Chapitre 1 : Sommeil.
Cela faisait cinq jours…Cinq jours qu'elle ne parvenait plus à dormir. La chaleur était insupportable, lourde, orageuse. Elle rejeta le drap au fond du lit. Un filet se sueur coulait le long de son dos. A l'étage, les gémissements reprirent. Hermione ferma les yeux. Des larmes vinrent briller au coin de ses paupières. Non, elle ne voulait plus, elle ne pouvait plus l'entendre, c'était au dessus de ses forces. Cela faisait cinq jours qu'il traînait, qu'il agonisait. Elle n'était montée qu'une fois pour le voir. Elle était restée à peine cinq minutes, elle n'avait pas supporté l'odeur de la mort qui régnait dans la chambre, ni la vue de son visage devenu inconnaissable, encore souillé de sang. Il n'y avait plus rien à espérer, les médicomages avaient été formels ; Remus Lupin ne survivrait pas à ses blessures… Elle revit son sourire avant qu'il ne parte en mission pour l'Ordre du Phénix, son dernier sourire. Il l'avait étreint, tendrement, puis lui avait chuchoté un « A tout à l'heure ». Un sanglot secoua sa poitrine. Il fallait qu'elle fasse quelque chose. Il fallait qu'elle dorme. Elle se leva, saisit sa baguette et sortit discrètement de sa chambre.
Le parquet craquait sous ses pas, la maison était plongée dans la pénombre. Mais elle savait qu'à l'étage quelqu'un veillait sur lui. Elle resta dans l'obscurité. Elle se déplaçait sans difficulté dans le noir, elle avait appris à connaître les moindres recoins du QG de l'Ordre. Elle compta encore trois pas dans sa tête, saisit à tâtons la poignée de la porte et pénétra dans le laboratoire. La pièce n'était pas éclairée. Elle poussa un soupir de soulagement. Rogue n'était pas là. Elle n'aurait pas aimé qu'il la voie dans cet état, les yeux bouffis par les larmes. Elle aurait immanquablement eu le droit à l'une de ses remarques sarcastiques.
"Lumos."
L'extrémité de sa baguette émit une lumière vive, elle se dirigea vers les étagères et déchiffra les étiquettes des flacons.
"Véritaserum, polynectar, potion d'invisibilité… Non, non, non... Par Merlin, il doit bien en avoir quelque part… Enfin…"
Ses doigts se refermèrent sur un petit flacon. Elle en avala le contenu. Elle avait le temps de retourner à sa chambre, les effets de la potion de sommeil n'étaient pas immédiats. Elle tendit la main vers la poignée, mais la porte s'ouvrit avant qu'elle ne l'ait touchée.
"Miss Granger, puis-je savoir ce que vous faîtes ici, dans ce laboratoire ?"
La question avait claquée. Sa voix était dure et froide comme à son habitude, son regard impénétrable mais acéré. Hermione ne put s'empêcher de frissonner.
"Je…"
Il s'était approché, un sourire carnassier sur ses lèvres fines.
"J'attends, miss Granger."
Hermione se ressaisit.
"Cela ne vous regarde pas, j'ai le droit d'être ici, il me semble."
"Vraiment."
"Oui, nous ne sommes pas à Poudlard ici, professeur."
"Miss Granger, je ne supporterai pas votre insolence bien longtemps."
"Et que comptez-vous me faire, me retirer des points peut-être ?"
Rogue ne broncha pas, il s'approcha encore d'elle. Elle sentait sa tête tourner, sa vue se troublait. Ses paupières se fermaient sans qu'elle le veuille.
"Miss Granger, ne me cherchez pas, je pourrai être plus odieux encore avec vous."
Les paroles du professeur n'atteignaient plus que très lentement le cerveau de la jeune femme. Elle échappa le flacon qu'elle tenait encore à la main. Il se brisa en milles morceaux.
"Maladroite, vous êtes une bonne à rien, comme Londubat. Nettoyez-moi cela et disparaissez."
"Non !"
"Pardon !"
"Taisez-vous."
"Miss Granger, comment osez-vous ?"
Elle le regarda, les yeux vitreux.
"Professeur, taisez-vous. Je ne l'entends plus."
"Qui ?"
"Remus."
"Que voulez-vous que cela me fasse ?"
"Je…"
Elle sombra dans le noir. Rogue, surpris, eut tout juste le temps de la rattraper.
"Maudite Gryffondor."
Sa voix était devenue rauque. Il l'écouta respirer. Son souffle était régulier, elle dormait. Il la prit dans ses bras et la jeta sans ménagement sur la banquette, dans le coin de la pièce. Il s'accroupit, renifla les tessons du flacon.
"Potion de sommeil. L'imbécile."
D'un geste vague, il fit disparaître les morceaux de verre, puis il sortit en marmonnant.
Rogue entrebâilla la porte du laboratoire, Hermione dormait toujours profondément. Il se dirigea d'un pas vif vers la fenêtre, tira brusquement sur le rideau de gros velours rouge. Le jour entra violemment dans la pièce. Le soleil était haut dans le ciel. Il avait déjà assez perdu de temps comme cela.
"Miss Granger, levez-vous, nous avons beaucoup de travail en perspective."
Elle ouvrit les yeux, l'air perdu. Que faisait Rogue dans sa chambre ? Elle regarda autour d'elle, les souvenirs de la veille affluèrent. Elle se rappela du silence, de ce terrible silence…
"Remus…"
"Granger, dépêchez-vous."
"Remus, est-il…"
"Non. Allez-vous laver maintenant et revenez aussitôt."
