Daphnée est ce genre de fille au visage d'ange et à l'âme de glace. Un cliché perché sur des jambes longilignes. Une beauté froide, fantasme de peintre. Instable, bien sûr. Volage, parfaitement. Capricieuse, à souhait. Impérieuse, fatalement. Les lèvres gonflées de ses baisers de succubes, mais ça on ne l'a déjà que trop dit. Une rose dans ses cheveux et un poignard dans ton cœur. Une meurtrissure en état de légitime défense. "Une si jolie fille, c'est tellement dommage !". Sourire polaire. Les yeux cernés de noirs pour cacher les bleus. Un topos de plus, elle les collectionne, comme les amants. Question intempéries, ils ne la réchauffent pas plus qu'une tempête de neige. "Chaude comme la braise, la reine des glaces !". Rire réfrigérant, retourne jouer avec ta baguette, mon petit. Et pourtant, la vie la brûle. Elle ne sait pas comment se débarrasser de cette brulure. Et chaque rayon du soleil, comme une souillure. Il n'y a plus que les morsures des flammes de ses clopes, qu'elle tolère. Chat échaudé n'est qu'eau froide. Ah, Daphnée a une petite sœur...
Astoria, deux ans de moins. Aussi brune que l'autre est blonde. Une jolie poupée. Daphnée l'aime bien. Vive, attachante, perspicace, un peu trop pure peut-être, oui, Daphnée l'aime bien. Beaucoup, même, c'est sa sœur. Elle dit, enfin, elle se dit souvent que c'est son seul lien avec le monde des vivants. Oui, vivante, ça Astoria, elle l'est. Pour deux. Non, vraiment, il ne faudrait pas croire, Daphnée, aime beaucoup sa sœur, mais aujourd'hui elle aimerait tout autant la voir bruler sur un bucher. Tout est de sa faute. Et Daphnée s'y connait en matière de fautes. Elle est le péché originel.
C'est exactement ce qu'est entrain de penser Blaise Zabini derrière elle, elle en est sure. Elle y mettrait la jolie main qu'elle passe nerveusement depuis cinq minutes dans ses cheveux au feu. Attendez. Daphnée Greengrass est nerveuse ? Science-fiction, ou intervention magique ? Foutu Astoria. Elle ne va pas tarder à se sentir mal. Elle a trop chaud. Elle est trop froide pour ce genre de situation aride. Zabini est silencieux, trop. Elle se retourne vers lui, et le trouve accoudé à l'une des nombreuses fenêtres de la tour, son livre de potion à la main, perdu dans sa lecture. Agacée et, sans doute un peu vexée de son manque d'attention, elle se décide à lui parler.
« Zabini, est-ce que tu pourrais essayer de, je ne sais pas, faire quelque chose ?
D'un geste lent il ferme son manuel et la regarde, avec un regard suffisant. Il n'attendait que ça.
- Dix minutes sans un mot, je pensais que tu tiendrais plus longtemps Greengrass. J'ai toujours dit que ta réputation était surfaite, princesse des glaces, le sang-froid comme la reine des serpents, déesse de l'hiver…
- Déesse de l'hiver, releva-t-elle distraitement, je ne le connaissais pas celui-là. Je ne te parle pas pour te distraire, Zabini, je te demande de trouver une solution, par ce que tu es la seule personne qui puisse le faire… Elle se retint de se mordre les lèvres, les derniers mots lui avaient échappés. Heureusement, Daphnée méritait sa flopée de surnoms ridicules, et ponctua sa requête d'un regard polaire qui eut le mérite de geler le sourire narquois du Serpentard.
- Daphnée Greengrass, à ma merci, ne put il s'empêcher de remarquer malgré tout, un rêve de gosse. Et par sa propre faute, en plus.
- Je suis heureuse de savoir que je nourris tes fantasmes de pré-pubère, susurra-t-elle, vraiment. Flattée, même. Mais, j'aurais pensé que même un troll de ton espèce serait apte à remarquer qu'Astoria et moi sommes deux personnes différentes. Rassure-moi, Zabini, tu sais compter jusqu'à deux ?
- Tu n'es pas vraiment gentille pour une jeune fille qui demande un service, Daphnée.
- Je ne suis pas gentille, Blaise.
