Disclaimer : Perfect Sense est un film de 2011, par David McKenzie, qui par conséquent en possède chaque once de chef d'œuvre. Aucun profit de quelque nature que ce soit n'est obtenu, ni même espéré à travers ce texte.
Rating M pour le langage, et les situations sexuelles du deuxième et dernier chapitre à venir.
A écouter avec : Vous avez le choix. Soit la BO du film, soit le silence le plus total.
Si vous n'avez pas encore vu ce film, foncez.
- Eux -
Il y a l'obscurité. Il y a la lumière.
Il y a des hommes et des femmes. Il y a la nourriture. Il y a des restaurants.
La maladie.
Il y a le travail. Le trafic routier.
Les jours comme nous les avons connu. Le monde comme nous l'imaginons.
Désormais, il ne reste plus qu'eux deux. Lui, c'est Michael. Elle, c'est Susan. Michael et Susan se cherchent à présent.
Il ne reste plus qu'eux deux.
Le reste a disparu.
D'abord, il y a eu l'odorat. Pour le monde, c'était la maladie. Nous ne savions pas l'expliquer. Alors comme l'homme craint ce qu'il lui est inconnu, nous lui avons donné un nom. S.O.S., pour Syndrome Olfactif Sévère. On nous a dit que ce n'était pas contagieux, mais nombreux sont ceux d'entre nous qui n'étaient pas convaincus. Les premiers masques commencèrent à apparaître, dans la rue, dans le métro, chez le commerçant du quartier. Dès que nous avons pu nommer la maladie, lui astreindre une étiquette, nous avions moins peur. La bête invisible était apprivoisée. Nous savions ce que c'était. Nous connaissions les symptômes. D'abord, une immense sensation de tristesse. Puis, l'odorat qui disparaît. Les odeurs qui ne deviennent que des souvenirs. Et au fil des jours, des semaines, les souvenirs se désintègrent eux-aussi.
Pour eux, c'était une nuit passée dans les bras de l'autre, à pleurer sur les regrets et les remords de toute une vie. Et l'odorat qui s'efface juste après. Leur première nuit, chez elle.
Et la vie reprit son cours.
Ensuite, ce fut le goût. Nous n'avons même pas eu le temps de donner un nom à la maladie, cette fois. D'abord, l'individu est envahi par la terreur, celle de mourir seul, par exemple. Puis arrive la faim. La faim, sans limites, qui tiraille le ventre. Qui nous rend sauvages. Alors l'individu mange tout ce qu'il trouve. Tout. Et puis cela se calme. Et nous avons perdu le goût. Nous nous somme rabattus sur le toucher. La consistance des aliments. Nous avons découvert d'autres sensations. La fraîcheur de la glace. La douceur du savon. L'onctuosité de la mousse à raser.
Pour eux, ce fut différent : ils n'étaient pas ensemble à ce moment-là. Pour elle, ce fut des minutes passées dans un parking, tétanisée, puis un banquet à base de fleurs, de désinfectant pour mains et de rouge à lèvres. Pour lui, la terreur indicible de finir seul, puis une orgie de tout ce que l'on pouvait trouver dans une cuisine de restaurant. Et ils perdirent le goût.
Et la vie reprit son cours.
Nous savions que cela ne finirait pas là. Tout le monde portait le masque, désormais. Vint l'ouïe. Ce fut beaucoup plus compliqué. Il n'était même plus question de nommer la maladie. Elle allait trop vite. Elle était trop prévisible. Et la peur était là. Sournoise. Vibrante. Cliniquement, l'individu entrait dans un violent accès de rage. D'autodestruction et de destruction de l'autre. Le monde n'était plus que violence. Aussi simplement que cela. Et vint le silence.
