Résumé: Un jour d'été, Kai Chisaki et Touya Todoroki se rencontrent. Lorsqu'ils se retrouvent des années plus tard, ils savent qu'ils ne seront plus jamais les mêmes, même si Kai n'est pas encore Overhaul et que Touya n'est pas encore Dabi. Ils parcourront ensemble le reste du chemin.
Rating M: Un peu de violence et lemon dans les chapitres suivants.
Disclamer: My hero academia appartient à Kohei Horikoshi.
Coucou Zofra,
Cette histoire, qui parle de ton crack ship, exploite le fait que Dabi et Overhaul ne se voient jamais durant le manga, ce qui laisse beaucoup de marge de manœuvre. J'ai donc imaginé un passé commun, tout en tenant compte de cette théorie que tu adores et qui fait de Dabi l'aîné de la famille Todoroki.
J'espère que ce cadeau de Noël te plaira :). Bonne Lecture.
Chapitre 1 - La dette
Cela avait commencé par quelques bouteilles en plastique jetées d'un bateau. Elles avaient probablement dérivé durant plusieurs jours, avant de venir finalement s'échouer sur la plage de Dagobah. Personne ne les ramassa et certains se sentirent alors moins coupables d'abandonner quelques déchets sur l'immense étendue de sable. Ce n'était au début que quelques détritus dispersés. Ceux qui furent incommodés changèrent simplement d'endroit, alors que les autres s'y habituèrent. Mais un jour, une machine à laver fit son apparition. Beaucoup furent surpris car même si les déchets étaient devenus chose courante, on n'en avait jamais vu un qui soit aussi gros. Cependant, la machine était toute petite face à cette immense plage. Quelques enfants s'en servirent comme falaise ou tour de garde et on oublia vite cette anomalie. À partir de cette machine à laver, la situation se dégrada rapidement car on considéra qu'elle avait sûrement besoin de compagnie. La décharge de la plage de Dagobah s'installa. Comme elle était à cheval sur deux municipalités, ces dernières se rejetaient la responsabilité du nettoyage de l'endroit, accusant les citoyens de la partie adverse d'être responsables de l'état des lieux. Rien ne fut donc fait. Et la décharge grandit. Elle accueillit chaque jour davantage d'appareils ménagers mais également de la mitraille, des sacs poubelles, des meubles et même une voiture. Trois ans s'était écoulés depuis la première bouteille en plastique et le chaud soleil de juillet rejoignait l'horizon sur de hauts monticules d'ordures qui se dressaient à présent au-dessus de la digue. Ces dunes étranges étaient continuellement assiégées par des mouettes et une odeur nauséabonde s'en dégageait. Elle était portée par le vent mais n'incommodait guère ceux qui venaient quotidiennement réutiliser ce que d'autres avaient cru bon de se débarrasser.
C'était un dépotoir sur un coin de paradis. Un caniveau qui avait vu mer. Et pour Kai Chisaki, c'était la définition même de l'enfer. Mais ce four à micro-onde qui était au sommet d'une de ces collines désolées, sa mère en avait besoin. Alors, il n'avait pas le choix et il fallait qu'il monte le chercher. Il entama cette ascension avec précaution, agitant les bras pour faire fuir quelques mouettes dont le cri était désagréable. L'entassement était loin d'être stable. A chacun de ses pas, divers objets et sacs d'ordures dégringolaient en bas de la bute. Arrivé à mi-chemin, Kai entendit un craquement inhabituel. Il n'eut malheureusement pas le temps de comprendre ce qui arriva juste après et sentit les déchets s'enfoncer sous ses pieds. Le monticule avait atteint une telle hauteur que son cœur avait brutalement cédé sous le poids de l'ensemble. La dune s'effondrait à présent sur elle-même. Sans le savoir, Kai avait rompu le fragile équilibre et en payait le prix fort. Son corps fut entièrement aspiré dans la bute qui ne cessait de s'affaisser. En quelques secondes, il fut emprisonné au milieu des ordures, leur odeur et une chaleur insupportable. Il ne pouvait presque plus bouger tant les objets autour de lui le comprimaient. Dans un grondement, la décharge le dévorait.
Il ne cria pas. Il était résigné. Il allait mourir ici. Il en était certain. Son alter qu'il ne pouvait contrôler n'y changerait rien. Ce n'était pas un cauchemar. Tout était réel. Il ne reviendrait pas chez lui ce soir. Il était allé là où il n'aurait pas dû s'aventurer sur cette terre. L'enfer.
