Elle allait l'attraper. Sale bête. Son petit chien de chasse aurait pu aisément blesser l'animal, mais la pauvre bête, ayant oublié son héritage de chasseur, était partie en hurlant à la mort quand ils se retrouvèrent face à un gros sanglier. Alors Elizavetha, qui ne faisait sûrement pas les choses à moitié, avait décidé de courser la bête (pas le chien, le sanglier). Elle s'en était bien sortie pour le moment, mais là elle avait réussi à se ridiculiser royalement. Gilbert éclata de rire. Il faut dire que ce n'était pas glorieux.

Elisa, des feuilles mortes mêlées à ses cheveux, essayait tant bien que mal de se dépêtrer de ce trou qui aurait du servir de piège à ours. En temps normal, elle aurait admiré l'habile camouflage, mais elle était trop occupée à trouver une issue. Gilbert restait en haut, fier de lui, toujours écroulé de rire, regrettant de ne pouvoir contacter un peintre pour immortaliser la gaffe.

Elisa sortit sans l'aide du gamin hilare, se rappelant de lui coller une bonne baffe à la gloire de sa bêtise. Se trouvant bredouilles, ils rentrèrent. Gilbert était un bon camarade. Le genre toujours prêt à faire les pires bêtises, qui n'auraient jamais traversé son esprit (du moins c'est ce qu'elle en disait). Chez lui, apparemment, la vie n'était pas forcément facile. Faisant partie de l'ordre des chevaliers teutoniques, il se devait d'aller prier tous les jours (pour elle, c'était déjà pénible tous les dimanches) et son régime alimentaire… Plutôt limité.

Mais plus que tout, ce qu'on lui avait strictement interdit –pour le restant de ses jours, sans doute-, c'est d'approcher une fille. Là était tout le problème. Car si Elisa se travestissait, ce n'était sûrement pas par goût, non. Gilbert lui-même la prenait pour un garçon (ignorant totalement son prénom pour le moins féminin) et l'entraînait par conséquent dans tous ses jeux, ses farces débiles, n'y allant pas de main morte pour tout ce qui était rots, pets, etc… Ils étaient amis. Parfois, Gilbert pensait qu'il ferait bien de rencontrer une fille un jour, et Elisa acquiesçait silencieusement, retenant en elle tout désir de lui balancer qu'elle était une fille et qu'il pourrait arrêter cinq minutes de geindre à ce sujet. Non. De toute façon, il ne l'aurait pas cru, tant son déguisement était habile.

A cet âge-là, après tout, on fait peu la différence il suffit de s'habiller et de se coiffer comme un garçon pour être considéré comme tel. Mais l'enfance passe vite, même pour des nations. Au fur et à mesure que le temps passait, Elisa se rendait bien compte que sa féminité devenait de plus en plus évidente, et ce n'était pas un secret pour son roi ou pour son peuple. Son secret ne tenait qu'à un fil, et elle avait fait jurer à son roi de n'en parler à aucun prussien.

Gilbert continuait de la voir. Il ne se doutait de rien ? Elisa n'en avait aucune idée. Ils continuaient de chasser ensemble, de passer leur temps à inventer des jeux plus débiles les uns que les autres, de tabasser –à peu près quotidiennement- le petit Autriche (c'est très méchant mais ça les faisait beaucoup rire en fin de compte les enfants sont cruels), et bien sûr, Gilbert persistait dans son humour assez vaseux, ayant eu cependant la subtilité d'éviter les blagues les plus salaces puisqu'il voyait bien que ça énervait un peu Elisa.

Mais de son côté, Gilbert voyait bien qu'Elisa était différente. Bien qu'elle fût entraînée, son corps était petit, et faible. Elle rougissait quand il parlait –à sa façon un peu « particulière »- des filles, de comment il les imaginait d'après le peu qu'il savait. Et puis sa voix était… Efféminée. C'était le mot. Et il ne croyait pas si bien dire, ce qu'il ne tarda pas à comprendre. Petit à petit. Bien sûr, quand il avait commencé à avoir des doutes, ça lui avait fait un choc, et il commençait à se dire qu'après tout, elle était plutôt mignonne, non ? Mais c'était aussi ça qui lui faisait peur. C'était son « copain » d'enfance. « Celui » devant qui il avait commis les pires débilités.

Cependant, une autre partie de lui-même se disait que, malgré tout ce qu'il avait pu s'inventer sur les femmes, sur la femme parfaite, et autres… C'était peut-être elle qui correspondait le mieux, finalement. Elisa (il avait fini par apprendre son prénom) était belle, ça l'écorchait un peu de le dire, au repos comme au combat il la voyait en chef plutôt que soumise, et Elisa prenait tout son sens quand elle se laissait au rire, aux gaffes, quand elle bombait le torse pour se vanter d'un exploit, quand elle s'énervait contre son roi…

Alors, comme s'ils avaient conclu un pacte, un accord silencieux et inconscient, ils se contenteraient de garder le secret d'Elisa.