Chapitre 1 : un nouveau départ.
Voilà, on y est…
Alice Avril se redressa après avoir fermé son unique valise et se retourna lentement pour contempler la pièce qui avait été son logement.
Elle avait vécu ici tant d'années qu'elle ne prêtait plus d'attention au décor. Même si c'était petit, c'était son chez elle, et elle s'était efforcée de l'entretenir et d'en faire un endroit agréable à vivre… L'état de vétusté du petit studio était cependant loin du home sweet home cosy. La tapisserie jaunie était décollée par endroits, les peintures auraient eu besoin d'un rafraîchissement, sans compter le plafond, tâché par des fuites d'eau… Quant au parquet, il y avait de l'usure là où elle marchait…
Oui, elle en avait vécu des galères ici, mais elle refusa de céder à la nostalgie des jours passés. Elle devait regarder devant elle, vers un meilleur futur, vers un avenir ouvert qui allait se jouer dans une autre ville, dans un journal plus prestigieux que la Voix du Nord…
Le taxi devait l'attendre en bas. Avril prit une profonde inspiration et se saisit de sa valise. Elle ne voulait avoir aucun regret. Lille n'était qu'une étape sur le chemin de son ambition et Paris, l'aboutissement de tous ses rêves de journaliste… Elle laissa les clés sur la porte et partit sans se retourner.
Dans la rue, Alice chercha le taxi des yeux et ne le trouvant pas, se résolut à l'attendre. Elle guetta le carrefour et c'est alors qu'elle la vit arriver… La Facel Vega rouge glissa souplement vers elle et s'arrêta à son niveau.
« Qu'est-ce que vous faites là, Laurence ? »
« Vous montez ? Je vous emmène. »
« Mais, mon taxi ?... »
« Décommandé. »
Avril leva les sourcils sans se poser de questions. Elle prit place sur le siège passager et Laurence démarra avec un petit sourire en coin.
« Pourquoi vous êtes venu me chercher ? »
« Je veux m'assurer personnellement que vous montez bien à bord de ce train. C'est un grand jour… Alice Avril, reporter, débarque à Paris ! »
« Ah ?… » Elle comprit en un éclair le sarcasme derrière ses propos. « … En fait, vous êtes content de vous débarrasser de moi… »
« Exactement, Avril… Ça fait des années que je rêve de vous saluer depuis le quai. Rien qu'à cette pensée, mon cœur bondit d'allégresse… »
Avril ressentit un pincement et elle murmura d'une voix peinée :
« Ça fait toujours plaisir de savoir que je ne manquerai à personne d'autre qu'à Marlène… »
« Mais vous me manquerez, Avril ! Il va falloir que je me trouve un autre souffre-douleur ! »
« Je plains la personne sur laquelle ça va tomber… »
« Et moi, je plains le pauvre type à la Préfecture de Police qui va devoir supporter continuellement votre présence… »
Laurence eut un rictus sardonique mais Avril n'avait pas envie de rire. Quitter ses deux uniques amis - si tant est qu'on puisse considérer l'infect commissaire comme un ami - était la chose la plus difficile à faire pour elle. Marlène avait promis de venir la voir très vite et elles se retrouveraient régulièrement, mais Laurence… Une boule se forma dans sa gorge et elle ravala ses larmes. Non, elle n'allait certainement pas pleurer pour cet égoïste, ce misogyne, imbu de lui-même, qui lui en avait fait tant baver…
Sa décision de partir lui avait révélé leur relation sous un nouveau jour, et elle avait découvert qu'elle s'était attachée à lui à son insu. Elle se serait bien passée de ça ! Pourquoi ne pouvait-elle pas tout simplement le détester ? Ça aurait tellement plus facile ! Et ce salaud qui venait pour se délecter de son départ !
Laurence se gara dans les rues adjacentes à la gare de Lille. Galant, il accompagna la jeune femme en portant sa valise. Elle contenait toute sa vie, c'est-à-dire pas grand-chose : quelques vêtements, le manuscrit d'un roman presque achevé (son bien le plus cher) et des photos souvenirs. Ils trouvèrent le quai et marchèrent le long des wagons en silence, puis s'arrêtèrent quand Alice lui fit signe qu'elle monterait dans la voiture qu'elle avait choisie.
« Bon… C'est là que nos chemins se séparent… » Commença-t-elle, soudain angoissée à l'idée de faire le grand saut dans l'inconnu.
« En effet… »
« Si vous passez par Paris, il ne faut pas que je compte sur votre visite ? »
« Non. »
Avril baissa brièvement les yeux, pour masquer sa tristesse devant la manifestation de son rejet. Elle avait juste espéré… Quelle naïveté ! Pourquoi en aurait-il été autrement ?
