Titre: Who said I would? (Effectivement, c'est une référence à la chanson de Phil Collins dans No Jacket Required).

Disclaimer : les personnages, l'univers, et les fondements de l'intrigue appartiennent à Philip Pullman. Je me suis contentée d'élaborer une histoire à partir de ces éléments. Elle se déroule à Londres, à une époque qui correspond à peu près à nos années vingt, et bien sûr, 14 ans avant le début des Royaumes du Nord.

Prologue.

Par une froide après-midi d'hiver, une agitation inhabituelle régnait autour de l'Institut Royal Arctique. D'ordinaire, ce nom évoquait des Erudits voûtés et alanguis, ou encore des explorateurs au visage creusé par une vieillesse prématurée. Depuis plusieurs semaines, cependant, on racontait qu'un jeune lord, Asriel Belacqua, était revenu d'une expédition dans le grand Nord grâce à laquelle il avait amassé une immense fortune. Comment ? Pourquoi ? Seuls quelques élus auraient la réponse à ces questions alors que la haute société londonienne se désespérait et, fait rare, la conférence que Lord Asriel devait donner remplirait entièrement la salle.

Toutes sortes de rumeurs circulaient sur le personnage. La plupart étaient extravagantes ou du moins hautement irréalistes, mais deux choses en ressortaient : l'homme était fougueux, de tempérament colérique, et d'une ambition démesurée. Qui du personnage ou de son expédition attirait le plus de monde, c'était un mystère. Déjà, de nombreux fiacres et quelques automobiles se massaient devant l'imposant bâtiment. Dans l'une d'elles se trouvait une jeune et jolie femme dont le daemon était un singe au long pelage soyeux et doré. D'un geste révélant l'habitude de l'autorité, elle fit signe au chauffeur de s'arrêter. Elle descendit et se hâta d'entrer dans le hall doucement éclairé par des lampes à naphtes, ignorant les regards surpris et admiratifs des hommes déjà présents. Rares étaient les femmes à avoir le privilège de franchir le seuil de l'Institut. Rares également étaient celles qui s'intéressaient à ce qu'il recelait, et sans doute, les membres masculins imaginaient-ils avec une pointe de jalousie que la ravissante créature qui se trouvait là n'était venue que pour contempler le fameux Lord Asriel. Ils se trompaient lourdement.

A vingt-deux ans, Marisa Coulter se réjouissait à l'idée de redevenir, pendant quelques heures, l'universitaire qu'elle était encore moins d'un an auparavant. Depuis son mariage, elle entendait davantage parler de réceptions et de danseurs à la mode que de sujets aussi passionnants que les voyages dans le Nord ou des découvertes. Or elle préférait la conversation des scientifiques à celles des aristocrates qui lui faisaient la cour. Comme celui qui s'avançait vers elle, par exemple. Agé d'environ quarante ans, athlétique, aux cheveux blonds parsemés de mèches blanches, il flottait dans un nuage de parfum coûteux. « Lord Boréal », s'exclama-t-elle. Sa voix trahissait l'étonnement, mais pas sa contrariété.

- Marisa, dit-il de sa voix à la fois douce et autoritaire, j'ignorais que vous deviez venir, mais vous m'en voyez ravi.

- Je ne doute nullement de votre sincérité, my Lord, mais …

- Appelez moi Carlo, je me fait l'effet d'être un vieux croûton !

Marisa résista à la tentation de lever les yeux au ciel. Ne jamais montrer à quelqu'un de puissant qu'on le dédaigne ou qu'on le méprise, surtout s'il s'intéresse à vous. Lord Boréal était riche, influent, et avait d'excellentes relations. En outre, le daemon serpent enroulé autour de son poignet l'observait attentivement, et sa langue fourchue incitait à la prudence. Marisa lui offrit son plus charmant sourire désolé.

- Je vous prie de m'excuser, Carlo. Seulement, je dois mon invitation à une personne qu'il faut absolument que je rejoigne. Je vous verrai à la réception samedi, j'espère ?

- Ah ! cette maudite étiquette. A cause d'elle, je vais devoir patienter trois jours pour avoir le plaisir de vous revoir.

La jeune femme rit discrètement, et lui adressa un petit signe de la main avant de s'éloigner d'un pas mesuré. Chacun de ses gestes seraient contrôlés, jusqu'à ce que Lord Boréal ne puisse plus la voir.

Enfin, elle retrouva celle à qui elle devait son invitation. Dame Hannah Relf, directrice du Collège de Sainte Sophie, l'ancienne école de Marisa, faisait partie des quelques femmes membres de l'Institut Royal Arctique. A cinquante ans passés, elle portait sur le monde un regard sévère et intelligent. Son daemon ouistiti, dont les yeux pétillaient de sagacité, démentait son apparence austère. L'Erudite accueillit chaleureusement la jeune femme : « Marisa, je vous attendais avec impatience ! Non, ne vous inquiétez pas, vous n'êtes pas en retard, ajouta-t-elle devant l'air poliment étonné de son interlocutrice, simplement, je voudrais vous présenter à un vieil ami. Il s'agit du maître de Jordan College. »

Aux côtés de Dame Hannah se tenait un homme vêtu d'une toge noire, qui ressemblait en plus d'un point au daemon corbeau perché sur son épaule.

- Enchanté de faire votre connaissance, fit-il en lui serrant la main.

- Moi de même, maître.

- Lord Asriel est un ancien élève de Jordan College, et un érudit, précisa Dame Hannah.

Marisa ne dissimula pas sa surprise.

- Oui, j'ai entendu ce qu'on raconte, moi aussi, dit le maître en esquissant un sourire. Cependant, Lord Asriel est bel et bien un érudit, en dépit de son caractère orageux.

La jeune femme sourit à son tour. Voilà qui ne ressemblait pas au portrait habituel des résidents de Jordan College.

- Je suis certaine que vous êtes fier de sa réussite, affirma Dame Hannah.

- Oh, je me réjouis pour lui. C'est quelqu'un de remarquablement intelligent, mais de trop passionné pour demeurer 30 semaines par an à Oxford. Sans doute manque-t-il de patience, aussi, murmura-t-il comme pour lui-même. Trop démesuré…

Alors qu'il prononçait ses mots, il parut soudain plus ridé, plus raide et lent. Il regardait la jeune femme sans la voir, comme si elle avait cessé d'exister. Une immense tristesse semblait l'avoir soudain saisi, comme s'il savait qu'un malheur allait survenir et qu'il ne pourrait l'arrêter. Les deux femmes l'observaient avec inquiétude, mais le bruit d'une cloche tira le maître de ses pensées mélancoliques.

- Nous devrions nous rendre à l'Auditorium, dit-il, se reprenant.

Les deux femmes acquiescèrent et lui emboîtèrent le pas, tandis que le daemon corbeau murmurait quelque chose à l'oreille de son humain : il n'aimait décidément pas le singe doré.