sa fille, étonnée : depuis quand la petite pensait-elle aussi profondément ?
- Je laisse Agoston ici parce qu'il a pour but de marier Laura, Page. Ce n'est pas par peur…
- Alors restons ! Restons, maman, je t'en conjure, mais il ne faut pas aller dans le Col de Borgo seules : le strigoï s'y trouve ! Les clients de l'auberge l'ont dit !
- Le strigoï… non… Qui t'a parlé de ceci ?
- C'est pas important, il faut juste pas y aller…
- Tu sauras, ma fille, que les strigoïs, les drakuls et les autres inventions de bonnes femmes de ce genre ici sont plus illusion qu'autre chose ! Jamais je n'ai vue de vampyr ou de créatures similaires à ceux-ci de toute ma vie de barde !
- Tu n'es jamais venue en Transylvanie non plus…
- Il suffit !
Contrairement à son habitude, Catharym avait prit une voix très autoritaire et avait un regard colérique. Elle pointa un doigt sous le nez de sa fille et dit encore sur le même ton :
- JE suis ta mère, et pas le contraire ! J'AI décidé que nous irions ensemble au château de Pandarin, et c'est ce que nous ferons !
Page ne trouva rien à répliquer : son ton était catégorique. Elle baissa simplement la tête et retint de son mieux ses larmes. Sur un coup de tête, la barde sortit de la chambre en claquant la porte ce qui fit sursauter la petite fille. Suite à cette confrontation, Page se jura de ne plus jamais tenir tête à sa mère.
Lorsque le soleil fût haut dans le ciel, la jeune femme prépara l'âne et sa fille et partit après de longues salutations avec Agoston et Laura. Page se montra plus distante et beaucoup moins énergique que d'habitude, mais semblait vouloir faire preuve de bonne volonté, ce qui toucha profondément Catharym : elle s'en voulait d'avoir élever la voix contre elle, mais jamais encore Page ne lui avait tenue tête, et elle n'avait pas sût contrôler la situation adéquatement… Elle effacerait sa faute pendant le voyage, quitte à le rallonger de quelques jours.
L'enfant n'était guère rancunière. Au contraire : tout ce qu'elle pouvait faire pour montrer à sa mère qu'elle était désolée était fait. La peur qu'elle ne la laisse elle aussi dans un village comme Agoston ou Déros lui effleurait souvent l'esprit, et à chaque fois, elle restait incapable de dire quoi que ce soit pendant des heures, la gorge nouée par des larmes de désespoir. Que deviendrait-elle sans sa précieuse maman ?
Le premier jour se passa sans incident majeur. Catharym recommença ses blagues habituelles et tenta de refaire un lien de confiance avec sa fille, ce qui se fit assez aisément, mais elle vit bien que quelque chose perturbait son enfant. Était-ce encore ce stupide strigoï ? Si elle pouvait mettre la main sur le con qui lui avait raconté ça…
La nuit, elles établirent un petit campement bien modeste pour repartir à l'aube. Page semblait de meilleur humeur, et leur voyage sembla bien plus léger que la veille, au grand soulagement de sa mère. La petite en profita même pour poser une question qui lui trottait dans l'esprit depuis un bon moment déjà :
- Maman, pourquoi tout le monde ne prit pas Freyja ?
- Parce que, ma chère Page, tout le monde n'est pas intelligent.
- Tu crois ça ?
- Oui… Les chrétiens prennent leur Foi pour conquérir les autres peuples, qui eux se laissent marcher dessus sans rien dire. Seul quelques religions, les plus intelligentes, ont compris que la diversité restait très importante. Donc, il est primordial que tu gardes en tête QUI est Freyja, CE qu'elle représente et QUOI FAIRE pour lui plaire. C'est à dire, rester pure et aimer la terre qu'elle nous a donné plus que tout.
Ces paroles laissèrent l'enfant songeuse jusqu'au soir où Catharym lui prépara un copieux repas afin de passer la nourriture périssable au plus vite. Page ne sentit jamais le sommeil venir : elle s'était endormie assise contre une grosse pierre juste devant le petit feu de sa mère qui avait joué un peu de son luth. Lorsque la barde vit sa fille dans les bras de Morphée, elle remit son instrument dans son sac sans fond et coucha la petite non loin du feu. Elle-même se blottit contre elle et tomba à demi endormie.
