Disclaimer : Young Justice ne m'appartient pas et je ne cherche pas à me faire du fric avec ses personnages.
Mon grand frère adoré
Je m'appelle Greta Hayes. J'ai onze ans. Nous sommes dimanche et je viens de me réveiller. Tiens, j'ai une idée : je vais faire le petit-déjeuner et le servir au lit à Papa et Maman. Ils vont adorer !
J'ai tout préparé comme il faut : le thé, les toasts, la confiture et même les pancakes. Parfait ! Mon grand frère Billy entre dans la cuisine au moment où je finis de tout installer sur un plateau. Il rit, m'ébouriffe les cheveux et je lui fais un gros câlin. Ensuite, il me propose d'aller porter le plateau lui-même.
Je le suis dans la chambre. Tiens, Maman et Papa dorment encore. Billy les secoue et devient tout pâle. Il me dit de sortir tout de suite et d'appeler une ambulance. Je ne comprends pas. Pourquoi une ambulance ? Et pourquoi Billy a-t-il l'air tout paniqué ?
Quand l'ambulance arrive, on nous dit qu'il n'y a plus rien à faire, que Papa et Maman sont morts de toute façon. J'entends des mots que je ne comprends pas : intoxication alimentaire, arrêt cardiaque… C'est impossible. Maman et Papa ne peuvent pas être morts. On les aime trop pour ça !
Billy va voir un exécuteur testamentaire. Je le regarde partir, la peur au ventre. Je sais qu'on n'a pas de parents proches pour s'occuper de nous et je ne veux pas aller dans un orphelinat. Je ne veux pas qu'on soit séparés, Billy et moi. Pitié, faites qu'on ne soit pas séparés…
Voilà Billy qui revient en disant que Papa et Maman nous ont laissé assez d'argent pour nous débrouiller jusqu'à notre majorité à tous les deux, à condition qu'il prenne un petit boulot. Il a seulement seize ans. Je ne sais pas comment il a réussi à convaincre tous ces gens qu'il peut s'occuper de moi comme un adulte mais il y arrive. Je ne sais pas comment je ferais sans mon grand frère adoré.
A partir de maintenant, il va falloir vivre sans nos parents.
J'ai douze ans. C'est Billy mon papa, maintenant. Papa Billy. Il ne va plus au lycée et travaille dans la boutique de magie en face de chez nous. Le soir, il va me chercher au collège. J'essaie de bien travailler et d'avoir de bonnes notes pour qu'il soit fier de moi. D'ailleurs, je suis souvent première de classe. Billy dit que je vais peut-être devenir médecin ou avocate ou professeur d'université et qu'il me paiera mes études. Moi, j'aimerais bien être vétérinaire. Je voulais avoir un petit chat mais mes parents n'ont jamais voulu. Oh, Papa et Maman, comme ils me manquent…
Des fois, j'accompagne Billy dans la boutique. Il y a quelques habituées dont certaines sont des filles de son âge qui rougissent ou qui pouffent de rire dès qu'il les regarde. L'une d'elle m'a demandé s'il a une petite copine. Je me suis sentie un peu coupable en entendant ça. Mon Billy s'occupe tellement de moi qu'il n'a même pas le temps d'avoir une petite amie ! A moins qu'il ne soit gay mais je ne l'ai jamais vu avec un petit copain non plus. C'est moi, la seule personne avec qui il passe du temps. Hier, il s'est enfermé dans la cave pendant une heure et j'ai parlé avec la fille qui a le béguin pour lui, Sonya. J'ai essayé de leur arranger un rancart, comme disent les ados à la télé, mais Billy n'a jamais voulu. Ce qui est étrange, c'est que j'étais presque contente que ça rate parce que ça voulait dire que j'avais encore Billy pour moi toute seule. Oh, c'est horrible, je suis jalouse des petites copines que mon grand frère n'a pas !
C'est que je l'aime tellement ! Tous les samedis soir, je ferme les volets, je mets la musique et on fait un pas de danse tous les deux. On rit et on s'amuse. Ou alors, il nous prépare un chocolat chaud et on reste vautrés devant la télé, moi allongée sur le canapé, la tête sur ses genoux. C'est tout ce qu'on a. Contrairement aux filles de mon âge, je suis trop pauvre pour aller au cinéma ou dépenser mon argent en fringues. Je n'ai même pas de meilleure amie. Mais c'est très bien comme ça. C'est Billy, mon meilleur ami.
