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La jeune femme étalait consciencieusement son vernis sur ses ongles en prenant bien soin d'en encadrer les lunules, lorsque la voix agacée de Mike résonna à côté, au milieu des brouhahas du plateau.
« Bon sang, Debbie, mais qu'est ce que tu fous ? »
Elle poussa un profond soupir mais prit néanmoins tout son temps pour revisser le tube, s'accorder un dernier regard dans le miroir de la loge, rectifier sa coiffure du bout des doigts. C'est avec un air royal qu'elle rejoint Mike, simplement vêtue d'un peignoir en éponge jaune vif. Il fulminait.
« Dans moins d'une heure la lumière aura changé ! Tu sais ce que ça coûte à la prod' une journée perdue ? Un coup sur les doigts de ce pauvre Mike, et bientôt je n'aurai plus qu'à me chercher d'autres collaborateurs ! »
Elle regarda le jeune réalisateur fouiller ses poches rageusement et en sortir un paquet de Marlboro. Alors qu'il fichait une cigarette entre ses lèvres, elle la lui retira avec un sourire empreint de douceur.
« Tu sais que c'est interdit, sur le plateau… Et puis calme toi, par pitié ! On sera dans les temps, comme toujours ! »
Il se radoucit, un court instant, en fait jusqu'à ce qu'un machiniste se prenne malencontreusement les pieds dans l'un des câbles du projo. Il faut dire que le plateau avait largement dépassé son seuil de fréquentation et que chaque intervenant se devait de jouer du coude pour pouvoir effectuer sa tâche. Mike se mit à frapper très fort dans ses mains.
« Bon, allez, assez ri les enfants ! S'exclama t-il. Tout le monde en place et vite ! Je veux qu'on ait bouclé ce passage avant le coucher du soleil… »
Debbie ôta tout naturellement son peignoir, et c'est dans le plus simple appareil qu'elle gagna le décor : une chambre d'hôpital tout ce qu'il y avait de plus édulcorée, avec un bouquet de jonquilles sur la table de nuit. Mike rugit tandis qu'elle se glissait dans les draps :
« Il manque à l'appel notre étalon national ! Il est passé où le rital ? Il est allé cueillir du bois bandé ? »
L'équipe s'écarta lorsqu'un grand gaillard blond en costume d'interne fendit rapidement la foule, il marcha vivement vers la jeune femme nue, tout en ajustant sa blouse. Debbie lui sourit brièvement tandis que Mike le houspillait, comme toujours.
« Tu penses pouvoir le faire d'une traite, Marcello ? (Le dénommé Marcello acquiesça) Je vous briefe encore une fois… Debbie, tu l'écoutes faire son diagnostic jusqu'au bout, et lorsqu'il t'annonce la tumeur, tu fonds en larmes. Il te prend dans ses bras pour te consoler, et là j'aimerais un plan de ta jolie mimine parfaitement manucurée qui part à la recherche de son joujou. Tu dois plonger la main directement dans son pantalon, tu te souviens ? Et là, ben prions le Seigneur pour que Rocco soit en forme ! »
Mike se tourna vers l'équipe de tournage. Le clapman le devança dans le champ de la caméra. Sur l'ardoise noire qu'il fit claquer prestement, on pouvait lire « Genital Hospital ».
« Allez, action ! »
Hélas, Marcello n'eut jamais le temps de prononcer ce fameux diagnostic dont la mémorisation lui avait été si fastidieuse, à peine baissa t'il le regard sur Debbie, qu'il marqua un mouvement de recul, horrifié.
Elle se tenait la tête à deux mains, semblant suffoquer, alors qu'une marre de sang jaillissant de ses narines, s'étendait devant elle, sur les draps immaculés. Mike se rua vers la jeune femme, affolé, et essaya tant bien que mal de la redresser en la tenant aux épaules.
« Debbie ? Qu'est ce que tu as ? Ca va ? »
Le sang ne semblait jamais vouloir s'arrêter. Il s'écoulait chaud, épais, visqueux, et lorsque Debbie, les doigts vissés sur ses tempes, essaya de parler, un flot encore plus conséquent fusa, éclaboussant copieusement la blouse du jeune acteur, qui s'était statufié. Comme la majorité de l'assistance, d'ailleurs.
Ce fut Mike, qui réagit, se tournant vers son équipe, sans cesser de soutenir la jeune femme :
« Bande d'idiots, hurla t-il. Coupez la caméra et appelez les urgences ! Mais vous attendez quoi ? »
