Triumvirat

I

James

Note de l'auteur : J'imagine que certaines avaient peut-être compris que j'étais en vacances. J'avais bien besoin d'une longue pause dans mon écriture. N'ayant qu'une seule fic sur le feu (dont la suite est en cours d'écriture, ne vous inquiétez pas), j'étais en train d'en profiter pour me reposer, quand d'une idée sauvage est apparue. Cette petite fic s'étendra sur trois chapitres plus ou moins courts, de trois points de vue différents. A chaque fois, le titre donnera le nom du personnage qui parle. Voici donc le chapitre 1. Le deuxième est déjà presque terminé et le troisième ne saurait tarder. Bonne lecture et sachez que je ne sais pas forcément encore très bien là où je vais aller dans cette histoire. J'ai une idée de la fin dont j'ai envie, mais pas vraiment de comment y parvenir. Donc, j'espère que ça vous plaira.

Bonne lecture et à très vite!

Disclaimer : Star Trek, ses personnages et son univers ne m'appartiennent pas et je ne touche aucune rémunération pour mes écrits.


Enfin en permission. Enfin du repos. Enfin la Terre. Ces pensées tournaient dans ma tête alors que je me dirigeais vers le hangar à navette. Oui, notre dernière mission s'était mal terminée. Oui, nous avions bien failli perdre des hommes. Oui, l'Enterprise devait être réparé et cela prendrait plusieurs jours, même avec Scotty aux commandes des ingénieurs. Mais, nous étions provisoirement de retour à la maison, et cela me fit prendre conscience à quel point ma planète me manquait.

J'essayai de ne pas penser au fait que Spock n'aurait plus jamais cette chance, lui, alors qu'il me suivait dans le couloir, en silence. Il n'avait toujours pas demandé à visiter la Nouvelle Vulcain et j'avais choisi de ne pas le brusquer dans ce sens. Qu'il prenne le temps dont il avait besoin. Après tout, la vie serait bien chienne, si cette planète venait aussi à disparaître. Rien ne pressait, donc.

Ses doigts frôlèrent furtivement les miens et je sus qu'il m'était reconnaissant de ne pas l'importuner sur ce sujet. Depuis la destruction de son monde, notre relation avait peu à peu pris un chemin inattendu. Lentement, mais sûrement, nous nous étions rapprochés, jusqu'à ce soir où mes lèvres étaient tombées sur les siennes, presque par accident. Mais, si le geste n'avait pas été prémédité, ce qui en découla fut le résultat d'un consentement mutuel, d'un besoin commun de ne faire qu'un avec l'autre. Étonnamment, je trouvais en Spock ce que j'avais été jusque-là incapable de voir chez quiconque. Plus improbable encore, cela était manifestement réciproque. J'avais abandonné l'idée de comprendre comment. Nous étions si différents, que lister nos disparités ne menait qu'à la conclusion insatisfaisante qu'il n'y avait simplement aucune logique dans cette histoire. Nous nous accordions parfaitement, aussi bien sur la passerelle que dans un lit, et c'est finalement tout ce qui comptait réellement. Nous nous comprenions sans mot, sans parole inutile et futile, partagions chacune de nos pensées, de nos réflexions. C'était confortable, simple et plus qu'agréable, d'avoir à mes côtés quelqu'un qui m'acceptait entièrement et s'adaptait en toutes circonstances.

Ainsi était Spock. Commode et patient. Compréhensif et fascinant dans sa complexité. Et ces derniers mois, d'un soutien sans faille. Tout comme j'avais essayé de l'être pour lui.

Il n'y avait qu'une seule ombre à ce tableau idyllique. Bones. Il était content pour moi, bien évidemment. Heureux pour Spock aussi, même s'il ne l'avouerait pas. Mais, cela n'atténuait pas entièrement l'agacement qu'il tentait de dissimuler depuis un certain temps. Je soupçonnais une jalousie mal placée. L'impression qu'on lui volait son meilleur ami. Ce qui était stupide. Je ne partagerai jamais avec Spock ce que je partage avec lui, et vise versa. Il y a bien assez de place dans mon cœur pour eux deux, sans qu'il ait besoin de s'imaginer devoir partager un quelconque territoire. Hormis le fait que je n'étais pas un objet que l'on possède, je trouvais cette attitude presque puérile. Et cela n'avait que trop duré. Cela faisait trop longtemps que je remettais sans cesse cette conversation à plus tard, sous toutes sortes de prétextes. Nous serions libres comme l'air pour au moins trois jours, je n'avais donc plus d'excuses et plus la force de m'en trouver de nouvelles.

« J'aimerais faire la tournée des bars, avec Bones, ce soir. Comme au bon vieux temps de l'Académie. Si ça ne te dérange pas trop. » Glissai-je à l'oreille de Spock, alors que nous venions de nous installer à bord d'une des navettes qui nous transporteraient sur Terre.

« Je n'y vois aucun inconvénient. Le docteur semble distant avec toi, ces derniers temps. J'ai bien remarqué que cela te peinait, mais je n'ai pas encore trouvé de solution satisfaisante à ce problème. En grande partie, parce que je ne comprends pas pourquoi il agit ainsi. Les amis ne sont-ils pas sensés être présents dans les moments importants ? » Me répondit-il, tout aussi bas, alors que nous décollions.