J'ai treize ans. Pour la première fois de ma vie, une fille de ma classe m'a invitée à une soirée pyjamas. Oh, que je suis contente ! Et puis, je me rappelle que cette soirée aura lieu samedi et que le samedi est notre journée, à Billy et à moi. Oh non, comment vais-je faire ?
Je raconte tout à Billy. A ma grande surprise, il s'écrie que c'est une excellente nouvelle et s'enferme dans la cuisine. Il en sort une heure plus tard et me tend un sac plein de brownies pour les filles. Ensuite, il me serre dans ses bras en murmurant des paroles étranges. Ohlala, on dirait qu'il travaille trop dans la boutique. Il devrait peut-être prendre des vacances.
J'arrive chez Melissa avec mon pyjama, mon sac de couchage, ma brosse à dents et les brownies. Les filles sont là : Ashley, Kimberly, Alison et Virginia. On joue, on rigole et je vois Virginia qui murmure à l'oreille de Melissa en me regardant. Melissa finit par me demander si mon grand frère canon a une petite copine.
Je me sens déçue, déçue, déçue ! C'est pour ça qu'elle m'a invitée ? Il n'y a donc que mon frère qui soit intéressant chez moi ? En ravalant ma déception, je réponds que non, Billy est trop occupé par son travail pour avoir une petite copine. Désolée, Melissa.
Plus tard, on s'amuse en se maquillant les unes les autres et on joue au jeu de la vérité. Ashley annonce en rougissant qu'elle a le béguin pour Justin, Virginia avoue qu'elle a déjà embrassé une fille et Kimberly balbutie qu'elle doit porter un horrible appareil dentaire la nuit. Je suis obligée de leur dire que je n'ai jamais embrassé un garçon ni même été amoureuse de toute ma vie. A ma grande surprise, elles répondent que c'est pas grave. Elles m'acceptent comme je suis, c'est vraiment merveilleux ! Ensuite, on déballe nos gâteaux et on se goinfre. Et puis on sort discrètement faire une blague au grand frère de Melissa.
On s'endort vers minuit. Je me sens si heureuse que je crois que mon cœur va éclater. Seulement, ma joie est de courte durée : Virginia se relève un peu plus tard pour aller vomir dans la salle de bains. Ashley l'imite bientôt, puis Melissa et Kimberly. Les parents s'inquiètent et appellent un médecin. Bilan : épidémie de gastro.
Personne ne comprend pourquoi je suis la seule à ne pas être malade alors qu'on a mangé exactement la même chose, toutes les cinq. Quand Billy vient me chercher le lendemain, je suis au bord des larmes. Melissa ne voudra sûrement plus que je suis son amie. Oh, mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?
Mon grand frère me console. Il essuie mes larmes et répète que si ces pouffes ne veulent pas de moi, ça veut dire que je suis trop bien pour elles. Etrangement, ça ne m'aide pas.
J'ai tellement honte que je ne retourne pas à l'école le lundi suivant. Billy ne le sait pas : il est retourné travailler à la boutique, évidemment. Désœuvrée, j'entre dans sa chambre et je remarque quelque chose qui dépasse de sous son lit. C'est un énorme livre, très ancien. « Savoirs occultes ». Tiens, pourquoi Billy lit-il ce genre de choses ?
Je sais que je ne devrais pas faire cela mais la curiosité est la plus forte : je m'allonge par terre et je lis toute la journée. Quand Billy revient, il me gronde gentiment parce que j'ai séché les cours. Il ne se rend pas compte que j'ai fouillé dans sa chambre. Je m'en veux un peu d'avoir fait ça dans son dos et en même temps, je me sens troublée. Papa et maman n'auraient sûrement pas voulu que Billy lise ce genre de livre alors pourquoi fait-il cela ?
Le plus étrange, c'est que j'ai adoré ce bouquin. J'ai vraiment trouvé ça très intéressant. Oh, Papa et Maman n'aimeraient sûrement pas que je fasse cela. Je n'en parlerai pas à Billy et je ne lirai plus jamais ses livres.