Il éclate de rire. Elle est un peu troublée, beaucoup plus qu'elle ne peut se l'avouer. Elle quand elle rit, c'est beaucoup plus mondain, elle penche la tête sur le côté gauche, et met sa main devant la bouche d'un mouvement gracieux, voluptueux, elle écarte légèrement les doigts pour laisser voir ses dents blanches et son rouge à lèvre carmin, tout est calculé, jusqu'au plus infime battement de ses longs cils. Quand elle y pense, elle a bien un autre rire, beaucoup plus cruel, un son railleur et hautain, froid, un rire de Daphnée, c'est le rire qu'elle utilise pour se moquer des pitreries de Drago et Zabini. Surtout de Zabini. Elle apprécie Malfoy, mais son idiot de meilleur ami et son odeur de tabac froid… C'est une autre histoire, « mais pourquoi tu le méprises tant, Blaise est un bon Serpentard et puis, il est plutôt très beau garçon », lui dit souvent Astoria, taquine. Précoce, aussi. Astoria et ses foutues hormones, foutu Malfoy. Je vais la tuer. Elle a dit la dernière phrase à voix haute.
- Il n'y a pas qu'elle. C'est la faute de Malfoy aussi, tu sais.
- Oui, tu as raison, je vais les tuer.
Il lui sourit hésitant. Craquant. Surprise par la course de ses pensée, las, elle s'assoit sur le rebord d'une des fenêtres de la tour d'Astronomie. L'air frais lui fait du bien, la brûlure toujours. Le soir commence à tomber sur la forêt interdite. Elle ferme ses paupières et une odeur lui pique les narines. Elle consent à rouvrir les yeux et remercie ses années d'impassibilité qui lui permettent de ne montrer aucun trouble à la proximité soudaine de Zabini et de sa cigarette. C'était donc ça l'odeur. Elle lui lance son sourire le plus envoutant et le sent se tendre, elle pourrait presque deviner l'eau déserter sa gorge, la rendant sèche, rien qu'à ses grand yeux subjugués, elle profite de son inattention, ou plutôt de son excès d'attention pour lui voler sa cigarette. Trop facile. Si Daphné se laissait aller, elle aurait un sourire de gamine, mais l'éclat de ses yeux n'échappe pas à Blaise. Il ne s'offusque pas.
- Tu sais qu'en sept ans, c'est la première fois que tu m'appelles par mon prénom ?
- Allons, Zabini, ce n'est pas comme si je t'appelais.
- Il ne dit rien. Elle est vraiment douée. Il s'en fout, il a grandi avec Drago Malfoy, alors la Greengrass, c'est un enfant de cœur, heu, sans cœur.
- Tu fumes ?
- Non, je t'ai volé ta clope, par ce que la perspective d'entendre ton babillage futile me réjouissait. C'est fou comment tu arrives à lire en moi.
- Ah, si tu pouvais savoir, à quel point.
Elle ne l'a pas écouté. Elle a trop chaud, elle sent sa peau se refroidir. Sortir de cette douche Ecossaise. Autant lui parler, ça peut toujours la distraire.
- Tu disais ?
- Je te demandais si tu savais quel sort ta sœur a utilisé.
- Collaporta Tempus. Un sort de sa création. Cela lui permet de bloquer les portes comme un collaporta normal le ferait, mais avec une durée prédéterminée. Comme ça elle peut embrasser tous les Malfoy de la terre pendant le temps qu'elle veut sans être dérangée. En général, elle combine ça à un Confuso allégé pour pas que Rusard les surprennent lorsqu'ils sortent et qu'ils puissent rejoindre les dortoirs sans encombres.
Blaise ne put retenir un sifflement d'admiration. Cette petite était en, quoi, cinquième année ? Et elle était déjà capable de mélanger sinon créer des sorts. Y avait pas à dire, Malfoy savait s'entourer ! Daphnée, malgré l'énervement certain qui pointait de derrière son masque de froideur, avait une expression de fierté. Il est vrai, qu'Astoria avait de qui tenir. Et il y avait de bien plus sots modèles que Daphnée, de bien plus laids aussi… Il se gifla mentalement. La reine des serpents avait vu son regard s'égarer le long de ses courbes et l'avait gratifié d'un de ses regards glacés. Il n'aurait pas deux fois une telle chance. Astoria allait le tuer s'il foutait tout en l'air. Il reprit donc la conversation l'air de rien, les joues un peu trop rouges, sans doute.
- Et on se retrouve coincés.
- Tu vois, ça c'est ce que je n'arrive pas à comprendre. Astoria est intelligente, je veux dire c'est ma petite sœur, elle est même brillante. Alors comment on en a pu arriver là ? Ce n'est pas dans ses habitudes de faire des erreurs de débutante. Passe encore qu'elle ait oublié son gilet et qu'elle m'ait demandé de lui apporter pour ne pas rater ce benêt de Malfoy, elle ignora superbement la protestation du beau métis à la suite de l'insulte faite à son meilleur ami, mais toi qu'est-ce que tu fais là ?
Calmement, il alluma une nouvelle cigarette. La nuit était maintenant totalement tombée sur le parc. L'air de la salle s'était rafraichi. Nous y voilà, le moment fatidique. De son mensonge dépendait la suite des évènements.
- Figure-toi, qu'on m'a aussi demandé de ramener un gilet à la demoiselle.