Alors qu'il avait fermé les yeux, il entendit des bruits dispersés qui se rapprochaient de lui. Il rouvrit aussitôt ses paupières. Dans un craquement sonore, la lumière du soleil éclaira son front et on agrippa son avant-bras droit. Il fut tiré vers la surface et respira à nouveau l'air de la mer. Kai leva la tête et fut ébloui par le soleil qui le frappa en plein visage. Une poigne ferme autour de son poignet le guida hors du tas d'ordures et quand il sentit le sable, il se laissa tomber sur les genoux. La main salvatrice le libéra. Kai se mit en position assise et calma sa respiration. Il regarda droit devant lui et pu enfin contempler son sauveur qui fouillait dans son sac-à-dos. C'était un garçon, probablement de son âge. Il était de taille moyenne, mince, les épaules anguleuses et l'allure soignée. Il portait un T-shirt blanc et un jeans délavé. Ses traits étaient marqués, son teint pâle, ses cheveux rouges, ses yeux d'une couleur proche du turquoise et son regard à la fois vif et impénétrable. Il remarqua également des bandages le long de ses bras. Le garçon sortit une bouteille d'eau du fond de son sac et la tendit à Kai en disant d'une voix claire :
« Ça va ? Bois un peu. Ça devrait te faire du bien. »
-Merci, répondit simplement Kai. »
Il prit simplement la bouteille et but. Il eut honte d'être vu ainsi par ce garçon. Il était sale et pauvre. Son teint pâle et ses yeux jaunes lui donnaient un air malade. Il avait plus en commun avec les monticules de la décharge qu'avec celui qui était en face de lui. Comme ce dernier n'était assurément pas un habitué des lieux, Kai lui demanda :
« Comment tu m'as vu ?
-Je passais en vélo sur la digue et j'ai vu le tas de déchets s'effondrer. Et toi avec. »
En disant cela, le garçon avait désigné la rambarde de la piste cyclable contre laquelle reposait un vélo rouge. Il continua :
« Garde la bouteille. Je dois te laisser. On m'attend et je suis déjà en retard. »
Il entreprit de s'éloigner mais s'arrêta quand Kai lui parla à nouveau.
« Attends. Je te dois la vie. C'est quoi ton nom ? Moi je m'appelle Chisaki Kai.
-Je m'appelle Todoroki Touya.
-Un jour, je te remercierai pour ce que tu as fait, Todoroki Touya, dit Kai, l'air déterminé.
-Ce n'est pas la peine, répondit Touya un peu gêné.
-Je t'en fais la promesse. »
Touya acquiesça et marcha jusqu'à la digue. Il remonta par le même escalier qu'il avait emprunté, récupéra son vélo et reprit le chemin de la maison, laissant derrière lui ce garçon dont le nom lui échappait déjà.
Touya arriva chez lui avec une heure et demie de retard. Il avait passé la journée chez Kentaro et était parti bien plus tard que ce qui était prévu. Il ne put s'empêcher de sourire en y songeant tout en rangeant son vélo et se répéta encore une fois que ça en avait valait quand même la peine. Il serait même resté encore un peu. Cependant, la soirée allait être chargée et il avait donc dû partir. Depuis lundi, c'était la fête de l'O-bon, un rite japonais de trois jours qui honore les esprits des ancêtres. La ville de Musutafu était en effervescence. Tout avait commencé par le Mukae bon qui accueille les esprits. De nombreux japonais s'étaient retrouvés dans les parcs et avaient dansé en rond pour apaiser les âmes. Le dernier jour de ces célébrations était vite arrivé. Ce soir serait consacré à l'Okuri bon, le moment de dire au revoir aux défunts par le rite du yôrô nagashi. Des lanternes en papier seraient allumés afin d'éclairer le chemin des esprits vers l'au-delà et déposées sur les fleuves où elles dériveraient, souhaitant aux morts et aux disparus un bon retour. Dans trois heures, Grand-Mère devait venir le chercher avec Fuyumi et Natsuo pour se rendre jusqu'au fleuve Sudima, à Tokyo.
Ces jours de recueillements étaient depuis leur avènement un moment de réjouissance et de partage où les japonais se réunissaient en famille. Mais chez les Todoroki, cela faisait déjà un certain temps que la famille n'y allait plus au complet. Pour la deuxième fois, la mère de Touya resterait à la maison avec Shouto, le petit dernier, et en ce qui concernait son père, cela faisait bien plus longtemps que cette fête lui passait un peu au-dessus de la tête.