La jeune femme se leva, la pièce tangua un instant autour d'elle. Elle se sentait faible, elle n'avait presque rien avalé au dîner. Elle croisa son regard glacial, plein d'un mépris à peine dissimulé. Il désignait la sortie du doigt. Elle ne se fit pas prier.
Hermione laissait couler l'eau sur son visage. Elle aimait cette sensation de bien être qui l'enveloppait. Depuis combien de temps était-elle comme cela ? Elle ne savait pas et ne voulait pas savoir. Elle avait l'impression d'être dans une bulle, coupée du monde. Cela faisait si longtemps qu'elle ne s'était pas sentie si bien… On frappa à la porte.
"Mione, c'est Ginny. Dépêche-toi. Rogue est furieux, il t'attend."
"Bien, j'arrive, encore quelques secondes."
La jeune femme poussa un soupir. Il fallait qu'il vienne lui pourrir l'existence même pendant les vacances. Elle sortit de la douche et s'observa dans le miroir. Elle avait changé en quelques semaines. Les traits de son visage s'étaient affinés, tout comme sa silhouette. Ses yeux chocolat, soulignés par d'immenses cernes, avaient perdu de leur éclat… Cette étincelle de joie et d'insouciance qui ravissait ses parents et ses amis. Ses parents, cela faisait plus d'un an qu'elle ne les avait pas vus. Ils lui manquaient atrocement. Mais Dumbledore estimait qu'il valait mieux qu'elle reste ici, pour leur sécurité à tous. Elle soupira, noua ses cheveux indisciplinés en un chignon lâche et se lava les dents. On frappa de nouveaux.
"Miss Granger, je vous préviens, j'enfonce la porte !"
"J'arrive, j'arrive."
Il l'exaspérait, mais elle s'habilla en toute vitesse, craignant qu'il ne mette sa menace à exécution. Elle déverrouilla la porte et se retrouva nez à nez avec un Rogue furieux.
"Le feriez-vous exprès ? Il me semblait vous avoir dit que notre emploi du temps était chargé."
"Notre emploi du temps ! Mais je n'ai pas l'intention de passer ma journée avec vous, professeur."
"Je ne vous demande pas votre avis, Granger ! Vous avez une potion de sommeil à préparer. Venez."
Il lui saisit le poignet et la tira derrière lui.
"Vous me faîtes mal."
Il ne répondit pas et resserra davantage sa poigne.
"Professeur…"
"Taisez-vous une fois dans votre vie Granger."
Il referma brutalement la porte du laboratoire, l'amena devant un plan de travail.
"Je vous ai laissé des instructions."
Cela faisait une heure et demie que Hermione était penchée au dessus du chaudron. Ils n'avaient pas prononcés un seul mot, chacun dans son coin, emmuré dans son silence, attentif aux moindres détails. Elle avait bien senti son regard inquisiteur se posait de temps à autre sur elle. Mais rien, pas une réflexion… La jeune femme dosa minutieusement l'essence de valériane et la versa dans la potion qui prit une belle teinte verte. Plus que quelques minutes à attendre. Elle remua le liquide trois fois dans le sens des aiguilles d'une montre, une fumée argentée s'échappa. Elle éteignit le feu sous le chaudron et se tourna vers l'enseignant.
"Professeur, j'ai…"
Ses mots restèrent en suspens. Ginny venait d'entrer dans la pièce, les joues ruisselantes de larmes.
"Que puis-je faire pour vous Miss Weasley ? Soyez brève, je suis en plein travail".
Il ignora l'état dans lequel se trouvait la jeune rousse. Hermione, elle, sentit son estomac se contracter. Elle n'avait pas besoin de mots, elle avait tout de suite compris.
"Remus…"
Son cœur manqua un battement. Elle fut prise d'un étourdissement et se dirigea péniblement vers la banquette. Rogue se tourna vers elle.
"Que faîtes-vous Miss Granger ? Je ne vous ai pas donné l'autorisation de vous asseoir."
Elle ne répondit pas, les sanglots la suffoquaient.
"Remus… Remus…"
Elle eut un haut-le-corps.
"Miss Weasley, laissez-nous. Votre place n'est pas ici. Nous montons dans un instant."
La porte claqua.
"Remus…"
"Cessez cela tout de suite Miss Granger."
"Remus…"
"Vous m'entendez, Miss Granger."
"Remus…"
"Ressaisissez-vous, par Merlin ! Vous saviez que cela arriverait."
"…"
"Nous allons les rejoindre."
"Non !"
"Comment ?"
"Je ne veux pas… Je ne peux pas."
"Levez-vous et venez."
"Non… Je vous en prie."
"Dépêchez-vous !"
"NON…JE NE VEUX PAS…JE NE VEUX PAS. VOUS M'ENTENDEZ !"
Elle avait crié et dans ce cri elle avait mis toute sa colère, toute sa douleur. Le maître des potions la prit par les épaules et se mit à la secouer.
"Granger, comportez-vous comme une adulte. Il y a assez d'imbéciles qui m'entourent, ne vous y mettez pas vous aussi."
"Laissez-moi, je vous déteste… Tout le monde vous déteste."
"N'ayez crainte, c'est réciproque."
"Personne ne vous a jamais aimé, vous êtes un monstre, un monstre."
La claque résonna dans toute la pièce. Hermione se laissa tomber par terre, la main sur la joue.
"Ne redîtes plus jamais cela."
Il sortit sans un regard pour elle, la laissant seule avec sa détresse.