- Pardon ?
- Malfoy est parti sans sa veste et visiblement un gentleman se doit d'avoir une veste en cas de jeune fille mourant de froid, tu vois le concept. Il m'a donc envoyé Goyle pour que je lui ramène son foutu veston.
- Et pourquoi Goyle ne pouvait pas lui ramener lui-même ?
- Vraiment, Grengrass, dit-il l'air ahuri, sans se laisser décontenancer, vraiment ? Tu penses que quiconque de sensé confirait quelque chose à Goyle ? Enfin, un peu de sérieux, Hermione Granger ne lui laisserait pas ses cheveux, c'est dire.
Elle ne savait pas si c'était le fait d'être enfermée, le ridicule de la situation, la vanne foireuse, l'attitude désinvolte de Zabini, ou Zabini. Tout simplement. Mais pour la première de fois de sa vie, ou la seconde si on comptait les cinq ans d'Astoria et la piñata qui était tombée sur Narcissa Malfoy, elle eut un fou rire incontrôlable. Elle était tombée à terre et ses longs cheveux blonds cachaient son visage, sa jupe était remontée et son rire, son rire… Indécent. Elle était indécente. La pensée leur traversa l'esprit simultanément, Daphné n'en rit que plus et Blaise, eh bien, Blaise, ne pouvait rien faire. Il était ensorcelé. Médusé. Et il ne voulait qu'elle ne s'arrête sous aucun prétexte. Il y a quelque chose qu'il faut savoir sur Blaise Zabini, il peut parfois être très idiot. Comme quand, pour ne pas rompre le contact, il s'avachit à côté d'elle et lui demanda :
« Tu sais si on a des devoirs pour demain ? »
A présent, Daphnée riait tellement qu'elle en avait mal aux cotes. La tête lui tournait, elle avait l'impression d'être… La simple hypothèse d'esquisser cette pensée lui fit l'effet d'une douche froide. Elle revint à la réalité. Zabini abordait une mine boudeuse, elle lui offrit son sourire le plus goguenard. Ca y est, elle ressemblait à une gamine. Elle parvint, Merlin sait comment, à retrouver ses vieux réflexes.
« Vraiment, Zabini, dit-elle en imitant son air ahuri, vraiment ? Tu penses que quiconque de sensé s'occuperait de ses devoirs alors qu'il est coincé avec sa pire ennemie dans la tour d'Astronomie ? Enfin, un peu de sérieux, Hermione Granger ne se laisserait pas aller à ce genre de considération, c'est dire.
Zabini est un garçon patient. Il n'aurait pas aimé que Daphné perce ses mensonges à jour trop rapidement, plus araignée encore que serpent, il aimait tisser sa toile, et la resserrer au moment voulu autour de sa proie. Après tout, n'appelait-t-on pas sa mère la menthe religieuse ? Blaise avait tant hérité de son charme que de sa ruse. Mais il était prêt à parier qu'aucun des maris de sa mère n'avait le quart de la trempe d'une Daphnée Grengrass. Alors peut être aurait il était mieux que cette fille sache la vérité. Elle le tenait déjà. Et fermement. Il ferma les yeux. Ne pas tout foirer, Astoria va te tuer.
- Jolie.
- Belle.
- Pardon ?
- Je ne suis pas jolie, Zabini. Je suis belle, extrêmement et dangereusement belle. Ne fais pas celui qui ne le sait pas, dit-elle d'une voix charmeuse.
- Je parlais de ta réplique, Greengrass, pas de toi. Tu en as pas marre d'être que dangereusement belle et dangereusement froide et toutes ces conneries ? Honnêtement, ce n'est pas extrêmement chiant ?
- Honnêtement ?
- Honnêtement.
- Honnêtement, c'est extrêmement chiant.
Daphnée malgré sa réputation de fille à la cuisse légère, n'était pas du genre à employer un langage ordurier. Au contraire, on aurait dit qu'elle prenait un malin plaisir à donner le change en peaufinant son apparence de jeune lady respectable. Et pourtant, ce n'est pas le mot chiant qui retint le plus l'attention de Blaise, mais la rapidité à laquelle les barrières de la reine des serpents étaient en train de s'effondrer. Il n'avait encore rien vu.
- Zabini, reprit-elle d'un ton malicieux, tu veux un secret ?
- Tu sais, ce n'est pas un secret, le monde entier sait que tu es amoureuse de moi.
- Tu n'es qu'un pauvre con.
- Ah, ça non plus ce n'est pas un secret.
Mais un pauvre con marrant et foutuement séduisant. Elle se moqua d'elle-même mentalement, ça non plus ce n'était pas un secret, même pas pour elle. Elle avait beau fuir le métis comme la dragoncelle, elle ne pouvait lui enlever un charme et une prestance indéniable. Elle fuyait le métis comme la dragoncelle, par ce qu'elle ne pouvait lui enlever un charme et une prestance indéniable.