Les jours précédents avaient été très tendus. C'est entre autre pour cette raison que Touya était sorti. Il avait besoin d'air, d'espace. Il fut interrompu dans ses pensées par la voix de son frère :
« Tu as intérêt à avoir une bonne excuse. »
Touya n'avait absolument pas réfléchi à ce qu'il allait dire à Natsuo pour justifier son retard. L'histoire de la décharge était un peu trop invraisemblable pour être crue dans ces circonstances, il se résolut de ne pas en parler. Il décida d'être évasif tout en restant sincère.
« Je suis désolé. J'ai un peu traîné chez Kentaro et je n'ai pas vu le temps passer mais je suis là maintenant. De toute façon, on ne part que dans trois heures vers Tokyo. »
La réponse de Natsuo fut sèche :
« Tu devais revenir pour m'aider à faire mes devoirs de vacances.
-Je sais et je suis désolé. Mais maintenant je suis là et il nous encore reste trois heures ensemble.
-Mais ce n'est pas la même chose.
-Je suis désolé, répéta Touya »
Touya s'approcha de son petit frère pour le prendre dans ses bras comme il en avait l'habitude pour se faire pardonner mais Natsuo le repoussa :
« Tu m'avais promis. Tu avais dit que tu reviendrais avant 14h. »
C'est vrai que Touya avait promis, mais cela ne ressemblait pas à Natsuo d'être aussi furieux après des excuses en bonne et due forme.
« Ecoute Natsuo, je suis désolé. Si c'est trop court aujourd'hui, je suis là demain, toute la journée… »
Natsuo croisa les bras et garda sa moue boudeuse. Touya demanda doucement :
« Ta lanterne est prête pour ce soir ? »
Natsuo eut soudainement les larmes aux yeux.
« Non. Je n'y arrive pas. J'ai pourtant bien suivi le mode d'emploi mais le papier ne se plie par correctement. Ma lanterne est toute de travers… Je vais avoir l'air ridicule… Maman, elle est chez Grand-Mère avec Shouto et Fuyumi, elle est allée chez la voisine pour arroser ses fleurs et nourrir ses chats. »
Natsuo était donc resté seul jusqu'à présent et n'avait trouvé personne pour l'aider. C'était peut-être pour cette raison qu'il était tant en colère. Touya vit de grosses larmes rouler sur les joues de son frère et prit immédiatement un mouchoir de sa poche pour essuyer son visage tout en invitant le garçon dans une étreinte qu'il accepta cette fois-ci. Et dans un souffle, il dit d'une voix tremblante.
« Papa t'a cherché aujourd'hui. »
Touya resta silencieux aux mots de Natsuo. Bien que son cœur s'emballât, il dit d'une voix calme :
« Et maintenant, il est où ?
-Il est reparti travailler. »
Touya comprit. C'était donc ça. Natsuo n'avait pas été seul. C'était en fait pire. Le petit frère étouffa un sanglot et souffla encore ces mots :
« Je veux plus que tu t'entraînes, Touya. »
Le plus âgé resserra son étreinte sur son jeune frère.
« Ne t'inquiète pas, Natsuo, c'est fini tout ça. »
Oui, c'était fini. Car si Enji Todoroki voulait voir son fils aîné, ce n'était pas pour qu'ils s'entraînent ensemble. S'il le cherchait, c'était plutôt parce qu'il avait dû remarquer que certaines choses avaient été déplacées dans la salle d'entraînement. S'il voulait lui parler, c'était pour lui rappeler de ne plus y pénétrer. Son temps était terminé. Celui de Shouto allait commencer et il était temps que Touya s'y fasse. Mais pour Touya, c'était difficile. Ce n'était pas juste. Il voulait rester celui qu'on avait choisi. Il voulait plus que tout devenir ce héros surpuissant qu'on avait attendu de lui. Et il ne pouvait accepter d'en être incapable et remis sur le côté. Il ne pouvait pas revenir à cette place, pas après tout ce qu'il avait fait, pas après ces après-midis épuisantes où il avait donné le meilleur de lui-même et plus encore, pas après toutes ces fois où sa tête avait heurté le parquet, pas après toutes ces fois où s'était relevé malgré tout, pas après toutes ces brûlures, pas après avoir dit à sa mère de se mêler de ses affaires quand elle était venue vers lui.
