Jour 1

Elle était face à lui, droite, sérieuse, revêtant son masque de froideur. Il en eu un frisson c'était comme revenir 6 ans en arrière, quand il l'avait rencontrée à la soirée de promotion du dernier Derrick Storm. Sauf qu'elle venait de sortir du bureau de Gates, et que les Gars l'avaient appelée « Chef ». Il ne comprenait pas…

« - Capitaine ?!

Vous le connaissez ? demanda Esposito.

Non, je n'ai encore jamais vu cet homme de ma vie, répondit-elle le plus sérieusement du monde. »

Il était abasourdi, ce n'était apparemment pas une blague comme à son anniversaire. Il y eut l'interrogatoire, puis l'arrivée de sa mère, Lanie enceinte et tout semblait s'embrouiller de plus en plus autour de lui. Alors il suivit sa mère, puisque la Capitaine Beckett le renvoyait chez lui. Que pouvait-elle faire d'autre, après tout ?

Jour 4

Seul chez lui, il se servit un verre de whisky qu'il fit tourner entre ses doigts un long moment, guettant l'arrivée de sa mère ou d'Alexis qui viendrait l'interrompre et lui remonter le moral. Mais personne ne vint stopper ses sombres pensées, elles vivaient à présent sans se soucier de lui. L'autre Kate avait beau lui avoir promis de tout faire pour l'aider, il était évident qu'elle ne croyait pas à son histoire de voyage spatio-temporel. Il devait pourtant trouver un moyen de repartir chez lui, auprès de sa fiancée, d'une Kate qui ne retirerait pas sa main lorsqu'il poserait la sienne pour sentir la chaleur de sa peau dans la salle d'interrogatoire. Peut-être était-il condamné à attendre ici jusqu'à expier une quelconque faute, pour enfin pouvoir retourner auprès d'elle ? Las, il se leva et vida son verre dans l'évier.

Elle n'arrivait pas à travailler, la vue de cet homme l'avait troublée plus qu'elle ne voulait l'admettre. Sa détresse sincère l'avait émue, jamais elle n'avait eu le sentiment de lire ainsi dans les yeux d'un homme. Elle avait passé l'après-midi, et les jours précédents, à harceler ses lieutenants pour qu'ils obtiennent des résultats, en vain. À chaque impasse dans cette affaire, elle revoyait son visage et ses yeux si bleus.

« - Esposito, Ryan, rentrez chez vous, nous n'aurons rien de plus aujourd'hui, leur ordonna-t-elle. »

Ils la regardèrent étonnés, puis prirent leur manteau et sortirent avant qu'elle ne change d'avis. Elle les suivit quelques minutes plus tard.

Il entendit frapper quatre coups. Dans son monde, il aurait su que ce ne pouvait être qu'elle, même si elle avait maintenant ses clés, elle aimait s'annoncer ainsi, leur rappelant leur première soirée. Mais ici… Pourtant quand il ouvrit c'était elle, enfin c'était Kate Beckett. Le voyant surpris, elle hésita.

« - Bonsoir, je venais prendre de vos nouvelles, je ne vous dérange pas ? demanda-t-elle poliment.

Pas du tout, au contraire, cet appartement est beaucoup trop calme. Entrez ! »

Elle passa le seuil d'entrée timidement, comme si elle entrait dans un sanctuaire. Il la regarda, se souvenant des premières fois où sa Beckett était venue au loft. Ses yeux s'embuèrent, il secoua la tête pour se ressaisir avant que Kate ne remarque son trouble.

« - Je vous propose un verre ?

Vous ne devriez peut être pas, si je peux me permettre…

Ah oui, mes problèmes d'alcool ! grogna-t-il. »

Il avait découvert en surfant sur le net que dans ce monde, il n'était qu'un auteur désespéré noyant son chagrin dans l'alcool dès que l'occasion se présentait, c'est-à-dire presque tous les soirs, dans un bar ou une boîte de nuit branchée. Il fallait qu'il s'habitue au personnage.

« - Un café dans ce cas ?

Ce sera très bien, merci, répondit-t-elle gênée elle n'avait pas voulu le renvoyer à ses problèmes. »

Elle avait ressenti, de façon inexplicable, l'envie de lui parler, de ne pas partir de son bureau silencieux vers son appartement encore plus calme. Ils discutèrent de tout et de rien, mais surtout pas de ses livres, ni de l'enquête qui était au point mort. C'était à se demander comment ils réussissaient à converser comme deux vieux amis en évitant tous les sujets fâcheux, il y avait un naturel déconcertant dans leurs échanges qui les surprit tous les deux. Elle parce qu'elle n'avait jamais vécu cela avec personne, hormis sa mère, et lui parce qu'il aurait cru la conversation gênée après leur entrevue quelques jours plus tôt. Ils se quittèrent simplement au bout de quelques heures après avoir grignoté un peu tout parlant, comme s'ils avaient fait ça des milliers de fois et qu'il y en aurait encore des milliers d'autres. Ce n'est qu'une fois séparés, elle dans le taxi qui la ramenait et lui lavant les verres dans lesquels ils avaient bu, qu'ils se rendirent compte que le temps s'était suspendu entre leur « bonsoir » et leur « au revoir ».

