Titre : Comme un air de déjà vu

Personnages : Albus Dumbledore, Tom Jedusor Junior, Abelforth Dumbledore

Genre : Angst

Rating : PG-13

Catégorie : réponse au défi « le sorcier du mois » pour la communauté pompom.power.

Disclaimer : Harry Potter est à JKR, et la citation latine et attribuée à l'Empereur Auguste.


Nul autre qu'Albus Dumbledore pour susciter la controverse. Le Daily Prophet l'incendiait toute une année pour l'encenser par la suite, le Magenmagot le blackboulait après des années de présidence, le Ministère lui proposait pouvoir et honneurs avant de le déclarer persona non grata : telle était la routine de l'un des plus grands sorciers de sa génération.

Les uns le voyaient comme un sage vénérable, les autres le traitaient de vieux fou.

En vérité, qu'est-ce que c'était qu'Albus Dumbledore ?

En dépit de son extérieur serein, lui-même se posait régulièrement la question. Les ans venant, ses certitudes s'effilochaient. On pouvait avoir des cartes de Chocogrenouilles à son effigie (et de son vivant, s'il vous plait ! ce qui est très rare, comme chacun sait, car il est hélas fréquent que les mérites des grands hommes ne soient reconnus à leur juste valeur qu'une fois lesdits grands hommes proprement décatis à six pieds sous terre), et continuer à douter.

Albus Dumbledore, bien que très âgé, n'avait pas besoin de Rapeltout.Il aurait dû s'en féliciter, mais il était de certains souvenirs dont il se serait bien passé.


Un élève brillant, favori de ses professeurs, accumulant prix sur prix. …Préfet, puis préfet-en-chef, dans l'ordre logique des choses. Mondain, cultivant ses relations, promis par tous un grand avenir … Un élève conscient de ses dons, dévoré par une ambition trop grande pour ne pas être dangereuse, échafaudant en secret des plans de bataille grandioses, sans que quiconque s'en aperçoive, quelques récalcitrants mis à part…

Tel avait été Albus Dumbledore. Quelques années plus tard, Albus s'était méfié de Tom Jedusor, alors élève à Poudlard, et pour cause. Qui d'autre que lui, qui avait connu la tentation de la grandeur, pour percer à jour le Mage avide de puissance dissimulé sous les traits de l'élève modèle ?

Lui, l'ancien ami de Grindenwald, décidé à asseoir sa supériorité sur le reste du monde- oh, pour des raisons très honorables ! Il était jeune alors, et idéaliste. Nul n'aurait pu le stopper, pas même cet analphabète d'Abelforth qui voulait l'enterrer à Little Whinging, réduit à jouer les garde-malades pour un cas désespéré, alors que l'Europe l'attendait, prête à s'incliner, conquise, devant son maitre !

Avec Tom, il avait pensé qu'il suffisait de lui faire savoir qu'il le surveillait, qu'au moindre faux pas, lui, Albus, déferait son ouvrage, de même qu'il avait brûlé symboliquement l'armoire contenant les trophées d'un petit garçon qui aimait se sentir supérieur aux autres.

Il s'était trompé. Quand Albus avait fait fi des reproches ouverts de son frère, Tom n'avait pas non plus dévié de son chemin. N'était-ce pas le propre des grands sorciers, accomplir la destinée à laquelle leurs pouvoirs leur donnaient droit ?

Leurs ambitions firent leurs premières victimes. Le décès d'Ariana ouvrit les yeux d'Albus. C'était bien beau de rêver de conquêtes et de domination continentale sur le papier, mais à quel prix ? Tom, lui, ne manifesta pas de remords quand une jeune Serdaigle mourut des suites d'une rencontre avec le Basilik qu'il avait relâché. Ce jour-là, en écoutant Tom accuser Hagrid- un être au cœur d'or, un peu frustre, comme Abelforth, bref, le bouc-émissaire idéal-, Albus comprit qu'il était trop tard pour que Tom fasse volte-face.

Consolation douce-amère, il aimait se répéter que là s'arrêtait cette désagréable impression de déjà-vu. Le respect de la vie humaine représentait une sacrée différence entre celui qu'il avait été et l'embryon de Lord Voldemort, n'est-ce pas ?

N'est-ce pas, dîtes ?


Il se méfiait comme de la peste de tout ce qui pouvait concourir à ranimer en lui un quelconque sentiment de supériorité. Il espérait y avoir réussi, après avoir passé des années à travailler sur son humilité. Cependant, il préféra sagement ne pas tenter le diable, et refusa par deux fois le poste de Ministre de la Magie.

Qui était-il ? s'interrogea-t-il un soir, quelques jours avant sa mort.

Etait-il un vieux fou, un vieux sage ?

Il se sentait l'esprit fatigué d'un vieil homme qui avait commis des erreurs. Des erreurs telles qu'il n'avait pas eu de toute une vie pour les réparer.

Au moins, il lui avait été donné la consolation de choisir sa mort. Satisfaisant jusqu'à la fin à sa réputation d'excentricité, tel le client d'un restaurant qui dédaigne les menus et sélectionne ses plats « à la carte ».