S'il resserrait son étreinte à présent, ce n'était pas soulagement, mais par désespoir. Il savait qu'il ne pouvait le montrer à Natsuo. Celui-ci ne comprendrait pas sa tristesse et peut-être même qu'il en serait furieux. Quel genre de frère préfère passer une heure avec une personne pour qui il n'est rien plutôt qu'une après-midi avec un autre pour qui il est tout ? Il respira profondément et fit le vide pour ensuite se laisser envahir par des pensées plus agréables. Il ne dit donc rien à Natsuo et fit comme promis fit ses devoirs avec lui. Il répara sa lanterne tordue. Ils partirent vers Tokyo en se tenant la main.
Natsuo garda encore la main de son frère quand il déposa sa lanterne sur la rivière Sudima. Le cœur de Touya se serra. Il avait décidément du mal à se sentir complétement coupable de s'être absenté plus longtemps que prévu. Malgré son mal-être, il repensait perpétuellement au regard brun de Kentaro, à sa main qui s'était posé sur la sienne, à son souffle chaud dans son cou, à sa caresse maladroite mais déterminée et à ses lèvres auxquelles il avait cédé son premier baiser.
C'est seulement un an plus tard que le garçon de la décharge lui revint en mémoire. Alors que Touya revenait seul de l'école, il remarqua un homme en noir sur le trottoir en face de sa maison. Il fumait. Touya l'avait déjà vu à plusieurs reprises non loin de son école. Il n'avait d'ailleurs pu s'empêcher de penser que cet homme semblait l'observer. Touya laissa son vélo rouge et traversa la rue d'un pas déterminé.
« Vous là-bas, je peux vous aider ? Parce que j'ai l'impression que... »
Mais Touya s'arrêta net dans sa phrase comme dans ses gestes car maintenant que seul un mètre le séparait de l'étranger, il s'aperçut qu'il courait peut-être un grave danger. Un costume impeccable, l'allure arrogante et l'auriculaire amputé d'une phalange (*), ça ne faisait plus aucun doute. L'homme qui se tenait devant lui était un yakuza. Ce dernier jeta sa cigarette à terre et enleva ses lunettes noires qu'il mit dans la poche avant de son veston gris parfaitement coupé, dévoilant des yeux verts et clairs, un peu kaki, dont la parenté avec une certaines race de serpent aurait pu être indéniable. Sans même saluer Touya, il alla droit au but d'une voix sèche:
« J'ai quelque chose pour vous, Todoroki Touya. »
L'homme plongea sa main dans la poche intérieure de son veston et en ressorti une petite boîte qu'il tendit à Touya.
« Un présent, de la part du fils de mon Oyabun (*').
-Pour quelle raison ? Et ça, qu'est-ce que c'est ?, répondit Touya qui prit la boîte avec méfiance.
-Un dédommagement pour un sauvetage et une bouteille d'eau. »
Touya resta interdit sur ces derniers mots car il voyait parfaitement de quoi il en retournait. Même après un an, il se rappelait de cette brève rencontre à la décharge de Dagobah. Comment oublier ? Il ne pouvait y croire. Il se remémora ce garçon frêle et pâle, dont les yeux jaunes évitaient de le regarder en face. Il ne se rappelait même plus de son nom… Etait-il vraiment en train de tenir sa promesse ? Promesse à laquelle Touya n'avait accordé aucun crédit car d'une part, ce n'était pas nécessaire et d'autre part, ce garçon n'était pas en situation de pouvoir remercier qui que ce soit. La voix grave et brutale du yakuza le tira de ses souvenirs :
« Si pour une raison ou pour une autre, vous vous retrouvez dans l'embarras, le clan Shie Hassaikai vous viendra en aide. Vous pourrez présenter ce sceau, avec le mot de passe.
-Quel mot de passe ?
-« Dragon Rouge », c'est le mot de passe. Vous n'aurez qu'à le montrer à un membre du clan. »
L'homme regarda autour de lui, certainement à la recherche d'une présence qui pourrait lui nuire.
« Au revoir Todoroki Touya. Je ne peux rester ici plus longtemps.
-Non, attendez, dit Touya.
-Quoi encore ?, répondit le yakuza, agacé.
-Le garçon, comment il s'appelle déjà ? »
L'homme décocha un sourire narquois :
« Chisaki Kai. À votre place, je ne l'oublierais plus. »
Quelques jours après cette rencontre, alors qu'il accompagnait son frère en ville pour acheter du matériel scolaire, Touya repéra dans une petite rue un magasin d'antiquités nommé « Le Huitième Lotus » qui affichait sur sa vitrine un signe identique à celui du sceau. Devant la porte, se tenait un homme âgé et très élégant dans un costume noir qui cachait assurément les vestiges d'une certaine musculature. Même avec son air très prétentieux, il aurait eu l'apparence d'un antiquaire des plus ordinaires si de son poignet droit ne dépassait pas la fin d'un irezumi (*'').