« Je voulais vous remercier pour votre aide… » Continua-t-elle, mal à l'aise. « … Sans vous, je ne serai pas là où j'en suis… »
Un sourire à peine perceptible effleura les lèvres de Laurence mais il ne dit rien. Avril hésita, ne sachant trop quelle attitude adopter, puis finalement n'y tint plus. Elle se précipita vers lui et le serra dans ses bras, heureuse de pouvoir se blottir étroitement contre sa poitrine, pour ne pas qu'il voit combien elle avait envie de pleurer…
D'abord surpris et gêné, Laurence lui retourna enfin son étreinte en la serrant contre lui à son tour. Tout à coup, il n'avait plus envie de lâcher ce petit bout de femme, ô combien emmerdante, mais si attachante. Il ferma les yeux pour profiter de ces dernières secondes de répit.
« Vous allez me manquer, Laurence… »
La voix d'Avril se brisa et elle se mordit la lèvre pour étouffer un sanglot, alors que les larmes coulaient sur ses joues. L'intéressé encaissa l'aveu avec émotion, mais il n'était pas question qu'il trahisse un quelconque sentiment. Il se racla la gorge et lui dit doucement :
« Vous avez travaillé dur pour en arriver là, Avril, c'est mérité. »
Alice n'osait pas le regarder mais elle eut un sourire devant son admission finale de la reconnaissance de ses efforts. Toujours serrés l'un contre l'autre, aucun ne semblait se résoudre à lâcher l'autre, pourtant, il le fallait bien… Laurence fut le premier à se reculer.
« J'aime pas les adieux… » Commença Avril en reniflant et en s'essuyant les yeux.
« Ça va aller, Avril… » Tenta-t-il de la rassurer, en lui tendant son mouchoir. « … Evitez juste de vous retrouver dans les ennuis, je ne serai plus là pour venir vous sauver. »
Elle le dévisagea et eut un pauvre sourire.
« Je vais essayer de ne pas faire de vagues. »
« On peut toujours rêver, n'est-ce pas ? »
Ils s'observèrent intensément encore quelques secondes, jusqu'à ce que Laurence se détourne d'elle et consulte sa montre, impatient de partir. Perdue, elle essaya de le retenir encore un peu :
« Je vous enverrai une carte postale ! »
« N'y pensez même pas. »
« Ou alors, ce sera mon roman dédicacé... »
Laurence éclata de rire et secoua la tête.
« Quand les poules auront des dents… Mettez-vous d'abord au boulot, Avril… »
Cette fois, après un dernier regard appuyé et un sourire, il lui tourna le dos et s'en alla sans se retourner. Elle le suivit des yeux jusqu'à voir sa haute silhouette disparaître dans la foule…
oooOOOooo
La musique ne lui apporta aucune distraction et Laurence finit par éteindre l'autoradio.
Sa fierté et son orgueil refusaient de l'admettre mais il avait le cœur lourd. Il ne se l'expliquait d'ailleurs pas. Il aurait dû être ravi du départ d'Avril, soulagé de ne plus l'avoir dans les pattes, mais c'était tout l'inverse. Il ne se sentait pas bien, comme s'il avait perdu quelque chose de précieux…
Il arrêta sa voiture dans la cour du commissariat et se sentit seul, vieux et incomplet… Avril avec sa joie de vivre, son soleil dans le cœur… Avril était partie à Paris, la ville lumière, avec sa vie intense, son rythme, son miroir aux alouettes aussi, qui allait prendre la jeune femme et la faire virevolter dans ses bras… Avril la débrouillarde allait s'emparer de toute cette effervescence en s'y fondant, comme le caméléon qu'elle était… Avril l'ambitieuse allait tracer son chemin en le laissant derrière elle… Elle allait l'oublier par le biais de nouvelles rencontres… Avril l'inconsciente, qu'il ne pourrait plus protéger, si d'aventure, il lui arrivait quelque chose…Il eut un sourire triste... Elle a un don pour attirer les ennuis, mais ce n'est plus mon problème, n'est-ce pas ?
… Avril, qui lui manquait déjà cruellement…
Il prit une profonde inspiration alors que la pluie se mettait à tomber, ajoutant à sa tristesse intérieure, puis sortit d'un pas décidé. Heureusement que Marlène restait avec lui… Il saurait faire fi de l'absence d'Avril en se consacrant pleinement à son travail d'enquêteur. Après tout, la vie continuait…
A suivre…