« C'est parfois plus compliqué que ça, Spock. Les humains ne sont pas des modèles de logique, comme tu le sais. J'ai dans l'espoir qu'un cadre familier et détendu l'incitera enfin à discuter avec moi de ce qui ne va pas. Je ne peux que supposer certaines choses et ne veux surtout pas me faire de fausses idées si le problème est tout autre. »

« Tu comptes donc l'amadouer avec quelques verres d'alcool. »

« Résumé ainsi, on pourrait croire que j'ai de mauvaises intentions. J'ai juste envie qu'il relâche un peu sa garde. Suffisamment pour que je puisse enfin savoir ce qui se trame dans son esprit tordu. Je ne vais pas l'attacher à une chaise et le torturer jusqu'à ce qu'il parle. » Raillai-je, néanmoins quelque peu amusé par l'image absurde.

« Loin de moi l'idée que tu serais capable d'en arriver à de telles extrémités, T'hy'la. Essaye juste de ne pas t'enivrer au point d'avoir besoin d'assistance pour rejoindre notre logement. »

« Pas de risque de ce côté-là. Il faut que je garde l'esprit clair, si je veux faire la lumière sur cette histoire. Une conversation d'ivrogne n'amènerait rien de bon. » Le rassurai-je, alors que nous arrivions déjà.

La navette atterrit en douceur et nous descendîmes dans le calme sur le tarmac brûlant. Le hasard avait voulu que nous soyons en plein mois de juillet et les températures seraient donc très clémentes, le temps de notre séjour. La chaleur me fit presque instantanément transpirer sous mon uniforme et je m'empressai de m'abriter dans l'enceinte climatisée du siège de Starfleet. Spock suivit mon pas, même s'il n'était, pour sa part, absolument pas incommodé. D'un regard circulaire, je repérai Bones qui venait de descendre d'un autre astronef. Je me doutais qu'il avait volontairement évité de monter avec nous, et cela m'agaça.

« L'attaquer frontalement en le réprimandant n'est certainement pas la meilleure approche, Jim. » Dit Spock, alors que Leonard faisait clairement comme s'il ne nous avait pas vus et comptait visiblement s'esquiver.

« Tu as raison. » Admis-je, en soufflant un bon coup, pour me calmer. « Je vais simplement l'inviter, en espérant qu'il accepte. »

« Dans ce cas, je ne peux que vous souhaiter une bonne soirée. » Dit-il, alors que je m'assurais de ne pas perdre mon ami de vue.

« Merci. Je ne rentrerai pas trop tard. Prends la clé de mon appartement et n'hésite pas à te mettre à l'aise. » Conclus-je, en lui tendant la carte électronique qui lui donnerait l'accès aux quartiers que j'occupais lorsque nous étions à terre et dont il connaissait déjà l'adresse.

Je déposai ensuite un baiser aérien sur ses lèvres fines, en caressant ses doigts, en guise d'au revoir, et me dirigeai en petites foulées vers Bones qui s'était déjà éloigné vers la sortie. Je le rattrapai sans peine, alors qu'il s'engageait sur les marches de l'entrée, et jetai négligemment un bras par-dessus ses épaules, dans une attitude que je voulus décontractée. Il sursauta, surpris, mais se détendit en me reconnaissant.

« Ta moitié n'est pas avec toi ? » Demanda-t-il, immédiatement, en regardant autour de nous.

Il ne parvint pas tout à fait à cacher l'acidité de ses mots, mais je fis comme si je n'avais rien remarqué.

« J'avais envie de passer cette première soirée sur Terre avec toi. » Avouai-je, sans détour, en espérant lui montrer que rien n'avait changé entre nous. « Une petite virée en ville, comme quand nous étions de simples étudiants ? »

Il sembla d'abord étonné, puis soupesa ma proposition comme s'il cherchait le piège. Je me fis la réflexion qu'il me connaissait peut-être trop bien, pour se laisser avoir par un stratagème aussi simple, mais décidai quand même de jouer l'innocence et de persister.

« On peut très bien faire autre chose, si ça ne te tente pas. »

« Si, si ! Je ne m'attendais juste pas à ce que tu veuilles passer du temps avec moi, alors que vous pouvez être enfin un peu tranquilles, le gobelin et toi. » Répondit-il, précipitamment.

Je souris au surnom que je savais plus affectueux que méchant.

« J'ai bien assez de temps pour vous deux et j'avais envie de me marrer. Et il n'y a que toi qui partages avec moi la même définition de ce mot-là. »

« Sauf quand tu décides que se marrer, c'est aller explorer un caillou dont on ne sait rien, au milieu de nulle part. » Plaisanta-t-il, en retrouvant son sourire en coin, alors que nous traversions la rue pour nous diriger vers le centre-ville.