Ce n'est que bien des années plus tard que Touya retourna dans cette petite rue. Très exactement 412 jours après ce qu'il nommait à présent « l'accident ». Un incident qui l'avait marqué aussi bien dans son âme que dans sa chaire. Encapuchonné, il regarda son reflet dans la vitre de la boutique et songea qu'il était désormais plus proche des dragons peints sur les vases de la période Meiji qui se trouvaient devant lui. Lorsqu'une bourrasque glaciale lui rappela qu'il ne portait qu'un gilet en mauvais état et un T-shirt, il baissa davantage sa capuche, tira les manches au dessus de ses poignets et se décida à entrer. L'homme qui se trouvait au comptoir n'était plus celui qu'il avait aperçu derrière la vitrine quelques années auparavant. Cependant, Touya le reconnut immédiatement malgré les années qui avaient assurément marqué son visage. C'était l'homme qu'il avait rencontré dans sa rue. Il lisait un journal tout en fumant une cigarette qui devait être la cinquième de la journée, étant donné les quatre autres qui reposaient dans le cendrier et l'odeur suffocante qui régnait dans la pièce. Il était clair que ce magasin n'était qu'une vaste blague et plus que probable que tous ces objets exposés soient des faux. Il jeta un regard vers Touya mais son attention revint à son journal. Le coin gauche de sa lèvre s'étira de façon très marquée et demeura ainsi, créant sur son visage l'expression universelle du mépris.
« On m'a un jour donné ça, dit Touya en tendant vers lui le sceau du clan, sans même prendre la peine de saluer le yakuza.
-C'est possible mais il est fort probable que tu l'ais trouvé dans une poubelle, répondit le yakuza sans le regarder, tu devrais t'en aller.
-On m'a également donné un mot de passe avec, enchaîna Touya.
-Tiens donc… Je suis curieux d'entendre ça, dit l'homme qui semblait toujours absorbé par sa lecture.
-C'était « Dragon Rouge ».
Une tension parcourut les doigts du yakuza qui releva enfin ses yeux clairs vers le jeune homme qui se tenait devant lui. Il se souvenait de ce mot de passe sans aucun doute. Il posa sur Touya son regard vert avec la même arrogance qui ne semblait jamais quitter le visage des membres de la pègre. Cependant, il tentait dans le même temps de cacher son étonnement. Puis, il se leva et alla dans l'arrière-boutique. Il revint quelques minutes plus tard et dit sur un ton presque affable :
« Une voiture va venir vous chercher. »
Il se rassit derrière le comptoir, n'invitant pas le jeune homme à en faire de même. Un quart d'heure plus tard, une voiture noire s'arrêta devant la boutique d'antiquités et l'homme fit signe à Touya de sortir et de s'y rendre. Sans un adieu, il passa la porte et entra dans la voiture dont la portière venait de s'ouvrir. C'est avec un certain désarroi qu'il se rendit compte que cette voiture était l'endroit le plus confortable dans lequel il lui avait été donné de s'asseoir depuis longtemps. Il profita du voyage. Il resta silencieux, ne posant aucune question et le chauffeur ne lui adressa pas la parole de tout le trajet.