Ce serait une belle sortie. Un tour éclatant, auquel Tom ne verrait que du feu. Post-mortem, il triompherait enfin de son double maléfique.

Le soir tombait. Dans quelques jours, il tirerait sa révérence, à sa façon.

« Acta est fabula », la pièce est jouée. Il avait peur à présent. Peur que son repentir n'ait été qu'une imposture, dont lui aurait été le premier abusé. Autrement, pourquoi la prophétie prédisait-elle que la chute de Voldemort serait causée par Harry Potter, un enfant innocent?

Pourquoi ne parvenait-il pas à vaincre Tom à chacune de leur rencontre ? Pourquoi persistait-il à l'appeler par son prénom, ainsi qu'il le faisait lorsque le jeune Jedusor était son élève, un élève qui évoquait à lui seul de perpétuelles réminiscences de ce que lui, Albus, avait été ?


Il soupira et ouvrit son tiroir. Ses biographes s'étaient trompés en lui accordant un goût immodéré pour les bonbons au citron. Ils étaient trop acides pour lui. Sa préférence allait aux bonbons à la fraise, dont il gardait en bouche l'arôme suave longtemps après les avoir finis.

Il n'avait jamais compris sa fascination pour ces sucreries-là. Mais ce soir, alors qu'il fixait sans le voir vraiment le petit rond rouge posé au creux de sa main, il eut comme un air de déjà-vu.

« Albus ! Albus ! »

La voix rugueuse d'Abelforth le fit grimacer. Il fut tenté de faire la sourde oreille, mais son frère était entêté.

« Albus ! » rugit Abelforth.

Contrarié, il s'arracha à regret de l'invitation à dîner qu'il rédigeait à l'intention de Grindenwald, leur nouveau voisin pour cet été. Le garçon était aussi doué que lui, et avait des idées stimulantes, provocatrices. Des idées un peu folles, mais réalisables quand on était deux sorciers au talent inégalé.

« Quoi ? » lança-t-il d'un ton sec.

« Elle veut te donner quelque chose. Prends-le ».

En tournant la tête, il rencontra les beaux yeux bleus de sa jeune sœur. Elle s'était à nouveau glissée derrière lui, silencieusement. Sans Abelforth, il n'aurait jamais remarqué sa présence.

Comme à son habitude, il ressentit un mélange confus de gêne et de colère, dont une grande partie était dirigée contre la petite fille. Elle n'était pas responsable de son état, mais elle représentait un obstacle à ses plans. Quelle loi inepte l'avait rendu tuteur légal de cette poupée de porcelaine aux yeux vides et fous, aux explosions de magie aussi dangereuses qu'incontrôlables, qu'on devait changer, laver, nourrir comme un nourrisson ?

Les lèvres ouvertes sans qu'aucun son n'en sorte, elle le regardait droit dans les yeux, de son regard qui ne cillait pas, et il eut la désagréable impression qu'elle lisait dans son âme.

Elle se tenait très droite, le bras tendu, raide comme un piquet, et dans sa paume, ce qu'il reconnut avec dégoût comme un bonbon rouge à l'aspect très collant et probablement déjà mâchouillé.

Pour se débarrasser d'elle au plus vite, il le prit et le jeta dans la corbeille. Il entendit un hoquet d'indignation, un bruit de pas précipités, et il sut qu'elle était partie.

Abelforth darda sur lui un regard d'acier bleuté :

« Tu es une ordure, Albus. Elle voulait te faire plaisir ! Maintenant elle va être bouleversée pendant tout le reste de la journée ! »

Il éprouva un vague remords, mais celui-ci se dissipa à la perspective de passer la soirée avec Grindenwald. Lui le comprenait.

« Tu t'occuperas d'elle, tu sais comment la calmer. Qu'elle ne descende pas, j'attends un ami dans le salon. Nous devons discuter de choses sérieuses.

-Encore ton Allemand et ses théories à la noix ? Tu ferais mieux de t'occuper de ta sœur ! » cracha Abelforth avant de monter les escaliers.

Ce soir-là, Ariana échappa à la vigilance d'Abelforth et descendit les escaliers. Albus essaya de la ramener dans sa chambre, mais elle ne voulut rien entendre. Sur une suggestion de Grindenwald, il s'apprêta à utiliser le Wingardium Leviosa sur elle, mais ses cris alertèrent Abelforth. Le ton monta, puis vinrent les disputes, les duels, les sorts volant dans tous les sens, les pleurs d'une petite fille effrayée en fond sonore.

Puis le silence….

Lentement, il porta le bonbon à ses lèvres.

« Ariana », murmura-t-il.

Sur la joue ridée du grand Albus Dumbledore, une larme coula. Puis une deuxième, qui humecta sa langue.

Son amertume fut contrebalancée par un petit goût de fraise, et Albus se sentit le cœur plus léger.


Note de l'Auteur: toute critique est bienvenue, n'hésitez pas!