Jour 7

Elle était assise sur ce même canapé, il avait sorti une bouteille de vin cette fois, ayant réussi à lui faire comprendre que sa vie dissolue ne l'était pas autant que les tabloïdes le prétendaient. Elle ne l'avait pas rappelé après leur soirée en tête à tête, effrayée par tant de facilité dans leur relation, parce que c'était à la fois un homme, son écrivain préféré et un personnage public en perdition, et qu'elle pensait ne pas avoir de place pour ça dans sa vie. Elle avait pris du recul quelques jours, et finalement elle était revenue après avoir pesé le pour et le contre et conclu qu'elle devait s'assurer qu'il avait tiré un trait sur cette histoire d'artefact avant qu'elle ne sorte de sa vie. Elle ne pouvait décemment pas le laisser s'enfermer dans la spirale dont elle-même avait peiné à sortir. Elle l'observait, pensive, se remémorant la fougue avec laquelle il lui avait confié ses théories et ses espoirs au début de l'enquête, persuadé de retourner au plus vite dans « son monde ». Depuis ses cernes s'étaient creusés, son visage avait perdu sa lueur joviale. Elle se sentait désemparée face à sa résignation, sa lassitude, elle qui avait si souvent vu ces sentiments peints sur son propre visage ne savait pas comment l'aider car elle avait vécu ces moments seule. Elle connaissait cette souffrance, ce repli sur soi dans la douleur, et c'est son impuissance face à tout cela qui la peinait. Elle avait souvent été celle que l'on tente de rassurer, pas celle qui rassure, et elle se sentait maintenant démunie face à la peine de son…hôte ? Ami ? Elle lui jeta un regard furtif, il fixait un point devant lui, une main sur son verre, l'autre sur sa cuisse. Il n'avait rien dit depuis plusieurs minutes, et le silence apaisant entre eux devenait lourd. Son esprit était à des kilomètres d'elle alors que son corps appesanti par le chagrin était juste là, près d'elle. Doucement elle posa sa main sur le sienne, sans un mot, et leur deux corps frémirent au contact de leur peau. Peut-être n'y avait-il rien à dire finalement. Il eut un faible sourire, comme si un souvenir heureux se déroulait dans cet ailleurs que lui seul voyait.

Ils étaient assis devant le motel, il tenait le café qu'elle lui avait apporté. Il culpabilisait d'avoir laissé partir le triple tueur, de n'avoir pas compris plus tôt. Et elle avait posé sa main sur la sienne, tout simplement, et cela lui avait fait du bien.

Il repensa à sa fiancée. Il s'en voulait d'avoir abandonné Kate une nouvelle fois, de ne pas réussi à revenir auprès d'elle d'avoir douté de la force de leur destinée pendant ces quelques secondes durant lesquelles il avait tenu l'artefact. Il s'en voulait aussi de faire du mal à la Kate de ce monde-ci, en lui parlant de fiançailles il lui avait rappelé sa solitude et maintenant qu'elle était là pour lui il la laissait dans un silence qu'elle ne comprenait certainement pas. Il resserra pourtant l'étreinte de leurs mains, sans rien dire, puis se leva pour briser ce contact qui finalement lui brûlait la peau. Elle se leva aussi, elle devait se sentir bien inutile après tout. Elle se mit en face de lui et annonça d'un ton calme :

« - Il faut que j'y aille Castle, j'ai beaucoup de travail demain ».

Elle ne savait pas si elle devait proposer de revenir, de déjeuner ensemble le lendemain, il avait l'air tellement ailleurs. Elle culpabilisait de le laisser ainsi, mais elle ne pouvait pas rester toute la nuit à attendre qu'il parle, qu'il pleure, qu'il la chasse. Elle ne savait pas comment faire pour l'aider sans lui infliger la douleur de la voir elle, celle qu'il aimait mais qu'elle n'était pas.

« - Je comprends. Merci quand même d'être passée, je suis de mauvaise compagnie en ce moment, désolé, s'excusa-t-il.

De rien Castle. À bientôt ? »

C'était clairement une question, elle ne voulait pas imposer sa présence qui rappelait l'autre, même si elle souhaitait de tout son cœur être là pour lui, en amie. Elle ne pouvait se résoudre à disparaître et le laisser comme s'il allait bien.

« - À bientôt Kate, répondit-il simplement, en ancrant son regard dans le sien. »

Ce n'était pas vraiment elle qu'il fixait, mais elle aimait tellement se perdre ainsi dans l'océan de ses yeux qu'elle ne cilla pas. Il s'approcha d'elle, fixant un point au fond de ses prunelles mordorées comme s'il y voyait une chose à laquelle il pouvait s'accrocher. Il posa sa main sur son cou, glissa vers sa nuque puis déposa un baiser sur ses lèvres.