Le véhicule finit par tourner à droite et s'arrêta devant une grille qui s'ouvrit. Après quelques mètres, elle s'arrêta devant un escalier qui menait à un vaste bâtiment et en haut duquel attendaient deux hommes. La situation était suffisamment claire pour faire comprendre à Touya qu'il était arrivé à destination et qu'il devait descendre. Il monta les marches et suivit les hommes à l'intérieur de ce qui ressemblait à un simple petit immeuble de bureau. L'intérieur de la résidence était décoré de façon traditionnelle sur le sol et les murs et Touya ne put s'empêcher de remarquer avec une certaine répulsion certains points communs avec son ancienne maison. Il suivit son escorte qui parcourut le couloir central sur plusieurs mètres jusqu'à une porte sur la gauche. L'un des deux yakuza y frappa trois fois dans un rythme particulier. La porte s'ouvrit et Touya fut invité à entrer seul après avoir retiré ses chaussures. Il garda cependant sa capuche. La pièce dans laquelle il pénétra était un washitsu délimité par des portes coulissantes shōji et fusuma. Au fond de la pièce, se trouvait une petite alcôve, où étaient exposés des calligraphies, des estampes et une composition florale. Deux autres hommes qui vraisemblablement gardaient la porte de l'intérieur sortirent sur ordre d'une troisième personne. C'était un homme, plutôt jeune, qui se tenait debout au centre du salon derrière une petite table basse, avec deux zabutons de part et d'autre. Les deux gardes qui sortirent n'étaient pas habillés comme les yakuzas que Touya avait déjà croisés et portaient d'étranges masques évoquant des becs d'oiseaux. Juste avant qu'ils ne franchissent la porte, il croisa le regard de l'un deux qui avait une chevelure blanche. Ce dernier plissa les yeux avec un air soupçonneux et Touya n'eut pas besoin de voir le bas de son visage pour constater que décidément sa présence ici n'était pas souhaitée par tout le monde. La porte se referma et il se retrouva seul devant un jeune homme qui l'observait en silence et dissimulait le bas de son visage derrière un masque chirurgical noir. Ses cheveux étaient bruns et courts. Il portait une chemise noire avec une cravate blanche et des gants en latex blancs. Ce n'est que lorsqu'il vit ses yeux jaunes que Touya reconnut le garçon de la décharge, Kai Chisaki. Ce dernier le regardait de haut en bas.
« Tu es différent, dit Kai pour tout salut.
-Toi aussi, répondit Touya. »
Kai sembla réfléchir quelques secondes à ce que son interlocuteur venait de lui dire et finalement désigna la table où était déjà servi le thé en disant.
« Assied-toi »
Les premières semaines dans le quartier général du clan Shie Hassakai furent calmes. Touya décida de se faire aussi discret que possible et de suivre à la lettre les instructions données par Kai. La conversation que Touya avait eue avec lui le premier jour fut courte et des plus formelles. Il pouvait rester ici mais devait fréquenter essentiellement le premier étage où il logerait et prendrait ses repas seul. Pour sortir à l'extérieur dans le jardin, il devait emprunter l'escalier de l'aile centrale qui y menait directement et pas un autre. Cette cage d'escalier était le seul endroit du rez-de-chaussée où il pouvait se trouver. Le deuxième étage et le sous-sol lui étaient formellement interdits. S'il voulait fumer, c'était seulement sur le toit auquel il pouvait accéder par le même escalier que pour le jardin. Il ne pouvait saluer personne, parler à personne. Dans ce bâtiment, il était une ombre. Bien que les restrictions fussent nombreuses, cela convenait parfaitement à Touya qui préférait rester loin des discussions et des questions. En observant ses hôtes, il comprit rapidement les raisons de son isolement. En effet, au sein du clan, il y avait des règles précises pour pratiquement tout, de la façon dont on salue quelqu'un au-dessous ou au-dessus de soi à la façon de parler aux gens, de la manière de les écouter à la façon de se tenir à côté d'eux ou derrière eux. Les yakuzas sont un monde féodal, très différent de la vie ordinaire extérieure où les erreurs de protocole sont punies. Touya n'était pas assujetti à ces règles et ainsi, il valait mieux faire comme s'il n'existait pas. C'était bien ainsi. Il voulait être seul. Il voulait toujours être seul. Il avait aussi observé Kai et ne savait quoi en penser.
Le premier étage était très différent du rez-de-chaussée. Alors que celui-ci alliait tradition et modernité, on aurait cru revenir un siècle en arrière après avoir monté les escaliers. Les sols étaient entièrement recouverts de tatami et les pièces accessibles par des portes coulissantes. La chambre de Touya devait être comme tous les autres, divisée en trois par des Shoji avec un petit salon du côté de l'entrée, puis la chambre avec un futon et une salle de bain avec le strict nécessaire. Le premier jour, Touya en retira le miroir.