- Daphnée ?
- Hum.
- C'est quoi ton secret ?
- J'ai plus envie de te le dire.
- Daphnée ?
- Hum.
- Tu boudes ?
- Hum.
- Daphnée ?
- Hum.
- On a des devoirs pour demain ?
Zabini est vraiment un idiot.
- Je ne suis pas froide.
- Pardon ?
- Je ne suis pas froide. Au contraire, je meurs de chaud. Constamment. Tiens, la regarde, il doit faire moins de dix degrés, mais j'ai l'impression d'être en feu. Je vis sur un bucher, ma vie est un bucher. Tu comprends ? La vie me brûle. Je m'ennuie, je ne trouve aucun sens, tout me semble dérisoire, j'ai besoin de sens, j'ai besoin d'une direction, j'en sais rien, moi, un signe, un truc qui me ferait avancer. Une raison d'avancer, de continuer. La vie me brûle. Pas leurs paroles, leurs murmures, leurs rumeurs, leurs Daphnée la princesse des trainées, Daphnée au cœur de glace, comment tu disais ? Daphnée déesse de l'hiver ? Remarque, en hiver on se fait chier, on reste à l'intérieur à rien foutre, ouais, on moisit, c'est tout moi. Je moisis. J'ai dix-sept ans et je chlingue le renfermé. Si on m'ouvrait la poitrine, c'est pas de la glace qu'on trouverait, mais de la puanteur, du souffre, tout a dû se décomposer. La vie me brûle. Et je m'en fous, de tout. Je m'en fous même de m'en foutre. Mais, je ne suis pas froide. Je suis un bucher et je crucifie mes amants. Moi, Daphnée Grengrass, chemin de croix, elle eut un rire sans joie et poursuivit, ils pourront dire que je suis souillée, mais faut bien que je sente quelque chose, tu comprends ? J'ai des amants pour tuer le temps. L'espace d'un instant, dans leurs bras, je ressens quelque chose, je te l'accorde, quelque chose de totalement factice, mais c'est quand même quelque chose. Tu sais de quoi j'ai peur Blaise ? Du néant. Du néant de mon existence. Parfois, j'ai l'impression que je ne vis plus, que je n'ai jamais su vivre que par vanité. Le bucher des vanités, voilà. Et tu sais, je les entends, je les connais, mais quand ils disent que j'ai « le feu au cul », ils ne peuvent s'empêcher de conclure que c'est drôle « pour une fille aussi froide ». Mais je ne suis pas froide, je brûle, Blaise.
- Tu sais, moi, je ne t'ai jamais trouvé froide.
Le silence qui suivit n'était ni pesant, ni complice. C'était un silence. Elle se dit qu'il aurait pu faire un discours pompeux, tomber dans le verbeux, profiter de sa faiblesse. Elle savait qu'elle ne le laissait pas indifférent, un novice l'aurait remarqué. Et novice, Daphnée Greengrass ne l'était certainement pas. Mais Blaise Zabini, malgré son charme maladroit et ses éclats de rires spontanés, était un chasseur né. Aussi, il y avait deux choses à savoir sur Daphnée, premièrement elle n'était la proie de personne et deuxièmement elle n'embrassait jamais la première. Pourtant, elle se pencha sur lui et l'embrassa.
Ce n'était ni tendre, ni doux. C'était un baiser remplit de frustration, de colère et de non-dits. Un baiser d'égoïstes. Elle lui mordait les lèvres pendant qu'il la plaquait sauvagement contre le mur, il la repoussa et alla mordre son cou pendant qu'elle griffait sa nuque. Et puis, leurs regards se croisèrent. Il avait la bouche gonflée de ses baisers, de ses morsures, de sa rage et elle le cou marbré de rouges, le maquillage en vrac. Ils se trouvèrent sublimes. Alors il reprit le chemin de ses lèvres. Et tout changea, c'était une autre forme de passion, inconnue aux deux jeunes gens.
Astoria laissa échapper un toussotement sonore. Incongru. Ils ne se lâchèrent pas, pour autant. La plus jeune des filles Greengrass trouva sans doute la scène trop mièvre et s'exclama :
« Eh bien, Blaise, tu me dois douze galions ! »
Daphnée se contenta de gifler de toutes ses forces Blaise et l'enjamba. Elle reprit sa route, droite comme un if, drapée dans ses restes de dignité. Reine de glace.
Tout en se massant sa joue endolori, Zabini ne put s'empêcher de penser que si Daphnée était une garce, elle avait trouvé son maître en la personne d'Astoria.
Il n'allait pas se laisser faire aussi facilement.
Le jeu ne faisait que commencer.