Inquiète, la barde restait assise sur la montagne d'où elle pouvait voir presque toute la Transylvanie en son ensemble : un si magnifique royaume… Elle ne pouvait dire avec exactitude s'il faisait jour ou nuit car tout semblait grisâtre, un peu comme s'il allait neigé mais sans que les nuages ne soient présents. « Je rêve… » conclue-t-elle.
Au loin, là où se dressait le château de Pandarin, une brume presque blanche empêchait les gens d'y accéder. Et là où se situaient son corps et celui de sa fille, une marrée de sang s'élevait et semblait ne pas prendre de fin. Catharym fronçait les sourcils en regardant ce spectacle inusité lorsqu'elle sentit SA présence à ses côtés.
« Réveil, les loups… »
La jeune femme se retourna entièrement vers Freyja La Grande qui l'observait d'un regard perçant. Elle mit un genou au sol devant sa déesse qu'elle contempla avec un regard d'enfant. Cette Freyja respirait la pureté et l'amour d'autrui alors qu'elle posait une main sur les cheveux de la barde qui pleurait de joie.
- Ma fille. Dit la déesse. En ce jour, tu reviens vers moi.
« Réveil, les loups ! »
- Qu'à tout jamais mes fidèles puissent trouver le repos dans mes bras et qu'ils renient la noirceur de l'être. Tu es appeler à mourir cette nuit, Catharym. Mais n'aie crainte, je veillerai sur ton âme.
- Et ma fille ?
« RÉVEIL, LES LOUPS !! »
- Tu verras bien ! répondit la déesse avec un demi-sourire.
Catharym se réveilla en sursaut avec l'impression d'halluciner les hurlements de loups qui se rapprochaient. Puis, rapidement, elle fit la liaison et se rendit compte que ce n'était pas un rêve. Bientôt, Page et elle serait encerclées par une meute, et Freyja seule savait de quel mal horrible ces bêtes seraient capables sur la petite.
Sans perdre un instant, elle sortit tout ce qu'elle pouvait de son sac sans fond et prit la petite qui se réveilla, paniquée.
- Maman ! Qu'est-ce qui se passe ?
- Shut ! Pas un son ! Jure-le !
- Quoi ?
- Jure-le ! Pas un son !
La petite sentit l'urgence de sa mère et une once de détresse dans sa voix. Elle hocha finalement la tête et se laissa entrer dans le sac sans fond où Catharym avait prit soin de laisser les rations de survie. La barde referma vivement le sac et le plaça juste derrière la pierre qui surplombait le feu. Sortant son épée courte, elle attendit les bêtes bravement, soufflant sur une mèche de cheveux.
Quelques instants plus tard, elle perçut les bruits de pattes contre le sol, ainsi que les halètements des bêtes non loin. Catharym se rappela tout à coup son rêve, mais décida que sa peau aurait un prix à payer, quoi qu'il arrive. Elle ne pouvait voir que ce que le feu lui permettait, incapable de détailler ce qui se passait au-delà des flammes. Les loups se rapprochèrent dangereusement de la barde, l'encerclant afin d'empêcher toute fuite. Leur pelage gris était taché de sang frais, comme si cette « visite » n'était pas leur première de la soirée. Contrairement à ce qu'elle avait redouté, elle ne les vit pas lui sauter dessus, mais tout simplement attendre, tournant en rond et grognant comme des chiens. Jamais elle ne prendrait l'initiative de les attaquer, et intérieurement, elle priait pour qu'ils s'en aillent au loin, l'oubliant.
Puis, des bruits de pas résonnèrent tout près. Catharym ne savait si elle devait détacher son regard des bêtes trop proches pour tenter de percer la pénombre environnante, ou bien rester en garde car si une bête pouvait attaquer n'importe quand, un être humain, s'il était mal intentionné, avait l'intelligence d'user des faiblesses du moment et pouvait faire encore plus mal qu'un animal. À ses yeux,.l'homme était le plus dangereux des prédateurs.