On lui apporta d'autres vêtements. Il ne les mit pas car il ne les avait pas réclamés. Son pull à capuche lui convenait. La seule chose qu'il avait réellement demandée était de pouvoir écouter la radio et d'ailleurs dès le lendemain, il avait retrouvé devant sa porte un petit poste noir qui devait avoir bien vécu. Qu'importe, ça ferait l'affaire. Il l'installa sur sa table de nuit, déplia l'antenne un peu tordue et chercha la station qu'il entendait habituellement dans les gares où il avait passé beaucoup de temps et de nuit. Ces voix qui s'adressaient à tous mais ne parlaient à personne étaient devenues d'une importance primordiale pour Touya. Les écouter, c'était ne pas oublier que le monde extérieur existe. Il passa ses journées ainsi à paresser sur son futon à côté de la radio et entendre la plupart du temps les banalités et les musiques du moment. Et parfois, relever un peu la tête lorsqu'il entendait un nom. Ce nom. Celui qui avait brutalement fait irruption dans l'actualité il y a quelques mois: « Stain ». Ce nom, c'était un peu d'oxygène pour Touya. Un nom qui lui disait que tout n'était pas plié, que les choses pouvaient changer finalement. Que tout n'était pas décidé dans ce monde, sauf peut-être pour lui. Il passa des heures à trouver la bonne position sur son futon pour dormir. La position la moins douleureuse, celle qui sollicitait le moins ses agrafes. Il savait pourtant que ce ne serait pas suffisant car un simple mouvement pouvait toujours le tirer de son sommeil. C'était une lutte perdue d'avance. Une lutte inutile qu'il menait dans la solitude.
Un matin, Touya descendit dans le jardin pour flâner. Il y trouva Kai qui était assis sur le seul banc du lieu. Il entreprit de changer de chemin pour ne pas l'importuner mais le yakuza lui fit signe de rester. À contrecœur Touya s'approcha en baissant la tête, faisant descendre sa capuche au plus bas sur ses cheveux rouges et gardant les mains dans les poches pour ne pas solliciter davantage les manches dont les coutures commençaient à céder. Il entendit la voix de Kai qui lui dit :
« Tu peux t'asseoir. Là. »
Kai lui montra un endroit précis du banc, plus ou moins la distance de son bras. Bien qu'il ne veuille parler à personne Touya s'exécuta et le rejoignit. Le yakuza ne dit d'ailleurs rien et semblait se contenter de sa seule présence. Il parcourut sans un mot le jeune homme de haut en bas de son regard jaune, comme il l'avait fait le premier jour mais de façon plus intense. Des regards, Touya en avait subi de tout genre mais il devait bien admettre que celui de Kai était bien différent de ce qu'il avait vécu jusqu'à présent. À la fois direct et impénétrable, le yakuza semblait l'étudier sur toutes les coutures. Mal à l'aise, Touya décida malgré lui d'entamer la conversation.
« Comment t'es-tu retrouvé ici ? »
Kai regarda ailleurs comme si le silence était la seule condition pour son attitude.
« J'ai été recueilli par le chef du clan. Il m'a adopté.
-Et ça… C'est à cause de la décharge ? »
« Ça » comprenait pas mal de choses, en résumé, tout ce que Touya avait pu observer ces dernières semaines. « Ça » étant le fait que Kai n'approchait personne à moins d'une certain distance, pas par pure timidité ou règle du clan mais par choix assumé. « Ça » étant le fait que Kai ne touchait rien directement et portait des gants à cet effet. « Ça » étant le masque qui dissimulait son visage en permanence. « Ça », étant ce regard de dégoût qu'il avait sur tout ce qui n'était pas impeccable.
« Je pourrais tout t'expliquer mais je ne suis pas certain que tu puisses comprendre, répondit Kai en le scrutant rapidement du coin de ses yeux jaunes, et ça c'est quoi ? »
« Ça » recouvrait encore plus de matière pour Touya. Ses cicatrices en premier lieu, évidemment. Il ne valait mieux pas en parler. Pour Touya, c'était un sujet tabou. Et il y avait bien d'autres choses. Son allure négligée, ses habits bien trop anciens, son corps amaigri, ses bras presque osseux, son air à la fois fatigué et perdu. Touya n'était plus que le lointain souvenir du garçon sur son vélo au bord de la digue. Mais à la question de Kai, il ne répondit que ces mots :
« C'est rien. J'ai eu… un accident. »
« Ouais, un accident », pensa Touya. Il allait garder ce mot là pour l'instant. Kai acquiesça et continua :
« Depuis combien de temps es-tu dehors ? »
C'était la façon polie de demander depuis quand il était à la rue. Touya ne répondit pas même s'il connaissait la réponse. Kai en déduit que ça voulait dire au moins plus d'un an.
« Comment tu as fait jusqu'ici ?, demanda-t-il alors
-Comme j'ai pu.
-As-tu encore besoin de quelque chose ?