Bon, peut-être encore une fois ou deux…
J'ai quatorze ans. Tout le monde dit que j'en fais douze. Cela tient peut-être au fait que je ne mange pas beaucoup ou parce que j'ai hérité de la petite taille de mon papa. Je ne sais pas. J'ai l'impression que je ne cesserai jamais d'être une enfant. Au lieu d'aller au ciné ou dans des soirées pyjama comme toutes les filles de mon âge, je reste à la maison, je lis et je m'invente des tas d'histoires dans ma tête. Ce que je préfère, c'est lire les livres de Billy en cachette.
Parfois, il y a des gens qui me regardent avec pitié. Je crois qu'ils ont du chagrin pour moi parce que je n'ai plus de parents. Oui, c'est sûrement ça ! Seulement, un jour, j'ai entendu une femme murmurer : « c'est la sœur de ce sale voyou. » Ça m'a fait très mal d'entendre ça. Je sais que mon Billy n'est pas parfait, je sais qu'il a sûrement déjà fait des bêtises, mais enfin, c'est mon grand frère !
Billy est toujours tout pour moi. Je crois que je l'aime plus qu'une petite sœur a jamais aimé son grand frère et je crois qu'il ressent la même chose pour moi. C'est peut-être pour cela que je n'oserai jamais le critiquer, même s'il y a des gens qui l'appellent un voyou. Ces gens-là ne comprennent pas ce qu'il y a entre nous deux, c'est tout. Seulement, je crois que je n'oserai jamais non plus lui dire que je lis ses livres quand il a le dos tourné. J'ai un petit peu honte mais c'est plus fort que moi : j'adore les histoires de fantômes. J'aimerais vraiment écrire ce genre d'histoires, un jour.
L'automne approche. Billy et moi somme vautrés sur le canapé du salon. Il me regarde avec tendresse et m'embrasse sur la joue, puis il va dans la cuisine et revient avec deux mugs de chocolat chaud. Ah, c'est tellement adorable de sa part ! Je le porte à mes lèvres et je remarque un goût étrange…
C'est normal, me dit-il. Pour une fois, j'ai utilisé du lait de soja. Allez, boit, ma petite chérie…
Je vide la moitié de mon mug et je commence à avoir la tête qui tourne. Billy m'embrasse encore une fois et me couvre avec un plaid avant de quitter la pièce. Je l'entends déplacer des objets et j'ai de plus en plus envie de dormir.
J'ai les yeux fermés. Je sens qu'il me soulève dans ses bras comme une mariée, qu'il me porte jusque dans le jardin. Il fait froid, le vent souffle et je l'entends prononcer des phrases qui n'ont aucun sens. Merci infiniment pour ces quatorze merveilleuses années, ma petite chérie. Tu es vraiment la meilleure chose qui soit jamais arrivée à Mal. Maintenant, ça va être encore mieux. Mal a toujours su que la petite fille était un ange tombé du ciel et maintenant, elle va y retourner. Pour toujours…
Il flotte une odeur de terre, d'encens et d'autre chose que je n'arrive pas à nommer. Je sens qu'il m'allonge à même le sol, j'ouvre les yeux à grand-peine et je vois ses mains qui s'approchent de mon visage, beaucoup trop vite. Avant d'avoir pu réagir, j'ai un sparadrap qui me colle à la bouche. J'essaie de parler, j'essaie de retirer ce truc mais au lieu de me prêter attention, il me tient les poignets d'une main et m'arrange les cheveux de l'autre en murmurant que Mal veut que j'arrive jolie dans l'au-delà. Je veux m'assoir et il me plaque au sol.
Ne fais pas d'histoire, petit trésor, répète-t-il en me regardant avec des yeux fous. Tiens, tu vois ? Mal a pensé à ta peluche préférée.
Il me colle mon nounours bleu sur le bras puis me lâche et me tourne le dos. Quand il me fait face à nouveau, je vois qu'il a une dague à la main. Mon sang ne fait qu'un tour. J'essaie de me lever, j'essaie de me traîner vers la rue mais il me rattrape et me tire de nouveau dans le fond du jardin.