Son hésitation ne dura pas longtemps ; un jeune homme de très belle apparence s'avança derrière les loups et contempla la barde. Ses cheveux d'un brun très pâle couraient librement sur ses épaules, légèrement ondulés, et ses yeux noirs semblaient ne pas connaître de fin à leur profondeur. Il se déplaça sur le côté avec un sourire qui ne présageait rien de bon :
- Mes amis… dit-il à l'adresse des loups. Quel beau cadeau…
- Arrière ! cria Catharym en redressant sa lame. Retournez d'où vous venez, ou vous goûterez à ma lame !
- Je n'ai jamais aimé le goût du métal, ma chère. Celui du sang me fut toujours plus appétissant.
Dans le sac sans fond, Page étouffa un cri : un strigoï ! La barde sembla plus surprise que choquée et répliqua simplement :
- Allez rassasier vos bas instincts ailleurs : mon sang est bien là où il est, drakul !
- Vous croyez ? Il ne sert à rien d'autre qu'à faire fonctionner un corps… Rien d'important à mes yeux.
Il fit quelques pas dans sa direction. Catharym serra les dents :
- Arrière, démon !
- Démon ? ricana-t-il. Ma chère… nous sommes tellement plus que ça !
À ce moment, Page sortit la tête du sac et s'étira le cou afin de voir l'homme : les strigoïs étaient bien loin de ce qu'elle avait imaginé ! Au contraire : dans n'importe quel autre circonstance, elle lui aurait sans doute fait confiance à celui là… Mais plus maintenant qu'elle savait…
L'inconnu fit un vague geste de la main. Aussitôt, Catharym parût hypnotisée par cet être maléfique. Elle baissa son arme qu'elle laissa ensuite tomber au sol et sembla tout à fait captivée. Page retint son souffle en la voyant faire : qu'est-ce qui lui prenait ! Elle était en danger de mort, et elle ne se défendrait donc pas ?!
Le strigoï eût une moue satisfaite avant d'ajouter :
- Les vampires sont au-dessus des démons, petite humaine. Ce détail aurait put t'épargner.
Puis, il prit la nuque de Catharym d'un mouvement sec. La femme ne chercha même pas à se défendre, immobile comme une statue. Le vampire mordit à pleine dent dans le cou de la mère qui eût un gémissement de douleur. Page se mordit la main pour étouffer un cri d'horreur face à la scène. Paralysée, elle ne put que contempler ce qui se passait, renversée. Son cœur battait la chamade et des larmes lui montaient aux yeux alors qu'elle observait le tout. Pendant un instant, elle fut prise d'étourdissements.
L'homme se pencha entièrement au-dessus de Catharym. Lorsqu'il eût finit de boire, il l'allongea sur le sol. Le visage de la petite était noyé de larmes abondantes, mais elle gardait toujours ses dents enfoncées dans sa propre chaire pour s'empêcher de crier : elle avait juré… Bien vite, un goût âcre et métallique lui gava le palais : elle s'était mordue au sang et ne s'était pas manquée…
Lorsqu'il s'éloigna du corps de sa mère, elle vit son visage pâlit éclairé par les flammes du feu qui commençait à perdre de son éclat. Catharym n'avait aucun mouvements qui pouvaient faire croire que la vie était encore en elle, mais l'enfant aurait pût jurer la voir très faiblement respirer. Page crut que c'était finit, qu'elle pourrait peut-être sauver sa mère de la mort si elle attendait suffisamment longtemps pour ne pas être découverte. Qu'avec un gros pansement, elle pourrait la sauver de la mort et que Freyja décidera d'intervenir…Mais l'homme jeta au loup par-dessus son épaule :
- Votre repas est servit, mes amis. Régalez-vous !
Sans plus attendre, les loups se jetèrent sur le corps inanimé de Catharym qui n'eût aucune réaction. S'en fut trop pour Page qui replongea dans son sac et qui vomit tout ce qu'elle avait put ingurgité au repas.