-Non. »
C'était une question à laquelle Touya ne pouvait pas être honnête. Matériellement, Kai ne pouvait pas faire plus, c'était même plus que ce qu'il méritait :
« Pourquoi tu m'aides ?, interrogea Touya
-J'ai une dette envers toi. Tu m'as sauvé. »
Touya ricana :
« Tout ça, c'est des conneries. Tu t'en serais sorti tout seul sans moi. Tu ne me dois rien.
-Si. Tu as demandé une aide à laquelle tu avais droit. »
Kai parlait sans jamais tourner la tête vers Touya, gardant ses mains sur ses genoux. Il aurait dû préciser qu'il avait vécu de longues années à côté de la décharge. Il y passait une grande partie de son temps pour récupérer des choses qui pourraient être utiles. Il n'était d'ailleurs pas le seul. Il y avait d'autres enfants et des personnes qui n'avaient nulle part où aller. Au début, les gens de la digue le regardaient avec surprise et dégoût et puis, avec le temps sa présence étant devenue normale, les gens avaient fini par s'y habituer. Ils ne le regardaient plus. Kai avait fini par faire faire partie du décor et se fondre à l'ombre de ces montagnes d'ordures. Quand il s'était retrouvé enseveli, Kai avait presque cru qu'au final, il avait retrouvé sa place. Il était un déchet parmi les autres déchets. Mais ce garçon l'avait tiré de là et donné de l'eau. Ce garçon ne l'avait pas traité comme un déchet. Alors que pouvait-il faire d'autre qu'être reconnaissant ? Mais Kai ne dit rien de tout cela. C'était trop évident pour lui. Son esprit était déjà ailleurs. Il reprit :
« Tu as un alter qui produit du feu, c'est bien ça ?
-Oui.
-Alors, tu devrais venir ce soir. »
Kai se leva et quitta le jardin. Touya ne releva pas ses derniers mots. Au final, il était tout de même heureux d'avoir pu parler à quelqu'un même si la conversation n'était pas des plus agréables. Les questions du yakuza lui faisait ressasser le comment il en était arrivé là et tout ce que le « ça » était pour lui. « Ça » allait bien au-delà des cicatrices bien qu'elles étaient un problème à part entière. Il ne savait plus exactement quand tout cela avait commencé. Peut-être après avoir déposé une énième lanterne sur le fleuve Sumida, ou après avoir trouvé la porte de la salle d'entrainement verrouillée, après le premier entraînement de Shouto. Il n'était plus certain. Au début, ce n'était rien. Il était juste triste. Juste un petit trou au creux de l'estomac, pas plus grand que celui d'une épingle. Et puis, il ne dormait plus ou dormait trop. Parfois il manquait de force. Parfois, il n'en avait plus du tout. Plus la force de sortir, de travailler pour l'école, de jouer avec son frère et sa sœur. Il pleurait souvent seul, comme ça, sans raison valable. Et puis il avait bien dû reconnaître que ce trou qui s'agrandissait n'était pas un trou. C'était une tâche qui gagnait du terrain, indélébile et irrattrapable. Noire comme de l'encre, corrosive comme l'acide. Elle le dissolvait et il se laissait couler. Puis il y avait eu ce moment. Ce moment où ça avait vraiment dégénéré. Ce moment où il s'était forgé une carapace à laquelle il avait fini par croire. Ce moment où il avait cessé de pleurer et où il avait cru qu'il pourrait inverser la tendance. Ce moment où il avait décidé de ne plus avoir mal. Sourire quand il abusait un peu de son alter. Rire de la douleur. Repousser chaque jour les limites de son pouvoir un peu plus loin. Se moquer de l'impossible. Être capable du pire, tout en le prenant comme un jeu. Et puis rien. Juste le noir. Les jours où l'on ne voudrait n'avoir jamais existé, les jours où l'on voudrait que tout s'arrête. Aucun mot pour décrire une telle chose. Même pas l'enfer. Des ténèbres sans nom. Ou si ce nom c'était le sien ? Et si « ça », comme disait Kai, c'était simplement lui ?
J'espère que tu as aimé la première partie de mon cadeau. A bientôt pour la suite )
(*) Yubitsume = Si un yakuza enfreint le code d'honneur, il doit, pour se faire pardonner, se mutiler lui-même le petit doigt et l'offrir à l'Oyabun.
(*'') Oyabun = Patriache du clan yakuza.
(*''') irezumi = Forme particulière de tatouage traditionnel au Japon, qui couvre de larges parties du corps, voire son intégralité et qui est porté par de nombreux yakuza.