Pas la peine de t'enfuir, petit ange, murmure-t-il. Ça ne servirait à rien. C'est difficile pour Mal aussi, tu comprends ? La petite fille va lui manquer. Elle va ENORMEMENT lui manquer. Mais il faut que Mal le fasse. La petite fille est tellement innocente. Tôt ou tard, elle serait tombée sur de mauvaises personnes qui lui auraient fait très mal. Grâce à Mal, elle va monter au ciel sans jamais avoir connu le péché, la haine ou la trahison…
Il me serre dans ses bras, m'embrasse sur le front, sur les joues, sur le crâne. J'ai l'impression d'être dans un film d'horreur. Je ne comprends pas. Pourquoi mon grand frère chéri agit-il soudain comme s'il voulait me tuer ? J'ai tellement peur… Faites que ce cauchemar s'arrête !
Mal lui a préparé une jolie tombe, ajoute-t-il en me forçant à regarder sur le côté. Regarde, elle a été creusée spécialement pour le petit ange…
Une tombe… mon nom sur une tombe… Non ! Je ne sais comment, je trouve la force de le griffer au visage. C'est dérisoire, je le sais, mais je ne veux pas partir comme ça, sans avoir résisté au moins un peu. Comme la petite chèvre de Monsieur Seguin, qui savait bien qu'elle ne pouvait pas tuer le loup.
Oh, mais c'est qu'elle devient méchante, la petite fille. Elle déçoit beaucoup Mal. Mal espérait que la petite fille reste bien gentille et bien obéissante jusqu'au bout, comme elle l'a toujours été. La petite fille a toujours été la conscience de Mal, celle qui inspirait en lui bonté de cœur et générosité. C'est pour ça que Mal doit se débarrasser d'elle. Le cœur de Mal doit se purifier de toute bonté.
Je ne peux plus bouger. Tout ce que je peux faire, c'est repousser ce nounours sur le côté pour lui montrer que je ne suis pas d'accord, que je veux que cela se passe à ma façon et pas à la sienne. Je le vois brandir une dague et l'instant d'après, une douleur fulgurante me traverse la poitrine. Ma vision se brouille. Je l'entends rire comme un dément et proférer des mots sans suite tandis que je reste inerte dans cette mare de sang tiède qui inonde mes vêtements.
Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Je me suis montrée gentille pendant toute ma vie, j'ai bien travaillé à l'école, j'ai été la petite sœur que tout le monde aimerait avoir et voilà qu'il me tue ! Pourquoi ? Pourquoi ?! Et puis je réalise que j'ai nié l'évidence depuis le début : Billy est un voyou et les gens avaient pitié de moi parce que j'étais élevée par un sale voyou. En un éclair, je revois toutes les fois où je l'ai vu rentrer à la maison après avoir pris de très mauvais coups, je repense aux objets bizarres, probablement volés, qu'il ramenait sans un mot d'explication… Comment ai-je pu me tromper sur son compte à ce point ?
Je ne veux pas que cela finisse comme ça. Je ne veux pas mourir à 14 ans ! Soudain, je me souviens de ce que j'ai lu dans ses livres de magie : il est possible pour un esprit désincarné de revenir sur Terre à condition d'être suffisamment motivé. Il faut que je fasse ça ! Billy, je veux dire Mal est en train de me regarder mourir. Il pourrait tuer d'autres personnes si je ne fais rien. Moi, la petite fille fragile et inoffensive, je dois tout faire pour contrer mon redoutable grand frère. Je dois sauver les gens qu'il pourrait tuer.
Pour ça, mon esprit doit rester actif. Je m'efforce de me concentrer sur ce qui m'entoure. Il faut absolument que mon esprit reste sur ce plan. Le ciel noir, les maisons, le bruit du vent, la clôture, l'odeur de l'encens, l'enseigne lumineuse qui dessine le mot 'Secret'. Je vois tout ça.
Ciel noir, maisons, clôture, enseigne 'Secret', vent. Je suis toujours consciente.
Ciel. Maisons. Secret. Je suis là.
Secret. Ça devient flou. Non, je dois résister. Secret.
Secret.
Secret.
Secret…