Notre choix s'arrêta sur un pub de type irlandais, que nous avions l'habitude de fréquenter à une époque pas si lointaine. L'atmosphère chaleureuse aux relents de whisky et de bière me détendit immédiatement. La musique résonna familièrement à mes oreilles. C'était comme retrouver une vieille amie. Nous investîmes une des rares tables pour deux qui restaient et nous installâmes confortablement sur les banquettes en cuir élimé, avant de faire signe au serveur qui prit notre commande. Rapidement, deux pintes furent posées entre nous, sur leurs dessous de verre en aluminium et nous prîmes le temps de trinquer en silence et de nous abreuver de quelques gorgées, avant de parler.

« Alors… Quoi de neuf ? »

J'eus envie de me foutre une claque. Y avait-il une manière plus impersonnelle de débuter une conversation ? Et, malheureusement, il me répondit sur le même ton.

« Que du vieux. La routine. »

Depuis quand notre relation était-elle devenue si inconfortable ? Les choses avaient-elles finalement changées entre nous, malgré moi ?

« Écoute… On est ami depuis trop longtemps pour en revenir à de telles banalités. Dis-moi simplement ce qui ne va pas, pour que je puisse… faire quelque chose. S'il te plaît. » Lâchai-je, d'une traite, en refusant de laisser la situation ainsi.

Il garda le silence une éternité. Si bien, que j'eus presque peur qu'il se lève et quitte les lieux. Démissionne et rentre dans sa Géorgie natale sans un regard en arrière.

« Je… C'est stupide, ok. »

« N'aie jamais peur de paraître stupide en face moi, Bones. J'suis pas con, j'ai bien compris ce qui se tramait dans ta p'tite tête de médecin borné. » Dis-je, avec une assurance complètement feinte. Mais, l'un de nous devait se montrer sûr de lui.

« Vraiment ? » Dit-il, en rougissant de honte et en évitant mon regard.

Il but son verre cul sec, comme si la nouvelle l'ébranlait vraiment.

« C'est assez évident. »

« Et ? »

« Et quoi ? » L'interrogeai-je, surpris.

« Qu'est-ce que tu comptes faire ? » Me demanda-t-il, en commandant une autre boisson d'un geste de la main.

Je n'étais pas certain de réellement comprendre sa question. J'y répondis néanmoins du mieux que je pus, alors que le serveur déposait une nouvelle pinte devant mon ami. Je pris quelques gorgées de la mienne, en rassemblant mes idées.

« Eh bien, me dédoubler, je suppose. » Plaisantai-je, pour détendre l'atmosphère. « Encore une fois, j'ai bien assez de temps pour vous deux et mes responsabilités de Capitaine. On bosse tous ensemble sur le même vaisseau, Bones. Ce n'est pas comme si j'avais besoin de prendre un rendez-vous. » Un silence. Une inspiration. « Aimer Spock ne m'empêche pas de t'aimer toi. » Avouai-je, en posant ma main sur la sienne, par-dessus la table.

Ses yeux se posèrent sur ces dernières, alors qu'il semblait peser ses mots.

« Et Spock est d'accord avec ça ? »

Une fois de plus, sa question me laissa une étrange impression.

« Pourquoi ne le serait-il pas ? Il n'a jamais eu l'intention de m'accaparer en permanence. Il est Vulcain, donc peu tactile en dehors de nos quartiers et certainement pas collant. » Lui assurai-je.

« J'avoue que je ne m'attendais pas à ça. Mais, je pense pouvoir faire avec, si c'est ce que tu désires. »

La sensation, soudaine, que nous ne parlions absolument pas de la même chose, s'insinua dans mon esprit. Mais, trop tard pour que je voie venir la bouche de Leonard qui s'écrasa maladroitement sur la mienne, avant que je puisse esquisser le moindre geste pour me dérober. Mes yeux s'écarquillèrent et j'observai, impuissant, mon meilleur ami planter fermement un baiser sur mes lèvres, avant de reculer dans son siège. Cela ne dura qu'une seconde et resta plutôt chaste. Mais, l'air déserta néanmoins mes poumons, comme si j'avais pris un coup de poing dans le ventre, et la compréhension, horrible, que j'allais définitivement briser quelque chose, paralysa tout mon être.

« Dis quelque chose, Jim. » Me supplia-t-il presque, en remarquant la raideur extrême de ma posture.

« Je… » Articulai-je difficilement. « Je crois que tout ceci n'est qu'un énorme malentendu. »

Aussi brutalement que l'aurait fait une gifle, mes paroles le plongèrent dans le désarroi le plus total. Il me fixa durant d'interminables secondes, sa bouche s'ouvrant et se fermant, tel un poisson hors de l'eau. Puis, il se leva si brusquement, qu'il renversa sa bière sur la table. Le verre roula sur la surface et alla se briser au sol, dans un bruit fracassant qui fit se tourner toutes les personnes alentours vers nous.

« Bones… » Murmurai-je, complètement paniqué.

Mais, il m'ignora et se précipita vers la sortie. Je courus à sa suite, quand la poigne ferme du serveur me stoppa dans mon élan. Je réglai rapidement la note, d'une main tremblante, mais quand je poussai finalement la porte et que l'air moite de la rue frappa mon visage, Leonard était déjà loin.