Pour eux, ce fut en rentrant à la maison. L'inquiétude dans la voiture, les vitres abaissées, écoutant les cloches des églises sonner en se demandant quand viendra leur tour. Une main dans la main. Un baiser à travers les masques chirurgicaux. La sensation des lèvres à travers la matière plastifiée. Le jeu du « rend-moi spécial ». Et leur tour arriva. Lui d'abord. Un « je vais te baiser » un peu trop brutal. Puis les insultes, rappelle-toi que tu n'es qu'un trou à foutre, avec un cul une chatte et une bouche, infertile avec ça, une pauvre salope, et il commença à briser chaque objet qui passait sous sa main. Il n'était que haine, colère, violence. Alors elle a eu peur, et elle est partie. Dans son laboratoire. Et ce fut son tour, les insultes, mais envers cette pute de maladie invisible qu'on ne trouvait nulle part, dont on ne savait strictement rien. Et le coup de téléphone. C'était lui, enfin sourd, priant pour qu'elle l'entende. Elle doit comprendre, ce n'était pas lui, c'était la maladie, alors il la suppliait de lui pardonner et de revenir parce qu'il avait besoin d'elle et que le monde partait en morceaux et qu'il l'aimait. Mais elle n'entendit pas. Elle déversait sa rage sur une pauvre étagère. Et devint sourde à son tour.
Et la vie reprit son cours.
Nous étions impuissants. Car nous savions que bientôt, la vision nous serait enlevée. Aux quatre coins du globe, les gens se préparaient. Se préparaient au noir. L'Homme a peur du noir. Sa vue l'en console, les nuits de terreur. Les gens savaient. Et nous ne pouvions rien faire. Alors vint ce moment où tout n'est que lumière. Où le monde nous apparaît comme magnifique. Où chaque chose, aussi infime soit-elle, nous dévoilait sa beauté. Une feuille d'arbre. Les rayons du soleil. La route qui défile. Le vent qui joue dans nos cheveux. Nous étions aveugles du monde qui nous entoure. Enfin nous voyions.
Pour lui, ce fut le réveil d'un sommeil agité de sanglots. Il vit les rayons du soleil. Il sourit. Il sortit. Courut.
Pour elle, ce fut la prise de conscience. De la beauté du monde. Elle sourit. Elle sortit. Courut.
Et la vie ne pouvait plus reprendre son cours.
Car il tomba.
Avala le monde.
Le trou noir.
Pour eux, c'était l'espoir. L'espoir de se voir une dernière fois. De voir l'autre et rien que l'autre. D'être l'un contre l'autre pour la fin.
Puis la peur. La peur quand ils ne se trouvent pas, qu'ils s'évitent sans le savoir.
Mais le monde n'était pas si cruel que cela.
Ils se trouvèrent.
A l'endroit de leur rencontre.
Un sourire. Une mèche de cheveu qui se soulève dans le vent. Leurs yeux bleus qui se croisent et ne se quittent plus.
Maintenant, ils se rapprochent.
Le monde n'est plus que cela.
Eux deux, et le silence. Total. L'obscurité, qui s'abat petit à petit comme un rideau se ferme. C'est la dernière fois qu'ils se voient. Ils le savent. Qu'ils voient tout court. Avant la nuit.
Alors ils se cherchent. Ils savent tout ce dont ils ont besoin de savoir. Chacun sait que l'autre est à quelques centimètres. Ce sont les mains qui se lèvent, la vision qui se brouille, les sourires qui disparaissent, les paupières qui se pressent, la démarche qui se fait prudente. Les corps qui se rapprochent.
Sans bruit.
Juste la lumière qui s'éteint.
Ils repensent à leur rencontre. Une cigarette. Un « hey matelot », et le goût du poisson, sa spécialité à lui, et leur première nuit, et leurs pleurs, et leurs peurs, et le son d'un violon, et leurs rires dans une baignoire, et tout cela à la fois et pour toujours. Leurs caresses. Leurs murmures. Leur union. Et ils gravent dans leur mémoire le visage de l'autre.
Ils se cherchent. C'est l'attente. La suspension.
Les corps qui se rapprochent.
...Contact.
